L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Que le corps de Jésus-Christ et la sainte Écriture sont entièrement nécessaires à l’âme fidèle

Oh ! que ta douceur infinie
Répand de charmantes faveurs,
Sauveur bénin, sur les ferveurs
De qui dignement communie !
Ce grand banquet où tu l’admets
N’a point pour lui de moindres mets
Que son bien-aimé, son unique ;
Que toi, dis-je, seul à choisir,
Et seul à qui son cœur s’applique
Par-dessus tout autre désir.
Que j’en verrais croître les charmes
Si d’un amoureux sentiment
Le tendre et long épanchement
M’y donnait un torrent de larmes !
Que tous mes vœux seraient contents
D’en baigner tes pieds en tout temps
Avec la sainte Pécheresse !
Mais où sont ces vives ardeurs ?
Où cette amoureuse tendresse ?
Où cet épanchement de pleurs ?
En présence d’un tel Monarque,
A l’aspect de toute sa cour,
Un transport de joie et d’amour
En devrait porter cette marque ;
Mon cœur par mille ardents soupirs
Devrait pousser mille désirs
Jusques à la voûte étoilée,
Et dans cet avant-goût des cieux
Ma joie en larmes distillée
Couler à grands flots de mes yeux.
En cet adorable mystère
Je te vois présent en effet,
Dieu véritable, homme parfait,
Sous une apparence étrangère ;
Tu me caches cette splendeur
Dont ta souveraine grandeur
Avant les temps est revêtue :
Seigneur, que je te dois bénir
D’épargner à ma faible vue
Ce qu’elle n’eût pu soutenir !
Les yeux même de tout un monde
En un seul regard assemblés,
De tant de lumière aveuglés,
Rentreraient sous la nuit profonde ;
Ils ne pourraient pas subsister
S’ils attentaient à supporter
Des clartés si hors de mesure ;
Et l’éclat de ta majesté,
Quand elle emprunte une figure,
Fait grâce à notre infirmité.
Sous ces dehors où tu te ranges
Je te vois tel qu’au firmament ;
Je t’adore en ce sacrement
Tel que là t’adorent les anges.
La différence entre eux et moi,
C’est que les seuls yeux de la foi
M’y font voir ce que j’y révère,
Et qu’en ce lumineux pourpris
Une vision pleine et claire
Te montre à ces heureux esprits.
Mais il faut que je me contente
D’avoir pour guide ce flambeau,
En attendant qu’un jour plus beau
Remplisse toute mon attente ;
C’est ce jour de l’éternité
Dont la brillante immensité
Dissipera toutes les ombres,
Et de la pointe de ses traits
Détruira tous ces voiles sombres
Qui couvrent tes divins attraits.
La parfaite béatitude,
Éclairant nos entendements,
Fera cesser les sacrements
Dans son heureuse plénitude ;
Ce glorieux prix des travaux,
Qui nous met au-dessus des maux,
Ote le besoin du remède ;
Face à face tu t’y fais voir ;
Sans fin, sans trouble, on t’y possède ;
On t’y contemple sans miroir.
L’esprit, de lumière en lumière
S’y transforme en ta déité,
Qu’il embrasse et voit tout entière,
Cet esprit tout illuminé
Y goûte le Verbe incarné ;
Toi-même à ses yeux tu l’exposes,
Tel que dans ces vastes palais
Il était avant toutes choses,
Et tel qu’il demeure à jamais.
Le souvenirs de ces merveilles
Fait qu’ici tout m’est ennuyeux,
Que tout y déplaît à mes yeux,
Tout importune mes oreilles ;
Le goût même spirituel
M’est un chagrin continuel
Près de cette douce mémoire ;
Et, quoi qu’il m’arrive de bien,
Tant que je ne vois point ta gloire,
Tout m’est à charge, tout n’est rien.
Tu le sais, ô Dieu de ma vie !
Qu’ici-bas il n’est point d’objet
Où se termine mon projet,
Où se repose mon envie :
A te contempler fixement,
Sans fin et sans empêchement
Je mets ma gloire souveraine ;
Mais, avant que de voir finir
La mortalité que je traîne,
Ce bonheur ne peut s’obtenir.
Je dois donc avec patience
Te soumettre tous mes désirs,
Ne chercher point d’autres plaisirs.
N’avoir point d’autre confiance.
Les saints qui règnent avec toi
Vécurent au monde avec foi,
Avec patience y languirent,
Et leur cœur en toi satisfait
De ce que leurs vœux se promirent
Attendit constamment l’effet.
J’ai la même foi qu’ils ont eue ;
J’ai le même espoir qu’ils ont eu ;
Et, croyant tout ce qu’ils ont cru,
J’aspire comme eux à ta vue,
Avec ta grâce et pareils vœux
J’espère d’arriver comme eux
A tes promesses les plus amples,
Et jusqu’à cette fin sans fin
Ma foi, qu’appuieront leurs exemples,
Suivra sous toi le vrai chemin.
J’aurai de plus pour ma conduite
Les livres saints, dont le secours
A toute heure adoucit le cours
Des maux où mon âme est réduite ;
Je trouve en leurs instructions
Des miroirs pour mes actions,
Sur qui je les règle et me juge ;
Et par-dessus tous leurs trésors
J’ai pour remède et pour refuge
Le banquet de ton sacré corps.
Cet accablement de misères
Qui m’environne incessamment
Pour le supporter doucement
Me rend deux choses nécessaires ;
J’ai besoin en toutes saisons
De deux choses dans ces prisons
Où me renferme la nature ;
Et, manque de l’une des deux,
De lumière, ou de nourriture,
Mon séjour n’y peut être heureux.
Seigneur, ta bonté singulière,
Pour m’aider à suivre tes pas,
M’y donne ton corps pour repas,
Et ta parole pour lumière.
Dans ces misérables vallons
Sans l’un et l’autre de ces dons
Ta route serait mal suivie ;
Car l’un est l’immuable jour,
Et l’autre le vrai pain de vie
Qui nourrit l’âme en ton amour.
L’âme de ton amour éprise
Peut regarder ces deux soutiens
Comme deux tables que tu tiens
Dans le trésor de ton Église ;
L’une est celle de ton autel,
Où se prend ton corps immortel
Pour nourriture et médecine ;
Et l’autre, celle de ta loi,
Qui nous instruit de ta doctrine,
Et nous affermit en la foi.
C’est elle qui du sanctuaire
Tirant pour nous le voile épais,
Jusqu’en ses plus profonds secrets
Nous introduit et nous éclaire :
C’était pour nous la préparer
Qu’il te plut jadis inspirer
Les prophètes et les apôtres ;
Et tes augustes vérités
Chaque jour encor par mille autres
Répandent sur nous leurs clartés.
Créateur et Sauveur des hommes,
Qu’on te doit de remerciements
D’avoir fait ces banquets charmants
Pour des malheureux que nous sommes !
Tu nous les tiens à tous ouverts
Pour montrer à tout l’univers
Cette charité magnifique
Qui, déployant tous ses trésors,
N’y donne plus l’Agneau mystique,
Mais ton vrai sang et ton vrai corps.
Là, sans cesse tous les fidèles,
Des traits de ton amour navrés,
Et de ton calice enivrés,
Goûtent quelques douceurs nouvelles ;
Toutes les délices des cieux
Font un raccourci précieux
Dans ce calice salutaire ;
L’ange les y goûte avec nous ;
Mais comme sa vue est plus claire,
Ses plaisirs sont aussi plus doux.
Prêtres, qu’illustre est votre office !
Que haute est cette dignité
Dont vous tenez l’autorité
De faire ce grand sacrifice !
Deux mots sacrés et souverains
Font descendre un Dieu dans vos mains ;
Tous le prenez dans votre bouche ;
Et dans ces festins solennels
Cette même main qui le touche
Le donne au reste des mortels.
Que ces mains doivent être pures !
Que cette bouche, que ce lieu
Où loge si souvent un Dieu
Doit être bien purgé d’ordures !
O prêtres, que tout votre corps
Doit avoir dedans et dehors
Une intégrité consommée !
Et qu’il faut voir de sainteté
Dans cette demeure animée
De l’auteur de la pureté !
Une bouche si souvent prête
A recevoir le sacrement
Doit prendre garde exactement
Qu’il n’en sorte rien que d’honnête.
Loin tous inutiles discours
D’un organe qui tous les jours
A Jésus-Christ sert de passage ;
Point, point d’entretien que fervent ;
Point d’œil que simple, chaste, et sage,
En qui l’approche si souvent.
Vos mains, qui touchent à toute heure
L’Auteur de la terre et des cieux,
Doivent accompagner vos yeux
A s’élever vers sa demeure.
Songez bien surtout que sa loi
Vous demande un sévère emploi
Qui réponde au grand nom de prêtre ;
Et que, lorsqu’il y dit à tous,
« Soyez saints comme votre Maître, »
Il parle aux autres moins qu’à vous.
Seigneur, qui de ce caractère
Nous as daigné favoriser,
Ne nous laisse pas abuser
De son auguste ministère ;
Aide-nous, fais-nous dignement
Former un dévot sentiment
Par l’assistance de tes grâces,
Afin qu’en toute pureté
Nous puissions marcher sur tes traces,
Et mieux servir ta majesté.
Que si de l’humaine impuissance
L’insensible et commun pouvoir
Relâche trop notre devoir
De ce qu’il lui faut d’innocence,
Fais que de sincères douleurs
Effacent à force de pleurs
Tout ce qui s’y coule de vice ;
Et que, ravis de ta bonté,
Nous attachions à ton service
Une humble et ferme volonté.

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