Le Pasteur Réformé

II
La surveillance du troupeau

1. Nature de cette surveillance

Après vous avoir montré ce que c’est que prendre garde à vous-mêmes, je vais vous exposer ce que c’est que prendre garde à tout le troupeau.

Il était nécessaire de vous faire voir d’abord ce que nous devons être et ce que nous devons faire pour notre âme, avant de considérer quels sont nos devoirs à l’égard des autres : « En guérissant les blessures des autres pour leur salut, ne négligeons pas le nôtre ; en aidant aux autres, ne nous abandonnons pas nous-mêmes ; en les relevant, prenons garde de tombera. » Oui, tous nos travaux peuvent être perdus, si notre cœur et notre vie ne les soutiennent pas. « Il y a des hommes qui étudient soigneusement les préceptes spirituels, mais qui détruisent par leur manière de vivre tout le fruit de leurs enseignements ; ils s’instruisent par la méditation mais non par la pratique ; ils prêchent la vérité, mais ils la combattent par leurs actions ; d’où il résulte que le pasteur et le troupeau se précipitent ensemble dans l’abîmeb. » Nous menons nos brebis aux sources d’eaux vives, mais si nous souillons ces sources par l’impureté de notre conduite, notre troupeau ne peut plus s’y désaltérer.

a – Gregor., De cura Pastor. lib. IV.

bIbid.

1° Avant d’exposer l’œuvre que nous avons à faire, déterminons d’abord le sens des paroles de ce passage. Ce texte implique que chaque troupeau doit avoir son pasteur, et chaque pasteur son troupeau. Comme dans un régiment chaque compagnie doit avoir son capitaine et ses officiers, comme chaque soldat doit connaître son chef et son drapeau, de même Dieu veut que chaque église ait son pasteur, et que tous les disciples de Christ connaissent ceux qui sont chargés de les instruire selon le Seigneur. Quoiqu’un ministre soit un des chefs de l’Église universelle, cependant il est le surveillant spécial de l’Église particulière confiée à sa charge. Quand nous sommes consacrés au saint ministère, mais sans emploi particulier, nous devons travailler de notre mieux pour le bien de tous, selon que l’occasion se présente de faire usage de nos dons spirituels ; mais quand nous avons une église particulière, nous devons restreindre l’exercice de notre activité à cette congrégation ; nous ne devons accorder aux autres églises que les soins qui ne sont pas indispensables à la nôtre, à moins que le bien public, que nous devons considérer avant tout, n’exige le contraire. De cette relation entre le pasteur et le troupeau dérivent tous les devoirs auxquels ils sont tenus réciproquement.

2° Quand on nous commande de prendre garde à tout le troupeau, on suppose nécessairement que le troupeau n’est pas trop nombreux pour que nous puissions le surveiller. Dieu ne nous demande pas l’impossible et ne nous impose point des travaux qui soient au-dessus de la puissance humaine. Si le devoir du pasteur consiste à surveiller tout le troupeau, il faut que le nombre des âmes confiées à sa charge ne soit pas assez considérable pour rendre cette surveillance impossible. Dieu exigera-t-il d’un évêque qu’il se charge de la conduite spirituelle de toute une province, ou de plusieurs paroisses si nombreuses qu’il puisse à peine les connaître ou les visiter ? Il ne lui redemandera pas le sang de tant de fidèles, s’il n’a pas fait ce à quoi plusieurs centaines d’hommes ne pourraient pas suffire. Quel est donc l’aveuglement des prélats ! N’est-il pas déplorable de voir des hommes instruits et sensés regarder comme un privilège d’être chargés d’une aussi grave responsabilité, et s’imposer sans crainte un fardeau si redoutable ? Combien il eût été heureux pour l’Église et pour les évêques eux-mêmes, que l’on eût suivi le conseil que donne ici l’apôtre ; combien il serait à souhaiter que les diocèses ne fussent pas trop étendus pour que les anciens et les évêques pussent les surveiller et prendre garde à tout le troupeau ; que les pasteurs se multipliassent aussi bien que les églises ; que le nombre des surveillants fût proportionné à celui des âmes, afin que, tout en se revêtant de vains titres, ils ne laissassent pas leur tâche inaccomplie ! Qu’il serait désirable qu’ils eussent prié le Seigneur d’envoyer un plus grand nombre d’ouvriers dans la moisson, au lieu de vouloir s’en charger eux-mêmes ! quelles que soient les forces et les facultés d’un homme, il y aurait de sa part de l’imprudence et de la présomption à entreprendre, au risque de sa damnation, la moisson spirituelle de toute une province.

Mais, pourra-t-on me dire, il y en a plusieurs qui enseignent, tandis qu’un seul surveille. Grâces à Dieu, cela est vrai ; mais l’on ne doit en savoir aucun gré à la plupart des prélats. — Cependant le gouvernement des âmes n’est-il pas aussi indispensable que la prédication ? S’il ne l’est pas, l’Église n’a pas besoin de gouverneurs ; s’il l’est, ceux qui l’annulent en entreprenant l’impossible se perdent et perdent les églises avec eux. Si la prédication seule suffit, n’ayons que des prédicateurs et ne faisons plus tant de bruit du gouvernement de l’Église. Mais si la discipline est également nécessaire, on compromet le salut des âmes en la rendant impossible, et on la rend impossible en la confiant à des hommes incapables de l’exercer. Si un général voulait se charger seul du commandement de toute une armée, l’armée serait détruite faute de commandement ; si un instituteur voulait diriger seul toutes les écoles d’une province, autant vaudrait les laisser sans directeur. Que dirait-on enfin d’un médecin qui voudrait soigner tous les malades d’une ville, dont il pourrait à peine visiter la centième partie ? Autant vaudrait les laisser périr sans secours.

On doit avouer cependant que dans le cas d’une nécessité absolue, un homme peut se charger de conduire un plus grand nombre de fidèles qu’il n’en peut surveiller. C’est ce qui nous arrive lorsque nous avons à administrer une paroisse trop considérable. Pour moi, loin d’être assez présomptueux pour me charger du gouvernement ecclésiastique d’un comté, je n’aurais pas voulu pour tout au monde entreprendre, même avec un second, tout le travail que Dieu demande dans la paroisse où je suis ; mais, ce qui rassure ma conscience, c’est que, faute de ministres, on ne pouvait pas faire autrement, et j’ai dû faire tout ce que je pouvais, quoique je ne pusse pas tout faire. Mais les cas de nécessité absolue ne sont pas la condition ordinaire de l’Église, et il serait fâcheux qu’il en fût ainsi. Heureuse l’Église de Christ, si les ouvriers étaient habiles, fidèles et proportionnés au nombre des âmes, si les pasteurs étaient assez nombreux, ou les églises assez petites, pour que nous puissions prendre garde à tout le troupeau !

