L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

19
De la véritable patience

        Qu’as-tu, mon fils, que tu soupires ?
        Considère ma Passion,
Considère mes saints, regarde leurs martyres,
Et baisse après les yeux sur ton affliction :
    Qu’y trouves-tu qui leur soit comparable,
    Toi qui prétends une place en leur rang ?
Va, cesse de nommer ton malheur déplorable,
Tu n’en es pas encor jusqu’à verser ton sang.
        Tu souffres, mais si peu de chose
        Au prix de ce qu’ils ont souffert,
Que le fardeau léger des croix que je t’impose
Ne vaut pas que sur lui tu tiennes l’œil ouvert :
    Vois, vois plutôt celles qu’ils ont portées ;
    Vois quels tourments a bravés leur vertu,
Que d’assauts repoussés, que d’horreurs surmontées ;
Et si tu le peux voir, dis-moi, que souffres-tu ?
        Vois par mille épreuves diverses
        Leurs cœurs sans relâche exercés ;
Vois-les bénir mon nom dans toutes leurs traverses,
Et tomber sous le faix sans en être lassés ;
    Vois leur constance au milieu de leurs gênes
    Monter plus haut plus on les fait languir ;
Mesure bien tes maux sur l’excès de leurs peines,
Tes maux n’auront plus rien qui mérite un soupir.
        Sans doute, alors que ta faiblesse
        Les trouve trop lourds à porter,
Ta propre impatience est tout ce qui te blesse,
Et seule fait le poids qu’elle veut rejeter.
    Légers ou lourds, il faut que tu les portes ;
    Tu ne peux rompre un ordre fait pour tous,
Et, soit que tes douleurs soient ou faibles ou fortes,
Tu dois même constance à soutenir leurs coups.
        Tu te montres d’autant plus sage,
        Que tu t’y prépares le mieux ;
Ton mérite en augmentent prend un avantage
Qui te rend d’autant plus agréable à mes yeux ;
    La douleur même en est d’autant moins rude
    Quand le courage, à souffrir disposé,
S’en est fait par avance une douce habitude,
Et lorsqu’il s’est vaincu tout lui devient aisé.
        Ne dis jamais pour ton excuse :
        « Je ne saurais souffrir d’un tel,
De mon trop de bonté sa calomnie abuse,
Le dommage est trop grand, l’outrage trop mortel ;
    A ma ruine il se montre inflexible,
    Il prend pour but de me déshonorer ;
Je souffrirai d’un autre, et serai moins sensible,
Selon que je verrai qu’il est bon d’endurer. »
        Cette pensée est folle et vaine,
        Et l’amour-propre qu’elle suit
Sous ce discernement de la prudence humaine
Cache un orgueil secret qui t’enfle et te séduit :
    Au lieu de voir ce qu’est la patience,
    Et quelle main la doit récompenser,
Il attache tes yeux à voir quelle est l’offense,
Et mesurer la main qui vient de t’offenser.
        La patience est délicate
        Qui ne veut souffrir qu’à son choix,
Qui borne ses malheurs, et jusque-là se flatte
Qu’elle en prétend régler et le nombre et le poids :
    La véritable est d’une autre nature ;
    Et, quelques maux qui se puissent offrir,
Elle ne leur prescrit ordre, temps, ni mesure.
Et n’a d’yeux que pour moi quand il lui faut souffrir.
        Que son supérieur l’exerce,
        Son pareil, son inférieur,
Elle est toujours la même, et sa peine diverse
Conserve également son calme intérieur ;
    Quelle que soit l’épreuve ou la personne,
    Elle y présente un courage affermi,
Et n’examine point si l’essai qui l’étonne
Vient d’un homme de bien, ou d’un lâche ennemi.
        Sa vertueuse indifférence
        Reçoit avec remerciements
Ces odieux trésors d’amertume et d’offense
Qui font partout ailleurs tant de ressentiments ;
    Autant de fois qu’elle se voit pressée,
    Autant de fois elle l’impute à gain,
Et regarde si peu la main qui l’a blessée,
Que tout devient pour elle un présent de ma main.
        Instruite dans ma sainte école,
        Elle met son espoir aux cieux,
Et sait que dans ses maux si je ne la console,
Du moins ce qu’elle souffre est présent à mes yeux ;
    Qu’un jour viendra que ma douce visite
    De ses travaux couronnera la foi,
Et qu’un peu de souffrance amasse un grand mérite
Quand ce peu qu’on endure est enduré pour moi.
        Tiens donc ton âme toujours prête
        A toute épreuve, à tous combats,
Du moins si tu veux vaincre et couronner ta tête
De ce qu’un beau triomphe a de gloire et d’appas :
    La patience a sa couronne acquise ;
    Mais sans combattre on n’y peut aspirer ;
A qui sait bien souffrir ma bouche l’a promise,
Et c’en est un refus qu’un refus d’endurer.
        Encore un coup, cette couronne
        N’est que pour les hommes de cœur :
Si tu peux souhaiter qu’un jour je te la donne,
Résiste avec courage, et souffre avec douceur.
    Sans le travail et sans l’inquiétude
    Le vrai repos ne se peut obtenir,
Et sans le dur effort d’un combat long et rude
A la pleine victoire on ne peut parvenir.
Donne-moi donc ta grâce ; et par elle, Seigneur,
        Fais pouvoir à ta créature
Ce qui semble impossible à la morne langueur
        Où l’ensevelit la nature.
Tu connais mieux que moi que mon peu de vertu
        Ne peut souffrir que peu de chose ;
Tu sais que mon courage est soudain abattu
        Au moindre obstacle qui s’oppose.
Daigne le relever de cet abattement,
        Quelque injure qui me soit faite ;
Et fais-moi pour ton nom souffrir si constamment,
        Que je m’y plaise et le souhaite.
Car endurer pour toi l’outrage et le rebut,
        Être pour toi traité d’infâme,
C’est prendre le chemin qui conduit au salut,
        C’est la haute gloire de l’âme.

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