Théologie Systématique – IV. De l’Église

4. Pédobaptisme

Pédobaptisme. Autorisé par le même principe qui autorise le multitudinisme : 1° argument dogmatique ; 2° argument historique : a) pris des circonstances et des indications apostoliques (Textes) ; b) pris de la tradition (Tertullien, Cyprien, Origène, Augustin, etc.). — Réponse aux objections. — L’importance attachée à cette question tient aux discussions sur la constitution de l’Église. — Autres questions se rattachant au baptême.

Doit-on, ou peut-on baptiser les enfants ? Cette question, que les préoccupations ecclésiastiques de nos jours rendent si grave, est déjà résolue pour nous, d’après l’un des caractères ou des éléments constitutifs de l’Église. Nous avons vu que, par sa base supramondaine, l’Église peut être multitudiniste, et que, par sa destination, elle doit l’être. Elle l’est dans les paraboles qui la prophétisent : elle le fut dans sa formation, s’ouvrant à qui voulut entrer (Actes ch 2) ; elle le fut dans sa composition première (Epîtres). Or, du multitudinisme, le pédobaptisme. Aussi les adversaires de ce dernier le sont-ils également du premier.

Mais examinons la question au point de vue sous lequel elle est ordinairement envisagée et discutée. — Le Nouveau Testament n’a non plus rien de formel sur ce point ; et’ce silence même était un enseignement si l’on avait su le comprendre. — Tertullien condamne le pédobaptisme ; ainsi firent plus tard les Manichéens ; dans le Moyen Age, les Pétrobussiens et certains Albigeois ; et à la Réformation, les Anabaptistes ; ainsi font aujourd’hui les Baptistes. dans leurs diverses directions théologiques et ecclésiastiques. — L’opinion contraire a universellement prévalu. Parmi les arguments sur lesquels on la légitime, nous en indiquerons seulement deux, l’un dogmatique, l’autre historique.

Argument dogmatique. — La circoncision, signe d’admission chez le peuple ancien, sceau de la justice qui vient de la foi (Romains 4.11 ; Galates 3.17-18), symbole de la régénération (Deutéronome 30.6 ; Jérémie 4.4 ; 9.26 ; Romains 2.28-29), dont le sens spirituel était à tous ces égards le même que celui du baptême, qui l’a remplacée (Colossiens 2.11), la circoncision était donnée aux enfants ; n’est-il pas naturel d’en conclure que les enfants peuvent et doivent recevoir aussi le baptême ? Le raisonnement analogique conduit là manifestement. — On dit, il est vrai, que le Nouveau Testament lie la foi au baptême (Marc 16.16 ; Matthieu 28.19).

Mais, pour les adultes, il en était de même de la circoncision. Cela n’en excluait pourtant pas les enfants. — Ce qu’on ajoute, que le baptême administré aux enfants n’a ni sens, ni but, ni effet, pouvait se dire également de la circoncision, et cependant la circoncision des enfants était ordonnée. — Si l’on insiste, en s’appuyant sur ce qu’il n’existe pas de pareil précepte pour le baptême, nous répondrons que c’est assez que cet ordre n’ait point été formellement révoqué pour légitimer l’induction qu’en a tirée l’Église universelle ; il demeure comme preuve que les enfants peuvent être admis dans l’Alliance ou dans l’Église de Dieu par le rite nouveau, comme ils l’étaient par le rite ancien, et que leur âge ne crée pas les empêchements dirimants dont on parle.

Argument historique. —Mais plaçons-nous au centre des idées et des coutumes au milieu desquelles vivaient les apôtres pour essayer de comprendre comment ils entendaient le commandement : « Allez… amenez à moi toutes les nations, etc. » (Matthieu 28.19). Les apôtres étaient Juifs. ; les enfants des Juifs étaient circoncis ; ceux des prosélytes, alors très nombreux, l’étaient en même temps que leurs pères, et non seulement ces prosélytes étaient circoncis avec leurs enfants en entrant dans le Judaïsme, mais ils étaient de plus baptisés les uns et les autres. Ces faits, universellement connus et respectés, ne conduisaient-ils pas les premiers évangélistes et les premiers croyants, tous judéo-chrétiens, à considérer le sacrement de la Nouvelle Alliance comme appartenant aussi aux enfants, lorsqu’aucune explication contraire n’était donnée, lorsque surtout divers traits de l’enseignement du Sauveur indiquaient qu’il voulait ouvrir à l’enfance son Royaume ou son Église (Matthieu 19.13-14 ; Marc 1.13-14 ; Luc 18.15-16). Ces petits enfants (βρέφη, selon saint Luc), que Jésus appelle à lui, ne pouvaient certes comprendre sa parole (ce qui fait tomber l’objection principale dirigée contre le pédobaptisme) ; il veut cependant qu’on les lui conduise, et il leur impose les mains, et il prie pour eux, et il les bénit. Ces traits, si touchants, n’autorisent-ils pas, ou, pour mieux dire, n’obligent-ils pas les parents chrétiens à lui consacrer leur jeune famille ? Est-il possible que le cœur d’un père et d’une mère fidèles ne trouve pas là un devoir sacré ? C’est à tel point que beaucoup de baptistes présentent leurs enfants au Seigneur immédiatement après leur naissance, c’est-à-dire qu’à part l’effusion de l’eau, ils font ce que nous faisons et qu’ils nous reprochent. L’esprit de ces passages est certes tout en faveur du pédobaptisme ; s’ils n’en parlent pas, ils y portent et y poussent, par cette logique du cœur ou de la conscience, plus forte et plus sûre que celle de la science.

D’après leurs idées et des analogies toutes naturelles, les apôtres devaient donc prendre en ce sens la parole de Jésus. Voyons s’il n’y a rien dans leurs écrits qui nous montre qu’ils l’ont ainsi entendue, — Le jour de la Pentecôte, saint Pierre, en exhortant ceux qui l’écoutent à se faire baptiser au nom de Jésus-Christ, leur annonce que la promesse est pour eux et pour leurs enfants (Actes 2.33-39). Comment interpréter cette déclaration, adressée par un Juif à des Juifs, quand on la rapproche de celle du Seigneur à Abraham (Genèse 17.7-10) ? La parité des termes dans les deux promesses, ou, pour parler plus exactement, dans les deux promulgations de la promesse, ne devait-elle pas faire supposer la parité des privilèges sous les deux Alliances, et, par conséquent, le droit des enfants à recevoir sous l’une comme sous l’autre le sceau de la justice de la foi (Romains 4.11) ? Cette induction était d’autant plus naturelle que l’universalisme chrétien ne permettait certes pas de croire que le privilège accordé sous le particularisme juif, eût été restreint dans l’Église. Si donc le texte ne donne pas formellement le pédobaptisme (puisque le terme d’« enfants » peut s’y entendre dans le sens général de postérité), il semble pourtant l’impliquer et l’autoriser. — Saint Paul déclare (1 Corinthiens 7.14) que les enfants des chrétiens sont saints, et qu’ils le sont là même où l’un des parents est païen, parce que le mari fidèle sanctifie la femme infidèle, et la femme fidèle le mari infidèle : expressions qu’on ne peut appliquer qu’à cette sorte de pureté légale, de sainteté extérieure qui distinguait le peuple de Dieu de tous les autres, suivant le sens judaïque des mots ἅγιος et ἀκάθαρτος (Actes 10.28 ; 2 Corinthiens 6.17). Or, l’Église est, au point de vue chrétien, ce peuple de Dieu, cette nation sainte (1 Pierre 2.8) séparée du monde. Et si les enfants appartiennent à l’Église, ils ont évidemment droit au baptême qui en ouvre les portes.

Ces paroles des apôtres s’expliquent encore et se confirment par leurs actes, quoique les actes restent indéterminés comme les paroles. Ils baptisaient les familles entières des convertis : Lydie fut baptisée avec sa maison (Actes 16.15), le geôlier de Philippes avec tous les siens (Actes 16.33), de même Stéphanas (1 Corinthiens 1.16). — Il est possible, dit-on, qu’il n’y eût pas là d’enfants. Oui, mais il est possible qu’il y en eût, et il reste toujours que les auteurs sacrés ont choisi l’expression la plus large et qu’ils l’ont employée sans limitation ni correctif, ce qui serait certes fort extraordinaire si dans leur pensée le pédobaptisme eût été illicite. Supposez des missionnaires, dont nous voudrions connaître l’opinion au sujet du baptême, d’après une courte relation de leurs travaux où ce point ne serait pas directement traité. Si nous y trouvions ces deux ou trois traits, qu’ici ils ont baptisé la maison d’un chef, là une personne avec toute sa famille, ailleurs une autre avec tous les siens ; qu’en conclurions-nous ? rangerions-nous ces missionnaires parmi les baptistes ?c — Or, c’est exactement le cas du Nouveau Testament, avec cette circonstance capitale qu’il importait d’autant plus de s’expliquer alors sur le baptême des enfants, si on l’eût rejeté, que les principes et les usages juifs conduisaient à l’admettre, d’après le rapport manifeste, et plusieurs fois marqué d’ailleurs (Colossiens 2.12) entre le rite ancien et le rite nouveau.

c – Voy. Wood : Lectures on infant’s baptism.

Passons à un autre ordre de considérations.

L’histoire nous montre de bonne heure la pratique du pédobaptisme dans l’Église, et quoique, sur ce point comme sur tant d’autres, nous n’ayons pas pour les premiers temps des documents précis, des attestations directes et formelles, tout conduit à croire que cette pratique remonte jusqu’à l’âge apostolique. Justin et Irénée semblent y faire allusion.

Tertullien la révèle en la combattant :

Origène la représente comme générale et comme venant des apôtres :

Elle est mentionnée en termes tout aussi exprès par Cyprien :

Optat, Grégoire de Nysse, Grégoire de Naziance :

Ambroise, Chrysostôme, Augustin, etc., etc., ne sont pas moins formels. Ce dernier, comme Origène, appelle le pédobaptisme une « tradition apostolique », une « coutume universelle » ; il s’en sert constamment dans ses controverses, surtout avec les Pélagiens, dont la conduite mérite d’être remarquée. Le baptême des enfants les gênait beaucoup d’après les idées qu’on se formait alors de ce rite et la vertu mystique qu’on y attachait universellement. On s’en servait depuis longtemps pour prouver le dogme ecclésiastique auquel ils étaient le plus hostiles, le péché originel (Origène, Cyprien, etc.). Cependant, au lieu de s’attaquer au pédobaptisme, ils l’admirent au contraire, malgré la nécessité où il les plaçait de se jeter dans des hypothèses étranges pour en rendre compte dans leur théorie. Ainsi, distinguant entre la vie éternelle et le Royaume des Cieux, ils disaient que l’enfant obtient bien la vie éternelle par sa pureté native, mais qu’il n’obtient le Royaume des Cieux que par le baptême qui élève l’homme à une existence morale plus haute que celle qu’il possède naturellement ; ou bien ils disaient que le baptême administré dans la première enfance était comme une provision de grâce, qui s’appliquait aux péchés commis plus tard. N’était-il pas plus simple de nier l’ancienneté et l’apostolicité de cette pratique, si c’eût été possible ? Ils ne le firent pas, et personne ne paraît l’avoir fait dans les premiers siècles. L’argument historique est donc aussi formel qu’on puisse le désirer.

On a dit, il est vrai, que le pédobaptisme était né des opinions sur l’efficacité du baptême et de sa nécessité pour le salut. Mais peut-être serait-il plus exact de dire qu’il contribua lui-même à développer ces opinions. Dès qu’on supposait, et on le fit de bonne heure (Origène), qu’il purifiait les nouveau-nés de la souillure originelle, on devait en conclure aussi qu’il effaçait tous les péchés. Du reste, ces idées, dont les germes se montrent dès les premiers temps de l’Église, portèrent tantôt à hâter le baptême (Cyprien), tantôt à le retarder (Tertullien). Le principe une fois posé, on en inféra, ici qu’il fallait recevoir l’eau régénératrice au plus tôt, de peur de s’exposer à perdre le salut, là qu’il fallait remettre le plus possible, de peur de s’exposer à perdre la grâce qu’elle confère.

En résumé, le baptême des enfants a pour lui des données scripturaires et historiques qui le légitimentd ; il est une des cérémonies les plus touchantes, quand l’esprit chrétien y préside ; il symbolise, aussi bien que celui des adultes, les vérités et les grâces évangéliques ; il rend l’éducation religieuse de l’enfance en quelque sorte plus obligatoire et plus sainte ; l’Église ne l’accorde que sous la responsabilité des chefs de famille et des parrains ; et elle en fait renouveler le vœu à la première communion.

d – Non. Prosper Jalaguier a seulement montré qu’il n’y avait pas de données scripturaires explicitement contre le baptême des nourrissons ; mais il n’en existe pas davantage pour. L’évolution du protestantisme évangélique lui a d’ailleurs donné tort sur ce point, la majorité des dénominations évangéliques ne pratiquant pas le pédobaptisme. (ThéoTEX)

Nous sommes donc pleinement autorisés à le retenir.

L’Ecriture n’ayant rien déterminé sur l’époque, non plus que sur la forme de ce rite religieux, on ne peut que s’étonner et gémir des divisions auxquelles ces points secondaires ont donné lieu.

Il convient de rappeler ici que l’importance attachée aujourd’hui à cette question tient généralement à d’autres causes que sa valeur propre. Elle a son origine et sa base réelle dans les discussions relatives à la constitution de l’Église. Le puritanisme, ou l’individualisme conséquent, conduit, par une nécessité logique, à l’antipédobaptisme en conduisant à l’antimultitudinisme. Les anabaptistes du xvie siècle sentirent qu’il fallait aller jusque-là et ils n’hésitèrent point. Les indépendants y sont arrivés peu à peu ; et tous les systèmes séparatistes y tendent. Si l’Église n’est que la communion des saints ou la libre association des croyants, si l’on n’en devient membre que par une adhésion volontaire et réfléchie, le baptême des enfants est une grossière anomalie, un véritable non-sens. Les principes individualistes mènent nécessairement à cette conclusion. Mais en face des croyances si anciennes et si universelles qu’elle heurte, cette conclusion ne semble-t-elle pas indiquer que les principes dont elle sort recèlent quelque erreur ? D’un autre côté, les partisans et les promoteurs de ces principes ne devraient-ils pas éprouver certains scrupules ? car ils font généralement leur fort de la conscience chrétienne, et s’il est une pratique que la conscience chrétienne ait inspirée, légitimée, consacrée, c’est bien celle qu’ils sont conduits à révoquer en doute et à battre en ruine. Récuser la conscience sur certains points, c’est infirmer son autorité sur tous.

Bien d’autres questions se rattachent au baptême. On a demandé :

1° S’il peut être administré par un laïque ? — L’opinion commune est qu’il peut l’être dans les cas de nécessité. Cette opinion, qui remonte à Tertullien, fut générale aux époques où l’on considéra le baptême comme absolument essentiel au salut. Elle est restée dans l’Église romaine qui accorde le droit de baptiser, en ces cas-là, même aux sages-femmes et aux infidèles (hérétiques, Juifs, etc.), pourvu qu’en le faisant, ils aient l’intention de faire ce que fait l’Églisee. Elle a été admise à quelque degré par les Luthériens et les Anglicans. Les presbytériens (Calvinistes) l’ont rejetée, et parce qu’elle tend à nourrir de fausses notions sur la vertu intrinsèque du baptême, et parce qu’elle peut porter atteinte à l’ordre de l’Église en empiétant sur les attributions du clergé ; car il y a toujours eu des personnes, comme les Marcionites, les Montanistes, les Anabaptistes, etc., et aujourd’hui les Plymouthistes, qui ont contesté sous ce rapport ou même à tous égards les droits et les privilèges des pasteurs.

eCatéch, de Trente, IIe partie, § 22.

2° Le baptême doit-il être réitéré ? — Les Mendéens (chrétiens de saint Jean, hemerobaptistes) ont un baptême quotidien. On dit que Marcion baptisait deux et trois fois. Dans les premiers siècles, on discuta vivement sur le baptême des hérétiques. Les Africains et les Donatistes, en particulier, rebaptisaientf. Les Ariens le firent aussi. Les Anabaptistes le firent plus tard ; les Baptistes le font aujourd’hui. Depuis le ve siècle, l’opinion générale est que le baptême est valide, et qu’il ne doit point être renouvelé dès qu’il a été administré selon la formule évangélique. Actes 19.5 n’est point contre cette opinion.

f – Cyprien se fondait sur ce que la parole des hérétiques, de même que des impies, ne pouvait conférer à l’eau, dans l’acte de consécration, sa vertu mystique.

3° Que penser de l’institution des parrains ? — Quoiqu’elle n’ait aucun fondement scripturaire, elle est fort ancienne (Tertullien) ; elle est bonne en elle-même, et il convient de la conserver.

4° Quel est le rapport des enfants baptisés avec l’Église ? — On peut dire qu’ils appartiennent à l’Église extérieure générale, qu’après leur première communion ils appartiennent à l’Église particulière où ils ont prononcé leurs vœux, et que soit avant leur première communion, soit après, ils appartiennent à l’Église intérieure dès que la foi et la vie spirituelle ont pénétré dans leur âme.

Les rites du baptême se sont multipliés et ont souvent varié dans le cours des âges. On y joignit l’onction, le signe de la croix, l’imposition des mains, les vêtements blancs, l’exorcisme, etc. La Réformation l’a ramené à sa simplicité primitive ; cependant l’Église luthérienne a retenu l’exorcisme et l’Église anglicane le signe de la croix. Dans l’Église romaine, on baptise des choses inanimées, les cloches, les vaisseaux par exemple ; toutes les autres Églises ont rejeté cette pratique superstitieuse où elles ont vu une profanation du rite chrétien.

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