L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Qu’il faut mettre en Dieu seul tout notre espoir et toute notre confiance

        Seigneur, quelle est ma confiance
        Au triste séjour où je suis ?
Et de quelles douceurs l’heureuse expérience
        Rompt le mieux cette impatience
        Où me réduisent mes ennuis ?
        En puis-je trouver qu’en toi-même,
        Sauveur amoureux et bénin,
Dont la miséricorde en un degré suprême
        Verse dans une âme qui t’aime
        Des plaisirs sans nombre et sans fin ?
        En quels lieux hors de ta présence
        M’est-il arrivé quelque bien ?
Et quels maux à mon cœur font sentir leur puissance,
        Sinon alors que ton absence
        Me prive de ton cher soutien ?
        La fortune avec ses largesses
        A tous les mondains fait la loi ;
Mais si la pauvreté jouit de tes caresses,
        Je la préfère à ces richesses
        Qui séparent l’homme de toi.
        Le ciel même, quelque avantage
        Que sur la terre il puisse avoir,
Me verrait mieux aimer cet exil, ce passage,
        Si tu m’y montrais ton visage,
        Que son paradis sans te voir.
        C’est le seul aspect du grand Maître
        Qui fait le bon ou mauvais sort :
Tu mets le ciel partout où tu te fais paraître ;
        Et les lieux où tu cesses d’être,
        C’est là qu’est l’enfer et la mort.
        Puisque c’est à toi que j’aspire,
        Qu’en toi seul est ce que je veux,
Il faut bien qu’après toi je pleure, je soupire,
        Et que jusqu’à ce que j’expire,
        J’envoie après toi tous mes vœux.
        Quelle autre confiance pleine
        Pourrait me promettre un secours
Qui de tous les besoins de la misère humaine
        Par une vertu souveraine
        Pût tarir ou borner le cours ?
        Toi seul es donc mon espérance,
        L’appui de mon infirmité,
Le Dieu saint, le Dieu fort, qui fait mon assurance,
        Qui me console en ma souffrance,
        Et m’aime avec fidélité.
        Chacun cherche ses avantages ;
        Tu ne regardes que le mien,
Et c’est pour mon salut qu’à m’aimer tu t’engages,
        Que tu calmes tous mes orages,
        Que tu me tournes tout en bien.
        La rigueur même des traverses
        A pour but mon utilité :
C’est la part des élus ; par là tu les exerces,
        Et leurs tentations diverses
        Sont des marques de ta bonté.
        Ton nom n’est pas moins adorable
        Parmi les tribulations,
Et dans leur dureté tu n’es pas moins aimable
        Que quand ta douceur ineffable
        Répand ses consolations.
        Aussi ne mets-je mon refuge
        Qu’en toi, mon souverain Auteur,
Et de tous mes ennuis, quel que soit le déluge,
        Hors du sein de mon propre juge,
        Je ne veux point de protecteur.
        Je ne vois ailleurs que faiblesse,
        Qu’une lâche instabilité,
Qui laisse trébucher au moindre assaut qui presse
        L’effort de sa vaine sagesse
        Sous sa propre imbécillité.
        Hors de toi point d’ami qui donne
        De favorables appareils.
Point de secours si fort qui soudain ne s’étonne,
        Point de prudence qui raisonne,
        Point de salutaires conseils.
        Il n’est sans toi docteur ni livre
        Qui me console en ma douleur ;
Il n’est de tant de maux trésor qui me délivre,
        Ni lieu sûr où je puisse vivre
        Exempt de trouble et de malheur.
        A moins que ta sainte parole
        Relève mon cœur languissant,
A moins qu’elle m’instruise en ta divine école,
        Qu’elle m’assiste et me console,
        Le reste demeure impuissant.
        Tout ce qui semble ici produire
        La paix dont on pense jouir
N’est sans toi qu’un éclair si prompt à se détruire,
        Que le moment qui le fait luire
        Le fait aussi s’évanouir.
        Non, ce n’est qu’une vaine idée
        D’une fausse tranquillité,
Une couleur trompeuse, une image fardée,
        Qui n’a ni douceur bien fondée,
        Ni solide félicité.
        Ainsi tout ce qu’a cette vie
        D’éminent et d’illustre emploi,
Les plus profonds discours dont l’âme y soit ravie,
        Tous les biens dont elle est suivie,
        N’ont fin ni principe que toi.
        Ainsi de toute la misère
        Où nous plonge son embarras
L’âme sait adoucir l’aigreur la plus amère.
        Quand par-dessus tout elle espère
        Aux saintes faveurs de ton bras.
        C’est en toi seul que je me fie ;
        A toi seul j’élève mes yeux ;
Dieu de miséricorde, éclaire, fortifie,
        Épure, bénis, sanctifie,
        Mon âme du plus haut des cieux.
        Fais-en un siège de ta gloire,
        Un lieu digne de ton séjour,
Un temple où, parmi l’or, et l’azur, et l’ivoire,
        Aucune ombre ne soit si noire,
        Qu’elle déplaise à ton amour.
        Joins à ta clémence ineffable
        De ta pitié l’immense effort,
Et ne rejette pas les vœux d’un misérable
        Qui traîne un exil déplorable
        Parmi les ombres de la mort.
        Rassure mon âme alarmée ;
        Et contre la corruption,
Contre tous les périls dont la vie est semée
        Toi qui pour le ciel l’as formée,
        Prends-la sous ta protection.
        Qu’ainsi ta grâce l’accompagne,
        Et par les sentiers de la paix,
A travers cette aride et pierreuse campagne,
        La guide à la sainte montagne
        Où ta clarté luit à jamais.

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