En supposant que telle soit notre position, nous allons examiner en quoi consiste ce devoir de prendre garde à tout le troupeau.

Il s’agit, comme-vous voyez, de tout le troupeau, de tous les membres de notre église. En conséquence, nous devons connaître toutes les personnes qui en font partie ; car sans cela, comment pouvons-nous prendre garde à elles ? Nous ne devons pas seulement chercher à connaître tous les membres de notre troupeau ; mais nous devons aussi nous informer de leur situation, de leurs inclinations, de leurs habitudes, des tentations auxquelles ils sont le plus exposés, des devoirs qu’ils sont le plus enclins à négliger ; car, pour traiter un malade avec succès, il faut connaître son tempérament et sa maladie.

Une fois que nous connaissons tout notre troupeau, nous devons le surveiller soigneusement. Cela est si évident, qu’il semble que nous ayons à peine besoin d’en donner d’autres preuves. Un bon berger ne veille-t-il pas attentivement sur chacune de ses brebis ? Un instituteur habile ne surveille-t-il pas avec soin chacun de ses écoliers ? Un médecin ne va-t-il pas visiter chacun de ses malades ? Un bon général ne s’occupe-t-il pas de tous ses soldats ? Et nous, qui sommes les bergers, les instituteurs, les médecins, les guides des églises de Christ, ne devons-nous pas prendre garde à chacun des fidèles confiés à notre charge ? Jésus-Christ lui-même, le souverain pasteur, préposé à la garde de tout le troupeau, prend aussi soin de chacune de ses brebis ; comme le berger de la parabole, « qui laisse ses quatre-vingt-dix-neuf brebis dans le Désert pour aller chercher celle qui est perdue. » Souvent les prophètes furent chargés d’une mission particulière. Ezéchiel reçut l’ordre de veiller sur les individus et de dire au méchant : « Tu mourras certainement. » Paul instruisait les chrétiens, non seulement en public, mais de maison en maison : « Il avertissait et instruisait chaque homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait en Jésus-Christ. » Une foule d’autres passages de l’Écriture-Sainte prouvent qu’il est de notre devoir de prendre garde à chaque membre de notre troupeau ; et plusieurs articles des anciens conciles montrent que telle était la pratique de l’Église primitive. Nous nous bornerons à citer ces paroles d’Ignace : « Convoquez fréquemment des assemblées ; connaissez tous les fidèles, chacun par son nom ; ne dédaignez pas les serviteurs et les servantes. » C’était donc un devoir de surveiller en particulier chaque membre du troupeau, sans en excepter les fidèles de la plus humble condition.

Mais, dira quelqu’un, la congrégation sur laquelle je suis établi est si nombreuse qu’il m’est impossible d’en connaître tous les membres, et encore moins de m’occuper de tous individuellement.

A cela je répondrai : Est-ce ou non la nécessité qui vous a imposé une administration aussi étendue ? Si ce n’est pas la nécessité, vous excusez une faute par une autre. Comment avez-vous osé, sans y être forcé, entreprendre une œuvre que vous ne vous sentiez pas capable d’accomplir ? Et si vous étiez forcé de l’entreprendre, n’auriez-vous pas pu vous procurer un aide pour vous seconder ? Avez-vous fait tout ce que vous avez pu auprès de vos amis ou de vos voisins, pour obtenir les moyens de vous faire aider par un autre ? Vos ressources ne sont-elles pas suffisantes pour cela ? Quand vous devriez vous imposer des privations, ainsi qu’à votre famille, cela ne serait-il pas plus juste et plus raisonnable que de vous charger seul d’une tâche au-dessus de vos forces, et de négliger les âmes qui vous sont confiées ? Je sais que cela paraîtra dur à quelques-uns de vous, mais il est pour moi hors de doute que si vous n’avez qu’un modique salaire, il est de votre devoir de partager cette somme avec un collaborateur, plutôt que de négliger le troupeau confié à vos soins. Si vous me dites que ce sacrifice est pénible, que votre femme et vos enfants ne peuvent pas vivre ainsi, je vous répondrai : 1° Plusieurs familles de votre paroisse ne vivent-elles pas avec moins ? 2° Dans notre pays, lorsque les ministres étaient sous la dépendance des prélats, plusieurs d’entre eux ne se sont-ils pas contentés de ressources encore plus faibles, pour avoir la liberté de prêcher l’Évangile ? Plusieurs même, satisfaits de cette liberté, ne se sont-ils pas engagés à prêcher gratuitement ? 3° Si vous me dites que vous ne pouvez pas vivre aussi étroitement que les pauvres, je vous demanderai s’il ne vaut pas mieux que vous supportiez la pauvreté, que d’exposer vos paroissiens à une damnation éternelle ? Quoi ! vous vous appelez ministres de l’Évangile, et vous attachez si peu de prix aux âmes, que vous aimeriez mieux les voir périr éternellement que de vivre avec vos familles dans une condition humble et même difficile ! Vous devriez mendier votre pain, plutôt que d’entraver une affaire aussi importante que le salut des hommes, plutôt que de risquer la perte d’un seul. O mes frères ! C’est une chose déplorable de parler du ciel et de l’enfer, du petit nombre des élus, de la difficulté du salut, et d’en parler sans conviction. Car si vous étiez bien convaincus, vous ne laisseriez pas périr votre troupeau, afin de vivre vous-mêmes avec plus d’aisance. Songez à cela, la première fois que vous prêcherez la nécessité de la connaissance pour le salut ; et votre conscience vous dira que vos paroissiens pourraient acquérir cette connaissance au moyen d’instructions et d’exhortations particulières, si vous aviez un collaborateur, et si vous vouliez pour cela vous imposer quelques privations. Oserez-vous alors laisser votre troupeau dans cette ignorance qui doit le conduire à sa perte ?

Faut-il recourir à la Bible, pour vous montrer que l’âme d’un homme est plus précieuse qu’un monde, plus précieuse par conséquent que votre salaire annuel ? Faut-il vous rappeler que nos biens et nos personnes appartiennent à Dieu et doivent être consacrés à son service ? Faut-il vous représenter combien il est cruel de laisser périr les âmes, pour que votre famille vive un peu plus doucement ? Dieu se sert d’instruments humains pour opérer le salut des hommes, et vous pourriez y contribuer, en mortifiant cette chair que tous les vrais serviteurs de Christ crucifient avec ses convoitises. Nous devons rendre à Dieu tout ce qui lui appartient, c’est-à-dire tout ce que nous possédons. Nous ne pouvons sanctifier toutes choses qu’en les consacrant à Dieu : nous les avons reçues de lui, nous devons les faire servir à sa gloire. Comment donc puis-je le plus utilement consacrer à Dieu tout ce que je possède ? Voilà ce que chacun de nous doit se demander ; voilà ce que nous prêchons aux fidèles, et cela est vrai pour nous comme pour eux. De plus, les biens que l’Église nous accorde pour notre subsistance doivent être spécialement affectés au service de Dieu, pour le bien de l’Église : c’est pour nous un devoir rigoureux de les destiner à cette fin. Si un ministre qui a un certain revenu par an peut me prouver que la moitié de cette somme sera employée pour ses besoins et pour ceux de sa famille, plus utilement que s’il la consacrait à payer un collaborateur capable de contribuer au salut du troupeau, je me garderai de trouver à redire à ses dépenses ; mais s’il ne peut me le prouver, il est inexcusable à mes yeux. J’ajouterai que cette pauvreté est loin d’être aussi intolérable et aussi douloureuse qu’on le prétend. Si vous avez la nourriture et le vêtement, vous devez être satisfaits ; si vous avez ce qu’il faut pour travailler à l’œuvre de Dieu, vous ne devez rien désirer de plus. Nous n’avez besoin pour cela ni d’habits magnifiques, ni d’une table somptueuse. La vie d’un homme ne consiste pas dans l’abondance des choses qu’il possède. » Si vos vêtements suffisent pour vous garantir du froid, si votre nourriture est saine, vous pouvez vous rendre aussi utiles dans l’œuvre de Dieu que si tous les désirs de votre chair étaient plus amplement satisfaits. Un habit raccommodé peut vous tenir chaudement ; la nourriture la plus simple est aussi la plus saine. Si vous avez ce strict nécessaire, vous êtes inexcusables de compromettre le salut des âmes, pour vivre d’une manière plus conforme à vos goûts.

Si notre devoir est de prendre garde à tout le troupeau, nous devons surtout faire attention à quelques classes particulières de fidèles. Comme ce devoir est imparfaitement compris par beaucoup de ministres, nous nous y arrêterons.

I. Nous devons travailler particulièrement à la conversion de ceux qui ne sont point convertis.

L’œuvre de la conversion est notre grand but : c’est là que doivent tendre tous nos efforts. La condition des hommes non convertis est si misérable, qu’elle doit exciter toute notre commisération. Si un chrétien véritablement converti commet un péché, ce péché sera de nature à pouvoir lui être pardonné, et ne l’exposera pas à la damnation comme les péchés commis par les autres. Ce n’est pas que Dieu ait moins de haine pour les péchés des hommes convertis que pour les péchés des autres, ni qu’il doive les recevoir dans le ciel, quel que soit le désordre de leur vie ; mais l’esprit qui est en eux ne leur permet pas de vivre dans la pratique du mal ni de pécher comme les impies. Bien différente est la condition de ceux qui ne sont point convertis. Ils sont dans « un fiel très amer et dans les liens de l’iniquité ; » ils ne participent point au pardon du péché ni à l’espérance de la gloire. L’œuvre que nous avons à faire pour eux est donc plus urgente. « Il faut que nous leur ouvrions les yeux, que nous les ramenions des ténèbres à la lumière, de la puissance de Satan à celle de Dieu, afin qu’ils reçoivent le pardon de leurs péchés et qu’ils aient part à l’héritage de ceux qui sont sanctifiés. » (Actes 26.18) Un homme en proie à une maladie mortelle excite plus de compassion que celui qui éprouve une indisposition passagère ; il réclame de notre part des secours plus empressés, lors même qu’il nous est étranger. Il est si affreux de voir les hommes sous le poids de la damnation, de penser qu’ils peuvent mourir dans cet état et souffrir les peines éternelles, que nous ne pouvons pas les abandonner ainsi ; car les sauver est le plus pressant de nos devoirs. J’avoue que je suis quelquefois forcé de négliger ce qui pourrait augmenter l’instruction des chrétiens pieux, quand je vois la situation épouvantable de ceux qui ne sont pas convertis. Qui pourrait s’occuper de controverses, de points difficiles et contestés, de certaines vérités moins importantes, malgré leur excellence, quand il a sous les yeux une multitude de pécheurs ignorants, charnels, corrompus, qui, s’ils ne sont convertis, doivent être damnés ? Je crois les voir se précipiter dans les supplices éternels ! Il me semble entendre leurs voix déchirantes implorer du secours ! Leur malheur me parle d’autant plus haut que leur cœur est mort et qu’ils ne songent pas eux-mêmes à demander assistance. Plus d’une fois j’ai prêché devant des auditeurs d’un goût difficile, et qui paraissaient disposés à me regarder avec mépris si je ne traitais pas des sujets d’un ordre élevé ; mais jamais, pour les satisfaire, je n’ai pu me résoudre à abandonner les pécheurs impénitents ; jamais, même pour affermir des hommes pieux dans la connaissance et dans la grâce, je n’ai pu me décider à cesser de parler du salut aux pauvres pécheurs. Comme l’esprit de saint Paul était ému « au dedans de lui à la vue des Athéniens plongés dans l’idolâtrie, » de même nous devons être effrayés à la vue de tant de pécheurs en danger de se perdre éternellement. Si nous les voyions aux portes de l’enfer, nos langues se délieraient plus vite que celle du fils de Crésus, à la vue du danger de son père. Celui qui laisse un pécheur aller en enfer faute de l’avertir, attache moins de prix aux âmes que notre divin Rédempteur ; il déteste son prochain à l’égal de son plus cruel ennemi. Par conséquent, mes frères, qui que ce soit que vous négligiez, ne négligez pas les plus misérables. Si vous oubliez quelqu’un, que ce ne soit pas les pauvres âmes qui sont sous la condamnation et sous la malédiction de la loi, et qui peuvent s’attendre à chaque instant à voir leur sentence exécutée si un prompt changement ne les sauve. Attachez-vous donc aux pécheurs impénitents ; poursuivez cette grande œuvre de la conversion des âmes, quand vous devriez laisser imparfaites d’autres parties de votre tâche.

II. Nous devons être préparés à donner des avis à ceux qui viennent nous consulter sur des cas de conscience, particulièrement à ceux qui viennent nous demander, comme les Juifs à saint Pierre ou comme le geôlier à Paul et à Silas : « Que devons-nous faire pour être sauvés ? »

Un ministre n’est pas seulement destiné à annoncer à ses fidèles la parole de Dieu, mais il doit être pour leurs âmes ce qu’est le médecin pour leurs corps, et l’homme de loi pour leurs biens ; un conseiller toujours prêt à résoudre leurs difficultés et à lever leurs doutes ; car ils viennent à lui comme Nicodème allait à Christ, comme les anciens Juifs allaient au sacrificateur « dont les lèvres gardaient la science, et recherchaient la loi de sa bouche, parce qu’il était l’ange de l’Éternel. » (Malachie 2.7) Mais comme nos fidèles connaissent peu ce devoir pastoral et leurs propres besoins, nous devons les en instruire et les engager à venir nous demander des conseils sur les intérêts de leurs âmes. Nous devons non seulement les recevoir quand ils viennent, mais encore les aller chercher. Que de bien nous pourrions faire par ce moyen ! Et tel en serait sans aucun doute le résultat, si nous faisions tout notre devoir, que nous négligeons trop souvent. Il est douloureux de voir tant d’âmes se perdre par l’incurie des pasteurs qui ne les instruisent ni de leurs obligations ni de leurs besoins. Si les fidèles en connaissaient toute l’importance, ils viendraient plus fréquemment frapper à votre porte, pour vous exposer leurs douleurs et vous demander vos conseils. Priez-les donc instamment de venir à vous, et recevez-les avec empressement quand ils implorent votre secours. Pour cela, il est nécessaire que vous soyez familiarisés avec l’expérience chrétienne, avec la nature de la grâce sanctifiante, et que vous soyez en état d’aider les pécheurs, en leur expliquant les grandes doctrines du salut éternel. Un bon conseil donné à propos par un ministre peut être plus utile que bien des sermons. « Une parole dite à propos est excellente, » nous dit Salomon.

III. Nous devons nous appliquer à édifier ceux qui sont véritablement convertis. Sous ce rapport, notre tâche varie suivant l’état où se trouvent les chrétiens :

1° La plupart de nos fidèles sont encore faibles et peu avancés, quoiqu’ils aient longtemps fait profession de piété. Il est bien difficile de les fortifier et de leur faire faire des progrès. Il est facile de les amener à des opinions différentes de celles qu’ils ont, et même de leur donner des idées exagérées dans un sens ou dans un autre ; mais accroître véritablement leurs connaissances, et surtout étendre leurs grâces, voilà la plus grande difficulté. Il est triste pour les chrétiens d’être faibles ; cet état les expose au danger, les prive de leurs consolations, les empêche de sentir la douceur des voies de la sagesse, et les rend moins utiles à Dieu et aux hommes. Puisque cette faiblesse est pour les chrétiens un état si fâcheux, nous devons nous efforcer d’alimenter et d’augmenter leurs grâces. La force des chrétiens fait la gloire de l’Église. Quand ils sont enflammés de l’amour de Dieu et animés d’une foi vive ; quand ils méprisent les avantages et les honneurs du monde ; quand, embrasés d’une charité ardente, ils peuvent supporter les injures et tout souffrir pour la cause de Christ ; quand ils sont prêts à être les serviteurs de tous les hommes pour leur bien, et à se faire tout à tous pour les gagner à Christ ; quand ils s’abstiennent de l’apparence même du mal et qu’ils assaisonnent toutes leurs actions de prudence, d’humilité, de zèle, d’abnégation ; quelle gloire pour la religion ! quel honneur pour l’Église ! quelle utilité pour les hommes ! prix infini aux yeux de Dieu ! Les hommes seraient bien plus disposés à croire à la Divinité de l’Évangile, si tous ceux qui professent le christianisme portaient de tels fruits. C’est donc une partie essentielle de notre tâche, de perfectionner la piété des fidèles, de les fortifier dans le Seigneur, et de les rendre plus propres au service de leur divin maître.

2° Il est une autre classe de chrétiens qui réclame aussi notre attention particulière : nous voulons parler de ceux qui sont dominés par quelque mauvaise passion qui les rend dangereux pour les autres et à charge à eux-mêmes. Cette classe est malheureusement trop nombreuse ! Les uns sont adonnés à l’orgueil, les autres à la mondanité ; ceux-ci sont esclaves de leurs sens, ceux-là de quelque autre passion coupable. Nous devons aller à leur secours, soit en les exhortant, soit en leur exposant la nature odieuse du péché, soit en leur donnant les conseils les plus efficaces, pour leur apprendre à triompher de leurs passions dominantes. Chargés de conduire l’armée de Christ contre les puissances de l’enfer, nous devons combattre les œuvres des ténèbres partout où nous les trouvons, même chez les enfants de lumière. Nous ne devons pas plus ménager les péchés des chrétiens que ceux des impies. Plus nous aimons leurs personnes, plus nous devons nous élever contre leurs péchés. Nous en trouverons sans doute quelques-uns qui, fortement dominés par leurs mauvaises passions, recevront nos reproches aussi impatiemment que les méchants eux-mêmes. Mais malgré leur impatience et leur mauvaise humeur, nous devons faire notre devoir ; nous ne devons pas être assez indifférents au salut de nos frères pour les laisser s’abandonner au péché faute d’exhortations. Sans doute, ce devoir exige de la prudence, mais il doit être accompli.

3° Une autre classe encore réclame aussi tous nos soins : ce sont les chrétiens dont la piété diminue, ceux qui, faute de zèle et de vigilance, sont tombés dans quelque désordre, et ont perdu leur première charité ; comme ces rechutes sont déplorables, nous devons tout faire pour y remédier. Il est triste pour ces chrétiens d’être déchus de leur vie spirituelle, de leur paix, de leur dévouement à Dieu, et de servir ainsi la cause de Satan ! Il est triste pour nous de voir si peu de fruits après tant d’efforts, nos travaux perdus et nos espérances jusqu’à ce point trompées ! Mais ce qui doit surtout nous affliger, c’est que Dieu soit déshonoré par ceux qu’il a tant aimés, c’est que Christ soit « blessé, outragé dans la maison de ceux qui l’aiment (Zacharie 13.6). » Il y a plus : ces rechutes partielles tendent naturellement à une complète apostasie, et y conduiraient infailliblement sans le secours d’une grâce spéciale.

Plus cette position est affligeante, plus nous devons nous efforcer d’y porter remède. Nous devons relever avec douceur ceux qui sont tombés dans quelque faute » (Galates 6.1) ; veillons surtout, quelque peine qu’il en coûte, à ce que la plaie soit bien sondée, et la blessure bien cicatrisée. Pour la gloire de l’Évangile, il faut que ces chrétiens donnent des preuves évidentes de leur repentir, qu’ils confessent sincèrement leur péché, et qu’ils réparent ainsi en quelque sorte le mal qu’ils ont fait à l’Église et à la religion. La pratique de ce devoir exige de notre part beaucoup d’adresse et de prudence.

4° La dernière classe dont nous parlerons est celle des chrétiens avancés dans la piété. Nous leur devons aussi nos soins pour entretenir leurs grâces, pour leur faire faire de nouveaux progrès, pour leur apprendre à employer leurs forces au service de Christ et à l’avancement de leurs frères ; enfin pour les maintenir dans la persévérance, afin qu’ils reçoivent la couronne de gloire. Telles sont quelques-unes des personnes qui font l’objet de notre tâche : tels sont les devoirs qu’implique cette exhortation de l’apôtre : « Prenez garde à tout le troupeau. »

IV. Nous devons particulièrement surveiller les familles, nous assurer si elles sont bien dirigées, et si chaque membre remplit ses devoirs.

La vie de la religion, la prospérité et la gloire de l’Église et de l’État dépendent en grande partie du gouvernement et de la conduite des familles. Si nous souffrons que nos fidèles négligent leurs devoirs domestiques, nous détruisons notre propre ouvrage. Que pouvons-nous faire par nous-mêmes pour réformer une congrégation, si nous sommes seuls à porter tout le fardeau, si les chefs de famille négligent de nous seconder ? Une famille mondaine et sans piété peut détruire tout le bien que nous aurons fait à un de ses membres. Si au contraire les chefs de famille faisaient leur devoir, s’ils continuaient l’œuvre que nous avons commencée, que d’avantages immenses en résulteraient ! Je vous en conjure donc, si vous désirez la réformation et la prospérité de votre troupeau, faites tous vos efforts pour encourager la religion domestique. Dans ce but, faites attention aux instructions suivantes :

1° Informez-vous de la manière dont chaque famille est conduite, afin de savoir comment vous pourrez lui être le plus utile.

2° Visitez vos fidèles au moment que vous croirez le plus opportun, et demandez au chef de la famille s’il prie avec elle et s’il lui lit l’Écriture-Sainte ? S’il le néglige, faites-lui sentir combien il est coupable ; faites une prière en commun avant de vous retirer, et montrez aux membres de la famille l’exemple que vous désirez qu’ils suivent ; peut-être obtiendrez-vous de leur part l’engagement de mieux remplir leur devoir à l’avenir.

3° Si quelques-uns, par ignorance ou par défaut d’habitude, sont incapables de prier, engagez-les à étudier leurs besoins et à s’en bien pénétrer ; conseillez-leur, en attendant, de se servir d’un formulaire de prières, plutôt que de rester sans prier. Qu’ils sentent combien leur négligence est honteuse et coupable, et combien ils sont blâmables d’ignorer leurs besoins au point de ne pas pouvoir les exposer à Dieu, quand les mendiants mêmes savent trouver des paroles pour demander l’aumône. Dites-leur qu’un formulaire de prières n’est qu’un moyen de suppléer à leur faiblesse, tant qu’ils ne peuvent pas s’en passer, mais qu’ils ne doivent pas s’en contenter et qu’ils doivent apprendre à prier eux-mêmes ; car il faut que la prière vienne du fond du cœur, et varie suivant leurs besoins et leur position.

4° Veillez à ce que chaque famille possède, outre la Bible, quelques livres de piété. Si elle n’en a pas, engagez-la à en acheter, ou si elle est trop pauvre, donnez-lui-en vous-mêmes. Si cela n’est point en votre pouvoir, adressez-vous à quelqu’un de vos amis dont vous connaissiez les dispositions charitables. Que les familles lisent ces livres le soir, quand elles ont du loisir, mais particulièrement le jour du Seigneur.

5° Enseignez à vos fidèles comment ils doivent sanctifier le dimanche, s’abstenir autant que possible de toute occupation qui pourrait les distraire, et employer le temps qu’ils passent dans leur famille après avoir assisté au culte public. La sanctification du dimanche est très importante pour entretenir la vie religieuse ; les pauvres ont peu de temps à leur disposition, et s’ils perdent le jour du Seigneur, ils perdent tout et restent dans l’ignorance et dans l’abrutissement. Que chaque chef de famille engage ses enfants et ses serviteurs à s’entretenir avec lui le dimanche soir, et à lui rendre compte de ce qu’ils ont appris à l’église pendant le jour. Ne négligez pas, je vous en supplie, cette partie importante de votre tâche.

Persuadez aux chefs de famille de faire leur devoir, et non seulement ils vous épargneront beaucoup de peine, mais ils contribueront essentiellement au succès de vos travaux. Si un colonel peut obtenir de ses officiers qu’ils fassent leur devoir, il conduira son régiment avec bien moins de peine que s’il était chargé seul de tous les détails. Jusqu’à ce que les familles soient réformées, vous ne pouvez guère espérer une réforme générale. Il pourra sans doute y avoir quelque piété dans votre église, mais tant qu’elle sera bornée aux individus, et qu’elle ne pénétrera pas dans le cercle de la famille, elle ne prospérera point et ne fera jamais beaucoup de progrès.

V. Nous devons visiter assidûment les malades et les préparer ou à une vie sainte ou à une mort chrétienne.

A la vérité, ce doit être le soin de toute notre vie ; mais dans un pareil moment, ce devoir exige de nous une attention toute particulière. Quand les fidèles touchent à leur dernière heure, et qu’ils doivent alors ou jamais se réconcilier avec Dieu, combien il leur importe de racheter ces derniers moments et de se saisir de la vie éternelle ! Et quand nous n’avons plus que quelques jours ou quelques heures pour leur parler de leur salut, nous serions des brutes ou des infidèles, si nous ne restions pas auprès d’eux, et si nous ne faisions pas tous nos efforts pour les amener à la repentance et à la conversion. Comment n’être pas ému de compassion en voyant un homme sur son lit de douleur, et en pensant que dans quelques jours, son âme sera au ciel ou en enfer ? Cette assiduité auprès des mourants mettra à l’épreuve la foi et la conviction des ministres. Ils pourront ainsi s’assurer si leurs pensées relatives à la vie à venir sont vraiment sérieuses. La mort opère de si graves changements que la vue des derniers moments d’un homme doit exciter toute notre sensibilité et toute notre compassion, et nous engager à faire pour son âme l’office des anges inférieurs, c’est-à-dire à la préparer à quitter sa demeure mortelle et à être conduite par les anges supérieurs « à l’héritage des saints dans la lumière. » Quand un homme est arrivé au terme de son pèlerinage terrestre, et qu’un pas de plus va le conduire au ciel ou en enfer, il est grand temps pour nous de l’aider de tout notre pouvoir, pendant qu’il nous reste encore quelque espérance. Outre que la situation d’un homme dans ce moment suprême doit émouvoir notre compassion, elle nous offre aussi une occasion favorable de lui être utiles. Les pécheurs les plus endurcis, qui auparavant dédaignaient nos conseils, nous écouteront quand ils seront sur leur lit de mort. Autrefois intraitables comme des lions, ils seront alors doux comme des agneaux. Souvent le pécheur le plus obstiné, lorsqu’il touche à sa dernière heure, s’humilie, confesse ses fautes, en témoigne du repentir, et promet de s’amender s’il se rétablit. Cyprien dit, en parlant des personnes en santé : « Celui qui chaque jour songe qu’il doit mourir, méprise les choses présentes et s’empresse vers les choses à venir. » Cela est encore plus vrai pour celui qui sent qu’il doit mourir bientôt. Avec quelle profonde conviction les plus grands pécheurs déplorent leurs fautes, confessent leur folie, reconnaissent la vanité du monde, quand ils voient la mort prête à les saisir ! — Vous me direz peut-être que ces conversions forcées ne sont pas sincères, et que par conséquent nous avons peu d’espoir de produire un bien réel. J’avoue que la plupart du temps la frayeur arrache aux pécheurs des résolutions inefficaces et ne les convertit pas véritablement. « Celui qui a bien vécu, dit Augustin, ne peut mal mourir ; et celui qui a mal vécu peut à peine bien mourir. » Sans doute, à l’heure de la mort, les conversions sincères sont rares ; mais elles ne sont pas impossibles. Comme elles sont rares, nous devons, ainsi que les pécheurs eux-mêmes, être d’autant plus vigilants et d’autant plus actifs pendant toute notre vie ; et comme d’un autre côté elles ne sont point impossibles, nous devons employer les remèdes les plus énergiques à l’heure de la mort.

Mon intention n’étant pas de vous tracer un plan pour tous vos devoirs pastoraux, je ne m’arrêterai point à vous détailler ce que vous devez faire à l’égard des pécheurs à leurs derniers moments ; je vous exposerai seulement quelques observations dignes de votre attention.

1° N’attendez pas qu’ils aient entièrement perdu toute force et toute connaissance, et qu’il ne vous reste plus de temps pour agir efficacement ; mais soit qu’ils vous appellent ou non, allez les visiter dès que vous apprenez qu’ils sont malades ;

2° Quand le temps est si court que vous ne pouvez les instruire des principes de la religion, insistez sur les points principaux et sur les vérités les plus propres à amener leur conversion ; faites-leur connaître la gloire de la vie à venir, le prix infini auquel elle a été achetée ; montrez-leur combien ils sont coupables de l’avoir dédaignée pendant leur vie mortelle ; mais en même temps dites-leur qu’ils peuvent encore l’obtenir en croyant à Jésus-Christ, notre unique Sauveur ;

3° S’ils se rétablissent, ne manquez pas de leur rappeler leurs promesses et leurs bonnes résolutions ; faites un appel à leur conscience, et quand vous les verrez se relâcher, répétez-leur ce qu’ils disaient lorsqu’ils étaient gisants sur le lit de douleur. Comme cette pratique est éminemment utile et qu’elle en a amené plusieurs à la conversion, visitez ceux dont la maladie n’est pas mortelle, aussi bien que ceux qui sont en danger de mourir, afin de vous procurer ainsi une occasion favorable de les conduire à la repentance et de combattre efficacement leurs péchés. L’empereur Sigismond demandait à l’évêque de Colen ce qu’il devait faire pour être sauvé ? — « Conduisez-vous, lui répondit l’évêque, comme vous avez promis de le faire lorsque vous étiez tourmenté par la goutte. »

VI. Nous devons reprendre et avertir les pécheurs scandaleux et impénitents.

Mais avant de porter la conduite du pécheur à la connaissance de l’Église et de ses anciens, le ministre doit le voir en particulier et faire ses efforts pour l’amener à la repentance, surtout si son offense n’est pas publique. Il faut dans ce cas user de beaucoup de prudence, et avoir égard au caractère particulier des pécheurs. Quant au plus grand nombre d’entre eux, il faut leur parler avec franchise, remuer leurs cœurs engourdis, leur montrer qu’on ne se joue pas impunément avec le péché, leur en faire sentir l’horreur et les funestes conséquences, en les menaçant de la colère de Dieu.

VII. J’arrive à la dernière partie de notre surveillance, je veux dire l’exercice de la discipline ecclésiastique.

Après avoir averti les pécheurs en particulier, nous devons les avertir publiquement, — les exhorter à la repentance, — réhabiliter ceux qui se repentent, — et exclure du sein de l’Église les impénitents. — Dans le cas d’offenses publiques et même quand il s’agit de fautes plus secrètes, si le pécheur ne se repent point, il faut le réprimander en présence des fidèles et l’exhorter à la repentance.

C’est un devoir pour nous, quoique nous l’ayons souvent négligé. Christ nous commande d’avertir l’Église, et Paul nous ordonne de reprendre le pécheur « en présence de tous. » Ce fut la pratique constante de l’Église avant que l’égoïsme et une fausse délicatesse eussent introduit le relâchement dans l’exercice de ce devoir et de beaucoup d’autres. Il n’est pas douteux que ce devoir ne nous soit rigoureusement imposé ; il n’est pas douteux non plus que nous n’y ayons été infidèles. Nous aurions honte, pour la plupart, de négliger la prédication ou la prière ; mais nous avons longtemps négligé l’exercice de la discipline ecclésiastique, sans songer combien cette négligence est coupable. Nous avons attiré sur nous la responsabilité de tous les péchés d’ivrognerie, d’impureté, de blasphème, faute d’employer les moyens que Dieu avait mis en notre pouvoir pour les combattre.

Si l’on m’objecte que ces réprimandes publiques irriteront les pécheurs au lieu de les corriger, je répondrai :

1° Il convient mal à une créature de censurer les commandements de Dieu comme inutiles, de murmurer contre ses devoirs au lieu de les remplir, et d’opposer sa volonté à celle de son Créateur. Si Dieu ne pouvait pas rendre ses commandements efficaces, il ne nous les aurait point imposés.

2° La discipline ecclésiastique est d’une utilité évidente ; elle confond le péché, elle humilie le pécheur, elle manifeste aux yeux du monde la sainteté de Christ, de sa doctrine et de son Église.

3° Que ferez-vous à ces pécheurs ? Les abandonnerez-vous comme étant sans espoir ? Cela serait plus cruel que de les soumettre à la pénitence publique. Emploierez-vous d’autres moyens ? Mais on doit supposer qu’ils ont tous échoué, puisque celui-ci est le dernier.

4° La grande utilité de la discipline ecclésiastique n’est pas pour le pécheur seul, mais pour l’Église. Elle tend à détourner les autres du péché et à maintenir la pureté des mœurs et de la doctrine. Sénèque disait avec raison : « En pardonnant les fautes du présent, on lègue des vices aux générations à venir. » Et ailleurs : « Celui qui épargne les méchants, nuit aux gens de bien. »

En adressant des réprimandes au pécheur, nous devons aussi l’exhorter à la repentance et à manifester publiquement cette repentance pour la satisfaction de l’Église.

Comme l’Église ne doit point avoir communion avec les pécheurs impénitents, si elle a la preuve de leur faute, elle doit aussi exiger la preuve de leur repentir : et quelle autre preuve peuvent-ils en donner, sinon de le témoigner publiquement et de changer de conduite ?

J’avoue que l’exercice de ce devoir demande beaucoup de prudence pour ne pas faire plus de mal que de bien ; mais nous parlons de cette prudence chrétienne qui nous dirige dans l’accomplissement du devoir, et non de cette prudence charnelle qui nous le fait négliger. Nous devons agir avec humilité, quoique avec vigueur ; nous devons montrer aux pécheurs que nous ne sommes pas guidés par le désir de la domination ou par le ressentiment d’une injure, mais que nous sommes poussés par le sentiment rigoureux du devoir ; et pour convaincre les fidèles que nous ne faisons qu’obéir strictement aux ordres de Dieu, nous leur adresserons la parole dans ce sens :

« Mes frères, quoique les hommes impénitents attachent peu d’importance au péché, Dieu l’a tellement en horreur, qu’il lui réserve pour sa punition les tourments éternels de l’enfer. Il n’y a que le sacrifice de Christ qui puisse nous préserver de ces tourments, si nous nous repentons et si nous renonçons au mal. C’est pourquoi Dieu, qui appelle tous les hommes à la repentance, nous commande de ne point haïr notre frère dans notre cœur, mais de reprendre avec soin notre prochain et de ne pas souffrir de péché en lui (Lévitique 19.17) ; de nous exhorter les uns les autres chaque jour, pendant qu’il est dit : Aujourd’hui ; de peur que quelqu’un ne s’endurcisse par la séduction du péché (Hébreux 3.13). Si notre frère a péché contre nous, Jésus-Christ nous ordonne de le reprendre en particulier ; s’il ne nous écoute pas, de prendre avec nous une ou deux personnes ; s’il ne daigne pas les écouter, de le dire à l’Église ; et s’il n’écoute pas l’Église, de le regarder comme un païen et un péager (Matthieu 18.15-17). Saint Paul nous exhorte de reprendre publiquement ceux qui pèchent, afin d’inspirer de la crainte aux autres (1 Timothée 5.20) ; de reprendre avec autorité (Tite 2.15) ; et s’ils ne se repentent pas, nous devons les fuir et ne pas même manger avec eux. » (2 Thessaloniciens 3.6, 2-14 ; 1 Corinthiens 5.11-13)

« Ayant été informé de la conduite scandaleuse de M. N. …, membre de cette Église, et ayant eu des preuves suffisantes qu’il a commis le péché odieux de …, nous nous sommes entretenus sérieusement avec lui pour l’amener à la repentance ; mais, nous le disons avec douleur, nous n’apercevons aucun résultat satisfaisant de nos efforts, et notre frère persévère dans l’impénitence (ou il vit toujours dans l’habitude du même péché, quoiqu’il déclare se repentir). Nous estimons en conséquence qu’il est de notre devoir d’user de ce dernier moyen que Christ nous a commandé d’employer. Nous prions donc notre frère, au nom du Seigneur, de considérer l’énormité de son péché, le mal qu’il a fait à Jésus-Christ et à lui-même, le scandale et le chagrin qu’il a causés aux autres. Nous le supplions instamment, dans l’intérêt de son âme, de voir si son péché et son impénitence peuvent compenser pour lui la perte de la vie éternelle, et dans quel état il comparaîtra devant le tribunal de Dieu et devant Christ, si la mort le surprend dans le péché et dans l’endurcissement. Comme messager de Jésus-Christ qui le jugera, je le conjure de renoncer à l’opiniâtreté et à la dureté de son cœur, de confesser et de déplorer sincèrement son péché devant Dieu et devant l’assemblée de ses frères. Je l’en avertis ici, non pas par inimitié contre lui, Dieu m’en est témoin, mais par zèle pour son âme et par obéissance à Jésus-Christ qui me le commande, désirant l’arracher au péché, à la puissance de Satan, à la colère de Dieu, et le réconcilier avec Dieu et avec l’Église. Qu’il s’humilie donc par une contrition sincère, pour échapper à la condamnation éternelle. »

Telle doit être la formule générale de ces admonestations publiques. Si le pécheur regardait sa faute comme légère, il faudrait lui en faire sentir la grandeur, en citant quelques passages de l’Écriture qui la condamnent sévèrement. A ces reproches et à ces exhortations, nous devons joindre les prières de la congrégation pour le pécheur. Cela doit se faire, surtout si le pécheur est absent, s’il ne donne aucune marque de repentance et s’il ne témoigne aucun désir des prières de l’Église. Dans ce cas, nous engagerons les fidèles à considérer la déplorable condition des pécheurs impénitents, à avoir compassion d’une âme tellement aveuglée et endurcie par le péché et par Satan qu’elle n’a point pitié d’elle-même ; à prier Dieu enfin qu’il ouvre les yeux du pécheur, qu’il humilie et touche son cœur avant qu’il soit condamné éternellement. Prions nous-mêmes pour lui avec ferveur, afin que notre troupeau se joigne de cœur à nos prières : peut-être Dieu daignera-t-il les exaucer, peut-être le pécheur en sera-t-il plus touché que de toutes nos exhortations. Si les ministres s’acquittaient de ce devoir avec conscience et dévouement, Dieu bénirait sans doute leurs efforts ; mais quand nous reculons devant les dangers et les difficultés de notre tâche, quand nous éludons ceux de nos devoirs qui ont quelque chose de pénible, nous ne pouvons espérer aucun résultat considérable de travaux faibles et charnels. Nous pouvons sans doute faire du bien à quelques-uns de nos fidèles ; mais nous ne pouvons espérer « que la parole du Seigneur ait un libre cours et qu’elle soit glorifiée, » quand nous remplissons nos devoirs d’une manière si molle et si incomplète.

Nous devons réconcilier le pécheur repentant avec l’Église ; comme nous ne devons pas, par trop d’indulgence, l’autoriser à mépriser la discipline ecclésiastique, de même nous ne devons pas le décourager par trop de sévérité. S’il reconnaît ses fautes et s’il s’en repent, il faut qu’il en fasse l’aveu, qu’il promette de ne plus retomber dans les mêmes désordres, de veiller sur lui-même plus attentivement, de fuir les tentations, de se défier de ses forces et de se confier à la grâce qui est en Jésus-Christ. Nous devons lui faire comprendre quelles sont les richesses de l’amour de Dieu et combien le sang de Christ est suffisant pour le pardon de ses péchés, s’il croit et se repent, et l’engager à communier avec les fidèles et à demander le secours de leurs prières, pour que Dieu le guérisse et le sauve.

Nous devons aussi exhorter notre troupeau à imiter Jésus-Christ, en pardonnant au pécheur pénitent et en le retenant dans son sein. Si le pécheur a été exclu de la communion, il faut que les fidèles l’y admettent de nouveau, qu’ils ne lui reprochent point ses fautes, mais qu’ils les lui pardonnent à l’exemple de leur divin maître.

Enfin nous rendrons grâce à Dieu du retour du pécheur, et nous le prierons de l’affermir dans ses bonnes résolutions.

Le dernier usage de la discipline ecclésiastique consiste à exclure de la communion ceux qui, après des épreuves suffisantes, demeurent dans l’impénitence.

L’exclusion de la communion de l’Église (ou l’excommunication) a différents degrés qu’il ne faut pas confondre : celle qui est le plus communément pratiquée parmi nous consiste à exclure de la communion des fidèles le pécheur impénitent, jusqu’à ce qu’il plaise au Seigneur de l’amener à la repentance.

Dans le cas de cette exclusion, le ministre de l’Église doit enjoindre aux fidèles, au nom du Seigneur, de n’avoir point de communion avec le pécheur impénitent et de l’éviter soigneusement.

Nous devons cependant prier pour que Dieu amène les excommuniés à la repentance ; et s’ils se repentent, nous devons avec joie les recevoir de nouveau dans la communion de l’Église.

Combien il serait à souhaiter que nous fussions fidèles à la pratique de cette discipline, au lieu de la laisser tomber dans le mépris par notre négligence, tout en la louant dans nos ouvrages ! C’est une question importante que de savoir quels sont les plus coupables devant Dieu, ceux qui s’opposent ouvertement à l’exercice de la discipline, parce qu’ils n’en connaissent ni la nature ni la nécessité, ou ceux qui la recommandent dans leurs discours, mais l’avilissent en la négligeant ? Si l’hypocrisie n’est point un péché, et si la connaissance de la volonté de Dieu n’aggrave point la faute de la désobéissance, les seconds sont sans doute moins coupables que les premiers ; mais dans la supposition contraire, les adversaires déclarés de la discipline sont certainement moins criminels que leurs antagonistes. Je n’engagerai pas ceux qui recommandent la discipline mais la négligent, à rétracter tout ce qu’ils ont dit jusqu’à ce qu’ils le mettent en pratique ; je n’exigerai pas d’eux le sacrifice des écrits qu’ils ont publiés et qui s’élèveront contre eux au jour du jugement ; mais je les exhorterai sincèrement à conformer leur conduite aux opinions qu’ils professent, de peur qu’en parlant en faveur de la discipline ecclésiastique et en la négligeant, ils n’aient signé leur propre condamnation.

C’est avec une extrême surprise que j’ai entendu des ministres qui me paraissaient pieux et sincères, blâmer les partisans de la discipline ecclésiastique, c’est-à-dire ceux qui ne veulent pas donner indistinctement la communion à tous leurs paroissiens, et qui les divisent ainsi en catégories. Il me semblait que Satan, en engageant un ministre pieux à négliger la discipline, avait obtenu une aussi belle victoire que s’il lui eût fait abandonner la prédication. Si l’on comprenait bien que le devoir pastoral consiste surtout dans la conduite de l’Église, on comprendrait aussi que celui qui est l’ennemi de la discipline est l’ennemi du ministère évangélique ; que l’ennemi du ministère évangélique est l’ennemi de l’Église ; et que l’ennemi de l’Église est bien près d’être l’ennemi de Dieu. Ne blâmez pas la rigueur de cette déduction, si vous ne pouvez y échapper, et si vous ne trouvez rien à y répondre devant Dieu.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant