Le Pasteur Réformé

III
Application

1. Nécessité de l’humiliation

Mes chers frères, nous devons aujourd’hui nous humilier devant le Seigneur pour notre négligence passée, et pour le supplier de nous aider dans l’accomplissement de notre œuvre.

Nous ne pouvons obtenir ce secours que par une sincère repentance et par une profonde humiliation. Celui qui n’a pas assez le sentiment de ses fautes pour les déplorer amèrement, ne se sentira pas suffisamment pressé de les réparer. La douleur qui accompagne la repentance peut exister sans le changement du cœur ou de la vie, parce qu’un sentiment est plus facile à faire naître qu’une véritable conversion ; mais il faut cependant que cette douleur existe pour produire le changement. Et c’est ici le temps de confesser toute notre misère ; trop souvent nous exigeons de nos fidèles ce que nous ne faisons pas nous-mêmes. Que de peine nous prenons pour les humilier, tandis que nous-mêmes ne nous humilions point ! Avec quelle insistance nous cherchons à leur arracher quelques larmes, tandis que nos yeux demeurent secs ! Nous cherchons par nos paroles à les toucher et à les attendrir, et nous leur donnons l’exemple de l’endurcissement. Combien nous serions différents de ce que nous sommes, si nous prenions autant de peine pour amender notre propre cœur que pour amender celui de nos frères ! Nous agissons, pour la plupart, comme si notre unique devoir était d’appeler les fidèles à la repentance, et le leur, de se repentir ; comme si c’était à nous de leur arracher des larmes, à eux d’en verser ; à nous de condamner le péché, à eux de l’éviter ; à nous de prêcher le devoir, à eux de l’accomplir.

L’Écriture Sainte nous apprend cependant que les conducteurs de l’Église confessaient leurs péchés aussi bien que ceux du peuple. Esdras confesse ses péchés en pleurant et en se prosternant devant la maison de Dieu. Daniel s’humilie en même temps que le peuple. Si nous considérons quels sont nos devoirs et combien nous les remplissons imparfaitement, nous reconnaîtrons que nous n’avons que trop sujet de nous humilier. Je dois le dire, quoique je me condamne moi-même en le déclarant, quiconque lit l’exhortation de saint Paul aux anciens de l’église d’Éphèse et rapproche sa conduite de cette règle, doit avoir le cœur complètement endurci, s’il n’éprouve pas un regret profond de sa négligence, s’il ne la déplore pas amèrement, s’il ne se sent pas pressé de recourir au sang de Christ pour obtenir son pardon. Je m’assure, mes frères, que chacun de vous reconnaît la nécessité de la confession, de la contrition et de l’humiliation, pour obtenir le pardon des péchés. Ne serait-il donc pas déplorable que notre cœur ne fût pas aussi orthodoxe que notre raison ? Quand nous avons confié à notre mémoire les exhortations que nous voulons adresser à nos auditeurs, nous n’avons encore fait que la moitié de notre tâche ; il faut en outre que notre cœur et notre volonté en soient bien pénétrés. Il est triste, sans doute, que notre prédication laisse nos auditeurs froids et indifférents ; mais il est encore plus triste qu’après avoir si longtemps prêché contre l’endurcissement du cœur, notre propre cœur soit devenu insensible.

Et afin que vous soyez bien convaincus que ce n’est pas sans raison que Dieu nous ordonne de nous humilier, je placerai sous vos yeux nos transgressions multipliées, pour que nous puissions les reconnaître et les confesser, et pour que « celui qui est fidèle et juste puisse nous les pardonner, et nous purifier de toute iniquité. » Je m’assure que vous consentez à ce que nous fassions ensemble le compte de nos voies, et que loin de vous offenser de ce que je pourrai dire d’humiliant pour vos personnes, vous serez vous-mêmes vos accusateurs. D’ailleurs, loin de prétendre me justifier moi-même en vous humiliant, je m’inscris tout le premier sur la liste des accusés ; car comment un misérable pécheur, coupable de si nombreuses et de si graves transgressions, prétendrait-il se justifier devant Dieu ? Comment, avec une conscience chargée de tant de fautes, oserait-il se dire innocent ? S’il y a ici un sujet de honte, ce sera pour les pasteurs eux-mêmes, mais non pour leur sainte charge. Cette charge, quelque relevée qu’elle soit, ne peut atténuer la honte de leurs péchés. Pasteurs ou fidèles, il n’y a que ceux qui confessent leurs péchés et qui y renoncent, qui trouveront miséricorde, tandis que l’endurcissement du cœur mène les uns et les autres à la perdition.

Je ne puis entreprendre d’énumérer toutes les transgressions dont nous nous sommes rendus coupables ; si donc j’en passe quelques-unes sous silence, il ne faudra pas en conclure que nous en soyons exempts ou que je les approuve. J’examinerai seulement celles qui sont les plus évidentes et qui exigent le plus impérieusement une prompte réparation.

Toutefois, je dois d’abord reconnaître que, malgré le grand nombre de nos imperfections, je ne crois pas que l’Angleterre ait jamais possédé un ministère aussi fidèle que celui qu’elle possède de nos joursa. Il s’est opéré depuis douze ans un changement si heureux, que c’est pour moi la joie la plus vive d’en avoir été le témoin. Combien de congrégations, en effet, autrefois plongées dans les ténèbres, qui jouissent maintenant des bienfaits d’une instruction simple et solide ! Combien, dans une seule province, s’est accru le nombre des pasteurs capables et fidèles ! Combien le Seigneur s’est plu à bénir les études d’une foule de jeunes gens qui sont maintenant plus éclairés que la plupart de leurs devanciers ! Que de bénédictions il a répandues en particulier sur ce comté de Worcester, en y suscitant un si grand nombre de ministres pieux qui se consacrent avec zèle et avec ardeur aux fonctions de leur charge et à l’édification de leur troupeau ! Je bénis Dieu de ce qu’il m’a placé dans une province où je puis entretenir des relations fraternelles avec tant de pasteurs fidèles, humbles, paisibles et dévoués. Je me réjouirai toute ma vie du changement remarquable qui s’est manifesté aussi dans d’autres parties de l’Angleterre, où une foule de ministres zélés travaillent au salut des âmes sans se laisser décourager par l’opposition et le courroux de leurs adversaires. Je sais que quelques hommes dont j’estime les talents, qui ne partagent pas mes vues sur le gouvernement ecclésiastique, verront avec peine que je me réjouisse de ce changement ; mais je dois déclarer que je ne m’en réjouirais pas moins, quand même je serais entièrement partisan de l’épiscopat. Quoi ! je ne me réjouirais pas de la prospérité de l’Église, parce qu’il n’y a pas unanimité d’opinion sur la forme de son gouvernement ? Je fermerais les yeux pour ne pas voir les miséricordes du Seigneur ? Les âmes des hommes sont trop précieuses à mes yeux pour que je leur envie le pain de vie parce qu’il leur est distribué par des ministres qui n’ont pas l’approbation d’un prélat. Plût à Dieu que toutes les congrégations fussent ainsi pourvues ! Mais tout ne peut se faire à la fois ; il a fallu du temps pour réformer un ministère corrompu, et après que les ecclésiastiques ignorants et dépravés ont été éloignés, il faut encore du temps pour les remplacer par des hommes de talent et de piété ; et si l’Angleterre n’éteint pas volontairement le flambeau de l’Évangile, si elle ne s’oppose pas à tous les plans de réformation, elle peut devenir la nation la plus heureuse de la terre ; car je n’ai aucun doute que l’Évangile, annoncé par des ministres à la fois prudents et dévoués, ne triomphe à la fin des erreurs de toutes les sectes et de toutes les hérésies qui cherchent à s’insinuer parmi nous.

a – En 1656 ; Baxter ne dirait plus la même chose, de nos jours.

Ce n’est pas là, direz-vous, une confession de péchés, mais plutôt l’éloge de ceux auxquels tant de reproches devaient être adressés. — Je répondrai que c’est un juste témoignage de ma reconnaissance pour la bonté de Dieu et pour ses miséricordes infinies. Il ne faut pas, en effet, en confessant les fautes de mes frères, méconnaître les grâces que Dieu a répandues sur eux. Venons maintenant à cette confession humiliante de nos transgressions.

I. Un de nos péchés les plus odieux et les plus manifestes, c’est l’orgueil.

Ce péché est malheureusement commun à tout homme ; mais il est plus odieux et plus inexcusable chez un pasteur. Et cependant, il domine tellement plusieurs d’entre nous, que c’est lui qui dicte nos discours, qui nous règle dans le choix de nos relations, dans le sujet et dans le ton de nos entretiens journaliers. A quelques-uns de nous il inspire des pensées d’ambition et de grandeur, des sentiments de jalousie envers ceux qui leur font obstacle et qui éclipsent leur gloire et leur réputation. L’orgueil est pour nous un compagnon inséparable, un maître tyrannique, un ennemi rusé. Il nous poursuit jusque dans notre cabinet et se met à l’ouvrage avec nous ; il choisit le sujet et souvent les expressions de nos sermons. Dieu nous recommande la simplicité, afin que nous puissions instruire les ignorants ; le sérieux et la sincérité, afin que nous puissions toucher les cœurs endurcis. Mais l’orgueil est là, qui nous donne d’autres conseils et qui nous fait rechercher les ornements superflus ; il énerve notre prédication sous prétexte d’en polir le style, il la surcharge d’ornements vains et futiles ; il la rend froide et obscure et nous pousse à parler d’une manière inintelligible sous prétexte de parler avec élégance ; il émousse le tranchant de nos paroles. Et tandis que Dieu nous recommande de parler aux hommes avec toute l’ardeur et toute la force dont nous sommes capables, l’orgueil est là qui nous invite à la désobéissance en nous disant : « Voulez-vous prêcher comme un furieux ? Ne pouvez-vous vous servir d’un langage plus modéré ? » C’est ainsi que l’orgueil, c’est-à-dire Satan, compose la plupart de nos sermons, leur donne la forme et l’expression, et les rend inefficaces, bien que le sujet en soit divin.

Et quand l’orgueil a composé notre sermon, il nous accompagne dans la chaire, il façonne notre geste et notre débit, et nous inspire la soif des applaudissements ; en un mot, dans nos études et dans notre prédication, il fait que nous nous cherchons nous-mêmes au lieu de chercher la gloire de Dieu, tandis que nous devrions nous demander : Que dirai-je, et comment le dirai-je, pour être agréable à Dieu et pour faire le plus de bien ? L’orgueil nous pousse à nous demander : Que dirai-je, et comment le dirai-je, pour acquérir la réputation d’un prédicateur éloquent et pour être applaudi de mes auditeurs ? Quand notre prédication est terminée, l’orgueil nous accompagne dans notre demeure et nous rend plus empressés à savoir si nous avons été applaudis, qu’à savoir si nous avons fait sur les âmes de sérieuses impressions à salut. La pudeur seule nous empêche de demander à nos auditeurs comment ils ont trouvé notre sermon et de mendier leurs éloges. Si nous nous apercevons que l’on fait cas de notre prédication, nous nous réjouissons comme si nous avions atteint le but ; mais si l’on ne nous regarde que comme des prédicateurs ordinaires, nous sommes découragés comme si nous l’avions manqué.

Ce n’est pas tout ; ce n’est pas même ce qu’il y a de plus triste. Il y a des ministres tellement avides de considération et de popularité, qu’ils envient les talents et la position de ceux de leurs frères qui leur sont préférés, comme si leur réputation perdait tout ce que gagne celle d’un autre, comme si les dons de Dieu étaient pour eux des ornements destinés à les parer dans le monde, et comme si ceux qu’il a accordés à d’autres devaient être méprisés et foulés aux pieds, parce qu’ils leur font obstacle ! Quoi ! un pasteur, un prédicateur de Christ porte envie à son frère et cherche à rabaisser ses talents, parce qu’il craint que les siens n’en soient éclipsés ! Un vrai chrétien n’est-il pas membre du corps de Christ, et, comme tous les autres membres, ne participe-t-il pas à la gloire du corps entier ? Tout homme ne doit-il pas rendre grâces à Dieu des dons de ses frères, non seulement parce qu’il y participe, mais aussi parce que le but peut être atteint par ces dons aussi bien que par les siens propres ? Ce but, c’est la gloire de Dieu, la prospérité de l’Église ; si ce but n’est pas le sien, il ne peut s’appeler chrétien. Un ouvrier doit-il porter envie à son compagnon parce que celui-ci l’aide à faire l’œuvre de son maître ?

Et cependant ce péché odieux n’est que trop commun parmi les membres de l’Église. Ils ne se font pas scrupule de chercher à ternir la réputation de ceux qu’ils considèrent comme des rivaux ; s’ils n’osent le faire ouvertement, dans la crainte de passer pour des calomniateurs, ils le font indirectement et par de perfides insinuations. Quelques-uns sont tellement dominés par cette honteuse passion, qu’ils ne veulent pas céder leur chaire à un prédicateur plus éloquent, dans la crainte qu’il ne recueille des applaudissements qu’ils regardent comme leur bien propre. C’est une chose déplorable, qu’un homme qui a quelque crainte de Dieu soit jaloux des dons de Dieu et aime mieux voir ses auditeurs demeurer impénitents et inconvertis que d’en voir un autre les réveiller et les convertir. Cela va si loin, que dans les grandes congrégations qui ont besoin du ministère de deux ou de plusieurs prédicateurs, il est difficile que deux ministres également doués vivent ensemble en bonne harmonie et poursuivent d’un commun effort l’œuvre de leur divin maître ; à moins que l’un des deux ne soit décidément inférieur à l’autre et ne consente à être son second et à recevoir la loi de lui, ils luttent entre eux pour la prééminence, ils se jalousent l’un l’autre, ils vivent dans une froideur et dans une inimitié réciproque, déshonorant ainsi leur ministère et compromettant l’édification de leur troupeau. Plus d’une fois, lorsque j’ai voulu représenter à quelques personnes qu’une nombreuse congrégation devait avoir plus d’un ministre, il m’a été répondu que s’il y en avait plusieurs, ils ne pourraient s’accorder ensemble. J’ai la confiance qu’il n’en est point ainsi dans beaucoup de cas ; mais je crains bien que cela ne soit vrai dans quelques-uns. Tel est l’orgueil de quelques pasteurs que, plutôt que de voir un second partager avec eux l’honneur de la conduite de leur troupeau et leur influence sur les fidèles, ils aiment mieux rester seuls chargés d’un fardeau qui accable leur faiblesse.

C’est encore l’orgueil qui rend les ministres si entiers dans leurs opinions, si fortement opposés à ceux qui ne pensent pas comme eux sur des points secondaires. Ils veulent que tout le monde se soumette à leur jugement, comme s’ils étaient les maîtres et les arbitres de la foi de l’Église. Tandis que nous nous élevons contre l’infaillibilité du pape, nous ne sommes pas éloignés, pour la plupart, de nous faire papes nous-mêmes et de vouloir imposer la croyance à notre infaillibilité. Il est vrai que nous n’annonçons pas ouvertement cette prétention ; ce n’est qu’à l’évidence de la vérité telle que nous l’établissons, que nous voulons voir les hommes se soumettre ; mais, comme la vérité n’est, à notre sens, que ce que nous croyons, ce sont, dans le fait, nos opinions et nos raisonnements que nous voulons imposer. Et si, après avoir examiné nos arguments, on les trouve vicieux ou faibles, nous sommes tout prêts à nous en irriter comme d’un outrage personnel. Nous épousons si étroitement la cause de nos erreurs, que tout ce qui est dit contre elles nous semble être dit contre nous, et nous nous affligeons de voir attaquer nos raisonnements, quoiqu’ils soient souvent contraires à la vérité et dangereux pour les âmes.

Telle est la susceptibilité de notre orgueil, que lorsque d’autres personnes sont appelées par devoir à nous reprendre ou à nous contredire, nous ne pouvons supporter ni leurs reproches ni la manière dont ils nous sont adressés. L’homme le moins estimable sera bien venu de nous, s’il adopte nos opinions et s’il fait l’éloge de nos talents ; mais nous ne pouvons souffrir celui qui nous avertit franchement de nos fautes et de nos manquements. Cette contradiction nous est surtout pénible, lorsqu’elle est publique. Sans doute, nous devons avoir horreur de la raillerie, et ménager soigneusement la réputation de nos frères ; mais trop souvent aussi nous avons le tort de regarder comme nos ennemis ceux qui ne nous admirent point autant que nous voudrions être admirés et qui n’adoptent point comme des vérités nos opinions, même les plus fausses.

Je l’avouerai ; c’est pour moi un sujet d’étonnement de voir que l’on attache peu d’importance à un péché si odieux, et que l’on regarde cette disposition comme compatible avec la piété et la sainteté, lorsque nous nous élevons avec tant de véhémence contre des fautes bien moins graves. Lorsque nous nous adressons à des ivrognes, à des mondains, à des hommes ignorants et inconvertis, nous ne les ménageons point, nous les avertissons franchement de leur état de péché et de misère ; bien plus, nous voulons qu’ils nous écoutent patiemment et qu’ils nous sachent gré de nos exhortations. De leur côté, ils prennent souvent nos reproches en bonne part, et nous considèrent d’autant plus que nous leur parlons plus franchement et plus sérieusement. Mais si nous avertissons un ministre de ses fautes et de ses erreurs, si nous n’avons soin d’adoucir nos reproches par des éloges, au point de rendre ceux-là insignifiants, ils les regardent comme une injure personnelle dont ils ont le droit de s’offenser.

Cette confession, mes frères, est pénible ! mais nous devons être plus affligés de cet état de choses que de nous l’entendre reprocher. Si le mal pouvait être caché, je ne l’aurais point découvert, du moins aussi publiquement. Mais, hélas ! il est depuis longtemps connu de tout le monde. Nous nous sommes déshonorés en recherchant l’honneur avec trop d’empressement ; nous avons nous-mêmes révélé notre honte à tous les yeux. Le monde ne peut croire à la piété d’un ministre entaché de ce vice : et si nous ne le détestons pas, si nous n’en gémissons pas, si nous ne nous humilions pas devant Dieu, notre piété n’est qu’une hypocrisie. Que chacun de nous s’examine, qu’il se repente et qu’il veille !

Je dois le dire cependant ; je n’enveloppe pas dans cette accusation tous les ministres de Christ. Il y a, grâces à Dieu, parmi nous, des hommes remarquables par leur douceur et leur humilité, et qui sont dignes d’être proposés comme modèles à leur troupeau et à leurs collègues dans le ministère. C’est là leur gloire dans ce monde et dans l’autre ; c’est là ce qui les rend agréables devant Dieu, devant les hommes pieux, et même devant les impies. Puissions-nous tous leur ressembler ! Puisse le Seigneur nous amener à ses pieds, versant des larmes de confusion et de repentir ! Qu’il me soit permis, mes frères, d’en appeler à vos consciences, et de vous faire sentir la honte et l’énormité de ce péché. L’orgueil n’est-il pas le péché des démons, le premier-né de l’enfer ? N’est-ce pas en lui que se révèle surtout l’image de Satan ? et peut-on le tolérer dans des hommes, engagés comme nous, à combattre contre le royaume du démon ? Le dessein de l’Évangile est de nous humilier ; l’œuvre de la grâce doit être commencée et achevée en toute humilité. L’humilité n’est point simplement un ornement pour un chrétien ; c’est une qualité essentielle de la nouvelle créature. Etre chrétien et ne pas être humble, implique contradiction. Tous ceux qui veulent être chrétiens doivent être les disciples de Christ, et « aller à lui pour apprendre ; » et la leçon qu’il leur donne, c’est qu’ils soient « doux et humbles. » Les préceptes et les exemples de notre Seigneur vont tous à cette fin. Pouvons-nous être fiers et orgueilleux quand nous voyons notre divin maître laver et essuyer les pieds de ses serviteurs ? Pouvons-nous dédaigner et éviter la compagnie des pauvres, quand nous le voyons vivre et converser habituellement avec eux ? Hélas ! la plupart de nous se trouvent plus souvent dans la demeure du riche que dans l’humble chaumière du pauvre, qui cependant a surtout besoin de nous. Il semble que nous rougissions d’être avec les personnes humbles et petites, selon le monde, de les instruire dans la voie du salut, comme si nous n’avions à répondre que des âmes des grands et des riches.

De quoi donc sommes-nous si fiers ? Est-ce de notre corps ? Mais n’est-il pas fait des mêmes éléments que celui des brutes ? N’est-il pas, comme le leur, sujet à la corruption et à la pourriture ? Est-ce des grâces que nous avons reçues ? Mais plus nous en sommes orgueilleux, moins nous avons sujet de l’être, puisque l’humilité fait partie essentielle de la grâce. — Est-ce de notre savoir et de nos connaissances ? — Mais si nous savons quelque chose, nous devons savoir combien nous avons de motifs pour être humbles ; et si notre savoir surpasse celui des autres, notre humilité aussi doit surpasser la leur. Combien tout ce que nous savons est peu de chose, auprès de ce que nous ignorons ! et combien nous avons peu sujet de nous enorgueillir ! D’ailleurs les démons n’en savent-ils pas beaucoup plus que nous ; et pouvons-nous être fiers d’une science dans laquelle nous leur sommes inférieurs ? Notre grande tâche est d’enseigner l’humilité à notre troupeau ; il serait donc absurde de ne pas la pratiquer nous-mêmes.

Chose déplorable ! nous ne nous mettons pas assez en garde contre ce péché ; nous l’apercevons et nous le blâmons dans les autres, mais nous ne le remarquons point assez en nous. Le monde accuse la plupart d’entre nous d’aspirer à la prééminence, d’avoir un esprit de domination, de vouloir tout conduire et tout diriger, et de ne pouvoir souffrir la moindre contradiction. On nous accuse de ne pas chercher la vérité, mais de vouloir imposer nos opinions. Notre orgueil est si évident que tout le monde en est choqué, et nous sommes les seuls à ne pas l’apercevoir.

Je dois vous parler sérieusement et franchement : réfléchissez-y bien : Croyez-vous vous sauver en prêchant l’humilité et en vous livrant vous-mêmes à l’orgueil ? Croyez-vous, en agissant ainsi, être sincères dans vos exhortations ? Quand nous disons à un homme adonné à l’ivrognerie qu’il ne peut être sauvé à moins qu’il ne devienne tempérant ; à un fornicateur qu’il ne peut être sauvé à moins qu’il ne devienne chaste, ne devons-nous pas nous dire à nous-mêmes, si nous sommes orgueilleux, que nous ne pouvons être sauvés qu’en devenant humbles. En effet, l’orgueil est un plus grand péché que l’ivrognerie ou l’impureté ; et l’humilité n’est pas moins nécessaire que la sobriété et la chasteté. Un homme peut se damner aussi sûrement en prêchant l’Évangile et en affectant une vie sainte, qu’en se livrant aux excès de l’ivrognerie et de l’impureté. Celui qui est saint vit pour Dieu : celui qui est réprouvé vit pour lui-même. Et est-il un homme qui vive plus pour lui et moins pour Dieu que l’orgueilleux ? Et l’orgueil ne peut-il pas faire qu’un prédicateur étudie, prie, prêche et vive pour lui-même, quand il semble surpasser ses collègues dans l’exercice de ses devoirs ? L’œuvre, dépouillée de son principe, ne peut nous justifier. En faisant l’œuvre de Dieu, nous pouvons la faire pour nous et non pour lui.

Je dois l’avouer, si je ne veillais continuellement sur moi, je courrais risque de n’avoir dans mes études, dans mes prédications, dans mes écrits, d’autre objet que moi-même.

Considérez, mes frères, combien l’œuvre du ministère renferme de pièges capables de nous faire tomber dans l’égoïsme, même en accomplissant des œuvres de piété. Une réputation de piété est aussi séduisante qu’une renommée de savoir. Mais malheur à celui qui prend un renom de piété pour la piété elle-même ! Malheur à lui, car il aura reçu sa récompense ! » Lorsque la science et les vaines formalités étaient en vogue, les tentations du pasteur orgueilleux venaient de ce côté. Mais maintenant que, grâces à Dieu, on recherche surtout une prédication sérieuse et pratique, et que l’on honore hautement la piété, l’homme orgueilleux est tenté par la renommée de prédicateur sérieux et de pasteur pieux. Combien il est glorieux de voir les fidèles s’empresser pour nous entendre, être touchés de nos paroles et nous soumettre leurs esprits et leurs cœurs ! Combien il est glorieux d’être proclamé comme le plus habile prédicateur de la contrée, comme un homme hautement doué, sous le rapport spirituel ! Hélas ! mes frères, une petite portion de la grâce divine, jointe à de si puissantes séductions, vous portera à vous mettre dans les rangs des plus zélés promoteurs de la cause de Christ. Je dirai plus, l’orgueil tout seul et sans la grâce suffirait pour vous y pousser. Veillez donc sur vous-mêmes, et, parmi vos études, ne négligez pas celle de l’humilité. « Celui qui s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera exalté. » Tous les hommes en général, les méchants comme les bons, détestent les orgueilleux et aiment les personnes humbles. L’orgueil lui-même, pour être bienvenu, revêt souvent les apparences de l’humilité. Nous avons d’autant plus de motifs pour veiller sur nous, que ce péché, profondément enraciné dans notre âme, est bien difficile à extirper.

II. Nous ne nous consacrons pas à l’œuvre du Seigneur aussi sérieusement et aussi entièrement que nous le devrions.

Je bénis Dieu de ce qu’il y a beaucoup de pasteurs qui font l’œuvre de leur maître avec tout le zèle possible ; mais, hélas ! avec quelle négligence la plupart d’entre eux, même ceux que nous regardons comme des ministres pieux, s’acquittent-ils de leur ministère ! Mais il n’y en a que trop peu parmi nous qui remplissent leur tâche comme s’y étant complètement dévoués ! A l’appui de cet aveu humiliant, je citerai quelques exemples de notre coupable négligence.

Si nous étions entièrement dévoués à notre œuvre, nous ne serions pas si négligents dans nos études. Il y a peu d’hommes qui prennent la peine nécessaire pour cultiver leur intelligence, et pour se rendre propres à l’accomplissement de leurs devoirs. La plupart n’ont aucun plaisir à l’étude ; ils y consacrent seulement une heure de temps en temps, et ils la quittent comme une tâche désagréable. Et pourtant, le désir naturel d’acquérir des connaissances, le sentiment de notre ignorance et de notre faiblesse, et la pensée de l’importance de notre œuvre, ne devraient-ils pas nous engager à étudier et à rechercher la vérité ? Que de choses un ministre devrait savoir, et qu’il est honteux pour lui de les ignorer ! Quand nous aurions tant de livres à lire, tant de connaissances à acquérir, la plupart de nous ne travaillent qu’à la composition de leurs sermons et ne font rien de plus. Nous n’apportons pas même à la composition de nos sermons tout le soin que nous devrions ; nous nous bornons à exposer quelques vérités connues, sans chercher le moyen le plus efficace de les faire pénétrer dans la conscience et dans le cœur de nos auditeurs. Nous devrions nous étudier à convaincre les hommes, à les toucher à l’endroit sensible, et ne pas nous contenter d’une improvisation faible et superficielle. Soyez bien persuadés, mes frères, que les connaissances ne s’acquièrent que par un travail soutenu et infatigable.

Si nous étions réellement dévoués à notre œuvre, nous la poursuivrions avec plus de vigueur et avec plus de sérieux que nous ne le faisons pour la plupart. Combien y a-t-il de ministres qui prêchent avec toute l’énergie dont ils sont capables, et qui parlent des félicités et des peines éternelles de manière à persuader à leurs auditeurs qu’ils en parlent sérieusement ? Il est bien douloureux de voir un prédicateur s’adresser à des auditeurs indifférents et engourdis, et de ne pas entendre sortir de sa bouche une parole qui puisse les réveiller. Nous prêchons si mollement et si froidement, qu’il n’est pas rare que les pécheurs s’endorment en nous écoutant. Nos discours effleurent à peine leur conscience. Il y a des ministres qui ne prennent pas même la peine d’élever la voix et d’animer leur débit ; ou, s’ils ont quelque véhémence, elle est si peu en rapport avec leur sujet, que leur prédication n’est qu’un vain bruit qui demeure sans effet, parce que leurs auditeurs n’y comprennent rien. Ils ont à leur disposition les doctrines les plus importantes, mais ils négligent d’en faire l’application à la conscience de leurs auditeurs ; ils pourraient produire un bien immense, et soit impuissance, soit faiblesse de volonté, leurs travaux sont sans résultat.

O mes frères ! avec quel zèle, avec quelle ardeur, avec quel sérieux nous devrions transmettre un message d’où dépendent la vie et la mort éternelle de nos frères ! Le sérieux, voilà ce qui nous manque le plus, et c’est pourtant ce qui nous est le plus nécessaire. Eh quoi ! nous pouvons parler froidement de Dieu et du salut des âmes ! nous pouvons, quand il s’agit de la conversion des pécheurs, demeurer nous-mêmes tranquilles et indifférents ! Au nom de Dieu, mes frères, lorsque vous montez en chaire, réveillez vos propres cœurs, afin de pouvoir réveiller ceux de vos auditeurs. Quand même vous exalteriez la religion dans vos discours, si vous le faites avec froideur, votre débit sera en contradiction avec vos paroles. C’est pour ainsi dire mépriser ces grandes choses que d’en parler sans chaleur et sans affection. Si la parole de Dieu nous recommande « de faire selon notre pouvoir tout ce que nous aurons moyen de faire, » cette règle doit être sacrée pour nous, surtout quand nous prêchons pour le salut des âmes.

Je ne vous dirai pas d’élever sans cesse la voix dans votre prédication ; mais je vous recommanderai un sérieux constant et une certaine chaleur d’action et de débit, lorsque le sujet l’exigera, par exemple, dans l’application. Parlez à vos auditeurs comme à des hommes qui doivent se réveiller ou sur la terre ou dans l’enfer. Voyez-les des yeux de la foi, songez aux tourments éternels qu’ils doivent endurer, et vous serez nécessairement touchés de leur condition.

Oh ! gardez-vous de parler avec froideur et indifférence du bonheur et du malheur éternel ; gardez-vous que l’on aperçoive dans vos discours de la faiblesse ou de la légèreté. Vos auditeurs ne seront point amenés à faire le sacrifice de leurs passions et de leurs jouissances, à la voix d’un homme qui ne paraît pas parler du fond de son cœur, ni se soucier qu’on l’écoute ou non. Il est vrai que ce que vous faites est l’œuvre de Dieu, et qu’il peut l’accomplir par les moyens les plus faibles ; mais cependant Dieu se sert d’instruments pour accomplir ses desseins, et il veut que le sujet et la forme de la prédication concourent l’un et l’autre à l’achèvement de son œuvre.

Auprès de la plupart des auditeurs, la prononciation et le son de voix ont une certaine importance. La prédication la plus substantielle leur fera peu d’impression, si elle manque de chaleur et de vie.

Évitez surtout l’affectation et parlez à vos auditeurs aussi simplement que dans un entretien particulier. Le manque de familiarité est un défaut que nous devons soigneusement corriger. Celui qui a un ton monotone et déclamatoire, comme un écolier qui répète sa leçon, produira peu d’impression. Réveillons-nous donc, pour faire l’œuvre du Seigneur ; n’oublions pas, en parlant à notre troupeau, qu’il s’agit de le sauver par force et de l’arracher du feu. Ce n’est pas en parlant faiblement que nous enlèverons les âmes à Satan ; il faut les assiéger en règle, les foudroyer avec la Parole de Dieu, et ne pas cesser votre feu que nous ne les ayons battues en brèche.

Comme nous nous adressons à des créatures raisonnables, qui parfois abusent de leur raison pour combattre la vérité, nous devons nous efforcer de porter la conviction dans leurs esprits, de faire briller à leurs yeux la lumière de l’Écriture, en sorte qu’ils ne puissent pas ne pas la voir. Un sermon qui manque de clarté, de force et de vie, n’est qu’un stérile assemblage de mots. Dans la prédication, nous établissons une communion entre notre âme et celle de nos auditeurs, nous les animons, pour ainsi dire, de notre esprit. Il faut que notre intelligence éclaire la leur, que notre âme échauffe et ranime leur âme, que notre volonté guide et maîtrise leur volonté. Les grandes vérités que nous annonçons ont pour elles la raison et l’évidence de la Parole de Dieu ; nous devons, en conséquence, avoir à notre disposition assez de preuves pour convaincre l’esprit de nos auditeurs, pour renverser toutes leurs objections, pour les forcer à se rendre à l’évidence.

Si nous sommes dévoués de cœur à l’œuvre de Dieu, pourquoi n’avons-nous pas pitié des congrégations dépourvues de pasteurs, et pourquoi ne nous efforçons-nous pas de leur en procurer ? — Ne devrions-nous pas aller quelquefois à leur secours, lorsque nos occupations nous en laisseront le temps ? Un sermon sur la conversion, prêché par un prédicateur habile et pieux, pourrait faire le plus grand bien à un troupeau dépourvu des moyens ordinaires d’édification.

III. On peut nous accuser d’avoir plus égard à nos intérêts temporels qu’à ceux de Christ. Je le prouverai par trois exemples.

D’abord, par la facilité avec laquelle les ministres se plient aux circonstances. Sans doute, je ne voudrais pas vous encourager à désobéir aux ordres légitimes de ceux qui vous gouvernent ; mais c’est un sujet de reproche pour bien des ministres, que la docilité avec laquelle ils se soumettent au parti qui doit leur assurer le plus d’avantages temporels. S’ils recherchent l’avancement et leurs intérêts mondains, ils s’attachent au pouvoir séculier ; s’ils sont avides de popularité, ils s’attachent au parti ecclésiastique qui est le plus en honneur. C’est un mal universel. Sous le règne de Constantin, presque tous les pasteurs étaient orthodoxes ; sous celui de Constance, ils devinrent presque tous ariens ; bien peu d’évêques furent exempts d’apostasie, même parmi ceux qui avaient assisté au concile de Nicée. Pouvait-on en effet s’attendre à autre chose, quand l’exemple était donné non seulement par Liberius, mais par le grand Osius lui-même, qui avait présidé tant de conciles orthodoxes ? Si ce n’était pour des avantages temporels, comment se ferait-il que dans tous les pays la plupart des ministres fussent toujours de la secte qui est le plus en crédit et le plus favorable à leurs intérêts ? Chez les grecs, tous les ministres appartiennent à l’église grecque ; chez les catholiques romains, ils sont tous papistes ; en Norvège, en Suède et en Danemark, ils sont presque tous luthériens. Il serait étrange que, dans un pays, ils fussent tous attachés à la vérité, et à l’erreur dans un autre, si les hommes, tout en recherchant la vérité, ne se laissaient pas influencer par la considération des avantages temporels. La diversité des esprits, et une foule d’autres circonstances, occasionneraient inévitablement une grande variété d’opinions. Mais que le souverain et les hommes en autorité se prononcent dans un sens, et vous verrez la généralité des ministres tomber d’accord avec eux et suivre sans peine la même voie. Avec quelle facilité les ministres de notre pays ont changé de religion, pour suivre l’exemple du prince ! Non pas tous, sans doute, comme le témoigne notre martyrologe, mais la plupart. Cette coupable faiblesse est aussi la nôtre, à tel point que nos ennemis disent que la réputation et l’avancement sont notre religion et notre récompense.

En second lieu, nous nous inquiétons trop des choses de ce monde et nous négligeons nos devoirs quand ils blessent nos intérêts temporels. — Combien en est-il parmi nous qui s’occupent de leurs affaires privées préférablement à celles de l’Église ! Lorsque nous sommes appelés à nous réunir pour conférer ensemble, et pour nous encourager mutuellement à l’accomplissement de nos devoirs, nous avons toujours quelque affaire qui nous en empêche et que nous regardons comme plus importante que l’œuvre de Dieu. Il n’est que trop commun de voir les ministres s’occuper presque exclusivement des choses de ce monde ; il n’est que trop commun de les voir suivre le conseil qui leur est donné par quelques-uns, de cultiver la terre, de travailler pour vivre et de prêcher sans tant d’études. Ils aiment mieux s’occuper du soin de leurs affaires que du soin de leur église. Quelle négligence n’apportons-nous pas dans les devoirs dont l’accomplissement pourrait nous causer quelque préjudice. Ne se trouve-t-il pas parmi nous plusieurs ministres qui n’osent pas ou ne veulent pas mettre la discipline en vigueur dans leur église, parce qu’ils craignent de diminuer les redevances qu’ils reçoivent de leur troupeau. Ils ne veulent point offenser les pécheurs, de peur que ceux-ci ne fassent tort à leurs intérêts ; ils se laissent guider par des considérations d’argent, eux qui proclament en chaire que « l’amour des richesses est la source de toutes sortes de maux, » eux qui font de longs discours contre le danger de l’avarice. Si le magicien Simon se rendit coupable en voulant acheter à prix d’argent les dons de Dieu, quel n’est pas le crime de ceux qui osent vendre ces mêmes dons, la cause de Dieu et les âmes immortelles ! Ne devons-nous pas craindre que « nos richesses ne périssent avec nous ? »

Enfin, nous sommes stériles en œuvres de charité, et nous avons de la répugnance à employer ce que nous possédons au service de notre maître. — Si les intérêts mondains ne l’emportaient pas sur ceux de Jésus-Christ et de son Église, la plupart des ministres abonderaient plus en bonnes œuvres et seraient plus empressés à faire des sacrifices pour la gloire de leur maître. L’expérience prouve que les œuvres de charité sont efficaces pour éloigner les préjugés et ouvrir les cœurs aux exhortations pieuses. Si les hommes vous voient faire le bien, ils croiront plus facilement que vous êtes dans la bonne voie et que vous voulez les y conduire. Quand ils verront que vous les aimez, ils auront plus de confiance en vous ; quand ils reconnaîtront que vous ne recherchez point les choses du monde, ils suspecteront moins vos intentions et seront plus aisément amenés à chercher ce que vous cherchez vous-mêmes. Que de bien pourraient faire les ministres, s’ils s’y adonnaient entièrement, et s’ils y consacraient ce qu’ils possèdent !

Ne dites pas qu’il importe peu de faire du bien au corps et que ce n’est pas le moyen de gagner les âmes à Dieu : car, en faisant du bien aux hommes, vous écartez les préjugés qui s’opposent à leur conversion. Si les hommes étaient disposés à nous entendre, nous leur serions plus utiles ; or, en leur faisant du bien, nous les amenons à cette disposition. Vous ne devez pas, mes frères, vous contenter d’une charité commune, pas plus que d’une piété commune : vous devez surpasser les autres. Il ne vous suffit pas de donner un léger secours à un pauvre ; d’autres pourraient en faire autant. Je sais que vous ne pouvez donner ce que vous n’avez pas ; mais tout ce que vous avez doit être consacré à Dieu.

Vous me direz peut-être : « Nous avons une famille à pourvoir ; nous ne pouvons la laisser dans la pauvreté. » — A cela je réponds : — Il y a peu de textes de l’Écriture-Sainte dont on ait plus abusé que de celui-ci : « Celui qui n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, a rejeté la foi et est pire qu’un infidèle. » On s’appuie sur ce texte pour amasser du bien afin de le laisser à sa famille ; mais cela repose sur une fausse interprétation. L’apôtre parle ici contre ceux qui mettent leurs parents pauvres et leur famille à la charge de l’Église, quand ils auraient pu les entretenir eux-mêmes. Les lignes suivantes prouvent que l’apôtre avait en vue leur subsistance présente et non leur subsistance à venir : « Que ceux, dit-il, qui ont des veuves les soulagent ; qu’ils ne les mettent point à la charge de l’Église, afin que l’Église puisse secourir celles qui sont véritablement veuves. »

De plus, vous pouvez, comme tout le monde, élever vos enfants de manière à ce qu’ils gagnent leur vie en travaillant. Je sais que votre charité doit embrasser votre famille, mais elle ne doit pas l’embrasser seule. Vous devez faire votre possible pour élever vos enfants de manière à ce qu’ils puissent servir Dieu ; mais vous n’êtes point obligé de leur laisser de la fortune, ni de restreindre pour cela vos œuvres de charité. Il doit y avoir une proportion entre ce que vous faites pour votre famille et ce que vous faites pour l’Église de Christ. Cette proportion sera exactement appréciée par un cœur zélé, charitable, dévoué à Dieu : il se demandera comment il pourrait être le plus utile à la cause du Seigneur, et il marchera dans cette voie.

Si les vanités mondaines ne nous aveuglaient point, nous apercevrions mieux les circonstances dans lesquelles nous devons sacrifier au bien public l’intérêt de nos familles. Pourquoi ne vivrions nous pas plus simplement et plus étroitement, afin de pouvoir faire ces œuvres qui doivent passer avant le soin de notre fortune ? Mais nous écoutons la chair et le sang ; nous voulons, disons-nous, avoir le nécessaire, et pour plusieurs d’entre nous, ce nécessaire n’est guère au-dessous de celui du mauvais riche de la parabole.

Et cependant, celui qui prêche pour une couronne immortelle ne devrait pas s’attacher à des vanités passagères. Celui qui prêche le mépris des richesses devrait les mépriser lui-même. Celui qui prêche le renoncement et la mortification devrait pratiquer ces vertus, s’il veut convaincre ses auditeurs de sa bonne foi. Tous les chrétiens sont sanctifiés, et par conséquent tout ce qu’ils possèdent doit être consacré au service de leur maître. Mais les ministres sont doublement sanctifiés ; ils sont consacrés à Dieu comme chrétiens et comme ministres ; ils sont en conséquence doublement obligés d’employer ce qu’ils ont à son service.

O mes frères ! combien de bonnes œuvres nous avons à faire et combien nous en faisons peu ! Je sais que le monde attend de nous plus que nous ne pouvons faire ; mais si nous ne pouvons satisfaire à une attente exagérée, faisons du moins notre possible pour répondre à ce qu’exigent de nous Dieu et notre conscience. « C’est la volonté de Dieu, qu’en faisant le bien nous réduisions au silence l’ignorance des insensés. »

Et maintenant, mes frères, je vous supplie de prendre en sérieuse considération ce que je viens de vous dire. Voyez si ce n’est pas là la faute la plus grave des ministres, que ce manque d’abnégation et de dévouement dans l’accomplissement d’une œuvre si importante et si sainte ? Voyez si cette complaisance pour les intérêts de la chair ne nous fait pas négliger une partie de nos devoirs, en nous engageant à remplir ceux qui sont le plus faciles et qui nous procurent le plus de considération mondaine, et à abandonner ceux qui exigent de nous quelques sacrifices. Ne prouvons-nous pas ainsi que nous avons plus de penchant pour les choses de la terre que pour celles du Ciel, et que nous idolâtrons le monde, tandis que nous engageons les hommes à le mépriser ? Celui-là, dit Salvien, néglige son salut, qui préfère quelque chose à Dieu. »

IV. Nous avons à nous reprocher de ne pas attacher assez d’importance à l’unité et à la paix de l’Église.

Sans doute, tous les ministres parlent en faveur de la paix et de l’unité, ou du moins aucun ne parle contre ; mais on en voit bien rarement qui travaillent à les maintenir ; généralement les hommes y sont peu disposés, et sont quelquefois eux-mêmes des instruments de division. Les papistes ont si longtemps abusé du nom d’Église catholique que bien des chrétiens, par esprit d’opposition, effacent ce nom de leurs symboles, ou, s’ils le conservent, semblent ne pas le comprendre ; satisfaits de croire à l’existence d’une église universelle, ils ne se conduisent pas comme des membres de ce corps. Si les papistes ont pour l’Église un culte idolâtre, est-ce à nous à la méconnaître, à la mépriser, ou à la déchirer par nos divisions ? C’est un péché très commun dans la chrétienté, d’embrasser la religion comme un parti, et de restreindre à une secte l’amour et le respect que nous devons à l’Église universelle. Sans doute la portion la plus pure a des droits particuliers à notre respect et à notre communion ; mais les portions faibles et malades ont des droits à notre support et à notre compassion. Nous devons avoir communion avec elles, à moins que la marche contraire ne soit d’une nécessité absolue. Si des personnes de notre voisinage sont atteintes de la peste ou de la lèpre, ne leur devons-nous pas nos soins et notre affection, tout en prenant des mesures pour éviter la contagion ? Bien des gens se vantent d’appartenir à l’Église catholique, mais bien peu ont un esprit vraiment catholique.

Ceux qui appartiennent aux diverses dénominations prient pour la prospérité de leur parti et rendent grâces à Dieu, quand ce parti est florissant ; mais ils s’inquiètent peu des souffrances d’un autre parti et y voient à peine un malheur pour l’Église. S’ils sont en grande majorité, ils se regardent comme l’Église universelle, et pensent que l’Église prospère quand tout va bien pour eux. Nous proclamons que le Pape est l’Antéchrist, parce qu’il renferme l’Église dans les limites de la domination romaine, mais, hélas ! combien de nous l’imitent en le blâmant !

Qu’il est rare de trouver un homme qui gémisse des plaies de l’Église, qui les regarde comme siennes, qui ait à cœur de les guérir ! Chaque parti se regarde comme le centre auquel tous les autres doivent se réunir ; et parce qu’ils refusent, il se réjouit de leur chute, il la regarde comme un triomphe pour l’Église. Combien y a-t-il d’hommes qui comprennent le véritable état d’une controverse, et qui s’aperçoivent que les controverses ne sont pour la plupart que des disputes de mots. Hélas ! combien de ministres ne deviennent zélés pour la paix que quand, plus avancés en âge, ils connaissent mieux les dispositions des hommes et le véritable état de l’Église ! C’est alors, qu’à l’exemple de Parens, de Junius et de plusieurs autres, ils écrivent leurs Irenicons ; comme l’ont fait aussi Davenant, Morton, Hall, dont les deux Traités intitulés le Pacificateur et Pax-terris, méritent d’être gravés dans le cœur de tous les ministres. Mais, on doit le dire, recipiuntur ad modum recipientisb. Les ministres auxquels ils sont adressés ne les comprennent et ne les apprécient que quand l’âge a calmé l’impétuosité de leur jeunesse. Ils regardent ordinairement toute tentative de pacification comme suspecte d’hérésie, ou comme la preuve d’un manque de zèle : comme s’il ne fallait point de zèle pour soutenir les principes fondamentaux de l’Église, l’unité et la paix. Il est malheureux pour l’Église que les Sociniens aient tant écrit pour la paix, la charité et l’unité catholique ; il en résulte maintenant que quiconque écrit pour la paix semble réclamer l’indulgence pour ses erreurs.

bCe qui est reçu, l’est selon la condition de celui qui reçoit. Maxime empruntée à Thomas d’Aquin (ThéoTEX)

Je sais que tous les chrétiens ne sont pas coupables de ce péché : cependant il est si commun, qu’il peut nous faire douter de la sincérité d’une foule de chrétiens que l’on regarde généralement comme pieux. Et nous ne nous sommes pas seuls rendus coupables de cette faute : nous y avons entraîné nos fidèles, en sorte qu’ils se sont divisés en sectes et en partis, se sont livrés à l’envie, à l’animosité, à la dispute ; ils ne craignent pas de jeter le ridicule sur les hommes sincères qui ne partagent pas leurs opinions. Cet état de choses frappe les yeux du plus ignorant, et rend le peuple hostile à la religion ; quand nous les encourageons à la piété, ils voient tant de partis, qu’ils ne savent auquel s’attacher ; ils n’en adoptent aucun, ne sachant lequel est le meilleur. C’est ainsi que, par suite de nos divisions, la religion tombe dans le mépris. Je sais que bien des personnes ne veulent pas faire tout le mal qu’elles font ; mais qu’elles le veuillent ou non, le mal n’en existe pas moins : il n’est malheureusement pas rare de le faire même avec de bonnes intentions.

Nous n’assurerons point la paix, à moins que nous ne retournions à la simplicité apostolique. La foi des papistes est trop compliquée pour obtenir un assentiment universel, si ce n’est par la force ; et beaucoup d’anti-papistes les imitent, tout en paraissant s’éloigner d’eux. Quand nous aurons retrouvé l’ancienne simplicité de la foi, nous retrouverons la paix et la charité primitives. Unissons-nous dans la croyance des vérités nécessaires, et supportons-nous dans notre diversité d’opinion sur les points secondaires. Ne nous faisons point un symbole plus compliqué que celui que Dieu a établi. Et dans ce but, mes frères, faites attention aux points suivants : — N’insistez pas trop fortement sur les opinions controversées, lorsque chacune d’elles est celle d’une multitude d’hommes pieux, et même d’Églises entières. — Ne vous occupez point trop des controverses qui n’aboutissent qu’à des obscurités métaphysiques. — Évitez celles qui se réduisent à des disputes de mots. — N’insistez pas trop fortement sur un dogme ignoré de toute l’Église de Christ, depuis la révélation de l’Écriture-Sainte. — Encore moins devez-vous insister sur celui qui fut ignoré dans les temps les plus purs de l’Église. — Et surtout sur un dogme qui ne fut admis dans aucun siècle, mais qui fut combattu dans tous.

V. Enfin, nous sommes coupables de négliger l’exercice de la discipline ecclésiastique.

Lorsqu’il s’agit de remettre en vigueur quelqu’une des institutions de la Réformation, combien de ministres ne veulent y donner la main qu’autant qu’ils y sont forcés ! Si cette œuvre s’annonce comme difficile, combien d’excuses nous trouvons pour nous en dispenser ! Que de discours, que de prières, que de discussions ont eu lieu en Angleterre pour le rétablissement de la discipline ! Et cependant, quand il faut mettre la main à l’œuvre, nous nous tenons à l’écart. Pourquoi ce zèle se borne-t-il à la discussion, et se refroidit-il dans la pratique ? Combien y a-t-il de ministres qui ne connaissent pas toute l’étendue de leur église, et qui ne sauraient dire ceux qui en sont membres ! Jamais ils ne reprennent les pécheurs obstinés, jamais ils n’exigent d’eux une preuve manifeste de leur repentance. Ils croient avoir fait leur devoir en leur refusant la communion, dont peut-être ils s’abstiennent eux-mêmes volontairement, et cependant ils les considèrent comme membres de l’Église, ils les laissent subsister au milieu d’elle, ils ne leur demandent point de faire individuellement l’aveu de leurs fautes.

Mes frères, je ne voudrais offenser aucun de vous, mais je dois vous déclarer que ces fautes ne peuvent être ni atténuées ni excusées. Nous avons tous soutenu la nécessité d’une discipline, chacun dans le sens de son parti. Nous voulons sans doute que les fidèles attachent de l’importance à notre forme de gouvernement ecclésiastique ; mais il faut pour cela que cette forme ait quelque mérite particulier. Quel est ce mérite ? en quoi consiste-t-il ? où se trouve-t-il ailleurs que sur le papier ? Est-ce pour un nom, est-ce pour une ombre que vous avez fait tout ce bruit ? Comment les fidèles peuvent-ils croire à l’excellence de ce qui ne produit aucun bien ? Parlons ouvertement. Les hommes pieux n’aiment la discipline que parce que leurs pasteurs en ont hautement vanté l’excellence ; et les impies ne la souffrent que parce qu’elle n’est point mise en pratique, et ne leur cause en conséquence aucune gêne.

La discipline est cependant nécessaire à l’Église : si vous ne voulez pas distinguer les hommes pieux des pécheurs endurcis, les premiers feront cette distinction en se séparant. Si vous vous obstinez à garder dans votre église des multitudes de gens notoirement ignorants et irréligieux, si vous ne les reprenez point, si vous ne les appelez point à la repentance, si vous ne les retranchez point du troupeau, ne vous étonnez pas de voir quelques chrétiens alarmés abandonner votre église comme un édifice ruineux. Si vous agissiez par rapport aux sacrements comme vous agissez par rapport à la discipline ; si vous vous borniez à montrer aux chrétiens le pain et le vin de la sainte Cène, sans leur en permettre l’usage, croyez-vous que ce nom de sacrement pût les satisfaire ? Et peuvent-ils se contenter davantage de ce nom vide de sens de gouvernement ecclésiastique ?

Je ne voudrais pas vous engager à pratiquer cet important devoir dans un moment inopportun. Mais, le moment favorable ne viendra-t-il jamais ? Vous abstiendrez-vous de prêcher et de donner les sacrements pendant tant d’années, sous prétexte d’inopportunité ? Le temps sera-t-il plus favorable quand vous serez morts ? Combien de pasteurs sont morts avant d’avoir pu commencer cette tâche à laquelle ils s’étaient longuement préparés ! Je sais que cette tâche n’est pas également facile pour tous, mais les obstacles doivent-ils nous dispenser de l’accomplissement d’un devoir ? Outre les raisons que nous avons déjà rapportées, considérons encore celles-ci :

Nous sommes peinés lorsque nous voyons nos fidèles négliger volontairement un devoir reconnu. Pouvons-nous demeurer nous-mêmes dans une semblable négligence pendant toute notre vie ?

Nous manifestons de la paresse et de la négligence, sinon de l’infidélité dans l’œuvre de Christ. J’en parle d’après ma propre expérience ; c’est la paresse qui m’a longtemps empêché de remplir ce devoir. A la vérité, c’est un devoir pénible, qui exige beaucoup de dévouement, et qui nous expose à la haine des méchants. Mais devons-nous préférer notre repos et notre tranquillité au service de notre maître ? Les serviteurs négligents doivent-ils espérer une récompense ? Rappelez-vous, mes frères, ce que nous avons promis devant Dieu dans le second article de notre engagement : « Nous promettons, avec l’aide de Dieu, que nous remplirons fidèlement notre devoir autant que nous le connaîtrons, et que nous ne nous en laisserons point détourner par la crainte d’encourir quelque perte dans nos biens temporels, de nous exposer au déplaisir des hommes, ou par aucun motif charnel. » Méditez bien cette promesse, et voyez comment vous la tenez. Ne pensez pas que vous l’ayez faite par surprise, car la loi de Dieu vous y obligeait, avant que vous vous fussiez engagé formellement.

L’abandon de la discipline tend à séduire les âmes immortelles, en persuadant aux inconvertis qu’ils sont réellement chrétiens. Elle tend à faire croire aux pécheurs scandaleux que leurs fautes sont tolérables, puisqu’elles sont tolérées par les conducteurs de l’Église. — Nous corrompons le christianisme aux yeux des hommes, en leur laissant croire qu’il n’exige pas plus de sainteté que les religions fausses. Car si les hommes pieux et les impies peuvent rester confondus dans le même troupeau, sans qu’il y ait aucun moyen de les distinguer, nous déshonorons notre Rédempteur dont nous paraissons suivre les commandements.

En tolérant dans nos églises des désordres scandaleux, nous poussons les chrétiens pieux à se séparer de nous. Je me suis quelquefois entretenu avec des membres des églises séparées. C’étaient des hommes modérés appartenant à l’opinion presbytérienne. Ils se sont séparés par nécessité, regardant la discipline comme indispensable, et ne pouvant rester dans une église où elle est abandonnée. J’ai été vivement affligé de cette séparation.

Nous attirons sur nous et sur nos congrégations la colère de Dieu. Si l’ange de l’église de Thyatire fut réprimandé, parce qu’il souffrait des séducteurs dans l’église, quels reproches ne méritons-nous pas pour y tolérer des pécheurs scandaleux et impénitents !

Quels sont donc les obstacles qui s’opposent à l’exercice de la discipline ecclésiastique ? — La difficulté de l’œuvre et les désagréments auxquels elle nous exposerait. — Si nous reprenons publiquement un pécheur, nous nous en ferons un ennemi. —- Nous ne pouvons l’amener à faire une profession publique de repentance. — Si nous l’excommunions, sa fureur ne connaîtra plus de bornes. — Si nous voulons agir, avec la sévérité que Dieu nous commande, envers les pécheurs obstinés de notre congrégation, il n’y aura pas moyen de vivre parmi eux. — Nous serons tellement haïs que nous nous verrons exposés à d’innombrables désagréments, et que nos travaux deviendront inutiles. — Les hommes, une fois prévenus contre nous, ne voudront plus nous écouter. Ce devoir cesse donc d’en être un, lorsqu’il en résulterait plus de mal que de bien.

Voilà, outre la difficulté de la tâche en elle-même, les raisons que l’on oppose à la pratique de la discipline. A cela, je répondrai : — Ces raisons ne sont-elles pas aussi fortes contre le christianisme lui-même, que contre la discipline ? Christ n’est pas venu apporter la paix sur la terre : nous aurons sa paix, mais nous n’aurons pas celle du monde ; car il nous a dit que le monde nous haïra. Bradford, Hooper, et ceux qui ont subi le martyre sous le règne de Marie, n’auraient-ils pas pu alléguer des raisons encore plus fortes contre la profession ouverte de la foi de la Réformation ? N’auraient-ils pas pu dire : « cette foi nous fera haïr et nous exposera à perdre la vie sur un bûcher ? » Celui-là n’est pas chrétien, nous dit Jésus-Christ, qui n’abandonne pas pour lui tout ce qu’il possède, et même sa vie : et cependant nous osons opposer à son œuvre des considérations toutes mondaines ! N’est-ce pas de l’hypocrisie que de reculer devant la souffrance, et de ne vouloir se charger que d’une tâche douce et facile ? que de négliger un devoir parce que l’accomplissement en serait pénible ? Si nous remplissions fidèlement nos devoirs comme ministres de Christ, nous éprouverions de la part des chrétiens de nom le sort que nos prédécesseurs ont éprouvé de la part des païens et des infidèles. Mais si vous ne pouvez souffrir pour Christ, pourquoi avez-vous mis la main à son œuvre ? Pourquoi n’avez-vous pas réfléchi à ce qu’il pourrait vous en coûter ? Nous sommes infidèles dans l’œuvre du ministère, parce que nous nous y sommes engagés par des motifs charnels ; nous l’avons embrassée comme une profession douce et honorable, et nous ne voulons pas être trompés dans notre attente. Nous n’y avons point cherché la souffrance et la haine des hommes, et nous voulons à tout prix nous y soustraire.

Quant à l’objection tirée de ce que l’exercice de la discipline s’opposerait à ce que nous fissions du bien, elle est aussi forte contre la prédication fidèle, contre les exhortations, et contre tous les devoirs dont l’accomplissement peut nous attirer la haine des hommes. Dieu bénira les institutions qu’il a établies pour le bien de l’Église ; s’il en était autrement, il ne les aurait point établies. Si vous avertissez publiquement les pécheurs scandaleux, si vous les invitez à la repentance, si vous retranchez de l’Église ceux qui persistent dans le péché, vous pouvez leur faire du bien, même en les excommuniant. Il est certain, du moins, que c’est là un moyen que Dieu lui-même a prescrit, et que ce moyen est le dernier. En le négligeant, nous détruisons l’effet des moyens précédemment employés ; car lorsque celui-là devient nécessaire, c’est une preuve que les autres ont été essayés en vain. Quoi qu’il en soit, si le pécheur retranché de l’Église ne tire aucun avantage spirituel de son excommunication, l’Église elle-même en retirera d’importants : il apparaîtra clairement que l’Église est distincte du monde, que les héritiers de Dieu et les enfants de Satan ne sont point complètement confondus ensemble.

J’ajouterai que la pratique de la discipline n’est ni aussi difficile ni aussi inutile que vous vous le persuadez. Je bénis Dieu de ce qu’il m’a permis d’en faire un faible essai, et de pouvoir en parler d’après ma propre expérience. J’avoue que si ma volonté pouvait faire loi, on suspendrait de sa charge, comme pasteur négligent, celui qui ne veut point faire usage de la discipline, de même que l’on suspend, comme prédicateur négligent, celui qui laisse trop souvent sa chaire vide.

Et maintenant, mes frères, que nous reste-t-il à faire, sinon à confesser nos transgressions et à nous humilier devant le Seigneur ? Est-ce ainsi que, nous devions prendre garde à nous-mêmes et à tout le troupeau ? Est-ce ainsi que nous devions suivre l’exemple qui nous est proposé dans notre texte ? Si notre cœur refusait de s’humilier, quelle cause de désolation pour l’Église ! Le ministère évangélique a été souvent attaqué par une foule d’adversaires ; et quoique plusieurs de ces attaques ne prouvent autre chose que la méchanceté de ses ennemis, il en est cependant quelques-uns qu’il s’est attirées par sa faute. Croyez-le bien, mes frères, les ministres n’ont pas la moindre part dans les transgressions de la nation : il faut donc qu’ils participent largement à son humiliation et à son repentir. Dieu, en appelant le peuple à la repentance, nous y appelle les premiers. Toutes les dispensations de sa providence dont nous avons été les témoins, ces délivrances inespérées, ces catastrophes sanglantes, ces ravages du fer et de la flamme sont autant de signes de son courroux, autant d’avertissements au repentir et à l’humiliation. Lorsque nous engageons les fidèles à confesser leurs fautes, chercherons-nous à excuser ou à atténuer les nôtres ? Ne vaut-il pas mieux donner gloire à Dieu, en nous humiliant devant lui, que de chercher de misérables prétextes pour couvrir nos prévarications, et que de l’engager ainsi à se glorifier lui-même, en nous abaissant sans retour ? Si nous refusons au Seigneur la gloire qui lui est due, il saura bien la revendiquer au prix de notre éternelle confusion !

Des transgressions manifestes sont plus déshonorantes pour nous, lorsque nous cherchons à les cacher, que lorsque nous en faisons l’aveu. Toutes nos tentatives pour voiler nos fautes ne font qu’augmenter notre culpabilité et notre honte. Le seul moyen de réparer les brèches que le péché a faites à notre honneur, c’est de le confesser et de nous humilier. Pour moi, je n’ai pu m’empêcher de confesser mes transgressions, et si quelqu’un de mes frères s’offense de ce que j’ai aussi confessé les siennes, qu’il sache que ce que j’ai fait pour lui, je l’ai fait aussi pour moi. S’ils veulent désavouer cette confession, qu’ils le fassent à leurs propres périls. Quant à ceux qui sont véritablement d’humbles et fidèles ministres du Christ, j’ai la confiance qu’ils se sentiront pressés de déplorer ouvertement leurs fautes en présence de leur troupeau, et de promettre qu’ils chercheront à les réparer et à s’amender.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant