L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

11
Qu’il faut tâcher d’acquérir la paix intérieure et de profiter en la vie spirituelle

Que nous aurions de paix et qu’elle serait forte,
Si nous n’avions le cœur qu’à ce qui nous importe,
Et si nous n’aimions point à nous brouiller l’esprit
Ni de ce que l’on fait ni de ce que l’on dit !
Le moyen qu’elle règne en celui qui sans cesse
Des affaires d’autrui s’inquiète et s’empresse,
Qui cherche hors de soi de quoi s’embarrasser,
Et rarement en soi tâche à se ramasser ?
C’est vous, simples, c’est vous dont l’heureuse prudence
Du vrai repos d’esprit possède l’abondance ;
C’est par là que les saints, morts à tous ces plaisirs
Où les soins de la terre abaissent nos désirs,
N’ayant le cœur qu’en Dieu, ni l’œil que sur eux-mêmes,
Élevaient l’un et l’autre aux vérités suprêmes,
Et qu’à les contempler bornant leur action,
Ils allaient au plus haut de la perfection.
Nous autres, asservis à nos lâches envies,
Sur des biens passagers nous occupons nos vies,
Et notre esprit se jette avec avidité
Où par leur vaine idée il s’est précipité.
C’est rarement aussi que nous avons la gloire
D’emporter sur un vice une pleine victoire ;
Notre peu de courage est soudain abattu ;
Nous aidons mal au feu qu’allume la vertu ;
Et, bien loin de tâcher qu’une chaleur si belle
Prenne de jour en jour une force nouvelle,
Nous laissons attiédir son impuissante ardeur,
Qui de tépidité dégénère en froideur.
Si de tant d’embarras l’âme purifiée
Parfaitement en elle était mortifiée,
Elle pourrait alors, comme reine des sens,
Jusqu’au trône de Dieu porter des yeux perçants,
Et faire une tranquille et prompte expérience
Des douceurs que sa main verse en la conscience ;
Mais l’empire des sens donne d’autres objets,
L’âme sert en esclave à ses propres sujets ;
Nous dédaignons d’entrer dans la parfaite voie
Que la ferveur des saints a frayée avec joie ;
Le moindre coup que porte un peu d’adversité
Triomphe en un moment de notre lâcheté,
Et nous fait recourir, aveugles que nous sommes,
Aux consolations que nous prêtent les hommes.
Combattons de pied ferme en courageux soldats,
Et le secours du ciel ne nous manquera pas :
Dieu le tient toujours prêt ; et sa grâce fidèle,
Toujours propice aux cœurs qui n’espèrent qu’en elle,
Ne fait l’occasion du plus rude combat
Que pour nous faire vaincre avecque plus d’éclat.
Ces austères dehors qui parent une vie,
Ces supplices du corps où l’âme est endurcie,
Laissent bientôt finir notre dévotion
Quand ils sont tout l’effet de la religion.
L’âme, de ses défauts saintement indignée,
Doit jusqu’à la racine enfoncer la cognée,
Et ne saurait jouir d’une profonde paix
A moins que d’arracher jusques à ses souhaits.
Qui pourrait s’affermir dans un saint exercice
Qui du cœur tous les ans déracinât un vice,
Cet effort, quoique lent, de sa conversion
Arriverait bientôt à la perfection ;
Mais nous n’avons, hélas ! que trop d’expérience
Qu’ayant traîné vingt ans l’habit de pénitence,
Souvent ce lâche cœur a moins de pureté
Qu’à son noviciat il n’avait apporté.
Le zèle cependant chaque jour devrait croître,
Profiter de l’exemple et de l’emploi du cloître,
Au lieu que chaque jour sa vigueur s’alentit,
Sa fermeté se lasse, et son feu s’amortit ;
Et l’on croit beaucoup faire aux dernières années
D’avoir un peu du feu des premières journées.
Faisons-nous violence, et vainquons-nous d’abord,
Tout deviendra facile après ce peu d’effort.
Je sais qu’aux yeux du monde il doit paraître rude
De quitter les douceurs d’une longue habitude ;
Mais, puisqu’on trouve encor plus de difficulté
A dompter pleinement sa propre volonté,
Dans les choses de peu si tu ne te commandes,
Dis, quand te pourras-tu surmonter dans les grandes ?
Résiste dans l’entrée aux inclinations
Que jettent dans ton cœur tes folles passions ;
Vois combien ces douceurs enfantent d’amertumes ;
Dépouille entièrement tes mauvaises coutumes ;
Leur appât dangereux, chaque fois qu’il surprend,
Forme insensiblement un obstacle plus grand.
Enfin règle ta vie ; et vois, si tu te changes,
Que de paix en toi-même, et que de joie aux anges !
Ah ! si tu le voyais, tu serais plus constant
A courir sans relâche au bonheur qui t’attend ;
Tu prendrais plus de soins de nourrir en ton âme
La sainte et vive ardeur d’une céleste flamme,
Et, tâchant de l’accroître à toute heure, en tout lieu,
Chaque instant de tes jours serait un pas vers Dieu.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant