Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

43.
Qui a cru à notre prédication ?

Qui a cru à ce qui nous était annoncé, et à qui le bras de l’Eternel a-t-il été révélé ?

(Ésaïe 53.1)

« Qui a cru à notre prédication ? » Personne, semble dire Esaïe en posant la question elle-même. Hélas ! quand on voit de nos jours un si petit nombre de croyants noyés dans la foule des auditeurs, on est bien tenté de se dire aussi : « Qui a cru à notre prédication ? » Sans doute, ce peu de succès pourrait s’expliquer par la faiblesse ou les infidélités des prédicateurs eux-mêmes ; sans doute on pourrait encore dire qu’il n’y a rien d’étonnant dans un fait qui confirme la prédiction de Jésus sur la multitude des appelés et le petit nombre des élus ; mais après ces concessions on reste encore persuadé qu’une partie des obstacles à l’efficacité de la prédication de l’Évangile se trouve chez les auditeurs et qu’il serait possible de les faire disparaître. Quand on voit des personnes de tout âge, de tout sexe, de tout rang, venir depuis longtemps écouter la Parole de Dieu sans paraître y rien comprendre, sans se douter même qu’elles n’y comprennent rien, on ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse ; alors naît chez le prédicateur le désir de connaître ces obstacles pour les signaler à ses auditeurs, et les engager à les faire disparaître. Essayons donc ensemble une recherche qui peut vous rendre fructueuses non seulement la parole que vous allez entendre aujourd’hui, mais encore toutes les prédications de l’Évangile.

Lecteur, quelles causes s’opposent en vous à ce que nos prédications y portent des fruits de foi et de sanctification ? Jésus indique la première, celle dont découlent toutes les autres. « La lumière, dit-il, est venue dans le monde ; mais les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que (et voici la cause), parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » Comme le malfaiteur souffle sur le flambeau qu’une main importune apporte dans l’ombre dont il s’enveloppe, de même le pécheur ferme les yeux aux clartés que l’Évangile jette sur la passion qu’il désire conserver.

De cette première cause, l’amour du péché, découlent toutes celles qui chez l’auditeur s’opposent à l’heureuse influence de la prédication. Ainsi, la prédication ne portera jamais de fruits chez un homme si cet homme ne prie pas ; et comment prierait-il contre un mal dont il ne veut pas être guéri ? Dès qu’on veut garder sa passion, comment demander à Dieu de rendre efficaces les discours qui viennent la combattre ? La Parole de Dieu portera-t-elle-des fruits malgré la volonté de son auteur ? Ou bien Dieu changera-t-il ses décrets éternels, et vous enverra-t-il ses dons de foi et de sanctification sans obtenir de vous les prières qu’il en réclame ? Non, pas plus que le riche ne songe à secourir l’indigent qui refuse de demander.

Vous vous trompez, voudraient sans doute nous répondre quelques personnes ; nous prions Dieu de nous faire profiter des instructions que nous venons recevoir de sa Parole, et pour preuve nous vous en donnons la prière que chacun de nous prononce, les mains jointes, la tête inclinée, en commençant notre culte public, le dimanche. Hélas ! cette récitation d’une formule, loin de me convaincre, ne sert qu’à me rappeler un nouvel obstacle mis à l’influence de la prédication. En quittant vos demeures pour vous rendre dans la maison de Dieu, que venez-vous y chercher ? Vous êtes-vous dit : Nous allons puiser des instructions pour fortifier notre foi, avancer notre sanctification ? Non, vous vous êtes dit : C’est aujourd’hui le jour du Seigneur, il faut aller au temple ; c’est un devoir envers Dieu ; tout bon chrétien doit lui consacrer au moins une heure le dimanche. Et par scrupule de conscience, pour acquitter une dette envers Dieu, vous êtes allés à l’église, vous avez récité quelques mots de prière ; ensuite vous vous êtes assis et levés avec les autres, vous avez chanté un psaume, écouté un sermon, suivi des lèvres une liturgie, reçu la bénédiction, et votre travail religieux une fois accompli, vous vous êtes retirés soulagés comme un homme qui dépose un fardeau. J’ai rempli mon devoir, vous êtes-vous dit ; maintenant je suis libre de songer à mes affaires. Mais la pensée que vous ayez un fruit spirituel à retenir de tout ce qui a été dit ne s’est pas même présentée à votre esprit ; vous n’êtes pas venu demander quelque chose pour vous, vous êtes venu donner à Dieu ; vous n’avez pas prétendu recevoir une grâce, vous avez cru accomplir une tâche. Est-il donc étonnant encore que vous n’ayez pas emporté le germe de foi ou de sainteté que vous n’êtes pas venu chercher ? Et cette prière dont vous parliez tout à l’heure, est-elle autre chose qu’un anneau de cette froide chaîne de cérémonies que vos mains, votre tête, vos lèvres, parcourent comme les grains d’un chapelet ?

S’il est des hommes qui viennent à l’église pour assister au culte et non pour entendre la Parole, il en est d’autres qui s’y rendent, au contraire, uniquement pour la prédication, mais qui n’en reçoivent pas une plus heureuse influence. Ils viennent chercher, non de l’édification, mais des émotions, comme ils iraient en demander à une lecture, à un récit, à un théâtre ; ils veulent être ici tour à tour attendris ou effrayés, comme ailleurs intéressés ou égarés. Si vous leur parlez avec calme, simplement, bien que ce soit de leur propre salut, ils se retirent mécontents ; si vous leur arrachez une larme, dût-elle être stérile, n’importe, ils seront satisfaits. De devenir meilleurs, ils s’en inquiètent peu ; être émus, amusés un moment, c’est tout ce qu’ils désirent. Ils sont là pour entendre, non la Parole de Dieu, mais la parole de l’homme, non pour être jugés par la prédication, mais pour juger le prédicateur. Ce ne sont pas les Juifs écoutant saint Pierre, et lui criant, touchés de componction : Homme, frère, que ferons-nous ? mais ce sont les Athéniens ! prêtant une oreille distraite à saint Paul, pour en causer ensuite entre eux comme de la nouvelle du jour. Ils pourront dire si vous avez parlé avec plus ou moins d’élégance ; si votre ton de voix, votre geste, ont été justes ou faux ; désigner le point où vous avez été fort, celui où vous êtes resté faible ; mais quant aux grandes vérités que vous avez prêchées, quant à leur application à leurs propres âmes, ils n’y ont pas même songé. Ils ne sont pas venus pour cela ; ils sont venus chercher des fleurs : comment emporteraient-ils des fruits ?

Cependant tous ne s’attachent pas uniquement à la forme ; quelques-uns s’inquiètent aussi du fond. Malheureusement, ils s’en préoccupent non pour eux, mais pour les autres ; ils ne viennent pas à l’église, ils y amènent leur famille ; quand le prédicateur parle, ils n’entendent jamais ce qui les concerne, mais ils appliquent avec discernement à chacun ce qui lui convient. Si vous êtes prédicateur, ces hommes viendront vous conseiller tel sujet, vous fournir un texte ; car ils ont remarqué tel ou tel travers dans la société, et ils seraient si heureux que le monde voulût se convertir ! Comment voulez-vous être guéri en faisant traiter l’âme d’un autre ? Ne voyez-vous pas que cet autre demande exactement le même remède, précisément pour vous ? Aussi le monde fourmille de réformateurs et manque de réforme, et tout en irait bien mieux si chacun voulait commencer par soi-même. Non seulement cette manie de régenter les autres prive ceux qu’elle possède du bienfait de leurs leçons, mais encore elle rend ces leçons stériles pour leurs élèves. En effet, personne, en fait de morale ou de religion, ne veut accepter pour soi ce que l’instituteur ne prend pas pour lui-même. Soyez certains que les plus faibles intelligences savent discerner que vous-même ne croyez ni ne pratiquez ce que vous leur dites de pratiquer et de croire ; en sorte qu’au lieu de leur être utile, vous leur nuisez ; vous leur enseignez l’hypocrisie, rien de plus. Ainsi, de proche en proche, le mal descend du père à l’enfant, du maître au serviteur, de la ville au village ; et à la vue de cette incrédulité devenue générale, le prédicateur dit au sage de ce siècle dans l’amertune de son cœur : Voilà votre ouvrage, grands philosophes ; jugez de la vérité de vos principes par la moralité de leurs résultats !

Vous l’avez compris, de tels hommes et beaucoup d’autres n’admettent pas la divinité de la Parole qui sert de base à nos prédications. Dès lors on peut dire que pour eux nous raisonnons en l’air : c’est un avocat qui défend une cause au nom d’une loi qui n’existe pas. Son juge l’écoutera peut-être bien sans l’interrompre, mais sans être persuadé. Et pourquoi refusent-ils d’admettre la divine origine de ce livre ? A les en croire, c’est parce qu’il renferme des choses étranges, contraires à leur raison, qui blessent leur sens intime ; mais en réalité, c’est leur orgueil que blesse ce livre. La Bible les qualifie de pécheurs, et ce mot leur déplaît ; la Bible les dit perdus par eux-mêmes, et ils s’estiment méritants ; l’Évangile leur offre une grâce, et ils pensent avoir droit à une récompense ; l’Évangile leur dit qu’ils doivent naître de nouveau et naître par le Saint-Esprit ; eux se trouvent bien tels qu’ils sont, ou si l’évidence les contraint à l’aveu de quelque travers, ils croient pouvoir s’en corriger eux-mêmes. Enfin toutes les doctrines chrétiennes prennent le cœur naturel à rebours et le font crier ; comment donc s’en approcheraient des hommes qui redoutent avant tout l’humiliation ? Non ; la Parole de Dieu est hérissée de pointes aiguës pour l’orgueilleux ; de quelque coté qu’on l’approche, elle pique, irrite celui qui ne l’aborde pas avec soumission ; à chaque page elle demande la foi, et c’est précisément cette foi que l’orgueilleux lui refuse ! Que les auditeurs incrédules ne soient donc pas trop surpris du peu d’influence qu’exercent sur eux des prédications évangéliques.

Enfin, car nous aurons le courage de tout dire, quelques-uns vont plus loin : comme ils ne sont pas dans la foi, ils doutent de la foi de celui qui leur parle. A leurs yeux, il remplit sa tâche ; monté en chaire, il faut bien qu’il prêche. On veut voir en lui deux personnages : l’homme du monde et le prédicateur chrétien ; on s’attend donc à ce qu’il parle dans la société d’une manière, et dans la chaire d’une autre ; on trouve tout naturel que dans l’église il revête une robe, joue un rôle : il fait son métier, c’est convenu ; et bien qu’il dise des choses dont il doute lui-même, on le lui passe en vue de ses bonnes intentions… Avec une telle opinion du prédicateur, comment profiter de sa prédication ?

Mais tous les torts sont-ils donc du côté de ceux qui écoutent, aucun du côté de ceux qui parlent ? Hélas ! comme presque toujours, les torts sont partagés ; à chacun de ceux de l’auditoire on pourrait en trouver un correspondant chez les prédicateurs. Ainsi, quand vos pasteurs ont reconnu que l’amour du péché était la source de votre incrédulité, la crainte de vous blesser leur a ôté le courage de vous le dire. Au lieu de parler, comme saint Paul, avec hardiesse, ils ont, comme Jonas, reculé devant le devoir de déclarer à Ninive sa condamnation, et leurs ménagements n’ont abouti qu’à vous endormir dans une fausse sécurité. Quand les prédicateurs ont remarqué en vous cette démangeaison dont parle saint Paul d’entendre des choses agréables, dans la crainte de n’être pas écoutés en vous parlant avec simplicité, ils se sont efforcés de revêtir leurs idées de formes neuves, vives, frappantes, et peut-être ont-ils ainsi fortifié votre penchant pour les paroles vaines, sans vous faire mieux goûter la seule chose nécessaire. D’autres fois, quand les prédicateurs ont vu que les arguments puisés dans la Bible faisaient sur vous peu d’impression, et que vous n’aviez d’oreilles que pour ceux tirés de la sagesse humaine, ils ont eu le tort de descendre sur votre terrain, de raisonner avec vos idées, de partir de vos principes ; et il en est résulté qu’en écartant pour un moment l’autorité de la Parole divine, ils vous ont conduits à supposer que la Bible était, pour eux comme pour vous, un livre où l’usage oblige à prendre un texte, des citations, des formes, mais non le livre de Dieu, dont l’autorité pèse seule plus que toutes les raisons humaines. Enfin quand les prédicateurs se sont aperçus que vous vouliez voir en eux deux hommes, l’un parlant de l’Évangile dans l’église, l’autre parlant du monde dans la société ; lorsqu’ils ont vu qu’il était si difficile d’aborder les sujets religieux hors du temple, ils ont eu la faiblesse de taire leurs pensées les plus intimes, et, tandis que la vérité bouillait dans leur cœur, de vous parler d’affaires insignifiantes, de pluie et de beau temps ! Oh ! malheur à nous prédicateurs qui par cette lâcheté vous avons laissé croire que nous n’avions rien de mieux à vous dire, et qu’en effet la religion dont nous ne parlions plus hors de chaire, n’était pour nous qu’une affaire de métier ! Sachez donc à l’avenir que si hors de nos fonctions nous nous taisons trop sur l’Évangile, ce n’est pas qu’il ne soit dans notre cœur ; mais c’est que nous sommes retenus par un coupable respect humain ; sachez désormais que ce que nous vous disons ici, nous voudrions vous le dire dans vos demeures, dans vos fêtes, à votre table ; qu’à l’avenir, notre présence seule, notre silence lui-même, vous rappellent ce que nous vous disons aujourd’hui. Si nous vous parlons encore de choses indifférentes, dites-vous : « C’est qu’il n’ose pas m’entretenir face à face de son Évangile ; c’est une preuve qu’il a peu de courage pour le service de son Maître ; mais c’est une preuve aussi que je suis moi-même à ses yeux bien éloigné de la vérité, dont il craint de m’ouvrir la bouche. » Oui, nous voulons à l’avenir écarter ces raisonnements humains, pour nous appuyer sur la Parole infaillible et pénétrante qui saura bien trouver le chemin de votre cœur ; nous voulons vous parler non en orateur, mais en homme ; non en prédicateur, mais en frère ; vous prenant par la main, causant avec vous comme d’une affaire sérieuse et non d’une vaine spéculation de l’esprit.

Et vous-mêmes, chers frères, aidez-nous dans une tâche aussi difficile ; n’opposez plus à nos paroles les obstacles que vous y avez mis jusqu’à ce jour. Venez à la prédication de l’Évangile comme un malade qui veut être guéri ; priez avec nous, non pour la forme, mais avec sincérité, pour que le Saint-Esprit descende dans vos cœurs ; inquiétez-vous moins de la forme de nos discours, et plus des vérités qu’ils renferment. Il s’agit ici de salut, d’éternité ; il s’agit de vous-mêmes ; ne soyez donc pas vos propres ennemis en luttant contre la main bienveillante qui vous bande vos plaies. Nous ne sommes, nous prédicateurs, que des vases de terre, mais des vases qui vous apportent le trésor de l’Évangile ; notre voix n’est qu’un écho, mais un écho qui répète les promesses sorties de la bouche d’un Dieu. Oubliez-nous nous-mêmes, mais rappelez-vous le pardon, la grâce, le ciel que nous venons vous offrir. Ouvrez vos mains, et soyez enrichis ; ouvrez vos cœurs, et soyez heureux ; acceptez la paix, la joie, l’amour dont le Saint-Esprit veut remplir vos âmes, et vous trouverez alors assez éloquent l’ambassadeur qui vous aura remis vos titres à l’éternelle félicité.

Et toi, Seigneur, sans qui tous nos efforts seraient inutiles, toutes nos paroles vaines, viens à notre secours, aide celui qui parle, aide ceux qui écoutent, et que tous nous recevions avec humilité l’instruction de ta Parole sous l’influence de ton Saint-Esprit.

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