Théologie Systématique – IV. De l’Église

III
Constitution Intérieure

1. Confessions de foi

Son importance pour le Protestantisme.– Cinq opinions, ramenées à trois systèmes : — « Séparatisme » ; « Latitudinarisme » ; « Système intermédiaire » : Réformation).

Rappelons que du double caractère d’institution et d’association, résulte le double principe d’autorité et de liberté et le double devoir de fidélité et de condescendance. A côté d’un esprit de sainte rigidité pour la pureté de la foi et de la vie évangélique, il respire dans le Nouveau Testament un large esprit de support et d’union. S’il réclame avant tout l’unité intérieure en Jésus-Christ, Chef suprême de l’Église, il n’en insiste pas moins sur l’unité extérieure qui, rassemblant toutes les communautés en un vaste organisme, doit donner à la terre une image du Royaume des Cieux. L’unité intérieure peut être ou dogmatique, ou disciplinaire, ou morale ; c’est sous les deux premières formes que l’ont généralement considérée la théologie et l’ecclésiologie ; c’est surtout sous la troisième que la présente le Nouveau Testament ; quoique les deux autres s’y trouvent aussi au rang qui leur appartient, puisque l’unité véritable et complète naît de l’harmonie ou de la fusion des trois formes. Le grand devoir de l’union, nous avons essayé de le montrer ailleurs, dérive des faits et des principes scripturaires, de bien des préceptes directs et des exemples de l’Église apostolique. Les chrétiens doivent marcher tout ensemble dans la vérité et dans la charité. En demeurant soi-même ferme dans la foi, il faut être plein de support pour les faibles. La fidélité et la condescendance se contrôlent réciproquement, se limitant, se contenant, se complétant l’une l’autre. La séparation n’est légitime que lorsque l’union est devenue moralement, impossible ; elle n’est un droit qu’autant qu’elle est un devoir.

L’histoire montre que ces principes collatéraux n’ont pas toujours été envisagés et maintenus dans leur rapport normal. Généralement l’un a été exagéré au détriment de l’autre : de là des doctrines incomplètes, des tendances extrêmes, des luttes et des ruptures que le véritable esprit de l’Évangile aurait prévenues. Le Protestantisme en particulier, par suite même de sa position (car il sortait d’une rupture), a généralement plus insisté sur le devoir de la fidélité que sur celui de la condescendance ; il s’est plus préoccupé de la pureté de la doctrine que de l’union de l’Église ; une des faces de l’enseignement sacré a été, sinon méconnue, ce qui ne pouvait être avec la Bible constamment ouverte devant tous, du moins voilée en partie, amoindrie ou négligée à bien des égards ; elle n’a pas obtenu dans la pensée et la vie générale son développement régulier, son légitime empire. De cette erreur, ou de cet oubli, il est sorti deux directions contraires, dont l’une va aboutir à un séparatisme illimité (indépendantisme, — individualisme), tandis que l’autre, dans sa réaction, conduit ici sur les bords du Catholicisme (puseysme et confessionalisme), et jette là dans l’indifférentisme et le latitudinarisme dogmatique le plus extrême (Alliance universelle, par exemple).

Il importe souverainement que le Protestantisme relève sa doctrine, ou plutôt la doctrine du Nouveau Testament sur l’Église, afin de se mettre en garde contre les dangers qui le menacent au dedans et au dehors. Il a besoin, pour se défendre avec succès des attaques réunies de l’ecclésiasticisme et de l’individualisme, de s’appuyer de plus en plus sur le double principe et le double devoir qu’emporte la notion scripturaire de l’Église, et où il a son fondement réel. Les circonstances lui en imposent l’urgente nécessité. Il faut qu’acceptant pleinement les deux ordres de données et d’obligations évangéliques, il les combine de manière que chacun obtienne la place et l’influence qui lui revient. Il n’est lui-même, il ne peut être fort, qu’autant qu’il reflète purement et largement l’esprit des Ecritures. Sa doctrine ecclésiastique, comme sa doctrine dogmatique, doit reproduire intégralement la doctrine biblique ; là est la condition de sa puissance et de sa durée, car là est la raison de son existence. Le Protestantisme est le biblicisme, ou il n’est rien, redisons-le ; s’il perd cette base, il perd terre, et il dérive ou vers le Catholicisme ou vers le rationalisme ou vers l’illuminisme.

Les Livres saints, en laissant à l’Église une grande liberté d’organisation et d’action, ont pourtant posé les lois fondamentales qu’elle doit suivie, en déterminant ses caractères constitutifs. Les deux principes que nous rappelions tout à l’heure y sont pressés comme règles générales et permanentes ; ils sortent du fond même du Christianisme, ils naissent de son esprit et de son but, ils tiennent à son essence, car ils ne sont, en dernière analyse, que la foi et la charité sous une forme ou dans une application spéciale. On ne saurait donc faire céder ces principes l’un à l’autre ; il serait criminel de l’entreprendre et impossible d’y réussir. Toutes les théories qui ne les retiendront pas également seront à la fois partielles et excessives, et, par conséquent, impuissantes et éphémères, quelque spécieuses que les fasse l’esprit du temps ; la conscience chrétienne, réclamant contre elles au nom des faits de révélation, les mine et les renverse tôt ou tard. Solutions fragmentaires du problème ecclésiastique, elles ne peuvent que jeter alternativement dans les extrêmes, en traversant toujours le centre, où serait le repos, la force et la vie, parce que là seulement est la vérité et l’ordre divin.

Nous n’avons à nous occuper ici que des systèmes. Il s’agit, non d’appliquer, mais d’examiner et de juger. L’heure de l’organisation du Protestantisme, ou du Christianisme évangélique, n’est pas venue ; mais elle se prépare, nous le croyons, au sein des ébranlements et des conflits de nos jours : elle approche peut-être, car tout marche vite maintenant, idées et choses ; et il importe, pour que cette heure ne surprenne pas le Protestantisme, de rechercher, sans préventions, quelle est la charte constitutive que lui recommande la double lumière des faits et des principes, de l’expérience et de l’Ecriture.

La question de la constitution intérieure de l’Église est, au fond, celle des symboles, des confessions de foi, des formulaires de doctrine, de la règle disciplinaire et dogmatique. Il existe à cet égard cinq systèmes : 1° Formation d’Églises pures, où la foi admise est exigée de tous et professée par tous ; 2° Retour aux anciens symboles de la Réformation ; 3° Réduction des formulaires aux seuls points vraiment fondamentaux ; 4° Substitution des liturgies et des catéchismes aux formulaires ; 5° Abolition de toute loi et de toute autorité doctrinale.

Nous pouvons ramener ces systèmes à trois, ainsi que nous l’avons fait ailleursa. Deux extrêmes qui, exagérant chacun lune des données évangéliques, la faussent, par cela même, soit en la développant outre mesure, soit en l’enlevant au contrôle de la donnée collatérale ; et un système intermédiaire, qui s’efforce de maintenir les deux données et les combine dans des proportions diverses. L’un est le séparatisme ; l’autre, le latitudinarisme ; le troisième fut celui des Réformateurs et il régit encore, ou est censé régir les grandes communautés protestantes : on pourrait l’appeler le système protestant.

a – Ire Partie, chap. I : Théories ecclésiastiques.

Ce dernier système présente de plus grandes difficultés d’application que les deux autres. La raison en est simple. Les deux principes qu’il veut faire marcher parallèlement paraissent souvent se croiser et se heurter. Il est bien plus aisé d’attacher à l’un une telle prédominance que l’autre soit contraint de céder dès qu’il y a collision entre eux. Cela fait, la voie est libre ; plus de scrupules et presque plus d’obstacles ; on goûte le repos que donne la simplicité de conviction et de direction. Or, voilà la position que beaucoup de gens semblent s’être faite sur la question qui nous occupe ; ou ils ne regardent qu’à la fidélité et à la vérité, ou ils ne s’inquiètent que de l’union. Dès lors, qu’est-ce qui pourrait les arrêter ou les troubler la plupart du temps ? leur parti est pris d’avance. Mais ils oublient que dans les réalités il se rencontre presque partout le multiple, au lieu de cet un, de cet absolu que rêve l’esprit humain. La nature et la vie sont, de mille côtés, sous l’action de forces diverses et en apparence contraires ; et c’est l’équilibre de ces forces qui fait l’harmonie du monde. Il en est de même dans l’Église. Si la logique répugne à ce dualisme qui la gêne, il faut bien que la raison et la foi le reconnaissent et le respectent, puisqu’il est décidément au fond des choses.

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