Commentaire sur l’Épître aux Galates

§ 5. Nouvelle visite à Jérusalem. Rapports avec les judaïsants, avec les apôtres (2.1-10)

A l’absence de rapports ou à leur nulle importance dogmatique, en succèdent de triomphants pour sa cause. C’est d’abord longtemps après une nouvelle visite à Jérusalem où il exposa sa prédication (2.1-2) et où il triompha de ses adversaires par la non-circoncision de Tite (2.3) et par sa glorieuse résistance (2.4-5) ; c’est ensuite ses relations fraternelles avec le apôtres (2.6), la légitimité de son apostolat, reconnue et proclamée par eux (2.7-8), leur association mutuelle et leur fraternité chrétienne (2.9-10).

2.1

1 Ensuite au bout de quatorze ans je remontai à Jérusalem avec Barnabas et Tite que je pris aussi ;

διὰ, par, à travers (Romains 15.28 ; Actes 13.49 ; Luc 4.30). Avec la notion de temps, pendant (Actes 5.19 ; 23.31 ; Hébreux 11.15). Après ; par exemple (Actes 24.17) : après plusieurs années, c’est-à-dire, plusieurs années étant parcourues, traversées. Ainsi : quatorze ans étant parcourus, ou après quatorze ans, je montai, etc. (Voyez l’introduction, § 11). — συμπαραλαβὼν. prenant ensemble (Actes 12.25 ; 15.37). — Barnabas, proprement Joses, lévite de l’île de Chypre, embrassa de bonne heure le christianisme et obtint l’estime et la confiance des apôtres ; ce qui semblerait confirmer ce que nous disent Eusèbe et Clément d’Alexandrie qu’il était des 70 disciples de Jésus (Actes 4.36-37 ; Hist. ecc. I, 12. Stromates 2, p. 176). Il présenta à Jérusalem Paul converti (Actes 9.27), et le détermina à venir de Tarse à Antioche (Actes 9.25), d’où ils furent tous deux envoyés à Jérusalem comme députés (Actes 11.30 ; 12.25). Bientôt après ils entreprirent ensemble un voyage missionnaire à travers la Syrie et l’Asie mineure (Actes 13.2,7, 43 ; 14.12, 14, 40), et après l’avoir accompli, ils furent députés par l’église d’Antioche vers les apôtres à Jérusalem à cause de la question relative aux pagano-chrétiens (Actes 14.26 ; 15.2, 22 ; Galates 2.1). — Tite, homme grec, compagnon de Paul ; selon la tradition il mourut évêque de l’île de Crète, à l’âge de 94 ans (2 Corinthiens 2.12 ; 7.6, 13-14 ; 8.6, 16, 23 ; 12.18 ; 2 Timothée 4.10 ; Tite 1.4).

2.2

2 or j’y montai par révélation et je leur exposai l’Evangile que je prêche parmi les Gentils, et en particulier à ceux qui s’imaginent que je cours ou que j’ai couru en vain ;

κατὰ ἀποκάλυψιν ; par admonition ou impulsion divine, et non point par mon propre arbitre, ou par désir d’apprendre. Il semble toutefois que ces paroles sont en contradiction avec Actes 15.2, où nous voyons l’apôtre entreprendre ce voyage à la voix de l’église d’Antioche. Nous répondons d’abord que Paul pût se sentir intérieurement et divinement poussé à céder aux prières et à la volonté des fidèles. En outre, des obstacles pouvaient exister qui nécessitaient cet encouragement supérieur ; alors son âme inspirée par le sentiment de sa mission et par l’esprit de Jésus, fut excitée à satisfaire non-seulement les intentions de l’église syrienne, mais aussi à utiliser cette occasion d’exposer sa foi et son œuvre, et de dissiper des préjugés ; enfin le but de cette commémoration de son voyage n’exigeait pas qu’il en mentionnât ici la cause extérieure ; il ne s’agissait que de rappeler l’exposition de son Evangile à Jérusalem devant les apôtres et les judaïsants, pour en montrer toute l’indépendance, et de révéler le doigt de Dieu dans les circonstances de cette affaire. — ἀνατίδεσδας communiquer, exposer, conférer, (2 Maccabées 3.19 ; Actes 25.14) ; proprement : consulter un ami et lui ouvrir son cœur. Autre chose est conférer, a dit Jérôme, autre chose apprendre ; entre ceux qui confèrent il y a égalité de puissance, soit pour approuver, soit pour désapprouver. Celui qui apprend est moindre que celui qui enseigne. — αὐτοῖς, aux jérusalémites chrétiens. — κατ’ ἰδὶαν en particulier, à part, uberius ac diligentius (Matthieu 14.13, 23 ; Actes 23.19 ; Marc 4.34) ; l’opposé est : en face de tous (Galates 2.14). Ces deux mots ne parlant que de négociations privées, semblent contredire Act. ch. 15 ; mais il n’en est rien, en admettant le sens donné à αὐτοῖς, c’est-à-dire, qu’avant la réunion publique Paul s’était entretenu avec les apôtres sur les principes à suivre ; ce qui était très naturel. — τοῖς δοκοῦσινδοκεῖν εἴναι, s’emploie par modestie, par urbanité pour exprimer ce qui est très certain ; il est un signe d’honneur, de dignité (Actes 5.36 ; 1 Corinthiens 3.7 ; 2 Corinthiens 3.5 ; Galates 6.3) ; cette locution signifie donc : ceux qui sont en honneur, les forts en autorité, les illustres, opposés aux masses. C’est le sens qu’on trouve, dit Winer, chez les meilleurs écrivains grecs ; l’abréviation δοκοῦντες ; a le même sens, les excellents, les coryphées ; le v ; 9 indique quels ils étaient. — μήπως que ne ; que peut-être. Après l’aoriste second ἀνετη. il fallait l’optatif à la place du présent τρέχω : l’indicatif ἐδραμον est aussi déplacé, parce que ce mode indique une chose pleinement Élite. On a tenté plusieurs explications de ces difficultés grammaticales. Fritzsche, dans ses conjectures sur le Nouveau Testament, pag. 50, dit : Je mets un point après δοκοῦσι et je prends ce qui suit pour une interrogation : Est-ce que j’emploie ou que j’ai employé en vain mes forces pour la propagation de l’Évangile ? Winer pense qu’il y a ici ce qui arrive souvent chez les écrivains grecs, c’est-à-dire que les expressions de Paul sont énoncées au mode dans lequel il pensait alors : Je leur exposai ma doctrine craignant en moi-même que je ne coure ou n’aie couru en vain. Schott pense que la cause de l’indicatif après μήπως est facile à comprendre, en disant que le discours concis de Paul énonce la chose telle que ses adversaires prétendaient qu’elle était, savoir : Afin que ne parût pas vrai ce que mes adversaires disent de moi : il court et a couru en vain. — τρέχω Paul aime beaucoup les expressions tirées des courses, des stades, des jeux, pour indiquer ses labeurs évangéliques, son zèle de vivre conformément à Dieu et à Christ (1 Corinthiens 9.24, 26 ; Philippiens 2.16 ; 2 Timothée 4.7 ; Romains 9.16). Cette métaphore est employée par les profanes (Cicéron, De offic. 1, 33). Je conférai, etc., afin, pour, de peur que mes courses ne fussent ou n’eussent été vaines. Mais alors Paul avoue, dit-on, qu’il pourrait ou qu’il aurait pu se faire que ses peines fussent infécondes, ce qui contredit ses déclarations antérieures v. 7 et 8. Borger, pour aplanir cette difficulté, a dit : Il conféra sa doctrine avec celle des autres apôtres, non afin qu’ils pussent lui apprendre quelque chose de nouveau, mais afin qu’il enlevât tout soupçon de dissentiment, et qu’il démontrât à ses adversaires qu’il s’accordait bien avec Pierre, Jacques et Jean. Winer : Le travail missionnaire de Paul pourrait être vain, non seulement si son Évangile s’éloignait de la vérité chrétienne, mais encore si les autres apôtres s’opposaient à ses travaux ; c’est pourquoi il exposa sa doctrine aux apôtres, non qu’il doutât de sa vérité, puisqu’il l’avait reçue par révélation, mais afin que les apôtres connaissant la nature de sa prédication, unissent leur œuvre à la sienne, et consolidassent publiquement son autorité apostolique. Schott : Paul ne doute pas de la vérité et de l’autorité divine de son Évangile ; il a déclaré le contraire (1.11,12,17) ; le sens de ses paroles est : De peur que peut-être, au jugement des autres, je ne courusse en vain ; afin qu’il fût évident pour tous que je ne m’étais pas écarté du vrai chemin, ou : pour que de fait je ne courusse en vain, si j’étais en collision avec les autres apôtres, ou si le bruit d’un antagonisme doctrinal était répandu par mes adversaires. N’y aurait-il pas un moyen d’éviter ces difficultés grammaticales et toutes ces explications plus ou moins faibles et forcées ? Voici le nôtre que nous proposons avec timidité. Prenons δοκοῦσιν dans son sens de croire, penser ; Winer nous dit dans sa grammaire que μήπως signifiant, que ne, que peut-être, précédé de craindre et verbes semblables, est suivi de l’indicatif pour exprimer que quelque chose a, aura ou a eu lieu (Luc 11.35 : Colossiens 2.8 ; Galates 4.11) ; ainsi en rapportant μήπως à δοκ. ce qui est très naturel et très lié, et non pas à ἀνεθ., l’indicatif présent τρέχω et l’indicatif prétérit ἔδραμον sont très réguliers ; dès lors rien n’est plus simple que ces paroles : « Je fis une exposition générale de ma prédication, et puis des expositions polémiques particulières à ceux qui croient, qui pensent que je cours on que j’ai couru en vain. » Que |e lecteur se mette dans la position de l’apôtre écrivant au milieu de ses travaux constants d’évangélisation à une église troublée par de faux docteurs et réfutant les accusations de ses adversaires, et il verra qu’il ne pourra employer d’autres temps ni d’autres modes que ceux de ce verset : J’exposai ma prédication à ceux qui pensent, en thèse générale, que je cours en vain, que mes peines sont inutiles, mes peines soit présentes, soit futures, et de plus aussi mes peines passées, mes missions accomplies. Avec ce sens il ne faut pas se torturer l’esprit pour expliquer la conduite en apparence contradictoire de l’apôtre soumettant son Évangile et ses succès à l’assentiment de ses collègues ; ce n’est plus d’eux qu’il est question, δοκοῦσιν ne signifiant pas les excellents. Cette traduction « A ceux qui s’imaginent,- etc., » s’accorde bien avec là réalité puisqu’il y en avait qui le pensaient ; avec la solennelle affirmation de Paul relative à la vérité de sa foi, et avec son ton hautement railleur lorsqu’il parle de choses dont il est complètement sûr, comme de la fécondité de ses courses. Si, plus bas, οἱ δοκοῦντες signifie les excellents, il ne s’en suit pas qu’il en soit de même pour ce verset ; en outre, ce verbe employé dans cette valeur, a toujours un complément comme εἴναι τι (voyez encore le v. 9, être les colonnes) ; ou s’il se trouve seul comme au v. 7, c’est après avoir été antérieurement accompagné de son complément explicatif ; enfin, il est incertain si dans ce v. 7 il n’y a pas εἴναι τι ; voilà les raisons qui nous font adopter notre essai d’explication.

2.3

3 néanmoins Tite mon compagnon, tout Grec qu’il est, ne fut pas contraint à la circoncision

αλλ’ οὐδὲ. La valeur de ces mots est : On était si éloigné de me corriger qu’on n’ordonna pas même de circoncire Tite. J’avais si peu couru en vain parmi les Gentils, quoique je ne leur eusse pas prêché la nécessité de la circoncision, que le Gentil qui était avec moi, Tite, ne fut pas obligé, pour être chrétien, de se soumettre à ce rite juif, même dans la capitale du mosaïsme où cette opinion paraissait dominante. C’était une démonstration de fait de la nullité de la circoncision, et de l’union de Paul avec les Colonnes.

2.4

4 précisément à cause des faux frères cauteleux qui furtivement s’étaient glissés parmi nous pour épier méchamment cette liberté que nous possédons en Jésus-Christ, et pour nous asservir,

παρεισάκτους, irreptitii ; une seule fois. Ceux qui entrent secrètement, par fraude et ruse, par simulation de piété ; subintroductitios, Tertullien contre Marcion 5 (2 Pierre 2.1) : chez les profanes ce verbe signifie introduire furtivement. — Ces hommes confessaient J. C. de bouche, mais ils étaient juifs d’esprit. Dans l’intérieur de l’Église chrétienne il y avait des confusions théoriques et pratiques, des séducteurs et des séduits, de faux frères, de faux apôtres, des ouvriers frauduleux (Actes 20.30 ; 2 Corinthiens 11.13, 26 ; Éphésiens 4.14 ; Philippiens 3.2, 18-19 ; Colossiens 2.8, 16, etc.) Jérusalem était le centre de ces judaïstes qui improuvaient Paul, ses opinions libérales, sa manière d’instruire les païens, et qui s’efforçaient de faire passer, en l’étranglant, le christianisme par le mosaïsme. — κατασκοπῆσαι ; une seule fois ; se prend en mauvaise part ; explorer insidieusement, espionner (2 Samuel 10.3 ; 1 Chroniques 19.3 ; Josué 2.2-3). — Notre liberté de ne pas observer la loi juive, les observances mosaïques (Galates 5.1-13), que nous, Paul et Tite et ceux qui étaient avec nous ; ou bien encore les chrétiens d’Antioche et en général les pagano-chrétiens (Actes 15.28), avons en Christ, en tant qu’unis à Christ et vivants dans sa communion (Éphésiens 2.10 ; Romains 8.2). Le but de ces espions était bien en harmonie avec leurs démarches insidieuses, car ils voulaient asservir (2 Corinthiens 11.20) à la loi mosaïque (Ésaïe 43.22).

2.5

5 mais auxquels nous ne cédâmes ni ne nous soumîmes, pas même un moment, afin que la vérité de l’Évangile se maintienne parmi vous ;

πρὸς ὥραν peu de temps (Jean 5.35 ; 2 Corinthiens 7.8). Cicéron a dit : Ne unius quidem horæ spatio (Synonyme 1 Thessaloniciens 2.17). — εἴξαμεν ; une seule fois — ne pas résister ; céder (Sagesse 18.25) — τῇ ὑποταγῇ, pour εἱς ou προς τὴν, par soumission, de telle sorte que nous obtempérassions à eux ; car ce verbe indique un moment, et ὑποτας. un temps plus long. Le premier exprime l’idée de non-résistance, de concession momentanée ; le second, une conduite soumise, continue, qui plie à une autre volonté. La cause de cette résistance est : afin que ἵνα ἡ ἀλήθεια ; ce mot, seul ou accompagné, comme « du Christ » (2 Corinthiens 11.10) « de l’Évangile » (Colossiens 1.5), signifie le plus souvent : religion chrétienne. Il serait mieux de traduire ici par pureté de la religion, débarrassée des ordonnances arbitraires des judaïstes. — διαμείνη plus fort que μένειν, exprime persévérance ; afin que l’Évangile, dans sa pureté, subsiste et persiste parmi vous, per, δια, à travers les contrariétés et les obstacles (2 Pierre 3.4 ; Hébreux 1.11). Voyons maintenant la syntaxe de ces mots ; on dit généralement que cette phrase a deux commencements, ce qui rend sort explication difficile ; plusieurs pensent qu’il faut sous-entendre le verbe ἀνέβηv : Je partis pour Jérusalem à cause des faux frères, etc. Cette ellipse fort dure fait rebrousser sans raison le récit de l’apôtre qui avait déjà dit au v. 3 ce qui s’était passé à la ville sainte ; pourquoi le v. 4 retournerait-il à la cause du voyage ? D’autres admettent une ellipse plus facile, celle du verbe forcer du v. 3 ; Mais il fut très sollicité, presque forcé par les faux frères de circoncire, etc. L’apôtre donnerait alors au verbe un sens différent du précédent, et ce serait une cause d’obscurité et d’ambiguïté. Théodor., Théophyl., Œcum., aiment mieux rapporter te commencement du v. 4 à Ne fut pas forcé, même par les faux frères, de se faire, etc. On trouve que dans ce cas la phrase serait très embarrassée et qu’il aurait été mieux de dire : Tite n’a été forcé ni par les apôtres, ni par les faux frères ; et d’ailleurs ce serait en opposition avec le v. 5, car Paul ne fut pas en collision avec les apôtres, mais avec les faux frères. Winer a pensé qu’il y avait ici anacoluthon. On appelle ainsi des phrases, des propositions dont une partie n’harmonise pas grammaticalement avec l’autre, parce que l’écrivain, détourné par une phrase incidente de la construction qu’il a commencée, ou bien amené à une tournure de prédilection, construit la fin de sa proposition autrement que ne le demandait le commencement. Chez des esprits ardents, plus occupés des pensées que de l’expression, ces anacoluthons sont fréquents, et c’est pourquoi nous les trouvons en bon nombre dans le style épistolaire de Paul (Actes 20.3 ; Galates 2.6 ; Romains 2.17 ; 5.12, etc.). Il y avait ici deux manières d’écrire : A cause des faux frères, pour leur plaire, je ne voulus pas laisser circoncire Tite ; ou bien : Je pensai qu’il ne fallait céder en rien, dans cette affaire, aux faux frères. Schott met une virgule à la fin du troisième verset, et rattache le commencement du quatrième à tout le troisième de cette sorte : Et même il ne fut pas forcé à la circoncision à cause des taux frères eux-mêmes, c’est-à-dire, que plus les faux frères insistaient vivement pour obtenir la circoncision de Tite, plus toute l’affaire fat laissée au libre arbitre de ce dernier afin qu’il ne parût pas que les apôtres obéissaient à ces judaïstes. Ainsi l’anacoluthon n’est pas nécessaire. Cette dernière interprétation, à laquelle nous avions été nous-même conduit, nous paraît la moins embarrassée et la moins embarrassante, en un mot, préférable : Tite, dit Paul, ne fut pas même obligé de se soumettre à la circoncision, précisément à cause des faux frères qui s’étaient introduits pour épier notre liberté chrétienne et la détruire en nous asservissant, et auxquels nous ne cédâmes pas même un instant afin que, etc. Nous savons quel était le principe de l’apôtre ; il condescendait par amour de la paix lorsque les intentions étaient bonnes ; mais lorsqu’on voulait obtenir de lui quelque chose avec des sentiments d’orgueil, il résistait sans merci. Ici de même ; il voit le but des faux frères, et à cause de leurs efforts subversifs il résiste d’autant plus vigoureusement. Cette explication est fondée sur les principes de conduite de Paul, et lève toutes les difficultés grammaticales ; double titre de recommandation.

2.6-7

6 Quant aux plus considérés (quels qu’ils aient été jadis peu m’importe, car Dieu ne tient pas compte des personnes) ils ne me communiquèrent rien de nouveau, 7 mais au contraire voyant que l’évangélisation des circoncis m’est confiée comme à Pierre celle des circoncis,

