Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

Appropriation du Salut

I
La dispensation de justice et la dispensation de grâce

1. Deux moyens de salut : par la loi, par la foi

Par quel moyen l’homme peut-il avoir part au salut qui est en Jésus-Christ ? — C’est la question suprême. — La Bible répond : par la loi (ou par les œuvres), par la foi (ou par grâce). — L’Évangile n’a pas abrogé la loi.

Nous avons établi la doctrine de l’expiation sur laquelle repose la dispensation de grâce, et qui forme par conséquent un des principaux objets de la foi, mais dont l’importance suprême ne devient réellement sensible que par l’éveil de la conscience, dans la disposition intérieure nommée conviction de péché. Le pardon est l’élément fondamental du salut et, en un sens, le salut lui-même. La loi nous condamne, et ses prescriptions, non plus que ses sanctions, ne sauraient être anéanties. Jésus-Christ nous a obtenu l’amnistie céleste après laquelle ont soupiré toutes les âmes préoccupées de leur état moral et de leur avenir éternel. Médiateur entre Dieu et les hommes, il s’est donné en rançon pour tous… Il nous a rachetés de la malédiction de la loi en se faisant malédiction pour nous. Aussi saint Paul déclare-t-il qu’« il ne veut savoir autre chose que Jésus- Christ et Jésus-Christ crucifié. »

Mais par quel moyen l’homme peut-il avoir part au salut qui est en Christ, ou, en d’autres termes, s’approprier les bienfaits de la rédemption ?

Cette question, à part sa forme chrétienne sous laquelle nous avons à l’examiner spécialement, est celle que la conscience de l’humanité s’est adressée en tout lieu, en tout temps, et à laquelle répondent les pratiques expiatoires des anciens cultes. C’est celle que nous rencontrons fréquemment dans la Bible… C’est la question que les apôtres discutent constamment auprès des Juifs, auprès des païens et auprès des chrétiens eux-mêmes, parce que c’est la question des questions pour des êtres pécheurs en marche vers le jugement… Que font-ils tous en s’élevant contre toutes les aberrations dogmatiques et morales, en rétablissant sur tous les points la vérité ; que font-ils que déblayer le sentier de la justice et de la vie à mesure qu’on l’obstrue, que réintégrer la doctrine du salut à mesure qu’on l’altère ? Et que font les prédicateurs et les théologiens, les uns dans la sphère pratique, les autres dans la sphère théorique, que constater et montrer ce qu’ils croient la seule route sûre de la réhabilitation, le seul moyen vraiment efficace de rentrer et de demeurer en communion avec Dieu ?

C’est donc bien la question suprême. S’arrêter à une solution erronée ou incomplète, c’est se méprendre sur la voie qui mène à la vie, méconnaître le nouveau chemin du Ciel, passer à un autre Évangile, déchoir de la grâce. Les Réformateurs l’avaient vivement senti ; et ce fut ce qui motiva leur œuvre et fit leur puissance. L’article de la justification était à leurs yeux le point radical de la doctrine de la vie chrétienne : « Articulus stantis aut cadentis Ecclesiæ », selon l’expression de Luther, qui a dit encore : Amisso articulo justificationis, simul amissa est tota doctrina christiana. ».

A cette grande question, la Bible fait deux réponses générales. Elle indique la justification par la loi, ou par les œuvres, et elle enseigne la justification par la foi, ou par grâce ; l’une tenant à l’alliance de justice, l’autre à l’alliance de miséricorde ; tellement distinctes qu’elles paraissent contraires et tellement unies au fond qu’elles s’appellent mutuellement et finissent par ne faire qu’un.

La première, impliquée dans le commandement de Genèse 2.16-17, est exprimée dans plusieurs passages de l’Ancien et du Nouveau Testament (Lévitique 18.5 ; Deutéronome 5.25 ; 27.26 : Fais ces choses, et tu vivras ; Matthieu 19.17 : Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements ; Matthieu 25.46, etc.). Cette idée traverse en réalité tout l’enseignement moral de Jésus-Christ et des apôtres aussi bien que celui de Moïse et des prophètes (Matthieu 5.3-10 et tout le Sermon de la Montagne, etc,). Il n’en peut être autrement, puisque, à la notion du bien et du mal, la conscience religieuse unit indissolublement celle de peine et de récompense, et que l’Évangile met en évidence les rétributions futures en même temps que la vie et l’immortalité…

Cette voie de justification est donnée par la conscience comme par la Bible. Elle tient à l’ordre universel et éternel du monde moral, qui veut que la fidélité élève à un degré supérieur de perfection aussi bien que de béatitude, et que la violation du devoir, le péché, produise la dégradation et une misère croissantes. Le commandement de Dieu est la vie, dit le Seigneur (Jean 12.50). Celui qui le garde puise dans sa justice la félicité et la gloire ; il monte vers le Ciel des Cieux. Celui qui l’enfreint perd et la place plus haute à laquelle il pouvait aspirer dans l’échelle des êtres ou des mondes, et la place qu’il occupait déjà ; il descend vers les Enfers : progression redoutable, dont la loi donne le principe et le jugement la mesure.

Il n’est pas rare qu’on oppose cette révélation du sentiment religieux et moral à la doctrine chrétienne, et, dans le Christianisme lui-même, le jugement selon les œuvres à la justification par grâce. On le fait souvent par mauvais vouloir, mais souvent aussi par pure erreur, faute de lumières suffisantes sur l’œuvre réelle de la loi ; et il ne faudrait ni s’en étonner ni s’en scandaliser. La conscience fut donnée à l’homme avant la chute, et ce sont les prescriptions de la dispensation primitive, toujours subsistante, qu’elle révèle. Elle atteste l’ordre éternel, en proclamant que le bien sort du bien et le mal du mal. Il est donc tout simple qu’elle pousse immédiatement à chercher le salut par les œuvres, c’est-à-dire par la sanctification ou par l’amendement. Cette marche est naturelle et, sous bien des rapports, légitime et bonne. Au lieu de la condamner et de la brusquer, il serait mieux de l’éclairer et de la régler. Elle mène à Christ par la véritable route (Galates 3.24 ; Romains 10.4). Ceux qui la suivent sérieusement sont, comme on l’a dit, les candidats inconscients de la grâce. Elle aboutit à l’Évangile, dont elle semble éloigner. Il faut traverser le Sinaï pour arriver réellement au Calvaire… cette marche est celle des dispensations et des révélations divines. L’économie légale a précédé et préparé l’économie évangélique. L’économie évangélique elle-même s’est ouverte et par la prédication de la repentance, (ce fut l’œuvre de Jean-Baptiste), et par la prédication de la loi morale dans sa sainte spiritualité (ce fut le principal objet de l’enseignement de Jésus-Christ). Les hommes qui veulent faire sincèrement et pleinement la volonté de Dieu, peuvent être considérés comme de futurs disciples du Sauveur. Mais souvent on les déroute, en leur présentant avant le temps certaines formules théologiques de la justification ; tandis que le travail interne qui se faisait en eux les aurait conduits à l’admettre, lentement peut être, mais sûrement. Là est le danger de prêcher cette grande doctrine sous des formes plus dogmatiques que pratiques, et de l’offrir ainsi à des personnes qui ne sont ni préparées à l’entendre ni capables encore de la porter. Ne la comprenant pas, elles en deviennent aisément les adversaires par la fausse idée qu’elles s’en font. Une triste mais instructive expérience le montra en bien des lieux au commencement du Réveil.

Laissez la loi convaincre de jugement, en faisant son œuvre entière. L’homme qui s’efforce de la suivre est contraint par l’épreuve de lui même de se reconnaître impuissant à l’observer. Ce n’est donc plus la justification et la vie qu’il doit on attendre, c’est la condamnation et la mort : il ne peut plus aller au Ciel par cette route ; le péché y a creusé un abîme que personne ne saurait franchir ; et si une voie nouvelle ne lui eût été ouverte, il n’y aurait pas de salut pour lui.

Mais l’Évangile n’anéantit point la loi ; sous la dispensation de grâce, la dispensation de justice n’est point abandonnée ; elle ne peut l’être, car elle est le fondement du monde moral. Les deux dispensations se mêlent sans cesse l’une à l’autre pour pousser les âmes tout à la fois dans l’asile de la clémence et dans la voie des commandements. Elles s’unissent et se fondent ensemble dans l’Écriture, comme s’allient en Dieu la sainteté et la miséricorde. Elles le font dans les deux Testaments, car l’Évangile en tant que promesse existait sous la loi ; et la loi, en tant que norme, reste sous l’Évangile…

L’homme est délivré en Jésus-Christ des peines et des terreurs de la loi ; mais il ne l’est qu’en revenant à la loi dans son cœur et en s’efforçant d’y conformer sa vie tout entière. Ce n’est plus, il est vrai, la voie de la justice qui mène au Ciel, c’est celle de la miséricorde ; mais cette dernière n’aboutit que pour ceux qui reprennent la première. Au point de rencontre de ces deux routes se placent la doctrine de la régénération et celle du jugement qui, associant l’obligation à la grâce, retentissent de mille manières à travers la parole de réconciliation. La vie éternelle est tout ensemble le don de Dieu en Jésus Christ, et le fruit du travail de l’homme. (Romains 6.22-23 ; Galates 6.8 ; etc.)

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