Commentaire sur l’Épître aux Galates

§ 15. Filialité et liberté de l’Église chrétienne (4.21-31)

Paul revient aux idées d’héritage et de filialité, sous le point de vue ecclésiastique, et retourne ainsi à Abraham par l’interprétation allégorique d’un récit relatif à ce patriarche (4.21-23). Il soutient toujours que la liberté vient de la foi ; car :

  1. Agar, esclave, représente la synagogue, et Sara, libre, l’Église chrétienne (4.24-26) ;
  2. un passage d’Ésaïe vient à l’appui de cette interprétation (4.27-28) et prouve la même chose ;
  3. un fait l’établit encore, savoir : la persécution des Juifs envers les chrétiens, semblable à celle de l’esclave Ismaël envers le libre Isaac ;
  4. enfin, la haine d’Ismaël amène son expulsion, le libre hérite seul, et de fait les Juifs par leur haine se mettent en dehors du christianisme ; les chrétiens sont donc libres, et l’Église chrétienne affranchie de la loi. C’est la même conclusion qu’à 3.29 et 4.7.

4.21

21 Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n’entendez-vous pas la loi ?

ἀκούω, entendre, comprendre, comme nous disons : Il entend bien cette affaire, ce passage, etc. Le présent de ce verbe a ce sens chez les écrivains grecs (Matthieu 11.15 ; Marc 4.33 ; 7.14 ; 1 Corinthiens 15.2).

4.22

22 car il est écrit qu’Abraham eut deux fils, un de l’esclave et un de la libre,

Car il est écrit (Genèse 16.15 ; 21.2). — παιδίσκης, serf, esclave ; (LXX Genèse 16.3 ; 20.17), Agar est ainsi appelée. — (Luc 12.45 ; Actes 12.13).

4.23

23 mais celui de l’esclave naquit selon la chair et celui de la libre par la promesse ;

Selon la chair (Romains 1.3), selon l’ordre naturel et la loi commune de naissance, car Agar, jeune, avait la faculté de concevoir. Selon la promesse, contre la règle de la nature et contre toute attente humaine par un bienfait particulier de Dieu, puisque Abraham avait 100 ans et que Sara jusqu’à 90 avait été stérile (Romains 4.19 ; 9.9 ; Hébreux 11.11). (Voyez fils promis Genèse 17.15 ; 18.10).

4.24

24 il y a là une allégorie, car elles signifient deux alliances ; l’une du mont Sinaï enfantant à la servitude, c’est Agar,

ἀλληγορύμενα. Une fois dans le Nouveau Testament. — Dire, exprimer une chose par le moyen d’une autre. (Voyez les locutions : type du futur Romains 4.19 ; ombre des choses futures Colossiens 2.17. Nous nous sommes déjà expliqués sur cette méthode d’interprétation ; nous nous contenterons d’exposer sur le sujet qui nous occupe quelques graves opinions. Luther, Calvin, Bèze, Carpzow, Michaëlis, Koppe, forger, Flatt, Eavius, Schott pensent que ce récit pouvait être appliqué par comparaison à l’alliance mosaïque et chrétienne, Paul ne voulait pas prouver mais indiquer une ressemblance ; écoutons Calvin : Après avoir entremeslé quelques exhortations pour esmouvoir les cœurs, il adjouste un beau discours pour donner lustre à la doctrine précédente. Vray que la probation ne seroit pas suffisante de soy : mais après qu’il a assez combattu par argumens, ceste confirmation qu’il adjouste n’est point à mespriser. — Bèze : cæterum, apostolus jam non argumentatur (esset enim argumentum istud ab allagoria sumtum valde infirmum, et totam disputationem firmissimis argumentis propositis absolvit) sed offendiculo medetur, quod erat maximi momenti. — Borger qui fait ces citations déclare qu’il ne faut jamais chercher qu’un sens dans l’interprétation de l’histoire. Paul lui-même, dit-il, ne veut pas établir un double sens dans cette narration de l’Ancien Testament, il a seulement en vue la ressemblance de l’une et de l’autre chose. On peut facilement accorder que Dieu par sa providence a dirigé certains événements de l’Ancien Testament de telle sorte qu’ils pouvaient être une image de ce qui devait avoir lieu sous le Nouveau. Saint Paul dit qu’Agar et Sara sont des types des deux alliances : il veut signifier par là que le récit mosaïque a une singulière ressemblance avec le changement futur qui devait se faire dans la religion. Nul ne peut nier que Paul n’ait eu en vue cette convenance, car s’il eût voulu tirer de l’histoire mosaïque un argument pour légitimer le renversement de la loi par la foi, cet argument partant de l’excellence de la religion chrétienne pour la prouver par la supériorité de Sara sur Agar, aurait été vain puisqu’il serait un cercle vicieux. — C’est une raison secondaire, dit Schott, pour ceux qui savaient déjà par l’argumentation précédente que le mosaïsme était servitude. Paul adapte admirablement son discours au génie, au caractère, aux habitudes exégétiques et aux principes herméneutiques des Juifs auxquels il s’adressait et qui étaient si accoutumés aux types et aux allégories. — Il y a deux points de ressemblance et de comparaison ; le premier est relatif à la servitude et à la liberté. Agar esclave d’Abraham eut un fils de sa condition ; ainsi les Juifs fils de l’économie mosaïque sont attachés à la loi comme à un joug, sont destitués du sens et de l’usage de la vraie liberté et de la confiance en Dieu. Sara et son fils étaient libres, de même ceux qui sont fils de l’économie évangélique ont la vraie liberté des enfants de Dieu. Le second se rapporte à la chair et à la promesse ; il sert à prouver la conclusion : Comme nous sommes, nous chrétiens, les descendants d’Abraham par la promesse et non selon la chair, il est clair que nous sommes libres ou affranchis de la loi. — αὗται, ces femmes. — εἰσιv, « signifient » (Matthieu 13.20, 22, 38, 39 ; Éphésiens 4.9. — LXX Genèse 41.26 ; Apocalypse 17.15). — δύο διαθῆκαι. Deux alliances ; l’une est qualifiée d’ancienne, de première ; l’autre de nouvelle, de seconde (Matthieu 26.28 ; 2 Corinthiens 3.6, 14 ; Hébreux 8.7-8 ; 9.15 ; 10.16, 29 ; 12.24 ; Jérémie 31.31-34). L’une est l’alliance de Dieu avec les Israélites par Moïse, l’autre avec tous les hommes par Christ. La première est sortie ἀπὸ ὄρους de la montagne de Sinaï (Exode 19) — εἰς δουλείαν γεννῶσα, « enfantant à la servitude » ; en effet l’alliance sinaïtique attachait les Israélites à la loi mosaïque et cette loi ne donnant pas la force nécessaire pour l’observer, les rendait esclaves et devenait par là, comme Agar, une mère d’enfants esclaves.

4.25

25 (car le Agar est le mont Sinaï en Arabie) et elle correspond à la Jérusalem présente, car elles sert avec ses enfants ;

τὸ γὰρ, etc., car le Agar ; observez qu’il n’y a pas ἡ ἄγαρ, mais τὸ ; il ne s’agit donc pas ici de Agar, personne, mais du mot Agar. Qhagar en arabe signifie pierre, roche ; il est possible que les Arabes voisins du Sinaï l’appelaient par excellence roche, comme on désignait par urbs Rome et Athènes par ἄστυ. Ce mont pouvait avoir reçu cette dénomination de « la roche », parce qu’il était très pierreux, très élevé, ou très célèbre par la législation mosaïque. En effet, le Sinaï est pierreux, saxosum, Cum ad monlis cervicem pervenissemus, durissimum saxum deprehendimus ferrei coloris, dit Bellonius (Observ. lib. 2. p. 301). Chrysostome évêque oriental, dit : « la servante s’appelait Agar, et le Sinaï était ainsi désigné dans la langue du pays. » Théophyl., Œcum. pensent comme lui. Les descendants d’Agar, dit Calmet selon la remarque de Théodoret, ont possédé le pays où est situé le mont Sinaï. Harant dans son itinéraire de la Palestine affirme qu’encore de son temps Agar était habituellement employé pour désigner le Sinaï ; Voyez Busching, descript. de l’Asie p. 535.) — Herbelot dans sa Bibliothèque orientale, articles Thour et Thor dit : Ce mot qui signifie généralement en Arabie une montagne désigne en particulier le mont Sinaï ; et Niebuhr, descript. de l’Arabie p. 481 ajoute : Le mont Sinaï que les Arabes ont coutume de nommer Tur Sina ; or dans les dialectes de l’Orient, les significations montagne et roche sont étroitement unies et presque confondues, ce qui confirmerait encore cette opinion que les Arabes appellent par excellence le Sinaï : « montagne, roche, hagar ». — Dans son voyage en Arabie Paul avait pu apprendre cette particularité dénominative, ce qui lui permettait d’employer ainsi par parenthèse ce sens du mot Agar comme pour nous dire : Cette interprétation allégorique de l’histoire d’Agar et de son fils est encore favorisée par la dénomination d’Agar que porte le Sinaï. (Voyez pour de semblables allusions à des noms propres et à des comparaisons avec eux, Genèse 27.36 ; Matthieu 16.8). — συστοιχεῖ être dans le même ordre en parlant de séries d’arbres parallèlement posés ; marcher dans le même ordre en parlant des soldats. Au figuré, correspondre à ; Théodoret a dit : Symphonise. — τῇ νῦν, etc. à la Jérusalem présente. Il est évident que Jérusalem doit s’entendre par métonynie de toute la république juive dont les citoyens sont les enfants (Genèse 23.11 ; 2 Chroniques 35.13 ; Psaumes 149.2, où enfant est pris dans le sens du citoyen), car la pensée de l’apôtre porte sur des hommes tenus en condition servile par l’économie mosaïque. « La Jérusalem présente, qui est maintenant, avant l’installation du règne messianique ». — δουλεύει sert ; car Jérusalem est esclave de la loi avec ses enfants. Depuis car le Agar jusqu’à Arabie il y a parenthèse, nous avons alors : « L’une issue du mont Sinaï, enfantant à l’esclavage c’est Agar ; (ici la parenthèse) et elle correspond à la Jérusalem présente, car elle sert avec ses enfants ». Le verbe correspond se rapporte non à Agar, mais à ἥτις, laquelle, à cause de δὲ qui soit le verbe : laquelle alliance est Agar et laquelle correspond à, etc. Le développement religieux, moral et social qui correspondait à la loi mosaïque comme l’effet à sa cause, était la Jérusalem présente, la nation et la nationalité israélites telles qu’elles existaient de son temps, avec leur asservissement complet, leur formalisme hypocrite, leur laideur interne et leurs misères de toute espèce.

4.26

26 mais la Jérusalem d’en haut est libre, c’est la notre mère,

Mais celle d’en haut, etc. La phrase aurait dû commencer ainsi : « Mais l’autre (alliance) qui enfante à la liberté, c’est Sara, et elle correspond à la Jérusalem d’en haut, qui est notre mère », mais par une abréviation hardie l’apôtre passe de suite de la notion de Jérusalem terrestre à la pensée opposée de Jérusalem céleste, parce qu’il tient plus à l’idée qu’aux mots. — ἄνω, dans le Nouveau Testament désigne les choses qui appartiennent aux cieux (Jean 8.23 ; Colossiens 3.1 ; Philippiens 3.14) ; c’est donc la ville de Jérusalem descendue splendide du ciel, céleste (Hébreux 11.10, 16 ; 12.22 ; 13.14 ; Apocalypse 3.12 ; 21.2), telle qu’elle sera après l’établissement du règne messianique. Les Juifs postérieurs pensaient qu’il y avait dans le ciel des images infiniment sublimes de toutes les choses qui sont sur la terre et surtout de celles qu’ils tenaient ici-bas pour sacrées, comme le temple et la ville elle-même de Jérusalem. Sohar (Gen. f. 91) : Quodcumque est in terra, id etiam in cælo. Il semble qu’ils ont été conduits à ces inventions soit par quelques passages torturés comme Ésaïe 6.6, où il est parlé d’un autel céleste ; surtout par Exode 25.9, 40, où il est dit que Dieu avait montré à Moïse des images des choses qu’il devait construire ; soit par des traditions nées après l’exil, ou peut-être encore par l’opinion que les idées ou types de tout ce qui a été fait par le logos étaient dans le sein de Dieu. (Ewald. Apoc. p. 11, 307, 8). Ils distinguaient donc deux Jérusalem, l’une présente, terrestre, l’autre neuve, céleste, future, à l’image de laquelle la première avait été fondée et qui était plus spacieuse, plus splendide ; on l’appelait la ville parfaite, pleine de félicité ; elle devait descendre du ciel avec une splendeur incroyable quant au temple, avec une dignité incomparable de sacerdoce et avec un roi revêtu d’une majesté et d’une puissance sans égales, à l’époque de la palingénésie de la terre, au temps du Messie. Laissons parler les Rabbins. (Taanith. fol. 5, 1). Dixit R. Joannes, dixisse Deum S. B. non veniam in Hierosolymam supernam, usque dum veniam in Hierosolymam infernam. Num autem est Hierosolyma superna ? Ita sane, nam scribitur (Psaumes 122.2) : Hierosolyma quæ œdificatur ut urbs, cui socia farta est alia simul. (Glossa. Hierosolyma quæ infra est, erit ædificata ut urbs cui sociatur, quæ est typus ejus ; Illa autem ubi est, si non est superne ?) (Voyez Jalkut Rub. f. 182, I ; Schœttgen in dissert, de Hierosolyma cælesti Bertholdt. Christologie des Juifs, § 46). Des passages innombrables d’écrivains juifs, recueillis par Wetstein et Schœttgen montrent très clairement que les Juifs avaient réellement cette opinion. Cette distinction de deux Jérusalem par les mots νῦν et ἄνω rappelle la division de temps présent et futur dont nous avons parlé (Galates 1.5), et provient de la même idée ; ce sont deux locutions parallèles pour indiquer une époque anté-messianique et une époque messianique. Paul s’empare de ce langage juif pour en revêtir les idées évangéliques ; il le christianise en infiltrant dans ses formes et dans ses images les réalités chrétiennes ; par suite de cette infusion transfigurante, on prit dans l’Eglise la coutume d’appliquer le mot Jérusalem à l’économie chrétienne ; c’est donc comme si Paul disait ; « cette Sion splendide, céleste, que vous attendez et qu’inaugurera sur la terre l’arrivée du Messie, cette Sion qui jouira sous son sceptre de toute liberté, qui sera affranchie des jougs divers que porte la présente, elle est là ; elle est descendue du ciel ; c’est notre mère à nous, chrétiens ; c’est la cité de Dieu dont les fondements ont été posés par le Christ. » En effet on est obligé à cause du parallèle d’entendre par Jérusalem, comme dans le premier cas « une nation, une nationalité » ; les mots notre mère nous font voir d’ailleurs que Paul parle d’une liberté réelle présente et non future ; enfin les Juifs eux-mêmes attendant cette Sion sur la terre avec l’arrivée du Messie, ἄνω que rien n’oblige à expliquer par « l’Eglise du ciel », signifie la cité « venue du ciel sur la terre ». La Jérusalem d’en haut est donc l’Église chrétienne.

4.27

27 car il est écrit : Réjouis-toi, stérile et sans race, éclate et jubile toi qui n’est pas devenue mère, parce qu’à la délaissée seront plus d’enfants qu’à la mariée.

Car il est écrit : Réjouis-toi avec chant de triomphe, etc. (Ésaïe 54.1). Au temps de l’exil, épuisé par les infortunes de la guerre, par la servitude et par l’éparpillement à l’étranger, le peuple juif était comme une femme séparée de son mari Jéhovah l’Eternel des armées (Ésaïe 50.1). Nous lisons aux ch. 54, 55, la description d’un âge plus heureux tel que l’espéraient les Juifs au temps messianique ; le prophète par cet agrandissement qu’il promet au peuple de Dieu parle évidemment des Gentils qui devaient lui être joints par le Messie pour ne former qu’une nation avec lui (Ésaïe 56.3 ; comp. à Ésaïe 2.1 ; 11.10). Nous avons donc ici sous l’image d’une femme stérile et féconde, la peinture de la grande calamité qui avait longtemps opprimé les Juifs, de la liberté qu’ils devaient enfin obtenir, et de la félicité qui devait régner dans l’empire du Messie ; en un mot, c’est une prophétique exposition du règne futur de Dieu tel que le Messie était appelé à l’établir sur la terre par la vocation des Gentils. Voici dès lors comment nous concevons le rapport de cette citation à ce qui précède ; Paul vient de parler, de la Jérusalem d’en haut sous l’image d’une mère libre ; par opposition à Agar et par fidélité à son point de départ allégorique il a dans l’esprit Sara libre, Sara stérile, mais à qui cependant est faite la promesse d’une grande postérité ; alors trouvant dans le prophète la grandeur, la liberté, la félicité de l’économie messianique représentées sous l’image d’une mère, d’une Sara stérile mais riche en promesses de postérité, quoi de plus naturel pour lui et pour ses lecteurs juifs ou judaïsants, que de voir dans ce passage la preuve que la nouvelle Jérusalem est représentée par une femme stérile d’abord et plus tard féconde, c’est-à-dire selon son allégorie, par Sara ! — Réjouis-toi (Romains 15.10). — ῥῆξον, brise, sous-entendu, la voix ; éclate ; élision et locution fréquentes chez les Grecs et les Latins — et jubile ; la cause de cette joie est : que beaucoup d’enfants, etc. — ἐρήμου, déserte, solitaire, négligée par son mari à cause de sa stérilité. — L’apôtre applique l’image de cette femme féconde à l’économie juive lorsqu’elle croissait par les bénédictions de Jéhovah, et qui néanmoins, quoi qu’ayant à l’époque même où il parle beaucoup d’enfants qui témoignent qu’elle a un mari, fera place à l’économie chrétienne encore déserte selon le jugement des hommes, dit Schott, mais qui sera bientôt supérieure par le nombre et par l’autorité. — Ce passage prophétisant un empire de Dieu et de son fils sur la terre, confirme avec une force nouvelle l’interprétation que nous avons donnée des mots : Jérusalem d’en haut.

4.28

28 Pour vous, Frères, vous êtes, comme Isaac, enfants de promesse ;

Et ainsi nous chrétiens, mes frères. — Selon Isaac, à l’exemple à la ressemblance d’Isaac (Éphésiens 424 ; Hébreux 8.9 ; 1 Pierre 1.15 ; Job 1.8 où pour selon lui, le code Alexandrin a semblable à lui). — Nous sommes des enfants de promesse et non selon la chair comme les Juifs (Romains 9.8), car c’est à l’économie chrétienne que se rapporte la divine promesse mentionnée Galates 3.14, ss. On voit par quel lien facile et vrai ce passage est uni au précédent ; Isaac enfant de promesse était fils de Sara ; or nous aussi nous sommes enfants de promesse comme le prouve le passage d’Esaïe, donc aussi fils de Sara, de Sara libre. Ou encore sous une autre face : Sara libre représente la cité libre de Dieu, l’Église chrétienne ; son fils donné par promesse est alors libre comme elle ; or nous sommes aussi enfants de promesse comme Isaac, par conséquent libres comme sa mère qui est notre mère, et comme lui Isaac qui est notre frère.

4.29

29 mais comme alors l’enfant selon la chair persécutait l’enfant selon l’esprit, il en est ainsi maintenant ;

Paul continue par une nouvelle comparaison entre Isaac et les chrétiens d’un côté, les Juifs et Ismaël de l’autre. — Mais comme τότε, alors, au temps d’Abraham, le né selon la chair, Ismaël — διώκω vexer, injurier (Galates 5.11 ; 2 Corinthiens 4.9) ; dans son sens le plus large ce verbe peut signifier tout genre de vexation, la dérision par exemple, avec laquelle Genèse 21.9, nous dit qu’Ismaël poursuivait Sara et son fils. Voilà tout ce que nous savons d’Ismaël en fait d’injures de sa part ; mais les Juifs augmentèrent beaucoup ce trait. Selon le R. Asaria, Bereschith Rabb. 53, 15, Ismaël dit à Isaac : Allons et voyons notre portion au champ. Et Ismaël prit son arc et des flèches, et jaculatus est Isaacum et præ se tulit ac si luderet (Proverbes 26.18-19). — « Selon l’esprit » égal à « par promesse » est mis pour faire contraste plus saillant avec « selon la chair » du v. 23, et pour rendre plus évidente la ressemblance entre Isaac et les chrétiens généralement appelés : les nés de l’esprit, les pneumatiques, les régénérés par l’esprit et comme tels, fils de Dieu (Jean 3.5 ; Romains 8.1-6, 11, 14 ; 1 Corinthiens 2.12-13 ; 3.1 ; Galates 3.3, 5 ; 4.6 ; Éphésiens 4.3-4 ; Tite 3.5 ; 1 Pierre 1.2). — νῦν, de même maintenant les Juifs servilement attachés à l’économie mosaïque persécutent les chrétiens.

4.30

30 et que dit l’Écriture ? chasse l’esclave et son fils, car le fils de l’esclave n’héritera pas avec le fils de la libre.

Cette forme interrogative et ce passage de l’Ancien Testament sont pour mieux frapper l’attention et pour parler avec plus d’autorité en terrassant les Juifs par leurs propres armes. — « Que dit l’Écriture ? » formule d’usage pour les citations de l’Ancien Testament (2 Corinthiens 6.2 ; Éphésiens 4.8 ; 5.14 ; Galates 3.16) ; ce passage (Genèse 21.10) est cité d’après les Septante qui sont ici conformes à l’hébreu. Paul a substitué à « mon fils Isaac » « le fils de la libre » adaptant la fin du verset à son raisonnement ou à l’idée de condition libre dont il est question, tout en conservant la vérité du sens. — D’après le droit juif, Ismaël né d’esclave ne pouvait pas hériter des biens terrestres d’Abraham ; tout revenait à Isaac seul ; or Isaac étant le type des chrétiens unis à leur Sauveur par la foi à l’imitation de celle d’Abraham, les chrétiens ses descendants selon l’esprit sont dès lors les héritiers des richesses de l’empire divin promises à Abraham et à sa postérité.

4.31

31 Ainsi, Frères, nous ne sommes pas enfants de l’esclave mais de la libre, par cette liberté dans laquelle Christ nous a assis.

Paul conclut : « Nous sommes donc les enfants de la libre et non pas de l’esclave ». En effet il avait apporté de cela plusieurs preuves à la façon juive :

  1. Agar esclave représentant la synagogue, et Sara libre l’Église 24-26, il est clair que les membres de l’Église sont fils de la libre et non de l’esclave.
  2. Un passage d’Ésaïe compare l’Église future à Sara et lui assure par promesse une nombreuse postérité ; donc les chrétiens sont enfants de promesse comme Isaac, c’est-à-dire, selon l’esprit, c’est-à-dire encore, fils de la femme libre et partant libres eux-mêmes.
  3. Ismaël fils de l’esclave persécutait Isaac fils de la libre ; or cela se réalise aussi aujourd’hui puisque les Juifs nous persécutent, nous chrétiens ; troisième point de ressemblance avec l’enfant libre.
  4. Enfin les dispositions haineuses d’Ismaël amenèrent son expulsion et le fils de la libre hérita seul ; et de fait aujourd’hui les Juifs par leurs persécutions se mettent en dehors du christianisme, des promesses et de l’héritage, et accomplissent ce nouveau rapport de ressemblance qui ne permet pas de douter qu’ils ne soient fils de l’esclave et nous fils de la libre.

« Par la liberté à laquelle Christ nous a libérés » ; manière très habituelle de parler par laquelle un nom substantif est joint au verbe de même origine (2 Corinthiens 1.4 ; Colossiens 2.19 ; Éphésiens 1.3,6), comme on dit en grec et en latin, βίον βιοῦν, vivere vitam, vivre la vie, etc. — Christ est celui par lequel et dans lequel Dieu s’est manifesté et communiqué à l’homme et à l’humanité de la manière la plus parfaitement saisissable. C’est le pacificateur unique et le fondateur de la filialité de l’homme, parce qu’il est lui-même avec son Père dans un état de paix absolue et de filialité souveraine. Éternellement un avec la vérité, la sainteté, l’amour, l’ordre éternel et la vie absolue, son être, son existence et sa vie se meuvent sans fin ni cesse dans le sein de son Père céleste ou dans l’immuable liberté ; il est et demeure à toujours dans la possession constante et parfaitement normale de Lui-même. Toute âme d’homme qui par la foi s’unira à ce Christ libérateur parce qu’il est éternellement libre ; qui entera sa vie sur la vie substantiellement et indestructiblement vraie, sainte, aimante ou libre de Jésus ; toute âme qui par un rapport de plus en plus insoluble, intense et multiple avec son Sauveur se trempera en Lui de divinité, se saturera de sa force, se transfigurera de sa gloire et se régénérera de son esprit ; toute âme qui se sentira dans tous ses moments et dans toutes ses relations, progressivement dominée par la conscience et la présence de Jésus, possédera la liberté de Christ. D’abord le sentiment intime de sa dépendance de Jésus et par Jésus de Dieu, la rendra uniquement soumise à toutes les ramifications de cette sainte et normale dépendance, et par là indépendante de toutes les créatures et de tout ce qui est du monde ; elle ne sera assujettie à aucun homme, à aucune chose, à aucun rapport religieux, moral, social qui la déterminerait et la fixerait à l’encontre de l’esprit de Christ et de Dieu. Et en effet pour le cœur chrétien élevé au-dessus de toute la création parce qu’il est lié au Créateur, il ne saurait y avoir d’entraves réelles ni de joug permanent nés du temps et de l’espace ou du mouvement des choses visibles ; sa vie est un affranchissement du monde et une domination sur ce même monde ; il plane sur l’ensemble des êtres et de leurs rapports, de leurs fusions et de leurs confusions ; l’univers, soit dans sa totalité soit dans quelqu’une de ses parties, ne saurait être pour lui une pierre d’achoppement et de scandale ; il trône avec Dieu sur l’immensité de la création. C’est là pour ainsi dire le côté négatif et extérieur de la liberté que possède une âme chrétienne ; c’est l’indépendance de l’être humain dans ses rapports avec les autres êtres et avec leur totalité ou avec le monde ; mais il y a encore l’indépendance positive ou la liberté intérieure, face plus essentielle et dont la première n’est qu’une conséquence et qu’un reflet ; je veux parler de la fixation et du mouvement interne de l’âme avec ses organes dans la sphère de la vérité et de l’ordre ; de sa propre germination, de sa croissance personnelle et de son épanouissement spirituel dans le champ de la lumière et de la vie divine ; je veux parler de la personne humaine dont les facultés religieuses, morales et intellectuelles agissent et fonctionnent harmoniquement dans le sens et selon la règle de leur nature, de leurs lois, de leur destination ; je veux parler de cette vision de l’intelligence selon la vérité, de cet amour du cœur selon la sainteté et de cette énergie de la volonté selon le bien, qui constituent une véritable organisation spirituelle, vivante, et une productivité féconde et divine. Voilà l’existence réellement libre, car elle n’est que ce qu’elle doit être et ne fait que ce qu’elle veut légitimement ; voilà la liberté positive, vraie, car au-dedans et au-dehors, en soi et hors de soi elle est l’être, l’existence et la vie se déroulant et se consommant dans une harmonie progressivement parfaite avec les lois éternelles du monde religieux, moral, intellectuel et avec leur auteur et leur promulgateur, Dieu. Ainsi comprenons-nous le relief et la solidité de l’esprit chrétien ! La foi est la source d’où découlent cette glorieuse liberté, cette sainte audace, cette force transcendante ; c’est par elle que le chrétien tranche sur le tableau du monde comme un éclair sur un fond noir, et qu’il ressort sur la scène de la vie avec une netteté de traits, avec une originalité d’action, avec une verve dramatique, avec une pureté d’art et une poésie divine que le mondain ne pourra jamais même imiter !

Paul, avons-nous dit, considère dans ce paragraphe la liberté non tant individuelle que sociale, sous l’idée et la forme d’Église chrétienne ; la Jérusalem d’en haut, c’est la liberté ; un mot encore à ce sujet. La dépendance de l’homme à l’égard de lui-même, de la société et de la nature, et son indépendance à l’égard de Dieu constituent le péché ; anéantir dans l’individu et dans les masses cette triple passion perverse par l’unification positive de l’homme avec Dieu et par sa domination sur lui-même sur le monde humain et sur la nature, ou parvenir à la liberté divine par le progrès de la foi dans la vérité, de l’amour dans la pureté et de la volonté dans le bien, voilà l’idée d’un empire de Dieu. Cette unité de l’humain et du divin a été accomplie une première et seule fois en J. C., l’homme Dieu, le Dieu homme ; c’est donc en Lui et par Lui que commence l’Église, cet empire qui de son nom porte le titre de « chrétien ». Elle s’adresse, comme association universelle de l’humanité, à tous les peuples et non à un seul ; à des intérêts absolus et non particuliers à une nation ; elle pénètre dans toutes les constitutions et dans toutes les nationalités. Si le but de l’état est la liberté dans un sens et sous une forme adaptés à un esprit national et particulier autour duquel s’en trouvent d’autres qui ont les mêmes prétentions, l’Eglise au contraire veut la liberté absolue au-dessus de toute limitation particulière ; si l’état et l’Église marchent vers le même but spirituel, la liberté, l’un le fait dans sa particularité, l’autre dans son universalité. Certes voilà une bien glorieuse conception qui plane comme un regard de Dieu sur tous les âges de l’histoire, car arrivée au terme de sa course, l’humanité assise dans la possession de la liberté qui est sa vie, n’aura réalisé que ce que le grand apôtre lui avait inoculé au cœur à son départ, je veux dire l’organisation spirituelle, vivante et harmonique de la liberté.

L’idée de toute cette allégorie est que les chrétiens sont affranchis de la loi juive. Et maintenant puisque l’Evangile l’emporte tant sur le mosaïsme ; puisque l’autorité des lois de l’Ancien Testament n’est rien pour les chrétiens ; puisque ceux-ci sont de droit, fils de la promesse divine, et que les Juifs n’étant fils que selon la chair sont rejetés de l’héritage tandis que ceux-là l’attendent et commencent à le posséder, il est manifeste que Paul a pu à bon droit comparer l’économie de l’Ancien Testament à Agar et celle du Nouveau à Sara, les Juifs à Ismaël et les chrétiens à Isaac. L’apôtre arrive, comme on le voit, sous une autre forme et par une différente filiation d’idées, à la conclusion des chapitres 3 et 4 (3.29 et 4.7).

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