Commentaire sur l’Épître aux Galates

Commentaire

1. Partie historique.
(Ch. 1 et 2)

§ 1. Adresse et salut (1.1-5)

Origine divine de son apostolat (1.2), et dans le salut, la justification de l’homme par Dieu au moyen de la foi en Christ (1.3-5). Double thème de son épître.

1.1

1 Paul apôtre non de par des hommes ni par homme, mais de par Jésus-Christ et Dieu-Père qui l’a ressuscité d’entre les morts,

ἀπόστ. envoyé, apôtre, prédicateur choisi par Christ pour annoncer l’Evangile. Ce mot révèle d’importantes nouveautés. Le trait distinctif de la religion et de la philosophie antiques, se montre dans le voile de mystère dont elles se couvraient, dans le recèlement de ce qu’elles croyaient être la lumière et la vérité, ou dans le fait de l’ésotérisme avec ses pratiques obscures d’initiation. Ce vide qu’elles cherchaient à faire autour d’elles, cette soif d’isolement et de concentration était l’aveu muet de leur impuissance sociale, et leur acte propre d’accusation. Le christianisme paraît et son premier besoin, au contraire, est de parler à l’humanité et de l’appeler tout entière à une initiation publique, éclatante, à celle de la vérité qui sauve, qui n’invoque pas les obscurités du secret, mais la liberté du grand air et la splendeur du grand jour. Cest que la religion et la science religieuse de l’antiquité constituent en raison même de leur fausseté et de leur vanité, un appel mécanique aux masses, et métaphysique aux penseurs, un appel à l’homme extérieur et charnel d’un côté, et à ses facultés intellectuelles de l’autre ; tandis que la religion chrétienne, en raison de sa substantielle vérité s’adresse à toutes les puissances de l’âme, d’abord aux plus radicales et aux plus vivantes, au cœur, à la conscience, pour rayonner de là, par toutes les énergies et les faces de l’homme : c’est un appel complet, normal et universel. Les religieux philosophes de l’antiquité voyageaient pour recueillir çà et là et pour exploiter dans l’ombre des parcelles d’abstraite vérité, des idées sur ce qui est ; les apôtres du Christ parcourent le monde pour répandre à pleine mains et divulguer à pleine bouche la vérité vivante et vivifiante.

Deux choses, entr’autres, caractérisent glorieusement l’Évangile. En premier lieu, son instrument moralisant est tout nouveau. Le mosaïsme, avait mis en œuvre pour discipliner l’homme, une puissance plus extérieure qu’intérieure, la loi. L’hellénisme, et nous pourrions dire le paganisme en général, avait exalté le pouvoir de l’art. Sans dédaigner ou négliger ni l’art ni la loi, la religion chrétienne les complète, les couronne et les sanctifie par une énergie bien supérieure, qui s’adresse à l’homme intime, qui le saisit dans ses replis les plus cachés, qui va le remuer, le polariser dans son foyer de vie, en électrisant son amour, sa pensée et sa volonté, la Parole. Le Verbe en effet, est l’expression la plus riche, la plus saisissante et la plus profonde de la vie spirituelle. Le langage de la loi est extérieur, immobile, mort ; celui de l’art, moins positif, moins net, plus excitant et plus spirituel cependant, n’est encore qu’une pétrification, qu’une momie, qu’une voix de marbre ou de couleur. La parole seule a toutes les qualités de la vie ; jaillissante, forte, souple, mobile, rapide comme les jets de la pensée, c’est l’âme en fulguration avec ses étincelles électriques, avec son magnétisme d’amour et d’entraînement ; c’est l’âme se prolongeant dans le monde sensible et par lui dans d’autres âmes avec toutes ses richesses et ses ardents embrassements. Voilà le levier que le christianisme a jeté dans le monde et dont la force irrésistible, grandissant à chaque combat, s’en va déliant tous les mutismes, déracinant toutes les puissances ténébreuses jusqu’à ce qu’elle régnera, couronnée de l’orient à l’occident et du couchant à l’aurore, et alors le triomphe du Verbe sera près de sa consommation.

En second lieu, il est de l’essence d’une âme qui déborde dans sa plénitude, de se répandre. La production est la conséquence irrésistible d’une activité abondante et nourrie de foi. L’œuvre apostolique missionnaire, était une suite inévitable de l’apparition du Verbe éternel et de l’intronisation de la Parole. Il y a là la rigueur logique du rapport de cause à effet, de principe à conséquence, de substance à qualité. C’est ainsi que l’esprit d’enseignement, de publication, est inséparable de la vie chrétienne ; Christ sans apôtres, serait incompréhensible. Parole et Parole envahissante, sont deux faits qui, tirés de la portée générale du mot apôtre, font vivement ressortir la nouveauté chrétienne.

ἀπο. διὰ Paul était poursuivi par des adversaires qui le rabaissaient en niant la légitimité de son apostolat ; défendre son origine divine, est sa pensée dominante. Pour être très précis, il réunit et enchaîne selon sa coutume plusieurs prépositions relatives au même objet (Romains 3.22 ; 11.36 ; Éphésiens 4.6 ; Colossiens 1.16). Il y a gradation dans ces prépositions non synonymes ; ἀπο indique l’idée en général ; l’indirect, le médiat ; διὰ particularise, marque une cause rapprochée, immédiate. Je suis apôtre, dit-il, et non point par autorité humaine sous aucun rapport, comme par le choix d’apôtres, par les suffrages de quelque église, ni par un homme intermédiaire, médiateur ; mais par J. C. (Actes 9.6-16 ; 13.2-3), mon maître, le consécrateur réel lie ma charge, qui était une pensée éternelle dans le sein du Père (Galates 1.15). Paul parlant de sa haute dignité d’héraut chrétien, joint très souvent Christ et Dieu-Père (Éphésiens 1.1 ; Colossiens 1.1 ; 1 Corinthiens 1.1 ; 2 Timothée 1.1 ; 2 Corinthiens 2.1 ; 1 Timothée 1.1 ; Tite 1.1), parce que Dieu-Père est la base, la source, la cause fondamentale, l’origine de toute rédemption et que J. C. son fils, son organe, est un avec lui (Romains 1.2 ; 16.25 ; 1 Corinthiens 2.7 ; 2 Corinthiens 5.18 ; Éphésiens 3.9 ; Colossiens 1.13 ; Tite 1.2-3 ; 3.4) — τοῦ ἐγείρ La résurrection de J.C. était aux yeux des apôtres et de Paul en particulier, une des fortes preuves de sa messianité rédemptrice. (Actes 1.12, 22 ; 4.33 ; 5.30 ; 13.30 ; 17.3,31 ; 26.23 ; Romains 1.4 ; 4.24-25 ; Colossiens 2.12 ; 1 Corinthiens 15.17). Les adversaires de Paul disaient, entr’autres, qu’il n’était pas du nombre de ceux qui avaient vécu avec J. C., et la privation irrémédiable de ce commerce personnel dont les autres apôtres avaient été honorés était selon eux et pour eux une cause d’infériorité, et une pierre de scandale. Paul répond : J’ai été établi apôtre par J. C., non vivant parmi les hommes, mais ressuscité d’entre les morts, ramené à la vie par son Père. Ou bien il se peut qu’il cite la résurrection de son Seigneur pour démontrer l’union profonde de celui qui avec Dieu l’a fait apôtre, et pour légitimer ainsi l’assurance qu’il donne que son apostolat relève aussi du Père. Il semble en effet que si Paul avait voulu faire ressortir la résurrection de J. C., il aurait dit : Par J. C. ressuscité d’entre les morts, et par Dieu-Père ; mais en plaçant ces mots après Dieu-Père, il paraît en faire un attribut de ce dernier, pour le caractériser comme le père réel de J. C., comme le vrai Dieu, et pour l’unir tellement à son fils par cet acte glorieux d’amour que l’unité du Père et du Fils démontre aussi celle de son apostolat par le Fils et le Père.

L’idée saillante de ce premier verset est celle de l’origine divine de la prédication apostolique, et de la nécessité qu’un cachet céleste soit imprimé aux commencements d’une œuvre régénératrice, comme l’était la création de l’Église chrétienne. Tout apostolat purement humain est frappé d’impuissance dans sa base, car toute véritable mission, se proposant la réhabilitation de l’espèce humaine ne peut recevoir son origine, son énergie créatrice de la main de ceux qu’il faut relever ; il y aurait non-sens à le penser ; l’esprit qui a besoin de renouvellement ne peut créer l’esprit rénovateur ; il peut le recevoir et lui consacrer sa coopération ; mais il faut qu’il lui soit donné par celui-là seul qui le possède, par Dieu, au moyen de son Verbe, Christ. Une fois déposée vivante et vivifiante dans un établissement humain, dans des volontés dévouées, et devenue levier social, cette vertu créatrice que Dieu ranime sans cesse parce qu’il ne saurait se séparer de son œuvre d’amour et de salut, et qu’il travaille éternellement, se perpétue d’une manière humaine. Voilà la différence de l’apôtre et du pasteur ; ici il y a un cachet médiat ; là, une consécration directe, et au fond, la possession du même esprit, de la même foi. — De là découlent l’impuissance et la condamnation de fait des hommes qui se posent eux-mêmes, et qui ne se rattachant pas à l’œuvre unique divine, l’Eglise chrétienne, ne se proposent en purs apôtres de l’humanité, que de mettre l’élément humain en relief. L’inféodation d’homme à homme est ici encore implicitement flétrie, comme étant un esclavage et une idolâtrie indignes de la grandeur de notre race, puisque nous sommes assez élevés pour ne recevoir d’apostolat que de Dieu.

1.2

2 et tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie :

ἀδελφοὶ. Ce mot a quelquefois un sens restreint, comme : compagnon de mes voyages, de ma charge apostolique (1 Corinthiens 1.1 ; 2 Corinthiens 1.1 ; 1 Thessaloniciens 1.1 ; Philippiens 4.21) ; mais il doit être pris ici dans celui de consanguinité spirituelle, frère de foi, de piété. (Romains 16.17 ; 1 Corinthiens 5.11 ; 15.9 ; 16.20 ; Philippiens 4.22 ), à cause du mot tous et du manque de noms propres ordinairement cités quand Paul veut spécialiser ; dans le cas contraire, tous ne s’appliquerait qu’à Sylvain et à Timothée, qui étaient alors avec lui ; ce qui est inadmissible. — Paul montrait ainsi, dit Jérôme, que son opinion anti-judaïsante, loin de lui être personnelle, avait la sanction de nombreux fidèles. Après avoir affirmé d’une manière absolue le caractère divin de sa charge, il relève dans ces mots le second côté de toute véritable mission, celui qui la légitime aussi à quelque égard, parce qu’il est l’accomplissement progressif de son but, je veux dire, les succès de son œuvre et le témoignage de ce succès ; tous les frères qui sont avec moi. — Frère renferme à lui seul une apologie du christianisme ; il nous apprend que les hommes unis par la même foi, la même espérance, le même amour, dans l’âme desquels circule le même sang vivifiant, émané d’un seul et unique père, sont au propre et en spirituelle réalité, frères d’âme, de vie, uns de filialité. Telle est la racine de la puissance sociale de l’Évangile, de la solidarité et de la charité chrétiennes. — ταῖς ἐκκλη. On ne peut admettre avec Chrysost., Théoph., Œcum., Jérôme, Ambros, que le manque d’épithète comme de Dieu, sainte, décèle l’esprit irrité de l’apôtre, car ces qualificatifs sont employés pour désigner des églises dont Paul était aussi mécontent que des Galates (1 Corinthiens 1.2 ; 2 Corinthiens 1.1). Il n’écrivait pas à une église particulière ni aux fidèles d’une seule ville, mais aux églises de toute la province galate, parce que, dit Chrysostome, le feu de l’erreur s’était répandu non dans une, deux ou trois villes, mais parmi toute la nation.

1.3

3 Grâce et paix à vous de la part de Dieu-Père et de notre Seigneur Jésus-Christ

Le salut chrétien comparé au χαίρειν des Grecs et au salus des Latins, révèle tout un ordre de sentiments et d’idées nouveaux. Celui de Paul manifeste par ses effusion, la plénitude de son âme. Cette formule lui est habituelle (Romains 1.17 ; 1 Corinthiens 1.3 ; 2 Corinthiens 1.1 ; 1 Thessaloniciens 1.1) — χάρις, grâce, joie. Dieu est amour ; la manifestation de cet amour de condescendance et de pardon envers des inférieurs et des pécheurs s’appelle grâce ; voilà le point de vue objectif. Cet amour divin accepté par l’homme, introduit librement dans son âme, y effaçant peu à peu par sa présence consolante et sanctifiante le sentiment du péché et de ses misères, et s’y incarnant avec sa conscience ; voilà la grâce sous le point de vue subjectif. La première est cause, la seconde effet ; c’est une seule et même force et essence ; là, en Dieu, dans sa divergente plénitude, dans sa rayonnante diffusion ; ici, dans l’homme, en accroissement purificateur, en travail divinisant, pour faire que Dieu soit tout en tous. Synonymes : Tite 3.4-5 ; Romains 5.8 ; 8.32, 38 ; Éphésiens 2.4,8. — εἰρήνη, paix. La paix, dans l’ordre ontologique et psychologique, est postérieure à la grâce, puisqu’elle en est le fruit. Comme elle est la tranquillité de l’ordre, le règne vivant de l’harmonie, elle ne peut venir qu’après l’effacement du désordre ; cet effacement est opéré par le don et l’acceptation de la grâce qui fait passer le cœur du culte de lui-même à l’adoration de Dieu. Notre Père céleste ne peut nous apparaître en paix avec nous que lorsqu’il est accepté dans son amour régénérateur. Alors nous aussi, nous éprouvons le sentiment de l’harmonie, la jouissance pure et lumineuse de l’ordre rétabli en nous. La paix est donc la conscience intime des triomphes de l’amour en nous ; elle est l’amour à son second degré, rayonnant sa pacifique et glorieuse lumière, opérant et sentant ses merveilles de rédemption, ses réconciliations divines ; aussi, J. C., l’amour fait chair, est appelé le Prince de la paix. — Remarquez au commencement de cette phrase : « Dieu-Père, racine et raison première de tout ; » et à la fin : « Selon la volonté de Dieu. » Après y avoir intercalé le moyen unique que ce Dieu a choisi pour communiquer sa grâce et sa paix, l’apôtre retourne à la cause première et rentre dans cette volonté éternelle qui est l’alpha et l’oméga. C’est que son esprit, plein de l’éternelle unité, est puissamment synthétique ; Dieu est aux deux bouts de son intelligence, comme il est en réalité le cercle de toutes choses, le plérome dans lequel se meuvent le réconciliateur et le réconcilié. Voilà la logique divine qu’il y a dans la conscience chrétienne, et cette logique passe de l’intérieur dans l’extérieur, de la pensée dans ses formes.

1.4

4 qui s’est donné lui-même à cause de nos péchés pour nous arracher à ce mauvais siècle selon la volonté de notre Dieu et Père ;

τοῦ δόντος, etc. Origène, Œcum., Mill., Griesbach, etc., admettent περὶ d’autres, l’écriture vulgaire ὑπὲρ. Le premier mot avec le génitif indique l’objet qui est le centre, le but d’une activité qu’on déploie, comme combattre pour, parler de (1 Corinthiens 12.1 ; 1 Thessaloniciens 4.13 ; Matthieu 4.6 ; Marc 1.44 ; 1 Pierre 3.18 ; Actes 8.15). Par exemple : Frères, purifications, péchés, sont les objets pour lesquels on se livre à des consolations, à des sacrifices, à des souffrances. Le second signifie, à l’avantage de, pour quelqu’un (mourir, souffrir, prier, parler, faire des efforts). (Jean 10.15 ; 11.50 ; Romains 5.6 ; Luc 22.19 ; 2 Corinthiens 5.21 ; Hébreux 7.25.) Dans bon nombre de cas, celui qui agit à l’avantage de quelqu’un prend sa place, et c’est ainsi que ὑπὲρ se rapproche de ἀντὶ, loco, à la place de (Philémon 13). Assez souvent les deux prépositions en question sont prises l’une pour l’autre ; notre verset en est la preuve (Voyez 1 Pierre 3.18 ; Éphésiens 6.19). Ainsi περὶ signifie : pour l’amour de quelqu’un ; de sorte que cet être est l’objet, la cause, l’occasion des prières des combats, des souffrances ; et ὑπὲρ faire quelque chose en supérieur, en protecteur, en défenseur, à l’avantage et pour le bien du protégé (Winer, Gramm. p. 320-328, Synonymes : 1 Corinthiens 15.3 ; Hébreux 5.1 ; 7.27 ; 10.12Se donner soi-même (1 Timothée 2.6 ; Tite 2.14 ; Matthieu 20.28 ; Éphésiens 5.2) : Qui a donné pour protéger, défendre, sauver l’homme et l’humanité, non seulement sa parole, son exemple, ses forces, mais lui-même. Pourquoi place-t-on exclusivement dans sa mort le don que Christ fait de sa personne, au point de traduire ces mots : Qui s’est donné, par ceux-ci : Qui s’est livré à la mort ? La mort de J. C., malgré sa toute importance, n’est qu’un fait dans la chaîne de ceux qui constituent sa vie terrestre avant et après la tombe ; elle ne saurait annuler ni amoindrir la valeur des autres phases de cette vie ; car il ne peut y avoir dans cette carrière absolument et substantiellement sainte, un seul moment insignifiant, privé de force rédemptrice. L’apparition humaine du Verbe divin est une gloire une irradiation continues, et dès lors tous les rayons de cette gloire portent en eux de la santé ; Christ nous sauve depuis sa crèche jusqu’à son ascension ; toute sa personne, vivante, mourante, ressuscitée, glorifiée, nous appartient. L’amour, la sainteté, la conscience, l’esprit, les œuvres du Christ historique, constituent son bienfait. Qu’on le sache bien, il n’y a pas de christianisme sans Christ historique, personnel. Analyser les faits, l’histoire, les discours, la biographie de Jésus, les pressurer, en faire l’autopsie dialectique, les sublimer pour en tirer l’idée quintescenciée qu’ils représentent, dit-on ; et quand on croit l’avoir extraite, les rejeter comme une écorce desséchée ; disséquer le christianisme primitif dans son chef et dans sa fondation, c’est dénaturer la religion chrétienne pour en faire une abstraite et sèche philosophie. Jésus n’a pas dit : Je viens vous donner des idées, un système, une manière de penser sur Dieu, le monde et l’homme ; sur la vie, la lumière, la vérité, l’amour ; mais me donner moi-même ; moi, concret, personnel, réel, vivant ; moi, amour, vérité, lumière, vie. Cette différence entre le fait et l’image ; le réel et l’idéel, l’historique et le possible, le concret et l’abstrait, la vie et la pensée, différence qui tirera une ligne de démarcation éternelle entre l’Évangile et la philosophie, fait le mordant, le magnétisme régénérateur et le dynamisme pratique de la foi chrétienne. Quelle n’est donc pas l’erreur des chimistes idéalisants de l’Évangile ! Ils ne l’ont jamais senti, jamais expérimenté. — Il se donne. Tel est le caractère des œuvres de Dieu et de son Fils ; pour eux, tout est don, parce qu’ils sont tout amour ; mais en dehors d’eux, dans l’humanité dont l’amour est falsifié, il ne saurait en être ainsi. — τῶν ἁμαρ. aberration, déviation d’un but ; actions contraires à une loi imposée ; péché. Christ s’est donné pour nos déviations, c’est-à-dire, que nos péchés sont la cause et le but de-son bienfait ; il a donné sa vie pure, normale, divine, pour purifier, normaliser et diviniser la vie impure, désordonnée et animalisée des hommes ; il s’est révélé et posé lumière, ordre, sainteté, afin que nous l’assimilant par la foi, il illuminât nos ténèbres, redressât nos désordres, régénérât nos corruptions, et transfigurât toutes nos négations positives du bien, par la réalité triomphante et absorbante de sa vie. C’est ce que nous enseignent les paroles suivantes : afin de nous arracher ; à quoi ? à l’αἰών. Ce mot veut dire :

  1. temps infini, continu (Jean 6.51, 58 ; Luc 1.33) ;
  2. les périodes de la durée du monde (Hébreux 1.2 ; 11.3) ;
  3. temps limité, comme καιρός.

Les Juifs divisaient le temps en deux, parties : ce temps, αἰών οῦτος, le temps présent, antérieur au Messie ; et le temps futur, ἐρχομένος, ἐκείνος, μέλλων (Matthieu 12.32 ; Luc 18.30 ; 20.35). La fin de la première période et le commencement de la seconde arrivaient à l’apparition du Messie (Marc 10.30 ; Éphésiens 1.21 ; Hébreux 6.5). Le siècle étant dépeint dans les écrits des Juifs et dans le Nouveau Testament comme impie et dépravé, non qu’il soit mauvais en lui-même, mais parce que les hommes qui l’habitent sont corrompus, disent Théodoret, Jérôme et autres, la notion d’impiété fut dès lors jointe au mot αἰών ; de même seculum des Latins signifie ; hommes dépravés de ce siècle (Marc 4.19 ; Matthieu 13.22 ; Luc 16.8 ; 1 Corinthiens 2.6). Ainsi, siècle mauvais, signifie l’ordre mauvais des hommes et des choses actuels (Romains 12.2 ; Éphésiens 6.12 ; 1 Corinthiens 1.20-21, 27 ; 3.18). — ἐνεστὼς, présent (Hébreux 9.9 ; Romains 8.38 ; 1 Corinthiens 3.22 ; 7.26), synonyme de : cette race livrée à de mauvaises inclinations (Actes 2.40 ; 1 Jean 5.19). C’est de ces perversités que le Christ a racheté ceux qui ont cru en lui. La raison du mot présent, ajouté à mauvais siècle, peut se trouver dans la manière actuellement efficace dont Paul se représentait la libération chrétienne ; car, de fait, le Christ arrachait ses disciples aux mœurs perverses du siècle et du monde d’alors, et aux maux qui en étaient sortis. La vue des misères et des vices de son temps devait plus particulièrement l’affliger, et quoique dans sa pensée, Christ, le même aujourd’hui, qu’hier et éternellement, soit le Libérateur unique pour tous les temps, il lui était bien permis de mettre en relief, par une épithète, son siècle et son époque, en localisant l’idée éternelle de la rédemption et sa valeur universelle. — Nous voyons en outre par ces expressions que l’œuvre du Christ est aussi bien sociale qu’individuelle. L’Évangile, en effet, venait replacer le monde sur les bases éternelles de l’ordre, de la charité, du travail ; il venait mettre, dans la société générale et nationale, l’esprit au-dessus de la matière, Dieu avant le monde, l’éternité avant le temps ; l’inviolabilité de l’homme à la place du droit de mort, la fraternité universelle à la place de l’universelle hostilité ; il venait substituer le droit à la force, l’égalité à la caste, la liberté à l’esclavage ; dans la société domestique, faire succéder au droit de mort du père sur le fils et au dégradant servilisme de la femme, la filialité pour l’un et la chasteté d’un amour réciproque pour l’autre. Il venait par la justice consolider la propriété ; par la charité, adoucir les inégalités de la fortune ; par le travail, affranchir des misères matérielles et créer des garanties et des sources de bien-être ; par les sentiments de bienveillance et de fraternité chez les possesseurs, et par ceux de l’ordre, de l’économie, de la prévoyance chez les travailleurs, équilibrer, les destinées sociales et procurer à la masse des richesses et des produits une répartition de plus en plus large ; constante et bienfaisante. L’affranchissement social et matériel devait être l’inévitable contrecoup de l’affranchissement spirituel ; l’un était la conséquence de l’autre ; Jésus avait dit : « Recherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice et les autres choses vous seront données par-dessus ; » l’histoire a vérifié et vérifiera, de nos jours surtout, la fidélité de cette infaillible promesse. — Pourquoi l’apôtre a-t-il intercalé dans son salut toute l’économie évangélique ? Il parlait à des hommes qui voulaient abandonner l’esprit de filialité pour retomber sous le joug de la loi, et se justifier par le mosaïsme ; il était dès lors naturel que de prime abord il opposât aux judaïsants toute la doctrine chrétienne ; aussi trouvons-nous dans les v. 3-5, sur les questions du péché, de l’auteur et des moyens de la rédemption, de la délivrance et de ses glorieux résultats, une réponse complète et une solution anti-judaïsante : c’est d’après l’éternelle volonté de Dieu, source première, que Christ, médiateur, son organe, arrache les pécheurs au siècle mauvais et les fait entrer dans l’ère messianique, où il y a grâce et paix pour ceux qui croient en lui, et par lui en Dieu. — Selon la volonté, etc., c’est-à-dire, que toute l’œuvre pistique du Christ, en abolition de l’œuvre légale de Moïse, est un effet ou la réalisation dans le temps, de l’éternelle volonté divine.

1.5

5 à Lui la gloire aux siècles des siècles ! Amen.

Formule habituelle de Paul (2 Corinthiens 1.3 ; 11.31 ; Éphésiens 1.3 ; Colossiens 3.17 ; Jacques 3.9) — δόξα a l’article pour indiquer la gloire par excellence qui lui est due à cause de cette volonté (Romains 11.36 ; 16.27 ; 14.27 ; Éphésiens 3.21 ; 1 Pierre 4.11). — ἀμήν, mot hébreu qui signifie certain, vrai. Particule d’affirmation et d’approbation, esto, ita sit, pour confirmer une doxologie (Néhémie 8.6) ; ainsi soit-il (Romains 15.33 ; Galates 6.18 ; Hébreux 13.25).

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