Commentaire sur l’Épître aux Galates

2. Partie dogmatique.
(Ch. 3 et 4)

§ 7. La foi et non la loi, source du don de l’esprit (3.1-5)

Paul, reprenant le développement de la fin du chapitre 2, entre en matière sur l’autorité de la loi et la vérité de son Évangile, en montrant aux Galates qu’ils n’ont pas obtenu l’esprit par leur obéissance à la loi, mais par la foi. Il leur donne un argument personnel, leur expérience (3.1-4) ; et une raison de fait, le moyen que Dieu a employé pour leur donner l’esprit (3.5).

Paul a démontré par des faits la légitimité, l’origine divine de son apostolat, et d’une manière indirecte la pureté de sa foi, la vérité, la divinité de l’Evangile qu’il publie au nom de Christ et de Dieu. Il y avait une liaison si intime entre ces deux questions qu’il est entraîné naturellement à l’examen de la seconde ; d’ailleurs la fin du chapitre précédent renfermait déjà tout un ensemble de preuves, de raisonnements et de conclusions sans réplique en faveur de sa thèse ; c’était comme un thème qu’il reprend directement à partir du chapitre 3.

3.1

1 O Galates insensés, qui vous a fasciné l’esprit de désobéissance à la vérité, vous à qui et en qui Jésus-Christ a été si vivement dépeint crucifié ?

ἀνόητος ; qui juge peu sainement ; insensé (Luc 24.25 ; Tite 3.3). La légèreté et l’inconstance des Galates font bien comprendre ces reproches. (Introd. § 3) — ἐβάσκανεν ; une seule fois. — Chrysost., Théodor., Théophyl., Œcum., donnant à ce mot le sens d’envier, de jalouser, disent : Qui donc envie votre condition fortunée ? Mais avec ce sens ce verbe est suivi du datif ; et puis le mot « insensé » et ce qui suit, nous obligent à employer sa valeur habituelle : enchanter, ensorceler. On désignait ainsi l’action de faire des enchantements, de donner de mauvais regards qui avaient puissance de nuire, selon la superstition antique ; d’opérer du mal par une force magique ; de produire des fascinations aux yeux d’une personne en sorte qu’elle ne voyait pas ce qui était devant elle, et qu’elle croyait y voir ce qui n’y était pas ; fasciner ; induire en erreur. Qui vous a ensorcelés ? — προεγράφη écrire ouvertement, publiquement, peindre aux yeux de tous. Employé pour la peinture comme aussi pour désigner un édit ou un décret promulgué par l’emploi du style. Schott explique ainsi : « Vous auquel J. C. a été décrit publiquement comme sur une tablette publique ». Winer : « Vous avez été instruits avec soin et clairement des causes et des effets de la mort de Christ ». — L’idée que renferme πρὸ, devant, est plus explicitement répétée dans : devant vos yeux. — ἐν ὑμῖν, joint par les, uns au mot suivant, crucifié, est pris par eux pour synonyme de ὑπερ ὑμων, et rendu par « qui a été crucifié pour, à cause de vous » ; mais c’est anti-grammatical et contre l’usage de la langue. — Théodor., Chrys., Théophyl., Calvin, Wolf, Morus, Borger, Flatt, disent : « Comme s’il eût été crucifié parmi vous et que vous eussiez en quelque sorte assisté à sa mort ? ; mais alors il faudrait nécessairement ὼς. — Winer et Schott rapportent ces deux mots à οἷς, effacent la virgule après προεγ. et prétendent, ce nous semble à juste titre, que en vous caractérise la manière dont le Christ leur a été dépeint, c’est-à-dire, dans leurs âmes ; or c’est ce que Paul voulait faire évidemment ressortir. — ἐσταυρωμένος, crucifié, est à la fin parce qu’il renferme la force principale de la phrase et du sens : « crucifié exposé dans toute l’économie et la puissance de sa crucifixion » : Vous à qui j’ai clairement exposé J. C., et qui avez reçu dans vos cœurs la vertu régénératrice de sa mort.

3.2

2 Je ne veux savoir de vous que cette seule chose : est ce des œuvres de la loi ou de l’audition de la foi que vous avez reçu l’Esprit ?

Pour passer les autres choses sous silence, je ne veux apprendre de vous que τοῦτο μόνον, cette seule chose ; dites-moi franchement si ἐλάβετε, vous avez reçu. Ce verbe indique la faculté de réceptivité qui est la disposition générale et constante d’une âme pieuse. La conscience de l’homme embrasse trois objets : lui-même, le monde et Dieu. Lorsque la conscience religieuse est étouffée par le sentiment mondain ou égoïste, il y a perversion ; pour établir l’ordre, il faut la réintégrer dans sa force dominatrice, universelle ; c’est ce qu’opère l’esprit de l’homme acceptant Dieu pour en être gouverné. Il est bon de le redire ; l’homme, quelle que soit la noblesse de sa nature et sa haute descendance, s’il s’isole et se détache de sa source pour se faire centre et foyer, tombe dans l’atrophie de toutes ses facultés, parce que, créature contingente, il ne peut se passer en aucun cas, pour vivre selon la vérité, de la volonté et de la vie qui l’ont créé et animé. Être éminemment nécessiteux parce que tout en lui est appétit, besoin, désir, aspiration, sa nature avide, altérée lui fait de l’association une incessante nécessité ; elle l’oblige constamment à sortir de son milieu pour trouver hors de lui son complément, pour remplir ses capacités des satisfactions substantielles qu’elles réclament impérieusement. Voilà pourquoi l’homme est si sociable ; voilà pourquoi l’individualisme sous tous ses aspects est une marche dans la mort, tandis que l’association est une germination et une croissance dans la vie ; or qui oserait dénier à l’association de l’homme avec Celui qui possède seul toutes les réalités et tous les moyens de satisfaction, le droit d’être la société première, fondamentale, royale ! Aussi la religion, ou la piété, ou la communion de l’esprit de l’homme avec l’esprit de Dieu est-elle souverainement selon la raison et dans l’ordre ! Mais relevons aussi la seconde face de cette vérité ; n’oublions pas qu’il y a dans l’être humain l’analogue de ce qu’il doit recevoir, je veux dire une nature qui a de l’affinité pour l’esprit de Dieu, des capacités divines organisées essentiellement pour s’adapter aux éléments célestes et faire cohésion avec eux. Si pour fonctionner, l’œil ne peut se passer de la lumière du soleil, il est en revanche d’une essence lumineuse pour pouvoir s’assimiler ce fluide illuminateur ; et notre âme également a une nature et une puissance divines pour voir Dieu et par lui toutes choses sous son rayonnement vivificateur. — πνεῦμα, signifie proprement souffle, vent (2 Thessaloniciens 2.8 ; Jean 3.8). L’homme dans son existence présente a une double nature, l’une spirituelle et l’autre corporelle. La première est habituellement désignée par les mots πνεῦμα (Luc 23.46 ; 2 Corinthiens 7.1), νοῦς (Romains 7.23, 25), et dans quelques endroits par ψυχή ; (Matthieu 10.28 ; 1 Pierre 2.11) ; Paul emploie l’expression très caractéristique, l’homme intérieur (Romains 7.22). L’homme véritable, d’après l’Écriture, c’est l’esprit dans lequel vit la conscience du moi (Romains 7.17, 22) ; le corps n’est que l’enveloppe de l’esprit, sa tente, son vase (2 Corinthiens 5.1 ; 4.7). — Comme être spirituel, l’homme est en relation avec un royaume des intelligences (Luc 15.7, 10), et a de l’affinité pour Dieu (Actes 17.28). — L’esprit humain a une vie propre, différente de celle de l’organisme matériel, élevée au-dessus de l’influence des forces sensibles et des lois qui dominent dans le monde des corps ; vie qui continue d’être alors que le corps meurt et se dissout, et qui est appelée à se développer dans sa force et dans sa plénitude, au sein d’un autre état qui commence au-delà des limites de cette existence (Matthieu 10.39 ; 16.25-26 ; 1 Corinthiens 5.5 ; 15.50). Quoique intimement unis, l’esprit et le corps sont cependant dans un certain antagonisme ; les penchants qui sortent de ce dernier, appelés « convoitises, volonté de la chair (Jean 1.13), passions » (Colossiens 3.5 ; 1 Thessaloniciens 4.5 ; Romains 7.7), étant exclusivement tournés vers les choses terrestres et passagères (1 Jean 2.16), contredisent souvent les besoins de l’esprit qui, conformément à leur nature particulière, sont dirigés vers les choses suprasensibles et éternelles (Galates 5.16 ; Romains 7.23) ; c’est pourquoi l’Écriture distingue les lois de l’esprit des lois de la chair (Romains 7.15, ss.), et les sentiments spirituels des sentiments charnels (Romains 8.5, 13. Bruch. Manuel de morale chrétienne, p. 42-44 t. 1ier). — Ce πνεῦμα a la forme de conscience, et cette conscience constitue la personnalité de l’esprit avec ses qualités diverses, ses facultés et sa teneur, comme puissance aimante ou sentimentale (Marc 8.12 ; Luc 1.47 ; Jean 11.31 ; 13.21) ; comme puissance intellectuelle (Marc 2.8 ; Luc 1.80 ; 2.40 ; Jean 4.23-24) ; comme puissance volontaire Matthieu 26.41 ; Jean 3.6 ; Romains 8.4-6, 9, 13) ; c’est donc la force supérieure et consciente dans l’homme (Romains 1.9 ; 8.16 ; 1 Corinthiens 2.11 ; 5.3-5 ; 7.34). Ce mot désigne encore un principe opérateur (Romains 11.8 ; 1 Corinthiens 4.21 ; 2 Timothée 1.17). — Joint à des génitifs substantifs, il indique le sujet dans lequel l’esprit a son siège, par exemple : esprit de Dieu, de l’homme, du monde, etc. ; l’esprit de Dieu est l’esprit qui est en lui en tant que principe qui a conscience de lui-même, et qui se communique, produit et crée. Relativement au monde, spirituel, c’est la source de toute connaissance supérieure, de tout savoir sur Dieu et les choses divines ; de tout enthousiasme religieux, de tout bien moral, de toute vie aimante, intellectuelle et pratique en Dieu, selon la vérité. — Les Juifs connaissaient Dieu surtout par l’attribut de la sainteté, de sorte que l’esprit de Dieu était pour eux un esprit saint ; cet esprit saint ou de sainteté (Romains 1.4) est déclaré par Paul identique avec l’esprit de Christ (Romains 8.9 ; Galates 4.6) ; c’est cet esprit qui est communiqué, donné à ceux qui croient en Christ, car il est impliqué dans la foi en Lui (Actes 2.38 ; 10.45 ; 1 Corinthiens 2.12). Cette communication de l’esprit par la foi en J. C. était aux yeux des apôtres l’accomplissement d’une prophétie de l’Ancien Testament qui le promettait à tout le peuple de Dieu ; or les chrétiens étaient ce peuple, ils avaient donc l’esprit de Dieu. Cet esprit habite dans les croyants ; il est la condition de leur vie chrétienne et de leur participation au règne de Dieu ; c’est dans sa possession que repose la communion avec Christ (Romains 8.9-10) ; il donne connaissance de Dieu et de la vérité (1 Corinthiens 2.9-10, 12) ; il ’opère en nous la conscience de la justification (1 Corinthiens 6.11) ; il est les arrhes de la félicité future (2 Corinthiens 1.22 ; 5.5 ; Éphésiens 1.14) ; il est l’auteur de notre filialité divine (Romains 8.14-16 ; Galates 4.6) ; il produit le bien moral, l’accomplissement vrai de la loi divine ; les charismes ou dons spirituels dont jouit l’Eglise ou le corps du Seigneur sont ses œuvres ; toutes les vertus chrétiennes, la vie morale et ses fruits, la vie éternelle découlent de lui (Galates 5.22) ; tout chrétien doit être un temple de cet Esprit-Saint (1 Corinthiens 3.16 ; 6.19 ; 2 Corinthiens 6.16). Ainsi l’Esprit-Saint, de Dieu, de Christ, ou l’Esprit comme dans ce verset 2, c’est l’Esprit de sainteté et d’amour, de lumière et d’intelligence, de force et de vertu qui, divin, universel, régit tout, s’empare des âmes qui s’ouvrent à lui, les éclaire, les échauffe, les sanctifie, les béatifie ; qui s’individualise en elles, et qui le même chez tous, unit tous les hommes par Christ à Dieu, et par Dieu les uns aux autres. — Quant à l’homme, Paul reconnaît en lui un principe primitif divin, mais plutôt sous forme de réceptivité, comme capacité exspectante, que comme force vivifiante ; celle-ci lui est communiquée par le don de l’esprit de Dieu sans lequel le principe spirituel de l’homme resterait faible, impuissant (Ustéri, Système de Paul). — Néander dit : « D’après la doctrine de Paul, la nature de l’homme semblable à celle de Dieu, étant opprimée dans cette existence, le joug que porte notre conscience divine est brisé par l’Esprit-Saint, et alors notre esprit affranchi devient l’organe, par lequel l’Esprit-Saint verse ses bienfaits dans la nature humaine ; car notre conscience libérée et jouissant de sa véritable liberté ne peut agir que comme organe de l’Esprit Saint ; et comme l’esprit de Dieu ne peut agir dans l’homme que par l’organe qui est dans l’homme, il s’ensuit que ces deux esprits sont fondus dans la vie chrétienne. » Cet esprit vous a-t-il été communiqué par les œuvres de la loi (voyez 2.16), ou par ἀκοὴ ? audition telle qu’elle tourne l’esprit vers les choses entendues et produit connaissance et persuasion (Hébreux 5.2 ; Matthieu 13.16). Si l’on admettait le sens de chose entendue (Jean 12.38 ; Romains 10.16), ce serait alors la doctrine de la foi, de laquelle naît la foi (Romains 1.5 ; 10.16 ; 1 Thessaloniciens 2.13) ; mais on fait observer que le premier membre exprimant une idée subjective par le mot œuvres, le parallélisme demande que ἀκοῆ soit pris aussi subjectivement ; on traduit donc : Avez-vous reçu l’Esprit par la pratique de la loi ou par l’audition de la foi, par la foi que vous avez reçue à la suite de ma prédication (Romains 10.17). Ce sens est très fondé ; en effet, l’Église chrétienne comme fait et événement historique, comme association humaine, était soumise aux lois de formation et de développement auxquelles sont assujetties les choses enfermées dans l’espace et le temps ; l’entrée des hommes dans cette société de foi et d’amour dépendait de la publication de l’Évangile, de la prédication de la foi ; comment croira-t-on en celui duquel on n’a pas entendu parler, dit Paul ! la foi vient de l’ouïe (Éphésiens 1.13 ; 1 Thessaloniciens 2.13 ; Romains 10.14). On prend ainsi ce mot comme synonyme de ὑπακὴ, admission volontaire de la part de l’homme (Romains 1.5 ; 6.16 ; 15.18 ; 16.26 ; Actes 6.7). — Nous voyons que la foi est la condition d’admission de l’esprit ; l’une est le moyen, l’autre est le don (Galates 3.14, 23 ; 2 Corinthiens 4.13 ; Éphésiens 1.13) ; c’est tout simple, car sans la foi telle que nous l’avons définie, l’Esprit ne saurait être ni communiqué, ni reçu. — Voilà un argument invincible, puisque ni les Gentils sans la loi, ni les Juifs avec la loi, n’avaient expérimenté cette rénovation spirituelle avant d’avoir embrassé la foi chrétienne.

L’apôtre va présenter son apostrophe et son argument sous une autre forme propre encore à faire sentir aux judaïsants la fausseté de leurs doctrines, et aux Galates la folie de leur conduite.

3.3

3 Êtes-vous si insensés qu’ayant commencé par l’Esprit vous finissiez maintenant par la chair ?

L’ensemble de l’argumentation qui repose sur l’antagonisme de la foi et de la loi semble exiger qu’on entende par esprit et chair qui font antithèse, la foi chrétienne d’un côté, et la loi de l’autre. On peut justifier ce mot chair signifiant « loi mosaïque » (Galates 3.3 ; 6.12 ; Philippiens 3.3), en disant que les goûts et les devoirs des Juifs touchaient à des choses corporelles, comme la circoncision, la race d’Abraham, etc., ou étaient accomplis par le corps comme les sacrifices, les abstinences de viandes, etc., tandis que Christ est venu établir le culte en esprit et en vérité. Cette manière de voir de Winer, peut-être fondée en général, mais il me semble possible et plus raisonnable d’émettre ici un sens plus large. Loi et foi, chair et esprit forment deux antithèses ; les deux premiers mots indiquent des moyens et les deux derniers, des résultats ; par la loi on arrive à la chair et à ses œuvres et par la foi à l’esprit ; le mot chair est donc pris ici dans un sens que nous allons légitimer en suivant Néander. D’après Romains 6.6 ; 7.14 ; Colossiens 2.11 ; Galates 5.20, la chair embrasse plus que la nature sensible car :

  1. Paul emploie comme synonymes « marcher selon la chair, marcher selon l’homme » « homme psychique et homme charnel (1 Corinthiens 2.14) »
  2. Dans Galates 5.20, il cite des passions qui ne peuvent être déduites de mobiles sensibles.
  3. Il reproche à l’église de Colosses d’être dans une voie d’erreur qu’il caractérise par les mots chair et esprit charnel ; or cette fausse direction n’était pas un attachement aux choses corporelles, mais une tendance ascétique qui ne faisait pas droit aux besoins sensibles.
  4. Il fait découler de la chair tout ce qui dans l’église de Corinthe s’opposait à l’Évangile, et entr’autres la tendance helléniste spéculative qui méprisait la simplicité de la foi de toute la hauteur de son orgueil gnostique.

Il suit de là que le mot chair, dans Paul renferme plus que la nature sensible, et indique la lutte de la σαρξ et de la ψυχή contre l’esprit divin, ou la nature humaine dans son état d’éloignement de la vie divine, c’est-à-dire la conscience orgueilleuse que le moi a de soi-même et du monde dans son hostilité instinctive ou réfléchie contre la conscience religieuse. On peut alors traduire selon Winer : Êtes-vous si insensés qu’ayant commencé par la doctrine de la foi chrétienne, vous finissiez par celle de la loi ? ou bien à notre avis : Êtes-vous si insensés qu’ayant commencé à posséder la vie nouvelle de filialité, de paix, d’amour, qui forment les richesses de l’esprit, vous finissiez par une vie d’esclavage, de crainte, de déchirement intérieur, de péché, qui sont les résultats de la loi (Galates 6.12-13 ; Romains 4.1 ; 2 Corinthiens 2.18). Cest, dit Chrysostome, comme si un général ou un guerrier après avoir remporté la victoire et reçu toutes les marques d’honneur dues à sa valeur, abandonnait lâchement son rang, et allait se rendre à ses ennemis.

3.4

4 Avez-vous tant reçu en vain ? quoi, en vain !

ἐπάθετε. La Peschito, Jérome, Théod., Chrys., Amb., Œcum., Calvin, Piscat., Cramer, Grotius, Semler, Micha., Morus, Rückert et autres, adoptent le sens de « souffrir du mal » (Actes 17.3 ; Hébreux 2.18 : Est-ce en vain que vous avez souffert de si grands maux ? Fallait-il tant souffrir de persécutions pour la foi, si cette foi ne suffisait pas, et s’il faut y joindre l’observance des lois de Moïse ? Dans ce cas, ces souffrances seraient celles que les Juifs faisaient endurer aux chrétiens de l’Asie mineure (Actes 13.45 ; 14.2-5, 19). Les apôtres voyaient avec raison dans leur support des maux que leur occasionnait la cause chrétienne, une preuve de salut (Philippiens 1.29 ; 2 Timothée 2.12) ; or les Galates obéissant aux judaïsants, Paul pouvait dire que leurs exemples de constance et de courage avaient été donnés par eux en vain. — Homberg, Kypke, Koppe, Borger, Flatt, Winer, Schott traduisent : Avez-vous reçu en vain de si grands bienfaits de l’Esprit ? car :

  1. le mot πάσχειν dans Hérodote 2, 37 ; Épictète 2,1 ; Josephe, Antiq. juiv. 3, 15, 1, a le sens de : Eprouver une chose agréable, recevoir des bienfaits (leur grandeur est ici bien exprimée par τοσαῦτα) ;
  2. comme Paul avant et après (v. 2 et 5), célèbre les bienfaits échus aux Galates, il est naturel d’admettre qu’il ne brise pas l’enchaînement de ses idées par une pensée d’un ordre opposé ;
  3. rien ne dit que la cause chrétienne eût été déjà pour les Galates la source de beaucoup de maux.

Ce dernier sens nous paraît préférable. — εἰκῇ (1 Corinthiens 15.2 ; Galates 4.11), sans fruit, sans effet pour votre justification (Romains 13.4). — εἴ γε καὶ εἰκῇ : Chrys., Théod., Ambr., Théophyl., Œcum., Calvin, etc. : Si véritablement ces choses vous sont arrivées en vain, ce qu’à Dieu ne plaise ! Mais alors il faudrait εἴπερ. — Schott remplit la phrase et dit : Il en est certainement ainsi, puisque vous avez vraiment, mais vainement reçu de grands bienfaits, si vous proclamez la nécessité de la loi mosaïque. Winer : Je pense certainement que toutes ces choses vous sont arrivées en vain. — Ainsi le don des largesses divines et leur acceptation par l’homme sont appelées du nom de passion ; approfondissons ce mot dans cette valeur. Dieu étant absolument indépendant, immuable, ne peut dans aucun cas être actionné, modifié, ni par des parties ni par l’ensemble de ses créatures dépendantes et muables. Celles-ci au contraire, forces fatales et libres, soit la nature, soit l’humanité, sont absolument dépendantes de la volonté de leur créateur, puisque n’étant rien avant leur création elles n’ont pu être pour rien, par elles-mêmes, dans l’intention et l’exécution de leur appel à l’existence. Ainsi, pleinement dépendantes, elles ne peuvent être, subsister et persister que par la continuité de leur création, de leur vivification incessante ; leur caractère essentiel, leur condition indispensable de vie est de recevoir, d’être actionnées, fécondées, de supporter, d’endurer, de souffrir, de pâtir l’action permanente de leur créateur. Leur nature est donc réceptive, capace, par constitution et par essence ; leur ton primitif, leur cachet original est réceptivité, passivité. Si celles qui le peuvent, je veux dire les forces libres, faisaient des efforts pour se poser à l’écart, pour se soustraire à Dieu, pour se révolter contre leur passivité et la diminuer, elles diminueraient leur vie, leur réalité, leur vérité d’une manière proportionnée à leurs essais de rébellion et d’isolement ; l’anormalité de leur existence serait en raison directe de leurs tendances orgueilleuses. Par contre, plus elles se développeront dans le sentiment croissant de l’action divine et de leur analogue réaction, dans la conscience de leur réceptivité actionnée ; plus elles rentreront par l’assentiment libre de leur volonté dans une dépendance progressive, dans une obéissance ascendante envers leur créateur ; plus aussi elles vivront en intensité et en étendue selon la mesure de leur être ; leur respiration sera parallèle à leur aspiration. La vie humaine est donc une passion croissante, immortelle, une passion de l’action divine, comme la mort spirituelle est une limitation progressive, une négation multipliée, de cette même action. L’ordre pour la nature, est de souffrir l’action spiritualisante de l’homme fécondateur, drame glorieux d’humanisation qui constitue ce qu’on appelle l’art, sous les noms de peinture, d’architecture, de sculpture, de musique, d’industrie. Il y aurait renversement si d’un côté la nature tenait l’homme sous sa puissance et le moulait à son image, et si de l’autre l’homme se dénaturait, se matérialisait en se laissant absorber par elle. L’ordre pour l’humanité, c’est d’aller au-devant de l’incarnation de l’esprit de Dieu dans son sein, par une vive appétence, par une ardente soif, par une foi attirante, par une exspectante ouverture de toutes ses capacités, par besoin de souffrir la fécondation divine, par amour de la passion. Là est la liberté, la vérité, la vie de l’homme individuel et social ; là est le drame entre Dieu et le monde spirituel ; c’est dans ce sens que Dieu est faiseur, artiste, poète (ποιεω) ; qu’il travaille éternellement.

3.5

5 Celui qui vous accorde largement l’Esprit et qui produit des vertus en vous, le fait-il par les œuvres de la loi ou par l’audition de la foi ?

ἐπιχορηγῶν ; mot emprunté au théâtre des anciens. Conduire, organiser un cœur ; ce qui renfermait le choix et l’instruction des hommes pour la scène, le don des habits, des couronnes, etc. L’idée dérivée est : accorder largement quelque chose à quelqu’un (2 Corinthiens 9.10 ; 1 Pierre 1.11 ; Éphésiens 4.16). Les participes qui sont pris d’une manière absolue, équivalent à des substantifs et doivent être rendus par : celui qui (Galates 1.23 ; 1 Corinthiens 9.13 ; 2 Corinthiens 2.2) ; c’est le cas des deux participes de ce verset. — δυνάμεις, puissances, vertus. Le côté commun à tous les charismes, dit Néander, à tous les dons de l’esprit, était un élément divin, supérieur à l’ordre naturel, et dont les manifestations étaient de différentes formes. Cette action divine était ou primitive et créatrice dans son influence sur le monde sensible, et produisait des δυνάμεις, des σημεῖα, des τέρατα ; ou s’appropriait au développement de l’ordre naturel, à la marche de la culture particulière des capacités de l’individu, se contentant de les vérifier. La première espèce des charismes appartient à l’activité particulière de l’Esprit-Saint dans le temps apostolique, à l’époque créatrice du christianisme ; la seconde relève de cette activité de l’Esprit-Saint qui se continue à travers les âges de l’Église et qui a mission de pénétrer et de transfigurer la nature humaine. Ainsi on distingue, il est vrai, dans leur manifestation ces deux formes de charismes dans l’âge apostolique, mais il n’y a pas deux espèces de dons, des extraordinaires et des ordinaires, des surnaturels et des naturels, car l’élément essentiel dans tous, c’est le principe surnaturel, l’élément de vie divine (1 Corinthiens 13.10, 28 ; 2 Corinthiens 12.12 ; Hébreux 2.4). δυνάμεις désigne tantôt la vertu de faire, l’énergie divine qu’on a reçue, tantôt ses résultats, ses œuvres (Matthieu 14.2 ; Marc 6.14). Ainsi : Celui qui vous comble de son esprit et qui développe en vous ses vertus, son énergie vivifiante, l’a-t-il fait en vous prescrivant la loi mosaïque et ses œuvres, ou en vous faisant annoncer le règne de la foi, l’Évangile de grâce ? — Il faut remarquer le temps présent des deux participes substantifs, et y voir l’idée de l’action perpétuelle de Dieu versant les dons de son esprit.

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