L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

52
Que l’homme ne se doit point estimer digne de consolation, mais plutôt de châtiment

Seigneur, si je m’arrête au peu que je mérite
Je ne puis espérer tes consolations,
Ni que du haut du ciel ta secrète visite
Daigne adoucir l’aigreur de mes afflictions.
Je n’en fus jamais digne, et lorsque tu me laisses
Dénué, pauvre, infirme, impuissant, éperdu,
Tu ne fais que justice à mes lâches faiblesses,
Et ce triste abandon me rend ce qui m’est dû.
Quand de tout mon visage un océan de larmes
Pourrait à gros torrents incessamment couler,
Je n’aurais aucun droit au moindre de ces charmes
Que versent tes bontés quand tu viens consoler.
Après m’être noirci d’un million d’offenses,
M’être fait un rebelle à tes commandements,
Tu ne me peux devoir pour justes récompenses
Que d’âpres coups de fouets, et de longs châtiments.
Je l’avoue à ma honte ; et, plus je m’examine,
Plus je découvre en moi cette indigne noirceur,
Qui ne peut mériter de ta faveur divine
Ni le moindre secours, ni la moindre douceur.
Mais toi, dont la bonté passe toute mesure
A prodiguer les biens dont ses trésors sont pleins,
Et qui dans cette indigne et vile créature
Considères encor l’ouvrage de tes mains ;
Toi, qui ne veux jamais que tes œuvres périssent,
Tu ne regardes point ce que j’ai mérité,
Et de ces grands vaisseaux qui jamais ne tarissent
Tu fais couler les dons de ta bénignité.
Tu les répands sur moi, Seigneur ; tu me consoles,
Non pas à la façon des hommes tels que nous :
Leurs consolations se bornent aux paroles ;
Les tiennes ont l’effet aussi prompt qu’il est doux.
Que t’ai-je fait, ô Dieu ! digne que ta clémence
M’envoie ainsi d’en haut un céleste rayon,
Et qui me fait ainsi jouir de ta présence,
Moi qui ne me souviens d’avoir rien fait de bon ?
Je force ma mémoire à retracer ma vie,
Et n’y vois que désordre et que dérèglement,
Qu’une pente au péché honteusement suivie.
Qu’une morne langueur pour mon amendement.
C’est une vérité que je ne te puis taire ;
Et, si mon impudence osait la dénier,
Tes yeux me convaincraient aussitôt du contraire,
Sans qu’aucun entreprit de me justifier.
Qu’ai-je pu mériter par cet amour du vice
Que d’être mis au rang des plus grands criminels ?
Et, si tu fais agir seulement ta justice,
Qu’aura-t-elle pour moi que des feux éternels ?
Je ne suis digne au plus que de voir sur ma face
L’opprobre et le mépris rejaillir à grands flots ;
Et c’est injustement que j’occupe une place
Dans cette maison sainte où vivent tes dévots.
Je veux bien contre moi rendre ce témoignage,
Quelque dur qu’il me soit d’entendre ce discours,
Afin que ta pitié plus aisément s’engage
A remettre mon crime et me prêter secours.
Tout confus que je suis de me voir si coupable,
Que dirai-je, sinon : J’ai péché, mon Sauveur,
J’ai péché ; mais pardonne, et d’un œil pitoyable
Regarde un criminel qui demande faveur.
Ne la refuse pas aux peines que j’endure,
Et laisse-moi du moins plaindre un peu mes douleurs
Avant que je descende en cette terre obscure
Qu’enveloppe la mort de ses noires couleurs.
Ce que tu veux surtout d’une âme ensevelie
Dans cette juste horreur que lui fait son péché,
C’est que le cœur se brise, et qu’elle s’humilie
Sous le saint repentir dont ce cœur est touché.
Cette contrition humble, sincère, vraie,
Autorise l’espoir du pardon attendu,
Calme si bien l’esprit, ferme si bien sa plaie,
Que ta grâce lui rend ce qu’il avait perdu.
C’est une sauvegarde à l’âme pénitente
Contre l’ire future et l’effroyable jour ;
Dieu vient au-devant d’elle, et remplit son attente
Par un baiser de paix qui rejoint leur amour.
C’est, ô Dieu tout-puissant ! c’est l’heureux sacrifice
Qu’accepte à bras ouverts ton immense grandeur ;
Et tout l’encens du monde offert à ta justice
N’a point de quoi répandre une si douce odeur.
C’est l’onguent précieux, c’est le nard dont toi-même
As voulu qu’ici-bas l’homme embaumât tes pieds ;
Et jamais on n’a vu que ta bonté suprême
Ait dédaigné les vœux des cœurs humiliés.
C’est l’asile assuré contre la fière audace
Dont nos vieux ennemis osent nous assaillir ;
Par là de tout l’impur la souillure s’efface ;
Par là nous dépouillons tout ce qui fait faillir.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant