Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

4. Conclusion

La foi, la sanctification et les œuvres, conditions générales du salut, s’appellent et se produisent mutuellement : mais la foi est le principe de la régénération. — Comme son Maître, le chrétien vit dans ce monde et pour ce monde, sans être de ce monde ; il poursuit sa vocation éternelle dans sa vocation temporelle. — Ce qu’il faut avant tout et par-dessus tout, c’est ranimer l’esprit chrétien en faisant planer sur l’Église le pur idéal chrétien qu’on a tant rabaissé.

La foi, la sanctification et les œuvres nous présentent, sous leur forme chrétienne, les trois éléments de toute religion complète et nous donnent, par cela même, les conditions générales du salut.

Les personnes qui se trouvent dans ces conditions sont dites en état de grâce, suivant une expression de la langue ecclésiastique, ou, selon le Nouveau Testament, enfants de Dieu ; héritiers de Dieu et cohéritiers de Christ. Un lien étroit unit la foi, la sanctification et les œuvres qui, constituant ensemble la vie spirituelle, s’appellent et se produisent mutuellement. L’action des dispositions et des œuvres sur la foi est démontrée par l’expérience et fréquemment attestée dans l’Écriture (Matthieu 5.8 ; Jean 3.9 ; 7.17 ; Éphésiens 4.18 ; 1 Timothée 1.19, etc.). Cependant la foi est généralement considérée comme le principe de la régénération. C’est là, en effet, l’ordre logique. ; la vérité, reçue dans l’esprit, a pour tendance naturelle d’agir sur le cœur et sur la volonté, quoique le sentiment religieux et moral exige en outre une culture spéciale. C’est aussi, en somme l’ordre biblique (Jean 8.31-32 ; Romains 1.16 ; Jacques 1.18-21, etc.) C’est celui qu’ont suivi les docteurs de l’Église, pasteurs et missionnaires. On a constamment procédé par la doctrine pour avoir la vie.

Mais si le rapport de la foi et de la sanctification a toujours été reconnu, il n’a pas toujours été conçu de la même manière. Il existe, à cet égard, une différence radicale entre la direction théologique qui devient dominante et celle qui régnait depuis des siècles. On disait hier encore : Voulez-vous la vie ? ayez la vérité ; aujourd’hui on dirait, et l’on dit en effet fort souvent : Voulez-vous la vérité ? ayez la vie. A cela se rattache une question qu’il faut indiquer. On demande si le Christianisme est une doctrine, une loi, une grâce ou une vie. Il est tout cela. Mais c’est dans la vie que s’unissent la doctrine, la loi et la grâce ; c’est là qu’elles s’harmonisent parce que c’est là qu’elles convergent, et c’est par leur équilibre que sont prévenus les écarts du dogmatisme, du formalisme, du mysticisme et de cette sorte d’esthétisme religieux, si riche en paroles et si pauvre en œuvres, qui nous envahit de toutes parts. Ne séparons pas ce que Dieu a joint.

Observons seulement combien il est rare que la vie chrétienne soit, je ne dirai pas réalisée, mais saisie dans sa profondeur, là même où règnent une foi et une piété sincères. Le disciple de Christ est l’imitateur de Christ ; il doit s’efforcer d’être dans ce monde tel qu’il y a été lui-même (1 Jean 4.17). Eh bien ! prenez cette obligation par le seul côté qui en est relevé Philippiens 2.5,8 : Ayez les mêmes sentiments que Jésus-Christ a eus, lui qui, étant en forme de Dieu, n’a point regardé, etc. Dans ce dépouillement du Fils de Dieu, devenu par amour le Fils de l’homme, dans ce sacrifice propitiatoire d’où est sortie notre rédemption, quel modèle du sacrifice moral qui doit nous consacrer à Dieu et à nos semblables par l’abnégation de nous-mêmes ! Où s’arrêtent l’humilité et la charité, le renoncement et le dévouement que respire et inspire ce type divin, sur lequel se forme la véritable vie chrétienne, cette vie cachée avec Christ en Dieu, selon la définition de l’apôtre ? — Mais cette vie, où est-elle ? Ah ! que c’est autre chose d’aller répétant que le Christianisme c’est « Christ en nous » ou de revêtir réellement Jésus-Christ (1 Jean 3.16) !

Plaçons-nous à un autre point de vue. Uni à Jésus-Christ par la foi, le chrétien participe spirituellement à sa mort, à sa résurrection, à son ascension ; il vit comme citoyen du Ciel, d’où il attend son Seigneur et son Sauveur (Philippiens 3.20). Son vrai bien, son seul bien est le salut, auquel il doit tout subordonner et, s’il le faut, tout sacrifier. Là est son trésor, là est aussi son cœur. De là le principe suprême qui domine et règle son existence terrestre. Comme son Maître, le chrétien vit dans ce monde et pour ce monde sans être de ce monde. — Mais ces chrétiens, où sont-ils ? Que d’asservissement aux choses d’ici-bas, chez ceux-là même qui aspirent le plus aux choses d’En haut !

Le Christianisme c’est la foi agissant par la charité, la foi qui élève du visible à l’invisible, du passager à l’éternel ; la charité qui se donne au nom de Celui qui s’est donné à nous et pour nous, charité active et passive qui se dévoue d’autant plus qu’elle se détache davantage, car les renoncements de la foi sont les racines de la vie spirituelle.

Il n’est pas rare qu’on crie là-dessus : prenez garde, car cette vie d’En haut paralyserait la vie d’ici-bas. Ah ! ne craignons pas tant les écueils de l’ascétisme ou du quiétisme. On n’est allé s’y heurter si souvent que parce qu’on a laissé mêler à l’esprit de l’Évangile un esprit étranger. Le chrétien poursuit sa vocation éternelle dans sa vocation temporelle ; il a appris à garder paisiblement, quand les circonstances l’exigent, l’état dans lequel il a été appelé, fût-ce même celui d’esclave (1 Corinthiens 7.20,24). L’amour de Dieu se produit par l’amour du prochain (1 Jean 4.20-21). Loin d’arracher à la vie domestique et sociale, le Christianisme ne veut que l’animer de la vie du Ciel. — Mais cette vie du Ciel, qui semble devoir naître spontanément de la foi chrétienne, où est-elle parmi les chrétiens eux-mêmes ? Oh ! qu’il importe de la faire briller de nouveau sur la Terre. On parle trop de rénovation ecclésiastique, liturgique, dogmatique, apologétique ; et pas assez de rénovation morale. Sans la rénovation morale tout le reste, en le supposant même bien conçu et pleinement réalisé, ne serait rien encore ou ne serait qu’un rien. Ce qu’il faut avant tout et par-dessus tout, c’est l’esprit chrétien dans la plénitude de sa force ; et pour ranimer l’esprit chrétien, il faut faire planer sur l’Église le pur idéal chrétien qu’on a tant rabaissé. Il faut ce renoncement de la foi qui rend victorieux du monde et produit des dévouements de la piété et de la charité, en faisant du devoir l’intérêt suprême. La réforme de la prédication dont on se préoccupe beaucoup, et avec raison, en implique une préalable, celle des prédicateurs. Le nerf de la prédication évangélique est la vie évangélique. C’est par ses puissances spirituelles que le Christianisme conquit le inonde, c’est par là qu’il dort le reconquérir.

Nous voilà bien loin, semble-t-il, des conditions du salut. Mais non. La vie spirituelle est déjà la vie éternelle ; et si elle en est un élément essentiel, elle en est par cela même une condition sine qua non. Dans cet ordre de considérations retentit la parole qui traverse les Livres saints : Nul, s’il ne naît de nouveau, ne verra le Royaume des Cieux

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