Nous voici au second argument tiré de son harmonie pistique avec les apôtres. Quels qu’ils aient été ; tandis que Pierre, Jacques, Jean avaient vécu dans une intime familiarité avec le Christ, Paul avait été un ennemi acharné de la foi chrétienne. A cause de leurs rapports avec leur Maître et les événements de sa vie, les premiers jouissaient de plus d’autorité auprès des chrétiens ; celui-ci, au contraire, était en butte aux vexations des Juifs et de beaucoup de judéo-chrétiens ; on comprend alors que ces mots : « quels qu’ils aient été autrefois, » peuvent indiquer une différence de condition extérieure entre les plus considérés et lui qui n’avait pas joui comme eux de la société de J. C., différence que ses ennemis faisaient fortement ressortir au détriment de sa dignité apostolique. — οὐδέν μοι, etc., peu m’importe. L’usage grec, dans Ælien, Polybe, Dion, Chrys., Démosth., Plutarque, recommande ce sens. La dignité extérieure n’est rien, dit l’apôtre, et je n’en fais aucun cas ; car Dieu ne fait pas acception des personnes, πρόσοπον λαμβανειν locution hébraïque-grecque ; tenir, compte seulement de la condition extérieure (Septante, Psaumes 82.2 ; Lévitique 19.15 ; 2 Chroniques 19.7 ; Deutéronome 10.17 ; Luc 20.21 ; Matthieu 22.16 ; Actes 10.34 ; Romains 2.11 ; Jacques 2.1, 9). Ainsi Paul déclare d’une manière générale et absolue que Dieu ne tient pas compte des circonstances extérieures, des apparences, et puis d’une manière particulière et à lui applicable, que quoiqu’il n’ait pas été disciple de J. C. vivant sur la terre, néanmoins Dieu a voulu qu’il ne fût inférieur ni en connaissance, ni en efficace (1 Corinthiens 15.10). L’essentiel est donc la vue spirituelle du Christ, le commerce de l’âme avec lui, la mission intérieure. La dignité de l’apostolat, du sacerdoce chrétien, ne relève pas de ce qu’il y a de visible, d’extérieur dans la consécration à cette œuvre ; et les Colonnes, pour avoir vu Christ, vécu avec lui, et reçu mission de sa bouche, n’étaient ni plus hauts, ni plus parfaits dignitaires de l’Évangile que Paul qui n’avait pas joui de la société du Messie. — προσανατίθημι τινί mettre à côté de quelqu’un, et par-dessus, ou de surplus ; instruire ; ajouter. Il y a ici anacoluthon évident ; la phrase était commencée par le passif : De la part des excellents (il aurait fallu) rien ne fut ajouté ; la parenthèse occasionne un changement de forme, et la phrase revient par l’actif : Les excellents ne, etc. Chrysostome : Ils ne m’instruisirent, ni se me redressèrent, ni ne m’enseignèrent rien de nouveau. Jérome en dit autant. Ainsi : Quels que soient les circonstances de leur charge apostolique, leur mérite, leurs avantages terrestres, peu m’importe, et peu importe, car Dieu ne s’en tient pas aux apparences ; il me suffit de vous assurer qu’ils ne trouvèrent rien à redire, rien à ajouter ; tout au contraire, τοὐναντίον ; crase assez fréquente pour τό ἑν.. (2 Corinthiens 2.7 ; 1 Pierre 3.9). — ἰδόντες, voyant, comprenant par le récit de mes travaux. — πεπίστευμαι, etc. Lorsqu’un verbe qui régit le datif de la personne est employé dans une construction passive, les Grecs ont coutume de mettre pour sujet le nom de la personne ; ainsi notre tournure correspond à celle-ci : πεπιστευομένον ἒχω τὸ εὐαγγέλιον. (Voyez Romains 3.2 ; 1 Corinthiens 9.17.) Diogène Laërt., Josephe, Antiq. 20,8. Winer, gramm. p. 213) : Concreditum mihi aliquid habeo. L’aoriste aurait purement relaté qu’autrefois l’Évangile lui avait été confié, sans préciser si cette charge durait encore ; et le présent, qu’il la recevait alors pour la première fois ; il fallait donc le parfait, employé pour le présent lorsqu’on veut indiquer une action ou un état dont l’origine appartient au passé, et qui se continuent dans le présent (Wiener, gramm. 223). — εὐαγγέλιον (2 Corinthiens 2.12 ; Philippiens 4.15), prédication, évangélisation ; c’est un nominatif suivi d’un génitif objectif, c’est-à-dire prédication à, et non pas de l’incirconcision ; qui s’adresse à elle et non qui la répand ; il y a dans le Nouveau Testament beaucoup de cas semblables où le génitif, est objet et non pas sujet (Matthieu 13.18 : Luc 6.7 ; 1 Corinthiens 1.18). — ἀκροβυστίας, prépuce (Actes 11.3 ; Romains 2.25), par métonymie pour « ceux qui l’ont, qui ne sont pas circoncis, les païens » ; les mots « pour les Gentils », expliquent et confirment ce sens. περιτομή les circoncis, les Juifs (Romains 2.26-27 ; 4.10 ; Éphésiens 2.11 ; Colossiens 3.11). Une autre traduction n’est pas possible, car que signifieraient un Évangile de l’incirconcision et une doctrine de la circoncision, ou encore un Évangile pour les païens, et un pour les Juifs ? Y avait-il deux Évangiles ? Il faut donc : Voyant que l’évangélisation des païens m’avait été confiée comme à Pierre celle des Juifs. Pour ne laisser aucun doute à cet égard, il ajoute la parenthèse suivante, car…

2.8

8 (car Celui qui a efficacement opéré dans Pierre pour le faire apôtre des Juifs a aussi opéré puissamment en moi en faveur des Gentils) et reconnaissant la grâce qui m’a été accordée,

ἐνεργήσας se dit surtout de l’efficace de Dieu relativement aux intérêts chrétiens (Galates 3.5 ; Éphésiens 1.11 ; Philippiens 2.13 ; 1 Corinthiens 12.6 ; Proverbes 31.12). ἐν τινί, exercer ses forces dans quelqu’un (Matthieu 14.2 ; Éphésiens 2.2), répandre des dons en quelqu’un, orner quelqu’un d’intelligence, de vertu, etc., pour qu’il embrasse et réalise une mission (Voyez sur la mission elle-même Actes 9.15 ; 22.21 ; Éphésiens 3.8) : car Celui qui a fait agir ses énergies divines dans l’âme de Pierre afin de le sacrer pour évangéliser sa nation, a aussi versé sa vertu consacrante en moi pour me charger de la christianisation des païens. Notre ambassade relève du même Dieu, notre apostolat de la même source ; il est divin au même titre ; il est un dans son origine, dans sa nature, dans son caractère intime de légitimité, dans son but ; il est divers seulement dans l’objet de son application.

