La personne de Jésus-Christ, miracle de l’histoire

3. Vie publique de Jésus

Courte durée et puissant effet de son apparition. Absence de toute recherche de gloire et de grandeur mondaines.

Arrivons maintenant à la vie publique de Jésus. A l’âge de trente ans, après sa consécration messianique par le baptême de Jean, son précurseur immédiat, et le représentant personnel de l’Ancien Testament aussi bien sous sa face légale que sous son côté prophétique ou évangélique, et après l’épreuve, messianique aussi, de la tentation au désert, cette contrepartie de la tentation du premier Adam dans le paradis, le Christ commence son grand œuvre.

Sa vie publique ne dura que trois ans. Avant d’avoir atteint l’âge de la maturité virile, il mourut dans toute la fraîcheur et la vigueur de l’homme, sans avoir connu les faiblesses de la vieillesse, ce qui aurait inévitablement obscurci pour nous l’image du Prince de la vie et du Restaurateur de notre race. Il conserva toujours l’éclat de la jeunesse, et ne sut pas ce que c’est que vieillir. Sa personne et son œuvre, chaque parole qu’il a dite, chaque fait qu’il a accompli, portent le cachet de l’éclat, de la force, et, pour tout dire, de la jeunesse, et le porteront à jamais. Ici-bas, tout disparaît avec le temps ; les livres écrits par les hommes perdent de leur intérêt après une lecture répétée ; seul, l’Evangile de Jésus ne fatigue jamais : au contraire, plus on le lit, et plus on le trouve attachant ; sa profondeur augmente à mesure qu’on essaie de la sonder. On raconte que Napoléon, à Sainte-Hélène, s’écria, en montrant du doigt un Nouveau Testament placé sur sa table : « Je ne me fatigue jamais de le lire, et je le lis chaque jour avec un nouveau ravissement. C’est que l’Evangile n’est pas un livre ; c’est une force vivante qui dompte tout ce qui veut lui résister. L’âme, ravie par la pureté de l’Evangile, ne s’appartient plus et n’appartient pas davantage au monde : elle est à Dieu. » Quel beau témoignage en faveur de la divinité du Christ !

Toutefois, différant de tous les autres hommes durant les années de sa vie, le Christ unissait à la fraîcheur, à l’énergie et à la puissance créatrice de la jeunesse, cette sagesse, cette modération et cette expérience qui sont le privilège de l’âge mûr. Les trois courtes années de son ministère, même à ne les considérer que sous leur côté historique, sont bien autrement remplies que la vie des hommes les meilleurs et les plus illustres ! Elles renferment tout le sens de la volonté divine et de la destination de la race humaine. Elles sont le fruit mûr de tous les temps antérieurs, l’accomplissement de toutes les espérances et de toutes les ardentes aspirations des Juifs et des païens, et le germe fécond des générations futures. Elles contiennent les mobiles des plus pures pensées et le ressort des plus nobles actions, jusqu’à la fin du monde. Elles sont « le terme d’un passé infini, le centre d’un présent sans bornes, et le point de départ d’un avenir sans fin.2 »

2 – Henri Steffens, disciple de Schelling et philosophe chrétien, parle ainsi de l’homme, et fonde sur cette pensée son Système d’anthropologie. Mais elle s’applique, dans le sens le plus plein et le plus absolu du mot, au Christ, l’homme idéal, en qui et par qui seul notre race peut être amenée à la perfection.

Oh ! qu’il est remarquable et merveilleux, ce contraste entre la courte durée et la portée incommensurable du ministère public de Jésus ! — Un jeune homme, le Sauveur du monde !

L’intelligence et le caractère des hommes ont besoin d’une longue série d’années pour parvenir à leur maturité, et pour faire sur le monde une durable impression. Il y a sans doute des exceptions à cette règle ; nous l’avouons. Ainsi Alexandre le Grand, la dernière et la plus brillante fleur de l’antique nationalité grecque, mourut jeune encore, à trente-trois ans ; et il avait déjà conquis l’Orient jusqu’aux bords de l’Indus. Mais à qui donc pourrait venir la pensée de comparer un ambitieux guerrier, victime de ses passions, à l’ami sans tache des pécheurs ? ou de mettre en parallèle les victoires sanglantes du jeune roi, auxquelles une défaite honteuse vint mettre un terme au milieu de l’ivresse des plaisirs, et les paisibles triomphes de Jésus, que chaque année rend toujours plus glorieux ? Qui oserait placer en regard, d’un côté cet immense empire militaire, brisé aussitôt qu’élevé, et de l’autre la royauté spirituelle de la vérité et de l’amour, qui a duré jusque aujourd’hui, et qui durera éternellement ? Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que la vraie signification et que l’unique mérite des conquêtes d’Alexandre furent complètement en dehors, et du but de son ambition, et du cadre de sa pensée, et qu’elles ont préparé les voies à la religion universelle de Jésus-Christ, en transportant la langue et la civilisation grecques en Asie, et en réunissant les deux mondes de l’Orient et de l’Occident. — Napoléon, dans ses entretiens avec le général Bertrand, à Sainte-Hélène, fait cette excellente remarque : « On s’enflamme, dit-il, au récit des conquêtes d’Alexandre. Eh bien ! voici un conquérant qui s’approprie, qui s’assimile non seulement une nation, mais la race humaine tout entière. Quel miracle ! L’âme humaine avec toutes ses forces, devient une partie intégrante de l’existence de Jésus-Christ. » — La vie et l’influence de Jésus ont une valeur historique centrale, au sens absolu, à ce point que toute l’antiquité en est la préparation, comme le moyen âge et le monde moderne en sont l’épanouissement et l’application. C’est pour cela qu’elles sont au-dessus de toute comparaison avec l’influence et la vie de simples hommes, quels qu’ils soient.

