Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

2. Notion évangélique de la foi

Deux acceptions générales du terme si compréhensif de « foi » : croyance et confiance ; — élément moral ou mystique à côté de son élément intellectuel. — Solifidiens. — La foi des nouvelles directions théologiques n’est souvent que de l’ « opinion » ; — elle manque de fermeté et de force parce qu’elle manque de base à bien des égards.

En un sens, la foi chrétienne et la vie chrétienne ne font qu’un. La véritable foi porte en elle la vie spirituelle, comme la cause son effet, comme l’arbre son fruit ; d’où une confusion fort commune et fort grave, qui s’étend du point de vue dogmatique au point de vue pratique. La foi et la vie de la foi, parfaitement distinctes dans l’Écriture, le sont en principe et en fait par la nature même des choses, malgré l’étroit rapport de filiation qui les unit.

Le substantif πιστις, comme le verbe πιστευω, a des significations diverses dans le Nouveau Testament. En retenant pour le fond le sens classique, il y reçoit cependant des modifications très prononcées qui en font un des termes les plus caractéristiques et les plus riches de la langue chrétienne. Il s’emploie quelquefois objectivement pour le Christianisme lui-même : fides quæ creditur (Actes 6.7 ; Galates 1.23 etc.,). L’Évangile est appelé το ρημα της πιστεως (Romains 10.8 ; 1 Timothée 4.6). Il est même pris (Actes 17.31) dans une acception purement classique — qui ne revient nulle autre part, si je ne me trompe — pour le motif de conviction, la raison de croire : πιστις παρασχων πασιν. Mais c’est subjectivement qu’il est généralement employé : fides qua creditur. Il désigne alors la fidélité (Romains 3.3 ; Tite 2.10 : état particulier de la conscience religieuse et morale ; Romains 14.22-23. Cf. 1 Corinthiens 8.11-12) la ferme persuasion des choses invisibles (Hébreux 11.1-6) ; la confiance en Dieu, en Jésus-Christ, en Dieu par Jésus-Christ ; car la foi en Dieu et la foi en Christ ne sont qu’un (Actes 16.31-34), comme le royaume de Christ et de Dieu (Éphésiens 5.5). Dans cette dernière acception, la plus générale et la seule qui nous intéresse en ce moment, la foi est l’acquiescement de l’âme à tout ce que Dieu a fait par Jésus-Christ, à tout ce qu’annonce et promet l’Évangile ; elle est nommée πιστις ευαγγελιου (Philippiens 1.27) : elle a pour élément fondamental une pleine adhésion à la Parole divine, d’où résulte un abandon d’esprit et de cœur qui change la direction de la vie et produit ce nouveau rapport religieux qu’on a nommé l’union mystique. Ceux qui reçoivent ainsi l’Évangile sont les fidèles (οι πιστοι, terme qui, à côté de cette signification stricte, en a une plus large et désigne les chrétiens en général). En embrassant l’ensemble de la Parole divine, la foi en détache des points particuliers qu’elle contemple alternativement ; elle se porte et se fixe tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre, jusqu’à sembler s’y absorber. Elle s’arrête spécialement à la promesse du salut qui nous est faite en Jésus-Christ et qui est l’Évangile même, car l’Évangile est la Parole de la grâce. Elle prend alors κατ᾽ εξοχηνa, le nom de « foi en Christ » ou simplement le nom de « foi », et elle est appelée en dogmatique « foi particulière » ou « justifiante ». A ce point de vue la prédication chrétienne est nommée ὁ λογος του σταυρου.

a – Par excellence

La foi à laquelle s’adressent les promesses est une disposition, un sentiment, un état intérieur, adhérent aux facultés morales autant qu’aux facultés intellectuelles ; elle renferme et l’acte de l’esprit par lequel nous admettons la parole du salut, et l’acte du cœur par lequel nous nous appuyons sur Celui de qui la parole émane. Elle transforme les croyances en grandes et saintes réalités, avec lesquelles elle tient dans un contact continuel ; elle fait voir l’invisible (Hébreux 11.1-27) ; elle atteint jusqu’aux dernières profondeurs de l’être humain pour le renouveler en le pénétrant de l’Esprit de Christ. La foi n’a revêtu son vrai caractère évangélique que lorsque, descendue aux sources mêmes de la vie, elle s’empare des puissances actives de l’âme et les convertit du monde à Dieu.

On pourrait la définir avec Clément d’Alexandrie : « Un « acquiescement volontaire à la vérité religieuse, qui emporte une libre détermination vers la piété. » Voici comment la définit Calvin : « Nous avons une entière définition de la foi, si nous déterminons que c’est une ferme et entière connaissance de la bonne volonté de Dieu envers nous, laquelle étant fondée sur la promesse gratuite donnée en Jésus-Christ, est révélée à notre entendement et scellée à notre cœur par le Saint-Esprit. »b

b – Inst. Chr. 3.2.7

La foi est tout ensemble croyance et confiance ; le langage usuel y attache ce double élément et le Nouveau Testament le fait aussi.

La foi n’est souvent que la simple admission d’une opinion ou d’un fait, d’un principe ou d’un témoignage, qu’une conviction, un acte ou un état purement rationnel. En ce sens, « avoir foi » c’est uniquement croire quelqu’un ou quelque chose, tenir pour vrai un récit, une assertion, un système, la déclaration d’un témoin, le rapport d’un historien, la théorie d’un philosophe ; quoique cela emporte déjà, à quelque degré, les impressions que l’attestation ou la doctrine reçue est de nature à produire.

Mais « avoir foi » signifie aussi croire à quelqu’un ou à quelque chose, en quelqu’un ou en quelque chose. Et alors la foi est tout ensemble notion et sentiment, conviction et confiance active. Ce n’est plus simplement un acte ou un état intellectuel, c’est un acte ou un état moral ; ce n’est plus l’esprit seul qui est saisi, c’est aussi le cœur, c’est l’âme, c’est la vie. Avoir foi en un ami, un maître, un guide, un protecteur, un médecin, c’est se confier en lui, se reposer sur son affection, sa droiture, sa science, son pouvoir, se laisser conduire par ses avis ; avoir foi en un prophète, c’est recevoir ses paroles comme des révélations divines et s’y appuyer par cela même avec une pleine assurance. Quel que soit l’objet de la foi, ou du principe désigné sous ce nom, sa nature reste la même : ce qui la caractérise c’est qu’elle incline dans sa direction toutes les énergies intérieures de l’âme, c’est qu’elle influe sur les déterminations, sur les sentiments, sur les actes, en proportion de sa plénitude et de sa force. De là cette maxime : « L’homme est ce qu’il croit ».

Ces deux acceptions générales du mot « foi » que nous présente le langage ordinaire, et qui du reste se touchent de fort près, doivent, ce semble, se trouver dans le Nouveau Testament. Il est naturel d’attendre que l’expression ait retenu sa signification usuelle tout en s’appliquant à un ordre de choses spécial. La première acception (croyance) est, en effet, manifeste dans les passages où Jésus-Christ demande qu’on admette, à cause de ses œuvres, le témoignage qu’il rend de lui-même (Jean 10.37-38 ; 14.10-11). Elle l’est aussi dans les textes innombrables où il s’agit de la foi à la vérité, à l’Évangile, à quelque enseignement ou quelque fait particulier…

Mais là même, suivant une remarque que nous avons eu occasion de faire, la seconde acception se montre ou se cache sous la première, en suite du rapport réciproque qui les unit. Le Seigneur et les apôtres réclament autre chose qu’une simple croyance, qu’une pure adhésion intellectuelle ; ils supposent l’assentiment du cœur en même temps que celui de l’esprit ; et d’ailleurs, redisons-le, l’un entraîne l’autre. Quand elle embrasse avec une pleine conviction les vérités et les promesses évangéliques, l’âme est naturellement portée à s’y attacher et s’y confier comme au souverain bien.

Non seulement cette seconde acception du mot existe dans le Nouveau Testament, mais elle y domine. Le sens de πιστευω construit soit avec le datif, soit avec les prépositions ε, εις, περι, προς, est généralement celui d’une confiance docile et dévouée. Prenons des textes où la question dogmatique ne vienne pas compliquer la question grammaticale. Ainsi Matthieu 6.30 : Si Dieu revêt l’herbe des champs, ne vous revêtira-t-il pas plutôt, gens de petite foi ! Là les disciples sont repris de manquer de confiance en la Providence divine, et non, certes, de ne pas la reconnaître et la croire. Le motif ou le fondement du reproche est le même après la tempête (Marc 4.40), et encore lorsque saint Pierre enfonce dans les eaux (Matthieu 14.31). Πιστευω signifie se confier Actes 17.25 : πιστευω γαρ τω Θεω (j’ai cette confiance en Dieu) ; de même Jean 14.1. Et qu’est la prière de la foi (Jacques 5.15) que celle qu’inspire un plein abandon à la parole et à la promesse divine !

La confiance, ou l’acquiescement du cœur, entre donc comme élément intégrant dans la notion scripturaire de la foi. Et même ce terme de confiance est encore incomplet si l’on n’y joint l’épithète de vivante ou d’active ; car le caractère constitutif de la foi réelle est de devenir la source des dispositions et des œuvres saintes. Cela ressort de partout. C’est évident, en particulier, dans le 11e chap. de l’Épître aux Hébreux. La foi y apparaît comme une cordiale assurance en Dieu, qui triomphe des obstacles et des périls, des tentations et des épreuves. Inutile de dire que cette foi des anciens justes est la même dans son principe effectif, sinon dans son objet spécial, que celle des chrétiens, ainsi que le montrerait au besoin la transition du chap. 10 au 11.

Un autre exemple, non moins décisif, est celui d’Abraham, tel qu’il est présenté Romains 4.18-23 ; Jacques 2.21-23. cette foi, qui espère contre espérance, qui plane au-dessus des difficultés et des improbabilités humaines, qui imprime au patriarche une direction si haute, si puissante et si ferme, qui devient comme l’âme de son âme et la vie de sa vie, cette foi, modèle de la foi chrétienne, est certes bien autre chose qu’une simple notion ; elle a pénétré l’existence qu’elle régit et dévoue à Dieu.

Voyez encore le 6e chap. de l’Épître aux Romains, dont le trait saillant est que la foi, en nous unissant à Christ dans sa résurrection comme dans sa mort, nous arrache au péché pour nous amener et nous faire avancer incessamment dans la voie nouvelle de la justice. Toute l’argumentation des chap. 6 à 8 porte sur cette base.

Ajoutons que la foi évangélique est agissante par la charité (Galates 6.5), qu’elle donne la victoire sur le monde (1 Jean 5.4), qu’elle n’est accomplie que par les œuvres et que, sans les œuvres, elle est morte (Jacques 2.22, 26, etc).

La foi n’est donc pas une simple conviction où une simple profession ; elle gît dans ces profondeurs de l’âme où sont les sources de la vie ; elle est l’empire de la sainte vérité au-dedans de nous. » La foi, dit Calvin, est au cœur plus qu’au cerveau, « et d’affection plus que d’intelligence. » c.

cInst. 3.2.8.

Ainsi, au sens biblique comme au sens classique du mot, la foi a pour éléments constitutifs la croyance et la confiance ; et, de plus, ses effets moraux se joignent à ses éléments intégrants pour achever sa notion, elle n’est complète (τελεια) que par la charité, substance du christianisme pratique (1 Corinthiens 13.2) ou par les œuvres, au sens large qui fait ce mot synonyme de sanctification.

Les écoles actuelles y relèvent spécialement ce qu’elles nomment son élément mystique, par où elles entendent une sorte de pénétration de la nature ou de la vie de Christ chez les croyants qui ne font plus qu’un avec luid. En supposant qu’on demandât si nous admettons cet élément, dont plusieurs de ces écoles dérivent le système chrétien tout entier, nous pourrions répondre oui et non. Oui, si l’on parle seulement de l’ineffable rapport des fidèles avec Christ ou avec Dieu par Christ, communion spirituelle qui est comme le germe ou le prélude de la vie du Ciel. Non, si l’on veut parler d’une union substantielle qui identifierait en quelque manière le Christ et le chrétien : idée que la haute théologie a empruntée à la philosophie de l’absolu, pour la prêter ensuite à l’Écriture, et dont elle a fait une application si étendue et souvent si étrange. Il y a là un de ces mystères du Royaume des Cieux, que l’interprétation déistique et l’interprétation panthéistique ne paraissent éclaircir qu’en le dépouillant de son contenu propre ou en y insérant un contenu étranger ; il y a une réalité et une figure, et il ne faut ni faire évaporer la réalité sous la figure, ni prendre la figure pour la réalitée. Nos auteurs sacrés et particulièrement saint Paul, représentent le chrétien comme participant à la mort et à la résurrection du Sauveur aussi bien qu’à sa vie. Cela est certain. Mais comment s’opère-t-il ? est-ce substantiellement ou spirituellement ? Ce ne peut être que spirituellement. La mort et la résurrection, réelles en Jésus-Christ, sont nécessairement morales chez le chrétien. Ce qui se produit chez le chrétien, ce n’est pas l’acte lui-même, c’est l’effet interne de cet acte, c’est son impression régénératrice. Et puis, le rapport s’étend à l’ascension du Seigneur, non moins qu’à sa mort et à sa résurrection : Il nous a ressuscites ensemble, et nous a fait asseoir dans les lieux célestes en Jésus Christ (Éphésiens 2.6). L’expression métaphorique est là évidente ; et si elle est là, elle est ailleurs. Dans cet ordre de faits, dont nous ne saurions pas plus douter que nous rendre compte, défions-nous de la lumière apparente que semble y jeter la pensée du moment, qui, se cherchant dans les Livres saints, finit toujours par s’y trouver. Elle se juge elle-même, quand on la voit incessamment abattre ce qu’elle avait élevé et relever ce qu’elle avait abattu.

d – Olshausen. — Reuss : Hist. de la théol. chrét., T. II. p. 126, et passim.

e – Voy. Union mystique : Théologie générale, art. Providence.

Peut-être aucune théorie ne rend-elle intégralement la notion biblique de la foi. Elle recèle quelque chose qui échappe à nos définitions comme à nos analyses. Que savait de la personne du Sauveur et de son œuvre rédemptrice la pécheresse dont il est parlé Luc ch. 7 ? qu’en savait le paralytique, à une époque où les apôtres l’avaient à peine reconnu pour le Christ ? Et pourtant cette foi, si imparfaite, si obscure, était la foi réelle, puisqu’elle attira la grâce, tandis qu’en mille occasions une foi beaucoup plus complète n’est point la foi. La même observation s’appliquerait aux trois mille baptisés de la Pentecôte, au geôlier de Philippes, etc. Que sont nos formules sur ces mystères de l’âme et du Ciel ? Je n’en veux, certes, mettre en question ni la nécessité dogmatique ni l’utilité pratique, en tant qu’elles servent à déterminer et le fonds général du Christianisme et la voie évangélique du salut, en opposition aux vues erronées qui l’altèrent. Mais nous devrions être moins prompts que nous ne le sommes à les ériger en règles absolues de la vérité et de la vie.

Le terme scripturaire de « foi », si compréhensif et si tourmenté dans les controverses théologiques, appartenant surtout à la langue du sentiment, est d’une clarté immédiate pour le sens chrétien et semble se couvrir d’impénétrables ombres pour la science. L’analyse psychologique et exégétique, ainsi que nous le disions tout à l’heure, en laisse toujours échapper quelques éléments, ou elle les perd les uns dans les autres en vue de les coordonner ; de telle sorte que les systématisations, presque toutes vraies à leur point de départ, deviennent presque toutes fausses dans leur conclusion, parce qu’elles changent plus ou moins le contenu réel de l’expression sacrée, en y ajoutant ou y retranchant, depuis celles qui font rentrer dans la foi tout le christianisme doctrinal et vital, jusqu’à celles qui n’y voient qu’une pure adhésion intellectuelle, vide de toute affection religieuse, de toute disposition morale.

Il est manifeste, pour dire un mot de ces deux opinions inverses, qu’il y a exagération et erreur des deux parts. La foi chrétienne présuppose sans doute la connaissance et la croyance de la vérité chrétienne, mais elle est plus que cette connaissance ou cette croyance. Elle est la croyance devenue vivante en passant de l’esprit dans le cœur. L’opinion que j’indique peut paraître incroyable aux tendances actuelles, tant elle leur est étrangère. Ceux qui la professent ont été nommés solifidiens. Elle a été fort commune à la fin du xviiie siècle et au commencement de celui-ci en Angleterre, en Ecosse, aux Etats-Unis. Elle s’est aussi produite en France aux premiers temps du Réveil. On l’appuyait sur ce syllogisme : « Le Nouveau Testament vous dit : croyez en Jésus-Christ et vous serez sauvés ; vous croyez en Jésus-Christ, donc vous êtes sauvés ». Sandeman réduisait la foi à la pure admission de la vérité évangélique et à un état passif de l’intelligence devant le témoignage divin, « car, disait-il, « s’il y entrait quelque chose de moral, quelque sentiment nécessaire pour la rendre acceptable à Dieu, on aurait alors de quoi se glorifier, et la justification par la foi ne pourrait être opposée, comme elle l’est, à la justification par les œuvres ». Cela donna lieu naturellement à bien des débats. Une discussion analogue s’était élevée dans l’Église luthérienne à l’occasion du piétisme. Spener, partant du principe que la foi salutaire est la foi vive, opérante par la charité, soutenait que les bonnes œuvres entraient pour une part, au moins in potentia, dans l’acte de la justification, ce que niait avec force la masse des théologiens. Cette question est toujours là, et elle est grave ; car elle touche au fond vital du christianisme théorique et pratique. C’est elle que nous aurons à discuter à l’article de la justification avec les écoles actuelles ; ces écoles tombant généralement dans l’erreur inverse qui confond la foi chrétienne et la vie chrétienne. Sans doute, la foi produit la sanctification ; mais elle s’en distingue comme la cause de l’effet, comme le principe de la conséquence ; et cette distinction, nécessaire à plusieurs des points les plus considérables de la dogmatique, est nettement accusée dans le Nouveau Testament. Il suffit de rappeler les textes où la foi et la régénération, la foi et la charité, la foi et les œuvres sont posées comme les deux éléments généraux de l’Évangile et souvent mises en contraste. Qu’en certains passages la foi, prise in concreto, avec ses effets ; semble désigner la vie spirituelle tout entière, dont elle est la racine et l’aliment, c’est naturel dans le langage populaire de nos Livres saints : elle y est prise quelquefois pour l’Évangile ou pour le Christianisme, c’est-à-dire pour son objet lui-même. Cela, certes, n’autorise point à effacer une distinction donnée et par la nature des choses et par l’esprit général de l’Écriture.

On ne saurait accuser la nouvelle direction théologique d’amoindrir l’importance de la foi, dont elle fait son premier principe dogmatique et moral. Et pourtant, la foi qu’elle célèbre comme la lumière et la vie des âmes est, autant que je puis le voir, plus riche en paroles qu’en œuvres ; elle manque de fermeté et de force, parce qu’elle manque à bien des égards de base. Dans cette direction, mélange indéfinissable de rationalisme et de mysticisme, la foi, révélant le caractère du milieu où elle naît, se transforme souvent en pure idéalité ou en vague sentimentalité. Toute personnelle, selon l’épithète dont elle se qualifie et se glorifie, elle se fait elle-même son objet plus qu’elle ne le reçoit de la Parole de Dieu. Aussi, sur presque tous les points, depuis la théodicée jusqu’à l’eschatologie, a-t-elle quelque chose de flottant qui lui laisse peu d’assurance et par suite peu de sécurité et d’efficacité. Voyez la, pour tout dire en un mot, livrée à ce Christ idéal que chacun se représente à son gré, et oscillant entre le nihilisme déistique et l’humanisme panthéistique. Mal assise sur le fondement divin, auquel elle craint de paraître trop toucher (dans son désir de relever de la science ou de la conscience plutôt que d’une autorité extérieure), soumise par là à toutes les fluctuations de l’esprit du temps, elle est de l’opinion plus que de la foi. Hélas ! c’est là le mal de notre époque ; les bases du Christianisme étant de toutes parts en question non moins que ses doctrines, tout étant incessamment tourné et retourné, abandonné et repris, les croyances, alors même qu’elles restent évangéliques, ne sont guère que des opinions que rongent une incertitude et une défiance secrètes ; d’où la faiblesse correspondante de leur action sur l’esprit, sur le cœur, sur la volonté, qu’elles devraient arracher au monde pour les élever à Dieu : foi sans foi, dont nous devons prier le Seigneur de délivrer l’Église et de nous garder nous-mêmesf.

f – La question de la foi reviendra, sous une forme plus dogmatique, à l’article de la justification. (Edit.)

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