Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

Saint-Esprit

Le Saint-Esprit est-il un attribut divin ou un agent divin, distinct et personnel ? — C’est la question de sa nature, la seule traitée ici (à grands traits)a.

a – La question de l’œuvre du Saint-Esprit est étudiée ci-après (Grâce, Prédestination et Liberté, section 4).

Le dogme de la divinité de Jésus Christ, tel que nous l’ont donné les Saintes Écritures, aboutissant au dogme de la Trinité, nous oblige à l’examen de celui du Saint-Esprit. Ce dernier dogme fait d’ailleurs partie intégrante de la doctrine du salut, objet général de notre étude. Le salut est le royaume ou le règne de Dieu au dedans de l’homme ; et s’il vient de la croix de Christ, il vient aussi de l’esprit de Christ.

Dieu exerce sur le cœur de l’homme une action secrète, pressentie et annoncée par la conscience, proclamée d’un bout à l’autre de l’Écriture et à laquelle correspond la prière.

Celle action de Dieu (grâce, χαρις) est généralement attribuée au Saint-Esprit, nommé autrement l’Esprit de Dieu, l’Esprit de Christ, l’Esprit du Seigneur, l’Esprit de grâce et de gloire, l’Esprit de la promesse, le Consolateur (Παρακλητος) ou simplement l’Esprit. Partout, la foi, la conversion, la sanctification, les dispositions et les œuvres de la vie sont représentées comme les fruits de l’Esprit, de même que les dons miraculeux et prophétiques.

Cette grande donnée des Écritures, objet de tant de répugnances et de négations durant tout un siècle, est aujourd’hui facilement accordée par la philosophie elle même, qui se réserve, cela va sans dire, de l’entendre à sa manière. Le courant déiste, qui plaçait Dieu hors de la création à force de le mettre au-dessus, écartait ou vaporisait tout le côté des Livres saints qui nous le montre si près de nous. Mais ce qu’il semblait avoir emporté ou abattu, le courant panthéiste l’a ramené ou relevé. Dieu n’est plus relégué sur les hauteurs des Cieux ; il anime la nature entière ; son Esprit est partout, tout est en lui et par lui. Voilà ce que répètent à l’envi la science et la littérature, ce qui constitue en particulier le fond de la théologie nouvelle, son principe et son facteur réels. Or, sous cette terminologie scripturaire, avons-nous bien la doctrine scripturaire ? Qu’expriment, dans la langue du jour, ces noms d’Esprit, d’Esprit de Dieu, de Saint-Esprit, qui reviennent sans cesse ? Il est difficile de le dire, tant la notion en est diverse, changeante, et, la plupart du temps, indéfinie. Mais il est visible que là, comme ailleurs, comme dans la Christologie et jusque dans la Théodicée, l’expression biblique recouvre des pensées extrabibliques ou même antibibliques. Quoi qu’il en soit du reste à cet égard, consultons nos Livres saints, puisque nous sommes toujours sur le terrain de la Révélation.

La question qui se pose devant nous s’ébrancherait en deux : l’une simplement religieuse, l’autre essentiellement théologique ; l’une portant sur l’action du Saint-Esprit, l’autre sur sa nature ; l’une tenant au dogme de la Grâce, l’autre au dogme de la Trinité. Nous devons nous arrêter en ce moment à la question théologique, qui peut se réduire à ce point-ci : le Saint-Esprit est-il un attribut divin, ou un agent divin distinct et personnel ?

Dans l’Ancien Testament, l’Esprit de Dieu (Elohim ou Rouach-Jehovah) apparaît généralement comme l’énergie ou l’intervention divine (Genèse 1.2 ; 6.3 ; Exode 31.3 ; Juges 14.6 ; Psaumes 33.6 ; Job 33.4, etc.). Il est difficile d’établir qu’il s’y montre avec des caractères formels de personnalité. Cependant, dans plusieurs des passages cités et dans d’autres, il semble, à certains égards, distinct de Dieu. Dans Ésaïe 48.16, par exemple, il est représenté comme envoyé de Dieu avec le Messie ; et dans Ézéchiel 37.9, il opère comme un agent individuel ou personnel. On admet aujourd’hui que les Juifs en firent une hypostase, de même que la Mimrah. Mais ce fait, peu précis, est aussi peu important en lui-même, la tradition juive n’ayant pas d’autorité ou n’en ayant qu’en tant que dérivée des témoignages et des principes bibliques.

Le dogme de la personnalité du Saint-Esprit, comme ceux de la divinité du Christ et de la Trinité, auxquels il se rattache, appartient essentiellement à la révélation évangélique dont le grand mystère de piété fait le fond ; il n’en existe que des traces ou des semences dans l’Ancien Testament. C’est dans le Nouveau Testament qu’il faut en chercher la notion et la preuve.

Le mot πνευμα a dans les écrits apostoliques des significations nombreuses qu’il serait inutile d’exposer ici, mais qu’il convient de constater et de noter. Il désigne souvent ce qui est saint, parfait, éternel, par opposition à ce qui est terrestre et transitoire ; ce qui est de Dieu ou du Christ, par opposition à ce qui est de l’homme et qui est nommé σαρξ. Sous ce rapport spécial où se place l’objet de notre étude actuelle, ce terme reste encore fort compréhensif, par conséquent fort indéterminé, puisqu’il exprime tout ce qui tient à l’œuvre rédemptrice, tout le divin subjectif et objectif du Christianisme. Mais il marque, le plus ordinairement, le principe supérieur des révélations et des grâces célestes, des lumières, des forces, des dispositions spirituelles. Et sous cette acception générale, il se montre trois acceptions particulières qu’il importe de ne pas confondre, savoir : le Saint-Esprit lui-même (το Πνευμα), son action ou ses opérations (ενεργηματα) et les effets de cette action (χαρισματα). La première de ces acceptions est la seule qui nous intéresse ici, notre but étant de déterminer, non quelle est l’œuvre du Saint-Esprit, mais quelle est sa nature, non ce qu’il est pour nous, mais ce qu’il est en soi.

Toutes les perfections et les opérations divines lui sont attribuées. Il est l’Esprit éternel, partout présent et partout actif (Hébreux 9.14 ; Psaumes 139.7, etc.) Il connaît toutes choses, même les profondeurs de Dieu (1 Corinthiens 2.10). Il a inspiré les prophètes (1 Pierre 1.11). Il régénère les âmes (Jean 3.5-8, etc.). Nous sommes son temple, en tant que nous sommes le temple de Dieu (1 Corinthiens 3.16 ; 6.19 ; 2 Corinthiens 6.16). Tout ce qui est dit de Dieu est dit de lui. Mentir au Saint-Esprit, c’est mentir à Dieu (Actes 5.3-4) ; ce qu’opère le doigt de Dieu, c’est lui qui l’opère (Cf. Matthieu 12.28 ; Luc 11.20). Il paraît avec le Père et le Fils dans des actes formels du culte, tels que le baptême, la bénédiction apostolique (2 Corinthiens 13.13).

Ces caractères de divinité sont si positifs, si constants, qu’il serait inutile de les énumérer et qu’il est impossible de les méconnaître. Aussi, malgré la tendance de l’homme à tout contester, dans ses préoccupations systématiques, à peine quelques unitaires ont-ils essayé de présenter le Saint-Esprit comme la plus élevée des intelligences célestes, de même que les ariens ont présenté le Christ comme la première des créatures. Le Saint-Esprit est évidemment ou Dieu lui-même, ou un attribut de Dieu personnifié, ou un agent personnel, à la fois distinct de Dieu et un avec lui : il est une force divine ou une hypostase divine. Qu’en est-il, d’après les données générales de la Révélation, à qui seule nous pouvons le demander ?

Quoique son témoignage à cet égard soit fort indéterminé, ainsi que nous l’avons indiqué, et qu’il prête par cela même à beaucoup de difficultés et d’incertitudes, nous croyons cependant qu’il donne bien le fait sur lequel porte la croyance ecclésiastique.

Nous reconnaissons l’être ou l’agent personnel aux attributs et aux actes personnels : l’intelligence, la volonté, l’action libre et réfléchie, la formation et l’exécution d’un plan, etc., etc. C’est par ce moyen, je veux dire par la contemplation de ses œuvres, que la personnalité de Dieu se révèle à nous, car la nature de son être nous échappe, comme, du reste, celle de tous les êtres ; c’est par là que l’argument cosmologique ou téléologique démontre sa personnalité en démontrant son existence. En étudiant la création, nous voyons qu’elle est un effet et qu’elle annonce un dessein, conçu et réalisé par une intelligence, une sagesse, une puissance infinies ; nous sommes conduits par là à l’attribuer à un Être indépendant, doué de l’intelligence et de la puissance suprême, c’est-à-dire à un être personnel (de même pour l’homme).

Appliquons ce principe à notre recherche actuelle.

Quoique Πνευμα soit neutre, les pronoms qui s’y rapportent sont quelquefois masculins (Jean 14.26 ; Éphésiens 1.13-14), ce qui n’a lieu généralement que pour les personnes (Voy. par ex. Jean 17.2 ; Actes 15.17 ; Colossiens 2.19, etc.). De plus, dans bien des passages, ce mot est précédé de l’article ; et cela précisément lorsque l’ensemble des circonstances indique un agent individuel : ainsi Matthieu 28.19 ; Actes 1.16 ; 20.28 ; 1 Corinthiens 2.10-12 ; 12.4-12, etc. Mais, sans attacher trop d’importance à ces observations grammaticales, remarquons que le Saint-Esprit revêt dans l’Écriture tous les caractères de la personnalité : l’intelligence (1 Corinthiens 2.10), la prescience (Jean 16.14 ; Actes 20.23), l’amour (Romains 15.30), la volonté (1 Corinthiens 12.11). Il parle (Matthieu 10.20, etc.) ; il commande (Actes 13.2-4) ; il défend (Actes 16.6-7) ; il rend témoignage à notre esprit, ou avec notre esprit (Romains 8.16) ; il distribue les dons et les ministères (1 Corinthiens 12.4, 6, 11) ; il habite, comme le Seigneur, dans le cœur des fidèles (1 Corinthiens 3.16 ; 2 Timothée 1.14) ; il les aide dans leurs prières (Romains 8.26) ; il est leur guide, leur appui, leur consolateur (Jean ch. 14 à 16). Il peut être tenté, attristé, outragé, repoussé ; il est affecté par nos sentiments et par nos actes (Matthieu 12.31 ; Actes 5.3-4 ; 7.51 ; Éphésiens 4.30 ; 1 Thessaloniciens 5.19).

Tous ces traits, auxquels pourraient s’en joindre bien d’autres, ne manifestent-ils pas l’être personnel, en possession d’une activité et d’une existence propre ? Qu’on lise en particulier Jean ch. 14 à 16, où le Saint-Esprit est représenté comme venant d’En haut, envoyé par le Père, enseignant des vérités incomprises, rappelant le passé, révélant l’avenir. C’est un autre Consolateur, distinct de Jésus-Christ et qui doit tenir sa place auprès des disciples, c’est un agent qui a ses attributions et son œuvre spéciale. Comment ne pas reconnaître là le fait que porte à sa base le dogme traditionnel, quelles que soient les ombres qui l’entourent ? A quel titre refuser d’y croire quand il se pose ainsi devant nous ? Sur ces choses de Dieu et du Ciel n’est-ce pas notre obligation de regarder simplement aux oracles divins ? et n’est-ce pas aussi notre seul vrai moyen de connaissance ?

On dit que ce langage de l’Écriture est figuré et qu’il n’y faut voir que la personnification d’une des formes de l’énergie divine, de cette grâce qui est la Providence des âmes. Nous convenons que la prosopopée est fréquente dans la Bible. Elle y est appliquée à la sagesse, à la justice, au péché, à la mort, etc. Mais c’est en général dans les écrits poétiques et avec des circonstances qui rendent presque toujours la méprise impossible. Tandis que dans le cas actuel elle serait singulière et dangereuse au dernier point. Elle régnerait, contre toutes les règles du langage, d’un bout à l’autre des Livres sacrés, dans les déclarations dogmatiques et morales, dans les parties didactiques et historiques comme dans le reste, sans moyen positif de la réduire à sa valeur et à sa signification réelle ; elle répandrait, une fois reconnue, l’inquiétude et le doute sur l’enseignement biblique tout entier, dont on pourrait craindre de voir les diverses doctrines se transformer en métaphores ou en mythes ; elle exposerait à l’erreur ceux qui s’appuient le plus religieusement sur la Parole de Dieu ; elle aurait jeté l’Église dans une nouvelle idolâtrie et converti en ténèbres la lumière d’En haut. Est-il possible de croire que le Livre des révélations, le message de vérité et de sainteté ait été rédigé de manière à devenir un piège et un péril sur un article si capital ?

Evidemment c’est manquer aux principes généraux d’herméneutique et faire violence au sens naturel des Écritures, que de ne voir dans le Saint-Esprit que la personnification d’un acte ou d’un attribut divin. Bien des textes sont d’ailleurs matériellement inconciliables avec cette interprétation. Essayez, par exemple, de substituer au mot Saint-Esprit celui de « sagesse » ou de « puissance » ou d’ « activité divine » dans des textes tels que Matthieu 12.32 ; Actes 5.3 ; Romains 15.13-19 ; Jean 16.13, etc. Qu’est-ce que pécher contre un acte ou un attribut, considéré abstraitement ? Qu’est-ce que tenter, contrister, offenser un attribut ou un acte ; car qu’est-ce, en principe et en fait, qu’un attribut et un acte séparé de l’être ? Pourquoi le péché contre le Saint-Esprit est-il différencié des péchés contre Dieu, et déclaré irrémissible, tandis que les péchés commis contre Dieu lui-même peuvent être pardonnés ? Pourquoi tout cela, si la distinction personnelle qu’admet la croyance ecclésiastique n’a rien de réel ? A quel titre nommer un attribut de Dieu, après avoir nommé Dieu, dans une formule sacramentelle, et placer le nom d’une simple créature entre celui de Dieu et celui d’un attribut divin personnifié ? Quand le Saint-Esprit est uni au Père et au Fils dans le même texte, qu’il en est parlé dans les mêmes termes, qu’il est représenté comme l’auteur des mêmes dons et l’objet des mêmes sentiments religieux (Matthieu 28.19 ; 1 Corinthiens 12.4-11 ; 2 Corinthiens 13.13), sur quels fondements, d’après quels principes nie-t-on là sa personnalité ou son existence propre, lorsque celle de Dieu et de Jésus-Christ est reconnue ?

Rappelons une des grandes données scripturaires qui décide tout, à vrai dire, pour le croyant et qui devrait tout décider aussi pour l’exégèse ; je veux parler du rapport établi, d’un bout à l’autre du Nouveau Testament, entre le fidèle et le Saint-Esprit. Les grâces évangéliques, les saintes dispositions qui constituent la vie et l’espérance de la foi, quoique fréquemment rapportées au Père et au Fils, sont pourtant, d’une manière toute spéciale, les dons du Saint-Esprit. Si c’est à l’amour ou au décret du Père que se rattache le plan de la rédemption, si c’est par l’incarnation et la Passion du Fils qu’il s’est accompli, c’est sous l’action du Saint-Esprit qu’il se réalise dans les âmes. Aussi, comme nous en faisions tout à l’heure la remarque, le Saint-Esprit paraît-il avec le Père et le Fils dans le baptême, dans la bénédiction, dans la prière (Romains 15.30) et, dès les temps les plus anciens, dans la doxologie, qui n’est qu’une des formes de l’adoration religieuse : faits primitifs et fondamentaux de la croyance et de la vie chrétienne, reflet visible ou, pour mieux dire, attestation formelle de la doctrine apostolique.

On oppose, il est vrai, aux passages qui constatent ou impliquent la personnalité du Saint-Esprit, ceux où les termes de πνευμα, πνευμα αγιον, désignent non un agent divin, mais un don ou un acte divin, un charisme ; d’où l’on conclut que les premiers objectivent une abstraction, et qu’il n’y a là que des essais imparfaits d’une spéculation ou d’une théologie naissante (explication présentée sous des formes très diverses). Mais quel besoin de recourir à ces solutions extrêmes, quand on regarde au sens compréhensif et aux applications multiples du mot πνευμα dans le langage inartificiel du Nouveau Testament ? La vraie méthode n’est-elle pas de l’interpréter dans chaque cas par lui-même, par le contexte, par la nature des choses, ainsi que tant d’autres ? Nous savons quel abus on a fait du procédé qui ramène les différentes acceptions d’un terme biblique à la seule qu’on trouve bon de reconnaître. Il a été appliqué à tous, et il a servi à tout brouiller. Bien certainement, ces interprétations de l’Écriture ne viennent pas de l’Écriture ; elles s’y imposent du dehors ; elles ne sont que des expédients critiques ou exégétiques fondés sur des hypothèses gratuites ; et elles sont immédiatement jugées pour qui adhère simplement et pleinement à la parole apostolique.

Qu’elles soient glorifiées comme des découvertes dans les systèmes qui, célébrant l’évolution dialectique ou historique de la pensée religieuse, font naître le Christianisme du rabbinisme, né lui-même d’un mélange du Mosaïsme avec les doctrines orientales, c’est tout naturel. Mais dès qu’on voit dans l’Écriture une révélation au sens propre, ces explications, de quelque appareil scientifique qu’elles s’entourent., tombent ipso facto. La notion de l’Esprit divin, de même que celle du Verbe divin prennent un autre caractère, parce qu’elles ont une autre base que les analogies où on les fait rentrer, après les en avoir fait sortir.

Sachons admettre les divers aspects sous lesquels s’offre le Saint-Esprit, ainsi que ceux sous lesquels se présente le Christ dans la Parole d’En haut. Tenons-nous humblement et fermement à ce qui est écrit, notre seule source véritable de connaissance et de certitude et respectons les ombres qui s’y mêlent à la lumière. En présence des caractères de personnalité si formels dans bien des passages, nous devons distinguer les dons du Saint-Esprit, du Saint-Esprit lui-même.

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