2.9

9 Jacques, Céphas et Jean, qui sont regardés comme Colonnes, me donnèrent à Barnabas et à moi, la main d’association pour évangéliser, eux les Juifs, nous les Gentils,

Aussi, γνόντες connaissant ; ce participe indique une connaissance discursive résultant des faits énoncés, et celui qui précède une connaissance plutôt instinctive. — χάρις (Romains 1.5 ; 12.6 ; 1 Corinthiens 3.10) ; c’est ou la communication des dons nécessaires à l’apostolat, ou les succès évangéliques. — L’ordre des trois noms n’est pas sans importance. Jacques est le premier, parce qu’il était le plus considéré parmi les judéo-chrétiens observateurs de la loi mosaïque, et qu’il se trouvait à la tête de l’église de Jérusalem, tandis que Pierre par son contact avec les païens et les pagano-chrétiens, était déjà devenu presque étranger à ce parti. — στύλοι. Paul aime à comparer l’église de Christ à un édifice, à un temple (1 Corinthiens 3.16 ; Éphésiens 2.21 ; 1 Timothée 3.15 ; 1 Pierre 2.5 ; Apocalypse 3.12) ; les Colonnes sont dès lors, comme columina, columnæ, dans Cicéron et Horace, ceux dont le pouvoir et l’autorité sont le plus grands ; les piliers de l’Eglise, de l’Evangile. — Donner la main (1 Maccabées 11.50, 62 ; 13.50 ; et chez les profanes Aristoph., Xénophon.) ; signe, déclaration, gage d’alliance et d’amitié. — κοινωνία, société, association, indique la nature de ce gage (Actes 2.42 ; 1 Corinthiens 1.9 ; 10.16 ; 2 Corinthiens 8.4). Œuvre commune d’instruction, de prédication, de foi ; œuvre intérieurement la même dans son but, avec des variétés extérieures. Le mot évangéliser est sous-entendu (Omissions sembl. Romains 4.16 ; 9.32 ; 2 Corinthiens 2.10 ; Galates 5.13). Cette démarcation d’œuvre n’était pas absolue, car Paul commençait toujours par prêcher les Juifs qui se trouvaient dans les villes qu’il visitait (Actes 17.1-5, 10 ; 18.4, 19 ; 19.8-9), et les autres, de leur côté, ne négligeaient pas d’instruire les païens selon l’occasion (Pierre et Corneille, etc.) ; toutefois ils s’attachaient plus particulièrement à la conversion du peuple qui leur avait été en quelque sorte destiné par vocation. Leur grand soin était d’appeler à la foi. Le lieu de naissance de Paul qui l’avait mis en rapport avec les Gentils ; la souplesse chrétienne de son esprit qui lui permettait de se plier également aux génies divers des hommes, de se faire tout à tous pour en gagner quelques-uns ; les résultats spirituels de sa conversion et son état d’âme diamétralement opposé au pharisaïsme et à son éducation rabbinique ; son extrême énergie, son génie positif, organisateur, occidental, en faisaient tout ensemble un champion inébranlable de la liberté chrétienne, de l’universalité de la foi nouvelle et un héraut particulièrement apte à la charge que Dieu lui avait confiée.

2.10

10 avec prière seulement de ne pas oublier les pauvres, ce qu’aussi j’ai eu grand soin de faire.

Sous-entendez : Nous priant de (2 Corinthiens 8.7 ; Éphésiens 5.33 ; 1 Corinthiens 7.39 ; Galates 5.13), ou bien dites : Nous convînmes encore de nous souvenir des pauvres, de la Judée, s’entend surtout. Ce pays avait été ruiné par les guerres civiles et par la famine ; l’humble position sociale du plus grand nombre dei premiers chrétiens de Jérusalem et des environs, jointe aux vexations des grands et des riches, nous fait concevoir comment le fardeau des misères matérielles de ce temps devait peser plus particulièrement sur eux. — « Se rappeler avec intérêt », prendre soin, porter secours (1 Maccabées 12.11 ; Colossiens 4.49) — « Faire diligemment », avec grand zèle, exactement (Éphésiens 4.3 ; 1 Thessaloniciens 2.17). αὐτὸ τοῦτο sert à expliquer le relatif . Quant à ces collectes (Voyez Actes 11.29 ; 24.17 ; Romains 15.17, 25 ; 1 Corinthiens 16.1 ; 2 Corinthiens ch. 8-9). — Il ressort de tout ce paragraphe, mais surtout des v. 9-10, quelques enseignements importants. Le christianisme se révèle à nous dans ses premiers pas comme association pour le salut religieux, moral et physique des peuples ; il se pose à Jérusalem d’une manière officielle comme puissance sociale et s’impose le devoir et la mission de travailler aussi à la décroissance des douleurs matérielles de l’humanité, et en particulier des membres de l’association chrétienne ; cela mérite quelque attention.

Le monde antique, a-t-on dit ajuste titre, imposait sur l’amour effréné des volupté, sur un instinct prodigieusement cruel et sanguinaire, et en lui rien ne donne l’idée de l’application de la charité chrétienne. La population inférieure était condamnée à une vie de corvées et de sacrifices pour fournit au luxe et à la subsistance de la population privilégiée. L’esclavage régnait partout, dépopulateur, homicide. L’enfance et la vieillesse étaient repoussée par l’exposition et l’infanticide ou par des expédients affreux de cruauté. Les révoltes populaires croissaient avec la misère publique ; l’épuisement de la population, par l’esclavage et l’immoralité ; celui des ressources matérielles, par la diminution de production d’un côté, et de l’autre par la voracité croissante de despotes engloutisseurs. Toutes ces causes avaient produit une faim dévorante, une calamité lourde, un appauvrissement intellectuel, moral et matériel que l’égoïsme allait toujours agrandissant. Qu’on lise Rome au siècle d’Auguste, par M. Dezobry, et l’on pourra se convaincre de la vérité de ces faits. Partout, dit Tite-Live, où il y a des publicains, le droit public est anéanti, la liberté des citoyens est perdue. Les maux de l’Asie mineure au temps de Lucullus, passent toute imagination et aucun langage se saurait l’exprimer avec vérité. Les pères étaient obligés de vendre leurs plus beaux jeunes gens et leurs filles encore vierges tandis que les villes vendaient en commun les offrandes consacrées dans leurs temples, les tableaux, les statues des dieux ; et si tout cela ne suffisait pas pour rassasier la cupidité des publicains, elles voyaient leurs malheureux citoyens adjugés pour esclaves à leurs impitoyables créanciers. Ce qu’ils souffraient avant de tomber dans l’esclavage, surpassait encore leurs maux ; ce n’étaient que tortures, que prisons, que chevalets, que stations en plein air. Au prix de ces traitements barbares, la servitude elle-même devenait un soulagement, un repos. La richesse était la seule chose nécessaire, indispensable à la considération personnelle. Parlait-on d’un homme vertueux, peu importait ; on demandait d’abord s’il était riche, combien d’esclaves, de jugeraa de terre il avait ; si sa table était splendide et délicate. L’or était le tarif de la probité. Tout s’achetait et se vendait. Pensez-vous, s’écriait Cicéron, qu’il existe encore une cité amie de Rome qui soit restée opulente ? ou une cité opulente que ces déprédateurs regardent comme amie ? Les annones établies pour prévenir des séditions, croissaient toujours ; du temps de César, 320 000 hommes, à Rome, prenaient part à ces distributions qui tuaient l’agriculture ; aussi les famines se multipliaient-elles ! Voyez en preuve celles de 732, 759, 760. La gourmandise, moyen de célébrité, fut respectée par Tibère, parce qu’il la regardait comme un puissant auxiliaire de la tyrannie. On mettait au concours l’invention de mets nouveaux. On mangeait pour vomir, et on vomissait pour manger. On vendait sa liberté pour satisfaire la rage de gloutonnerie. Les débiteurs formaient la majorité, et rien ne pouvait réprimer la cupidité générale et croissante, surtout celle des fœnérateursb. Aussi Galère ordonna-t-il de rassembler, sur des barques qu’on submergea, les mendiants de son empire ! Ce renversement progressif faisait dire à Lactance, au temps de Dioclétien : « Ceux qui reçoivent surpassent tellement en nombre ceux qui payent, que, par l’énormité des impôts, les colons étant ruinés, abandonnaient la culture des champs qui se changeaient en forêts. » On ne rencontrait partout que des gouverneurs, des comptables, une multitude d’officiers impériaux travaillant à remplir le fisc (De morte persecut. 7). — Comme l’onagre dans le désert est la proie du lion, dit Salvien, ainsi les pauvres sont la pâture des riches. La dignité des grands, qu’est-ce autre chose que la proscription des cités ? Pour que quelques-uns soient illustrés, le monde est bouleversé. La nation périt comme étranglée par les liens des tributs (De Provident. 4, 5).

aJugera ancienne mesure de surface dans l’antiquité romaine, valant environ 26 ares. C. R.

b – Espèces d’usuriers qui prêtaient sur gages, avec un gros intérêt. C. R.

Ces tristes faits qu’on pourrait multiplier nous démontrent que la charité avec ses institutions bienfaisantes n’était pas connue des sociétés païennes, et que le fardeau d’égoïsme et de misères que le christianisme avait à remuer, à diminuer, à absorber, était immense. Amour personnifié, médiateur régénérant entre la dégradation de la race humaine et la miséricorde divine, il devait encore être le lien de l’ordre social et le réparateur des misères terrestres. C’est, en effet, le glorieux apanage de la vérité, d’être universelle, applicable à tout, salutaire en toutes choses, dans tous les temps et dans tous les lieux ; d’embrasser la terre et le ciel, le temps et l’éternité, le monde spirituel et physique, de sauver le corps comme l’âme, la société matérielle, comme la société morale. Jésus enseignant sur la croix que donner est la vie du monde des esprits, et se proclamant Sauveur de tous, du pauvre comme du riche, frères au pied de cette croix, avait planté le levier qui, tout en redressant l’axe brisé de l’univers, religieux et moral, devait faire sauter progressivement le monstrueux édifice des douleurs de l’humanité.

La charité envers les pauvres, l’étranger, la veuve, l’orphelin, était une loi du mosaïsme (Deutéronome 15.7-10 ; 24.19 ; 16.11,14 ; Lévitique 30.19, 35 ; 23.22). La législation du Pentateuque fourmille de dispositions charitables, comme la dîme de la 3e année laissée aux indigents ; la 7e année où les produits de la terre étaient pour eux, etc. David, Salomon, les prophètes ont beaucoup exalté la charité. Il appartenait au Messie d’en faire le fondement de son règne, son sceptre, son trône, sa couronne, son manteau, sa charte, sa gloire, la base de la civilisation spirituelle et terrestre, de la félicité du genre humain. Ce principe de l’amour appliqué apparut dans toute sa force à la naissance de l’Église. Les fidèles vendaient leurs biens et en déposaient le prix dans les mains des apôtres pour subvenir aux besoins des indigents. Paul recommandait dans toutes les églises de faire des collectes et des quêtes tous les sabbats pour assister les pauvres. L’un de ses voyages d’Antioche à Jérusalem avait pour objet le transport d’une libéralité pour remédier aux malheurs d’une famine. La première association chrétienne reposait sur la charité et la liberté ; c’était le type de l’ordre social renouvelé, et nous lisons Actes 4.4, qu’il n’y avait point de pauvres parmi eux ! Saint Justin nous dit que tous les fidèles de la ville et de la campagne s’assemblaient pour le culte, et qu’après la prière chacun faisait son aumône pour les pauvres, les veuves, les infirmes. Le christianisme devait d’abord s’occuper des misères humaines qui résultaient de l’impuissance d’accomplir la loi sociale du travail, c’est-à-dire, des vieillards, des infirmes, des malades, des voyageurs, des orphelins, des enfants trouvés, des aliénés, des aveugles, des sourds-muets, des prisonniers ; de là les établissements de charité connus sous les noms de Nosocomium, Gerontocomium, Xenodochium, Brephotrophium, Orphanotrophium, Ptochotrophium, etc. C’est cette puissance d’amour qui arrachait à Julien ces paroles : « Il est honteux que les Galiléens nourrissent leurs pauvres et les nôtres (Épître 62). » Aujourd’hui, plus que jamais, la charité doit être dans le monde et pour le monde afin de l’organiser religieusement, moralement, politiquement et matériellement. Les missionnaires de l’amour chrétien, les serviteurs de J. C., les pasteurs du peuple de Dieu, doivent tourner la puissance d’association chrétienne vers toutes les améliorations morales et matérielles, l’incarner dans toutes les industries ; dans les ressorts législatifs ; dans les organisations de l’instruction et de la justice, de la presse et de l’état ; dans les sciences naturelles, dans tous les intérêts sociaux qui s’agitent, afin que toutes les forces de la vie soient mues et dirigées par l’énergie de l’amour. Cette généralisation organisée et active du dévouement chrétien, enfantera celle des produits, des richesses, de l’utile, des jouissances, et cette marche ascendante de fusion spirituelle et matérielle, de pénétration commune, entraînera une diminution inverse correspondante dans les souffrances de la société. Ainsi la rédemption corporelle et sociale sera irrésistiblement la conséquence de la régénération spirituelle. Palingénésie doublement glorieusec !

c – Voyez Économie politique chrétienne de M. le vicomte Albin de Villeneuve-Bargemont, etc. Paris 1834 ; tom II, liv. III ch. 1-7, d’où nous avons beaucoup extrait pour cette notice.

Ce troisième voyage, nous venons de le voir, allait parfaitement au but que Paul se proposait, et la double face qu’il lui a donnée est pleine de force pour sa cause. D’un côté, après l’exposition de sa prédication et de ses travaux, sa victorieuse résistance aux embûches des faux frères, son triomphe proclamé par l’indépendance de Tite respectée ; la sanction apostolique et ecclésiastique donnée à sa liberté chrétienne et à la pureté de sa foi dans le foyer même de la puissance de ses ennemis, donnée, ai-je dit, non qu’elle fût demandée, mais comme résultat du fait de son triomphe et de son union avec les Excellents et l’Église qu’ils représentaient ; ces succès d’une part, ces défaites de l’autre réfutaient sans réplique les accusations lancées contre lui et démontraient la non-nécessité du mosaïsme et de ses cérémonies, cause de toutes les attaques. De l’autre côté, la conduite des apôtres à son égard, la proclamation unanime de la source divine, commune, et de l’unité de leur œuvre au sein des variétés de son application ; le témoignage rendu par eux à la divinité de sa mission, et à la richesse des dons que Dieu lui avait dispensés ; leur fraternité de foi, d’amour, d’intelligence, d’action ; leur association chrétienne évangélique, et l’accord des faits avec les promesses de charité ; en un mot leur harmonie pistique et pratique venaient confirmer les mêmes résultats. Tous ces faits, en mettant dans un jour éclatant la puissante personnalité de Paul, ses succès évangélisants, son énergique prépondérance dans les destinées de l’Église, sa triomphante volonté, sa valeur personnelle immense, illuminaient sa grande figure d’un vrai rayonnement céleste, et son apostolat d’une splendeur divine qui révélaient le doigt de Dieu ; ils démontraient irrésistiblement la vanité, l’injustice des attaques étroites, mesquines, superstitieuses et fausses dont son caractère et son indépendance étaient l’objet.

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