L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Que l’homme ne doit pas perdre courage quand il tombe en quelques défauts

Mon fils, je me plais mieux à l’humble patience
        Parmi les tribulations,
Qu’au zèle affectueux de ces dévotions
Dont la-prospérité nourrit la confiance.
Pourquoi donc t’émeus-tu pour un faible revers ?
Pourquoi t’affliges-tu pour un mot de travers ?
Un reproche léger n’est pas un grand outrage ;
Quand même jusqu’au cœur il t’aurait pu blesser,
Il ne te devrait pas ébranler le courage ;
Va, fais la sourde oreille, et laisse-le passer.
Ce n’est pas le premier dont tu sentes l’atteinte ;
        Il n’a pour toi rien de nouveau,
Et, si tu peux longtemps reculer du tombeau,
Ce n’est pas le dernier dont tu feras ta plainte.
Tu n’es que trop constant hors de l’adversité ;
Tu secours même un autre avec facilité,
Ta pitié le conseille, et ta voix le conforte,
Tu sais à tous ses maux mettre un prompt appareil ;
Mais, quand l’affliction vient frapper à ta porte,
Tu n’as plus aussitôt ni force ni conseil.
Par là tu peux juger l’excès de ta faiblesse,
        Que mille épreuves te font voir,
Puisque le moindre obstacle a de quoi l’émouvoir.
Et que le moindre mal t’accable de tristesse.
Je sais qu’il t’est fâcheux de te voir mépriser ;
Tel qui te foule aux pieds te devrait courtiser ;
Tel devrait t’obéir qui sous lui te captive :
Mais souviens-toi qu’enfin tout est pour ton salut,
Que ce qui te déplaît par mon ordre t’arrive,
Et que ton bonheur propre en est l’unique but.
Je ne demande point que tu sois insensible,
        Mais tâche à bien régler ton cœur,
Tâche à bien soutenir ce qu’il a de vigueur,
Et, si tu ne peux tout, fais du moins ton possible :
A chaque déplaisir tiens-toi ferme en ce point
Que s’il te peut toucher il ne t’abatte point,
Que jamais son aigreur longtemps ne t’embarrasse :
Souffre avec allégresse, ou, si c’est trop pour toi,
Souffre avec patience, et conserve une place
A recevoir sans bruit tout ce qui vient de moi.
Que si tu ne saurais sans trop de répugnance
        Endurer tant d’oppression,
Si tu ne peux ouïr sans indignation
Ce que la calomnie à ton opprobre avance,
Rends-toi maître du moins de tous ces mouvements,
Réprime la chaleur de leurs soulèvements,
De crainte qu’à les voir quelqu’un ne s’effarouche ;
Et, de quelque façon que tu sois méprisé,
Prends garde qu’un seul mot ne sorte de ta bouche
Dont puisse un esprit faible être scandalisé.
La tempête, bientôt cédant à la bonace,
        N’aura plus ces éclats ardents,
Et toute la douleur qu’elle excite au dedans
Perdra son amertume au retour de ma grâce.
Je suis le Dieu vivant encor prêt à t’aider,
Prêt à venger ta honte, et prêt à t’accorder
Des consolations l’abondante lumière ;
Mais pour en obtenir les nouvelles faveurs
Il faut remettre en moi ta confiance entière,
Et prendre à m’invoquer de nouvelles ferveurs.
Montre-toi plus égal durant ce peu d’orage,
        Fais ton effort pour le braver,
Et, quelques grands malheurs qui puissent t’arriver,
Prépare encor ton âme à souffrir davantage.
Pour te sentir pressé des tribulations,
Pour te voir chanceler sous les tentations,
Ne crois pas tout perdu, n’y trouve rien d’étrange :
Tu n’es qu’homme, et non Dieu, mais homme tout de chair,
Mais chair toute fragile, et non pas tel qu’un ange,
Que de l’abus des sens il m’a plu détacher.
Les anges même au ciel, le premier homme en terre,
        Où je lui fis un paradis,
Conservèrent si peu l’état où je les mis
Qu’ils devinrent bientôt dignes de mon tonnerre.
Ne prétends non plus qu’eux conserver ta vertu
Sans te voir ébranlé, sans te voir combattu ;
Mais en ce triste état offre-moi ta faiblesse :
        J’élève qui gémit avec humilité,
Et, plus l’homme à mes yeux reconnaît sa bassesse,
Plus je le fais monter vers ma divinité.
Béni sois-tu, Seigneur, dont la sainte parole
        Me fortifie et me console ;
        Il n’est rien ailleurs de si doux :
Que ferais-je, ô Dieu ! parmi tant de misères,
        Parmi tant d’angoisses amères
Si tu ne m’enseignais à rabattre leurs coups ?
Pourvu qu’heureusement j’achève ma carrière,
        Pourvu que ta sainte lumière
        Me conduise au port de salut,
Que m’importe combien je souffre de traverses,
        Et combien de peines diverses
Me font du monde entier le glorieux rebut ?
Fais qu’une bonne fin de ces maux me dégage ;
        Donne-moi cet heureux passage
        De ce monde à l’éternité ;
Aplanis-moi la route à monter dans ta gloire,
        Et ne perds jamais la mémoire
Du besoin qu’a de toi mon imbécillité.

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