Commentaire sur l’Épître aux Galates

§ 3. Thèse de l’apôtre : Sa vie avant, pendant et immédiatement après sa conversion (1.11-17)

A ce cri de son âme, à cette victorieuse apostrophe, forte déjà d’une preuve irrésistible, succède un énoncé clair et complet de sa thèse (1.11-12) et le développement calme de sa longue démonstration historique. Comme ses adversaires attaquaient la vérité de sa prédication par l’illégitimité prétendue de son apostolat, il fait à grand trait sa biographie. Tout le monde connaissait son zèle pour la loi juive et sa fureur contre les chrétiens(1.13-14), ce qui fait ressortir le caractère providentiel de sa conversion non volontaire ou recherchée, mais divinement opérée (1.15) ; immédiatement après et pendant trois ans, ce qui caractérise sa vie, c’est qu’elle fut privée de rapports avec les apôtres (1.16-17).

1.11-12

11 Frères, je vous déclare donc que l’Évangile par moi prêché n’est point de l’homme, 12 car je ne l’ai reçu ni appris d’homme mais par révélation de Jésus-Christ.

δὲ, particule de liaison et de transition annonçant une nouvelle tractation du même sujet, — γνωρίζω dans les Septante et le Nouveau Testament, signifie souvent faire connaître, soit pour la première fois, soit pour rappeler un souvenir (Proverbes 22.19 ; 1 Corinthiens 12.3 ; 15.1 ; 2 Corinthiens 8.1 ; Jean 17.26). Il y a inversion dans cette phrase ; Paul, plein de la majesté de son sujet, commence par le mot qui renferme l’idée principale, selon le génie et la construction de la langue hébraïque (1 Corinthiens 3.5 ; 7.17 ; 2 Corinthiens 12.7 ; Actes 13.32). — τὸ εὐαγγ. Le contenu de cette expression est que Dieu a destiné son Fils à établir le fondement de l’Église, à être le fondateur et le dominateur de son empire divin afin que tout homme s’identifiant par la foi à Jésus comme rédempteur, devienne agréable à Dieu et participe aux biens de son royaume (Romains 1.16-17 ; 10.8-13). Paul le nomme l’Évangile de la grâce de Dieu (Actes 20.24) ; l’Évangile du salut (Éphésiens 1.13) ; l’Évangile du Christ (2 Corinthiens 9.13 ; Galates 1.7) ; la prédication de J. C. (Romains 16.25) ; le mystère de Dieu et de Christ (Colossiens 2.2 ; 4.3 ; Éphésiens 1.9 ; 1 Corinthiens 4.1) ; le mystère de l’Évangile (Éphésiens 6.19) ; la sagesse de Dieu en mystère (1 Corinthiens 2.7). — κατὰ ἅνθρωπον. Cette préposition avec des noms de personne signifie généralement : selon le sens, la volonté, l’exemple de quelqu’un (Colossiens 2.8 ; Romains 15.5 ; Éphésiens 2.2 ; 2 Corinthiens 11.17) ; formule générale : « à la manière humaine » (Galates 3.5 ; 1 Corinthiens 9.8 ; Romains 3.5). C’est la négation de toute coopération humaine à l’origine de la vérité qu’il annonce ; le v. 12 définit très bien ces deux mots : Car je ne l’ai reçu, ni ne l’ai appris, etc. Il y a une gradation psychologique et logique dans ces deux verbes ; le premier exprime l’acte de recevoir, d’ouvrir ses capacités pour admettre ; le second indique une activité plus particulière de l’esprit sur ce qu’on a reçu, un travail complet d’appropriation ; ici l’activité, là la réceptivité dominent ; « aucun homme ne m’a communiqué l’Évangile, et ce n’est pas par l’application de mes facultés que j’en ai acquis connaissance auprès des hommes ». A cette négation d’une origine humaine, il oppose l’affirmation d’une source divine : mais par la révélation de J. C. — ἀποκαλύψεως action de tirer le voile et de montrer, soit par des institutions (Romains 16.25), soit par des faits (Romains 2.5 ; 8.19), ce qui est caché ; manifestation de choses divines, dévoilées par l’apparition du Christ (Matthieu 11.27 ; Luc 2.32). L’auteur des révélations est Dieu (Galates 1.16 ; Philippiens 3.15 ; Éphésiens 3.3), l’Esprit-Saint (Éphésiens 3.5), Christ (2 Corinthiens 12.1,7 et notre verset). Ces paroles peuvent se rapporter soit à l’efficace invisible de Dieu, de Christ, de leur Esprit, soit à l’apparition sur la route de Damas (Actes 9.1-9 ; 22.6-10 ; Galates 1.16), ou aux visions de Paul (Actes 22.17 ; 2 Corinthiens 12.1). Voici, d’après Nitzsch, le véritable développement de l’idée du Nouveau Testament sur la révélation :

  1. la manifestation du grand mystère, savoir : le décret du salut et le rapport du salut qui, réalisé par la coopération de l’apparition personnelle du Rédempteur avec l’Esprit-Saint dans les prophètes et dans les apôtres, est donné en partage au monde, et existe , pour la foi (Romains 16.25 ; comp. Romains 1.17 ; 1 Pierre 1.20 ; Éphésiens 1.9 ; 3.9 ; 1 Corinthiens 2.7 ; 1 Timothée 3.16 ; 2 Timothée 1.9-10 ; Tite 2.1). Néanmoins, en tant que cette manifestation du salut et la rédemption même sont encore incomplètes d’un certain côté et que nous vivons en espérance ;
  2. il y a une manifestation du mystère du salut pour la vue, donc une manifestation publique, concrète, qui aura lieu avec le retour du Christ maintenant caché avec notre véritable vie (Luc 17.30 ; Romains 8.18-19 ; 1 Timothée 6.14 ; 1 Pierre 1.5). Il faut distinguer de ces deux espèces, cette révélation du Fils de Dieu et de la sagesse divine qui
  3. se fait dans la conscience des fidèles (Galates 2.15 ; Éphésiens 3.3. comp. Matthieu 11.25 ; 16.17) ; cette révélation aussi est le fait de Dieu ou de Christ par le Saint-Esprit.
  4. Enfin des développements subséquents de cette conscience déterminée par Christ, par la grâce de Dieu, sont le partage des apôtres et de ceux qui ont cru à leur prédication, pour venir soit au secours de la doctrine (1 Corinthiens 14.6-26 ; Philippiens 3.15), soit à celui de la conduite (Galates 2.2), et en général pour aider le perfectionnement apostolique et chrétien (2 Corinthiens 12.7). Dans tous ces rapports, mystère est l’objet de cette intuition qui est opérée par révélation.

1.13

13 Vous avez appris, en effet, ma conduite antérieure dans le judaïsme et avec quel excès je persécutais l’Église de Dieu et la ravageais,

Paul entre dans les développements historiques qui démontrent ce qu’il vient d’affirmer, savoir, la génération divine de l’Evangile dans son âme, et qui caractérisent et détaillent l’ensemble de ce qu’il a appelé révélation de Christ ἀναστροφήν ποτε synonyme de primitive conduite (Jean 9.13 ; Éphésiens 4.22). Conduite, manière d’agir et de vivre (2 Maccabées 5.8 ; Éphésiens 4.22 ; Jacques 3.13 ; 1 Pierre 1.15 ; Hébreux 13.7) ; dans les Septante (Proverbes 20.8). Depuis Polybe les profanes connaissaient ce sens, qui est très fréquent dans les apocryphes ; Pierre aime ce mot — Judaïsme, religion des Juifs ; étude forte des lois et des traditions juives et pharisaïques (Galates 1.14 ; 2.14 ; Esther 8.17). — καθ’ ὑπερβολήν, qui dépasse toutes limites ; formule fréquente (Romains 7.13 ; 1 Corinthiens 12.31 ; 2 Corinthiens 1.8 ; 4.17). Parallèles du récit (Actes ch. 8,9,22,26 ; 1 Corinthiens 15.9.) — L’église de Dieu ; cette expression (1 Corinthiens 15.9) s’applique aux adorateurs de Christ et de Dieu, à ceux qui répondent à la voix de leur Père ; ἑκκαλέω, evoco, évoquer. Cet appel, un par rapport à son auteur, Dieu ; à son moyen, J. C. ; aux auditeurs, les hommes ; et à sa fin, le salut, devait produire union parmi les répondants ; de là le fait de l’Église ou de la communion fraternelle et filiale des appelés ; ainsi la foi chrétienne est le principe d’association et la puissance sociale par excellence ; l’amour ne vit que de fusion et d’harmonie ; c’est le coup de mort de l’isolement.

1.14

14 combien je me signalais dans le judaïsme au-dessus de la plupart de ceux de mon âge au sein de ma nation, zélateur excessif des traditions de mes pères ;

προκόπτειν (2 Timothée 2.16 ; 3.13 ; Romains 13.12), aller en avant, progresser ; avec ὑπὲρ, surpasser. — ζηλωτὴς, qui fait quelque chose ardemment ; sectaire, défenseur ardent (1 Corinthiens 14.12 ; Tite 2.14 ; Actes 21.20 ; 22.3 ; Exode 20.5). On appelait Zélotes, du temps de Moïse, ceux que leur zèle pour la patrie, et la religion portait à s’en constituer les vengeurs. Du temps des persécutions d’Antiochus Épiphane, le prêtre Matathias s’écria : Que tous ceux qui ont le zèle de la loi me suivent. Il fut l’origine des Chasidéens qui joignaient à une religiosité plus ou moins pure, un zèle extrême pour la loi ; ils étaient, comme dit Matathias ζηλοντες τῷ νομῷ. Ce mot se trouve très souvent dans les livres des Macchab. (1 Maccabées 2.24, 26, 27, 50). Foi à la tradition, zèle extrême à se soumettre aux observances les plus rigides et à combattre pour la religion et les lois ; haine profonde pour le paganisme, forment le caractère du zélote. A partir de l’an 135 av. J. C. le pharisaïsme fut le continuateur du zélotisme, après Simon, fils de Matathias, car les pharisiens aussi étaient enthousiastes de l’indépendance et de l’ancienne constitution mosaïque, ennemis de toute liberté intellectuelle, esclaves de la tradition et des cérémonies. Ces détails (Voyez l’excellente thèse de M. Meyer, Strasb. 1830), sont propres à nous faire bien comprendre la fin du v. 14. Paul était pharisien (Actes 23.6), fils de pharisien, et dès lors zélote des παραδόσεων, chose transmise à un autre, soit doctrines, institutions ou préceptes. Chez les Juifs il y avait de pareilles traditions ajoutées à la loi de Moïse. J. C. les oppose à la loi écrite (Matthieu 15.2, 3, 6 ; Marc 7.3-9, 13). Josephe, parle de choses légales venues des Pères et non écrites dans l’Ancien Testament (Antiq. juiv., liv. xiii, ch. 10, p. 663). — De ses pères (Actes 22.3). Paul fait ici ressortir la violence de ses persécutions, la frénésie de ses ravages, sa vaste renommée de persécuteur, sa supériorité rabbinique, la rapidité de ses progrès, la verve brûlante de son zèle pour prouver que sa conversion était divine ainsi que l’Évangile qu’il prêchait. Chez un homme si ardemment convaincu de la vérité du pharisaïsme, comment une persuasion contraire a-t-elle pu naître, s’affermir et grandir au milieu de tant d’orages, si ce n’est par une excitation et une opération divines ? Aussi l’apôtre, dans la conscience de son exaltation pharisaïque d’autrefois, où sa personnalité et sa volonté jouaient un si grand rôle, et dans celle de la nullité, disons mieux, de la résistance de sa volonté, et de l’action triomphante de l’esprit de Dieu dans l’œuvre de sa conversion, se hâte de continuer chronologiquement le développement psychologique de son être en disant :

1.15-17

15 mais lorsqu’il trouva bon, le Dieu qui m’a choisi dès le sein de ma mère et qui m’a appelé par sa grâce, 16 de révéler son Fils en moi pour que je l’annonce aux Gentils, aussitôt je ne consultai ni chair ni sang 17 et loin de monter à Jérusalem vers ceux qui avant moi étaient apôtres, je m’en allai au contraire en Arabie d’où je revins de nouveau à Damas.

Mais lorsque εὐδόκησεν ; ce verbe, suivi d’un infinitif comme ici, signifie faire avec plaisir ; être préparé à (1 Thessaloniciens 2.8), et renferme l’idée de bienveillance (Luc 12.32 ; 1 Corinthiens 1.21 ; Colossiens 1.9), Diodore de Sic. Polybe). — ἀφορίσας με etc. : limiter, concentrer son pouvoir sur quelque chose ou sur quelqu’un ; choisir pour préparer à une œuvre (Actes 13.2 ; Septante. Levit. 20.26 ; 27.21 ; Jérém. 1.5 ; Romains 1.1). — Du sein de ma mère, c’est-à-dire, dès ma naissance (Luc 1.15 ; Matthieu 21.12 ; Actes 3.2 ; 14.8 ; Juges 16.17) ; locution hébraïque indiquant qu’on a été de tout temps destiné à une chose. Le premier verbe pourrait bien exprimer, ce semble, la destination idéale, avant le temps, et καλεῖν sa réalisation dans le temps — par, au moyen de sa grâce, de son amour (Romains 1.1 ; 1 Corinthiens 7.25 ; 2 Corinthiens 4.1 ; 1 Timothée 1.13 ,16). — ἐν ἐμοὶ. Quelques-uns ont traduit : par moi ; c’est grammaticalement faux, et de plus il y aurait tautologie, puisqu’après nous lisons : Afin que j’évangélise, etc. D’autres disent que c’est simplement pour μοὶ, mais ils oublient que ἐν a une valeur propre, sans laquelle on ne pourrait pas comprendre bon nombre de passages comme Actes 4.12 ; 1 Jean 4.9. Winer, Gramm., p. 177. En moi, dans mon âme, comme l’explique Œcuménius. L’apôtre a mis ἐν εμοὶ plutôt que μοὶ pour faire sentir qu’il connaissait l’Évangile non par discours, mais dans son cœur, par révélation interne. — προσανεθέμην au propre : imposer un nouveau poids ; au moyen : se laisser imposer par-dessus avec le sens actif suivi du datif : consulter quelqu’un, parce que le consultant se laisse pour ainsi dire imposer un poids sur un autre ; cette signification est universellement admise. — σαρκὶ καὶ αἵματι (1 Corinthiens 15.50 ; Éphésiens 6.12). Chez les rabbins, cette expression indique un homme opposé à Dieu. La chair, dans les écrits de Paul, désigne généralement la nature animale siège des appétits naturels, prise en mauvaise part, en tant que cette nature inasservie à la loi, convoite contre la loi, n’étant pas douée de conscience religieuse comme la nature spirituelle que l’Esprit-Saint illumine (Romains 6.9 ; 7.18 ; 8.3. Voyez, pour plus de détail, Galates 3.3 ; 5.16-17). L’usage figuré du mot chair découle de l’hébreu (Ecclésiaste 2.3 ; 5.5 ; Psaumes 56.5 ; Job 10.10). — εὐθέως, promptement, soit pour montrer son adhésion rapide, instantanée, l’absence d’hésitation, soit pour signifier qu’il n’avait pas entendu des chrétiens ayant de prêcher Christ. Ce qui est psychologiquement le plus vraisemblable, dit Néander, c’est que Paul, après qu’Ananias l’eut visité, ne chercha pas de nouveau la retraite, mais plutôt la société d’autres fidèles, et qu’après s’être édifié et fortifié avec eux, il se sentit pressé de rendre témoignage à la vérité, en présence de ses anciens co-religionnaires, les Juifs. C’est ce qui ressort de notre passage dont voici l’ensemble et la liaison : Aussitôt que Dieu me manifesta son Fils afin que je l’annonçasse parmi les païens, je prêchai l’Évangile d’une manière indépendante, en suivant cette révélation. Paul exprime cette proposition sous forme négative et positive : Pour remplir ma vocation, je ne me fis instruire par aucune autorité quelconque, ni par les apôtres à Jérusalem, mais au contraire je voyageai aussitôt en Arabie pour y évangéliser. — ἀνῆλθον je vais dans un lieu plus élevé, je monte (Jean 6.3, 70 ; Juges 21.8 ; 1 Rois 13.12). Ce verbe a aussi chez les profanes le sens de retourner, ce qui s’appliquerait à Paul à merveille ; toutefois le mot ἀναβαίνειν est plus usité dans le Nouveau Testament pour exprimer retour à Jérusalem. — Arabie, grande presqu’île située en partie dans la zone tempérée, et en partie dans la brûlante ; bornée par la mer Rouge, l’Océan indien et le golfe Persique, et voisine au nord des confins de la Palestine, de la Syrie et de la Babylonie. On la divise habituellement en Arabie déserte, heureuse et pétrée. La déserte, dont il est ici question, est la partie nord-ouest du pays, et embrasse la presqu’île du mont Sinaï, comprise entre les deux golfes de la mer Rouge et l’étendue septentrionale renfermée entre l’Egypte, la Méditerranée, la Palestine et l’Arabie heureuse et déserte. Les Arabes eurent des rapports hostiles avec le peuple d’Israël pendant le séjour du désert (Nombres ch. 31, et dans la période des Juges. Cette même race (ou Madianites) inquiéta de nouveaux les Hébreux qui la repoussèrent victorieusement (Juges ch. 6-8 ; comp. Ésaïe 9.3 ; 10.24 ; Psaumes 83.12). David et Salomon vécurent en paix avec elle ; celui-ci avait même des relations avantageuses avec les tribus commerçantes (1 Rois 10.15), et était estimé dans Saba (1 Rois ch. 10). Josaphat vécut en commerce amical avec elle (2 Chroniques 17.11) ; Joram au contraire eut à la combattre (2 Chroniques 21.16) et Osias, le premier, réussit à la défaire (2 Chroniques 26.7). Lorsque les conquérants Orient-Asiatiques se jetèrent sur la Syrie et la Palestine, les Arabes de l’intérieur ne furent pas ébranlés et vécurent tranquillement, protégés par leurs montagnes (Jérémie 49.31 ; comp. Diod. Sic. ii, 1) ; toutefois les tribus limitrophes dans l’Arabie déserte et pétrée furent épouvantées (Ésaïe 21.11) et les prophètes, à l’époque chaldaïque, ne manquent pas de menaces contre cette nation (Ésaïe 21.13 ; Jérémie 25.23 ; 49.28). Après l’exil nous trouvons des rois arabes liés d’amitié à des monarques de la Syrie (1 Maccabées 11.39 ; 5.39 ; 2 Maccabées 12.10), et prenant parti dans les démêlés syriens pour le trône ; dans cet état de choses, Jonathan trouva occasion de combattre contre les tribus qui avoisinaient Damas (1 Maccabées 12.31) ; d’autres tribus vivaient en paix avec les Juifs (1 Maccabées 5.25 ; 9.35). Pendant ces troubles, ou même auparavant, les Arabes avaient poussé leurs envahissements dans la Palestine ; le roi Alexandre leur enleva plus que leurs conquêtes (Josephe, Antiq. xii, 15,4 ; comp. 13, 13,3). Leurs princes surent se créer une influence dans les dissensions intérieures de la maison royale juive (Josephe, Antiq. xiv, 1, 4 ; Guerre juive i, 6, 2). Sous Hérode-le-Grand, ils tombèrent sur la Judée, mais ils furent repoussés avec perte (Antiq. xv, 5, 2 et 3). Le fils de ce roi, Hérode Antipas, épousa au contraire une princesse arabe, mais il fut durement traité par son beau-père, lorsqu’il l’eut renvoyée (Antiq. xviii, 5, 1), et obligé d’appeler les Romains à son secours. Il est probable que de bonne heure des Juifs s’étaient domiciliés en Arabie, surtout depuis l’oppression de la domination syrienne, et plus tard, après la ruine de Jérusalem (Actes 2.11). Leur nombre était déjà très grand au temps de Mahomet. Ces détails ne sont pas déplacés parce qu’ils contribuent à faire comprendre pourquoi Paul se dirigea sur l’Arabie, séjour de beaucoup de Juifs. Les Actes ne nous disent rien sur ce voyage (ch. 9) ; on ignore quelle fut sa durée ; Hemsen la croit de deux ans, Schrader de quelques jours. (Voyez le dictionnaire de Winer d’où nous avons extrait ces détails.) — Damas, ville antique et célèbre de la Syrie, à 400 stades de la Méditerranée, à 6 ou 8 lieues de Jérusalem. Depuis la période Séleucide, elle comptait beaucoup de Juifs parmi ses habitants (Josephe, Guer. juiv. I, 2, 25 ; ii, 20, 2 ; comp. Actes 9.2). Elle devint plus particulièrement importante pour l’Église primitive, par la conversion et la première prédication de Paul (Actes 9.3, 20 ; 2 Corinthiens 11.32). Voici ce qu’en dit M. de Lamartine, dans son voyage en Orient, tom. iii, p. 109,117 ;« La vaste et féconde plaine, les sept rameaux du fleuve bleu qui l’arrosent, l’encadrement majestueux des montagnes, les lacs éblouissants qui réfléchissent le ciel sur la terre, la situation géographique entre les deux mers, la perfection du climat, tout indique que Damas est une des haltes naturelles de l’humanité errante dans les premiers temps ; c’est une de ces villes écrites par le doigt de Dieu sur la terre, une capitale prédestinée comme Constantinople. A l’issue du désert, et à l’embouchure des plaines de la Cœle-Syrie et des vallées de Galilée, d’Idumée et du littoral des mers de Syrie, il fallait un repos enchanté aux caravanes de l’Inde, c’est Damas. Le commerce y appelle l’industrie, etc. Les souvenirs de saint Paul sont présents aux chrétiens de Damas. On y voit encore les ruines de la maison d’où il s’échappa la nuit dans un panier suspendu. »

L’étude de l’histoire nous enseigne que Dieu fait jaillir en divers temps et en diverses manières, selon sa sagesse, des hommes de prédilection, des leviers puissants pour son œuvre éducatrice envers l’humanité, des organes de son action paternelle dont les révélations sont les jalons et les points culminants et centralisateurs. Cette mise à part idéale, cette élection éternelle, et l’appel postérieur ou la réalisation temporelle qui l’accompagne, n’ont leur raison d’être et de paraître que dans les profondeurs impénétrables de la Raison et de l’Amour incréés, car quel titre, tel homme plutôt que tel autre a-t-il en lui-même pour être un conducteur de l’humanité ! Ce choix est un effet de pure grâce. Mais s’il nous est impossible de sonder à cet égard la Pensée divine, nous pouvons du moins nous attacher aux faits et nous en aider pour expliquer ou pour comprendre ce saint vouloir. La conversion de Saul, ce brûlant zélote dont la vocation chrétienne nous occupe maintenant, éclate en témoignages providentiels dont nous voulons indiquer rapidement l’ensemble. Nous voyons dans Saul un tempérament, un caractère, une instruction et une éducation si judaïquement excentriques, que l’enfantement de sa foi et de sa vie nouvelle devait nécessairement porter à ses yeux le cachet d’une œuvre divine, d’une démonstration irrésistible de la vérité évangélique. En lui l’orgueil pharisaïque, la vanité de la science, les fureurs du fanatisme, les espérances antichrétiennes s’exaltent, se glorifient, concentrées dans une personnalité puissante, afin que leur condamnation apparaisse dans tout son jour, prononcée, sanctionnée par sa bouche même. Saul, sur le chemin de Damas, c’est la loi, la justice propre, l’esclavage intellectuel, la lettre, le passé, l’étroitesse, la haine, la violence, la persécution, incarnés en faisceau terrible, consumant, représentés par une volonté jalouse, par un cœur fanatique, par une logique impitoyable. Paul à Damas, c’est un éclatant démenti donné à Saul, émissaire du sanhédrin ; c’est une glorification de l’Évangile, de l’Esprit, de la grâce, de la foi, de l’amour, de l’avenir ; une leçon divine donnée à l’incrédule et rétrograde Palestine ; un arrêt de mort jeté sur le règne juif par celui qui devait ce semble en être un brillant flambeau. Cette conversion rayonnante du doigt de Dieu et de fins providentielles dans l’ensemble biographique de l’apôtre, dans sa puissance intellectuelle, dans son éducation rabbinique, dans son génie occidental, dans son énergie dévorante, dans sa position sociale, dans ses rapports avec sa nation et ses chefs, en un mot dans sa valeur personnelle et nationale, ne l’est pas moins par l’époque et les circonstances de sa réalisation. Il était temps que le christianisme sortît de l’ornière juive où les autres apôtres couraient risque de le laisser ; en effet, l’activité divine avec tous ses éclats surhumains se déroulant sur la tête de Paul, est précisément la preuve que les destinées de l’Évangile auraient pu être compromises, sans l’évocation de ce jeune héros dont l’appel extraordinaire signé du vouloir éternel de Dieu donne à sa conversion tout le poids d’une nécessité absolue. Le temps était admirablement choisi pour faire sentir l’universalité de la foi nouvelle, et pour lui donner un organe intrépide. C’était le moment où les chrétiens encore à moitié juifs avaient été forcés de quitter leur asile-mère, Jérusalem, et de prendre, par une persécution providentielle, le chemin de la dispersion, du pèlerinage, le chemin des nations et de l’humanité. Dieu seul pouvait faire qu’alors un homme, à l’apogée de son violent amour et de sa brutale idolâtrie pour ses croyances, s’armât d’un zèle contraire par une glorieuse apostasie ; Dieu seul pouvait faire marcher cette œuvre de cosmopolitisme par un seul homme, sous deux aspects si différents, par le glaive juif, et par l’épée de l’esprit chrétien. Merveille pour Paul, pour les Juifs, pour les païens, pour le premier siècle, pour tous les âges ; merveille qui à elle seule renferme une immense apologie, en faisant planer au-dessus d’espérances trompées, de combinaisons déjouées, de prévisions déçues, de plans déconcertés et renversés, une grande voix, celle de Dieu, un grand triomphe, celui de Christ. Ainsi expliquons-nous ces paroles : « Quand Dieu trouva bon — de révéler son Fils en moi. » Une révélation peut aller de Dieu à l’homme par des œuvres, par la parole, par des actions, et se communiquer à l’âme directement ou par des faits sensibles ; Pierre, par exemple, est appelé par des faits à modifier son prosélytisme juif, à agrandir son intelligence des destinées du christianisme ; mais dans le passage qui nous occupe, il est clair qu’il est question d’une révélation à l’homme intérieur. Cette révélation était nécessaire ; l’élément chrétien ou l’amour rédempteur devait procéder de Dieu vers Paul ; il serait déraisonnable de vouloir qu’un homme qui a pour mission l’œuvre régénératrice de notre espèce, puisât cette vertu vivifiante dans le sein de l’être qui ne l’a pas et qui en a besoin, je veux dire de lui-même d’abord et puis de l’humanité. La conscience de Paul est d’une manière admirable le reflet de ces vérités ; elle sent avec force et profonde humilité cette majesté d’un élu, d’un ambassadeur du Très-Haut. Partout nous trouvons Dieu, Dieu qui trouve bon, qui choisit, qui appelle, qui révèle ; partout éclate le sentiment de cette primitivité d’action qui appartient à l’Éternel. En général, les hommes vraiment extraordinaires ont un sentiment profond de leur immense dépendance de Dieu, parce qu’ils le sentent en effet agir en eux et dans leurs œuvres ; mais ceux qui, comme Paul, à la conscience de leur grandeur joignent celle de leur humilité, qui attribuent et rendent leur glorieuse supériorité à Celui à qui elle appartient, sont les hommes religieux par excellence, car ils se voient et voient tout en Lui.

Puisqu’il s’agit d’une révélation intérieure, que peut ici signifier son Fils ? Non point sans doute la personnalité terrestre de J. C., mais la spirituelle, mais l’amour rédempteur individualisé, mais cette lumière, cette grâce, cette vérité, cette vie qui étaient J. C. lui-même. D’après cela on ne saurait admettre que cette révélation fut simplement un appel à son intelligence, une masse d’idées, un système communiqué à sa raison ; il y a là une mesquinerie humaine qu’on ne pourra jamais légitimer par nos saints livres. Dans le Nouveau Testament nous osons dire que révélation et rédemption sont choses plus que corrélatives, et Paul lui-même nous l’enseigne par son exemple. La révélation dont il fut gratifié fut une vision par l’âme, par l’intelligence, par la volonté, et une assimilation des choses vues, je veux dire, de l’amour, de la sainteté, de la lumière ; elle fut une régénération, un changement réel produit dans l’intimité de son être ; elle fut le déversement dans son cœur d’un nouvel élément de vie, de l’amour rédempteur du Verbe lumière et force. Ce n’est que dans des siècles desséchés par le scolasticisme et la syllogistique, que l’aride et maigre étroitesse de la raison dégénérée en raisonnement peut borner la révélation à une émission d’idées, d’images de la réalité, et le rôle de Dieu à celui d’un pâle docteur. Dieu ne peut que communiquer du réel, du vivant et du vivifiant ; révélation, rédemption, sanctification, ne nous paraissent pas séparables. Et il n’y a rien de choquant dans cette influence de la vie infinie sur la vie finie. La société n’est que l’action et la réaction d’esprits sur des esprits ; c’est l’entrelacement organisé d’êtres qui se cultivent, se fécondent, s’éclairent, se vivifient, et roulent dans un croisement incessant de liens, d’influences, de dons et de restitutions. Qui donc oserait refuser à celui qui est Esprit et Vie d’éternité en éternité, la puissance qu’il a donnée à l’homme ? Oui, Dieu possède en Dieu ce que l’homme exerce en homme ; il peut, par le mordant régénérateur, par le feu dissolvant de son souffle, faire neuve de principes, de but, de lumière, de goûts, d’affections, de vertus, d’espérances, une âme qu’il a résolu dans ses plans adorables de recréer pour sa gloire et le bonheur de ses enfants.

Le but de toute cette œuvre divine était de donner un vulgarisateur à l’Évangile, un prédicateur par parole humaine de la parole divine. Ici le christianisme nous apparaît dans toute la beauté de sa mission sociale comme loi d’activité des nations et des siècles. Ce n’est pas un sujet d’anatomies théologiques et métaphysiques, d’autopsies intellectuelles, de curiosités pédantes et scolastiques ; il est enjoint à Paul d’évangéliser, de sauver le monde par le dynamisme de Dieu (Romains 1.16), en réalisant progressivement dans le sein de l’humanité la rédemption du Calvaire ; tel est le terme de son élection, de sa vocation, des révélations qui lui sont faites et de l’agrément de Dieu. Par là il est évident que la prétention première et dernière de la foi chrétienne est de servir de principe, de loi, de levier aux progrès religieux et moraux des hommes, d’être la cause, le moyen de leur salut terrestre et éternel, la puissance par excellence de socialisme avec Dieu et parmi l’espèce humaine. — Dans cette première intronisation de la parole humaine, comme instrument civilisateur universel, dans ce mariage du Verbe céleste avec le terrestre, nous voyons une leçon trop oubliée et une gloire trop souvent souillée ; la bouche humaine avec sa voix parlée, écrite, imprimée, oublieuse de cette grande voix des cieux qui brisa son mutisme et dignifia sa puissance, ne devrait-elle pas rougir de honte et rentrer dans son premier néant lorsqu’elle méprise ou néglige le souvenir de son origine, la sainteté de son rôle, la gloire de son but, la grandeur de ses fonctions, son sacerdoce royal, je veux dire, l’évangélisation, la rédemption sanctifiante de l’humanité !

Remarquons enfin que Paul, après cette révélation, fait ressortir sa rapidité d’action, son entraînement spontané à l’œuvre chrétienne, son abandon des intérêts temporels, son éloignement de Jérusalem et des apôtres, sa retraite, active sans doute, en Arabie, et son retour sur le théâtre de sa conversion et de ses premiers travaux pour prouver qu’il s’était tenu éloigné de tout contact avec les colonnes, et que son Évangile était de tradition divine, et non apostolique ou humaine. Cette affirmation de la part d’une conscience pure, dévouée, devrait suffire, si les hommes étaient saints, puisque les soupçons de notre foi envers le témoignage des hommes proviennent de la science que nous avons de la perversité égoïste du cœur humain, et que le degré de validité d’une attestation se mesure sur celui de la pureté du témoin ; voilà pourquoi, soit dit en passant, le témoignage du Christ est absolument vrai, parce qu’il était, lui Christ, absolument pur. Celui de Paul devait satisfaire des chrétiens ; mais lorsqu’on est aux prises avec des adversaires, il est convenable et nécessaire d’accompagner ces solennités de la conscience d’arguments tirés des faits c’est ce que l’apôtre va continuer de faire.

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