Il existe encore entre le Christ et les héros de l’histoire, une autre différence frappante, d’un ordre plus général, que nous ne voulons point passer sous silence. Il serait tout naturel de supposer qu’un personnage si extraordinaire, qui émettait les plus étonnantes prétentions, et qui accomplissait les actions les plus merveilleuses, se fût entouré de circonstances exceptionnelles, et eût cherché à se distinguer du commun des hommes par l’éclat et la grandeur de sa position. On devrait s’attendre, semble-t-il, à trouver je ne sais quoi de particulier et de surprenant dans son regard, dans son costume, dans ses manières, dans sa façon de parler et de vivre, comme aussi dans l’entourage de ses serviteurs et de ses disciples. Et cependant c’est juste le contraire qui est arrivé. Sa grandeur est l’unique exemple d’une grandeur sans ambition et sans faste : loin de repousser le spectateur qui la contemple, elle l’invite à s’approcher avec confiance. Sa vie publique ne se déroule point sur la route imposante de la gloire et de l’héroïsme mondain, mais dans le cercle modeste des occupations de chaque jour, et dans les simples rapports de fils, de frère, de citoyen, de maître et d’ami. Il ne nous est parvenu aucun portrait authentique de son visage « plein de grâce et de vérité. » Les regards des Evangélistes se dirigeaient surtout vers la beauté céleste de son esprit ; la puissance de ses paroles et de ses œuvres leur fit négliger l’extérieur de sa personne. Il n’avait ni armées à commander, ni royaume à gouverner, ni fonctions élevées à remplir, ni faveurs, ni récompenses mondaines à distribuer. Homme obscur, sans amis et sans protecteurs, soit au sanhédrin, soit à la cour d’Hérode, il n’eut jamais de commerce amical avec les chefs spirituels ou temporels de son peuple qu’il avait étonnés, à l’âge de douze ans, par ses questions et par ses réponses. Il choisit ses disciples parmi des pécheurs incultes de la Galilée, et ne leur promit aucune autre récompense dans ce monde qu’une part au calice amer de ses souffrances. Il mangeait avec les péagers et les pécheurs, et se mêlait au petit peuple, sans descendre cependant jusqu’à ses mœurs et à ses habitudes vulgaires. Il était si pauvre, qu’il n’avait pas où reposer sa tête. La satisfaction de ses besoins peu nombreux et modestes, il la devait aux dons volontaires de quelques femmes pieuses, et la bourse était entre les mains d’un voleur et d’un traître. Il n’a connu ni les sciences, ni les arts, ni l’éloquence, au sens ordinaire de ces mots ; il n’a possédé aucun de ces moyens de puissance dont les grands hommes se servent pour attirer l’attention et s’assurer l’admiration du monde. Les écrivains grecs et romains eux-mêmes ne savaient rien de son existence ; et ce n’est qu’assez longtemps après sa mort sur la croix, que les conséquences de son œuvre et l’accroissement continu de la secte de ses adhérents leur arrachèrent une dédaigneuse mention, et provoquèrent leur opposition.

Et toutefois, ce Jésus de Nazareth, sans ressources et sans armées, a conquis plus de millions d’hommes qu’Alexandre et que César, que Mahomet et que Napoléon ; sans connaissances scientifiques et sans érudition, il a répandu plus de lumières, sur les choses divines et humaines, que tous les philosophes et tous les savants réunis. Sans l’éloquence des écoles il a prononcé des paroles de vie, telles qu’on n’en fit entendre jamais ni avant ni après lui, et leur effet a dépassé de beaucoup toute la puissance des poètes et des orateurs. Sans écrire une seule ligne, il a mis plus de plumes en mouvement, il a fourni plus de textes à des discours, à des traités, à des livres savants, à des œuvres d’art, à des cantiques harmonieux, que la foule entière des grands hommes des temps anciens et des temps modernes. Né dans une crèche, et crucifié comme un malfaiteur, il préside aux destinées du monde civilisé, et il règne sur un empire spirituel qui embrasse le tiers de tous les habitants de la terre. Il ne s’est jamais rencontré de vie aussi dépouillée de prétentions, aussi modeste, aussi petite par son côté extérieur, et qui ait eu pourtant d’aussi extraordinaires conséquences pour tous les temps, pour toutes les nations, et pour toutes les classes d’hommes. L’histoire ne nous fournit aucun autre exemple d’un succès si complet et si merveilleux, malgré l’absence de tous ces moyens et de toutes ces influences matérielles, sociales, littéraires et artistiques, qui sont indispensables à un homme pour aboutir à des succès. Sous ce rapport, la figure du Christ se dresse seule au milieu des héros de l’histoire ; énigme certainement insoluble, si l’on ne veut reconnaître en lui plus qu’un homme, le Fils unique de Dieu.

Essayons maintenant de dépeindre le caractère personnel, moral et religieux du Sauveur, tel que nous le trouvons dans le récit de sa vie publique ; et puis nous examinerons le témoignage qu’il se rend à lui-même, et qui nous fournit l’unique solution raisonnable de ce grand problème.

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