Notes sur les Miracles de notre Seigneur

III. L’autorité du miracle

Le miracle se présente-t-il avec un caractère d’autorité incontestable à ceux qui en sont les témoins, en sorte que l’auteur du miracle et sa doctrine soient reconnus aussitôt comme venant de Dieu ? Il ne peut en être ainsi, car, à côté des œuvres qui servent aux progrès du règne de Dieu, il y en a d’autres qui en sont les imitations ou plutôt les caricatures, ce sont celles qui viennent de Satan. L’Écriture lui attribue des miracles bien réels. Ce sont des « prodiges mensongers, » (2 Thessaloniciens 2.9) ils ont pour but d’établir le royaume du mensonge et de l’affermira. D’après l’Écriture, nous devons reconnaître que les magiciens d’Egypte étaient en relation avec un royaume spirituel, aussi bien que Moïse et Aaron. Le conflit entre eux et ces derniers acquiert ainsi une signification évidente. La plus grande partie de cette signification est perdue pour nous, si nous ne voyons dans leurs prodiges que de simple tours de sorciers, des œuvres de prestidigitateurs, au moyen desquels ils en imposaient à Pharaon et à ses serviteurs, leur faisant croire que leurs verges étaient changées en serpents, et qu’ils pouvaient changer également l’eau en sang. Il n’y avait pas seulement conflit entre la puissance du roi d’Egypte et la puissance de Dieu ; mais les dieux de l’Egypte, les puissances malfaisantes qui servent d’appui au royaume des ténèbres, étaient en conflit avec le Dieu d’Israël. Leur néant apparaissait promptement ; toutefois, le royaume de la lumière et celui des ténèbres se faisaient une guerre ouverte en présence de Pharaon, chacun faisant effort pour s’emparer du roi. Autrement, quel serait le sens de passages tels que celui-ci, dans le cantique de Moïse : « Qui est semblable à toi, ô Éternel, parmi les dieux ? » (Exode 15.11) ou cet autre : « J’exercerai le jugement contre tous les dieux de l’Egypte ; je suis l’Éternel (Exode 12.12). La tentation du désert, à laquelle Jésus-Christ fut exposé, n’était qu’une des formes de l’opposition de Satan ; il en sera de même à la fin du monde (Matthieu 24.24 ; 2 Thessaloniciens 2.9 ; Apocalypse 13.13). A chaque grande époque du royaume de Dieu, le combat entre la lumière et les ténèbres se manifeste plus clairement. Si les œuvres de l’antichrist et de ses serviteurs ne sont pas de simples jongleries, elles ne sont pas non plus des miracles dans le vrai sens de ce mot ; elles ne renferment que quelques éléments merveilleux. Ce sont des œuvres de puissance, mais isolées, ne faisant point partie d’un tout organique ; ce n’est pas l’harmonie, mais le trouble qui les caractériseb ; ce n’est pas ici la toute-puissance de Dieu dirigeant le monde vers un but de grâce, de sagesse et d’amour, mais le mal pénétrant les replis les plus cachés pour l’épreuve et le perfectionnement des saints.

a – Gerhard : « Les miracles de l’Antéchrist sont appelés des mensonges… non pas tant au regard de leur forme, comme s’ils étaient tous faux et seulement apparents, mais au regard de leur but, qui est d’accréditer un mensonge. »

b – Elles ont la veritas formæ (vérité de la forme), mais non la veritas finis (vérité du but).

Le fait que nous venons de signaler, à savoir que le royaume du mensonge a ses prodiges comme le royaume de la vérité, suffirait à lui seul pour nous convaincre que le simple témoignage des miracles ne peut servir à prouver la vérité d’une doctrine : c’est ce que l’Écriture déclare expressément (Deutéronome 13.1-5). La doctrine doit d’abord se légitimer devant la conscience, puis le miracle vient y apposer le sceau du divin. Le premier appel doit être adressé à la conscience, à la nature morale de l’homme. Toute révélation présuppose chez l’homme la faculté de reconnaître la vérité lorsqu’elle lui est présenté, d’y répondre, de voir en elle une amie qui avait été délaissée ; c’est la trouvaille d’un trésor qu’il avait perdu. « Celui qui est de Dieu écoute la parole de Dieu, » et la reconnaît comme telle. On peut objecter que, s’il en est ainsi, le miracle n’est pas nécessaire. Sans doute, la vérité s’est accrédité comme étant bonne, comme venant de Dieu, parce que tout ce qui est bon et vrai vient de lui, mais non comme une parole nouvelle procédant directement de lui, un langage nouveau adressé à l’homme. Les miracles sont les lettres de crédit du porteur de cette bonne parole, des signes qu’il a une mission spéciale pour réaliser les desseins de Dieu à l’égard de l’humanité.

Quand la vérité a trouvé un cœur qui la reçoit, quand elle a réveillé des échos dans les profondeurs de l’âme, celui qui en est le messager montre par là qu’il est plus près de Dieu que les autres hommes, qu’il doit être écouté comme étant lui-même la Vérité (Matthieu 11.4-5 ; Jean 5.36), ou du moins comme étant en rapport direct avec celui qui est la Vérité (1 Rois 13.3) ; il peut alors réclamer une soumission sans réserve, l’acceptation, sur sa parole, de faits qui surpassent l’esprit humain, de mystères qui ne peuvent s’expliquer par la raison. Réclamer un signe tel que le miracle de la part de celui qui apporte une nouvelle révélation, un message direct de Dieu, n’est pas une preuve d’incrédulité, mais un devoir pour celui qui reçoit ce message ; autrement il pourrait être tenté de prendre quelquefois la parole de l’homme pour celle de Dieu. Ce n’était pas un acte d’impiété, de la part de Pharaon, que de dire à Moïse et à Aaron : « Faites un miracle » (Exode 7.9-10) ; au contraire, il avait raison. Ils vinrent lui dire qu’ils avaient un message de Dieu pour lui ; son devoir était de les mettre à l’épreuve. D’autre part, Achaz faisait preuve d’incrédulité en ne demandant pas un signe de Dieu qui confirmât la parole du prophète (Ésaïe 7.10-13) ; il ne se souciait pas du sceau de la promesse, parce qu’il avait peu d’égards pour la promesse elle-même. Si le miracle doit confirmer ce qui est vrai, d’autre part, lorsque la conscience proteste contre une doctrine, tous les prodiges du monde ne sauraient exiger l’acceptation de cette doctrine-là.

La foi consiste à croire ce que Dieu révèle à l’âme de saint et de vrai ; à ne pas accepter un autre Évangile, alors même qu’un ange du ciel l’apporterait (Deutéronome 11.3 ; Galates 1.8) ; dans ce cas, les miracles nous avertissent d’être sur nos gardes, car ils nous disent que celui qui profère ces mensonges est un antichrist, un faux prophète, en relation étroite avec le royaume des ténèbres, ayant le pouvoir de Satan, travaillant à son œuvre. Toutefois, il y a ici un double danger pour le simple fidèle, celui de ne pas recevoir ce qui pourrait réellement venir de Dieu, et de recevoir ce qui viendrait d’une source malfaisante. Mais ces dangers font partie de l’épreuve de chacun ; la sauvegarde contre ces erreurs est dans l’état moral et spirituel de tout homme. Ceux dont le sens moral est perverti n’ajoutent foi qu’aux miracles de mensonge ; le témoignage que la vérité renferme en elle-même n’a pour eux aucune valeur ; ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être préservés de croire au mensonge. Le rejet de la vérité est le châtiment de ceux qui prennent leur plaisir dans l’injustice. C’est ce que confirme la parole de saint Paulc (2 Thessaloniciens 2.9-12). La foi découvre aisément ce que les œuvres de mensonge ont d’immoral, de prétentieux, de puéril, ce qui les sépare des miracles appartenant au royaume de la vérité ; le vrai miracle étant dans un rapport étroit avec le but moral le plus élevé ne peut être un acte immoral ni futile. Tel est l’argument dont Origène fait continuellement usage, quand on lui parle des prétendus prodiges des saints du paganisme. Il considère à bon droit qu’il les a suffisamment convaincus de mensonge, quand il demande, sans obtenir de réponse : « Qu’ont-ils produit ? Quel but ont-ils réalisé ? Quelle société a été fondée par leur moyen ? En quoi ont-ils contribué au progrès social ? Les œuvres de Moïse ont fondé l’État juif ; celles de Jésus-Christ, une Église chrétienne. »

c – « Vous vous plaignez, dit le Dr. Arnold au Dr. Hawkins, de ceux qui jugent une révélation par sa substance, et non par son évidence. Il me semble que le contenu d’une révélation fait partie intégrante de son évidence, que les miracles accomplis en faveur du mal ne prouvent que le manichéisme. »

Les vrais miracles ne sont pas de simples déploiements de puissance, une vaine parade. Le roman des premiers temps du christianisme, les Souvenirs de Clément, ainsi que les Homélies clémentines, racontent que Pierre établit un parallèle entre les œuvres merveilleuses de Christ et les prétendus miracles de Simon le magicien. Parlant de ce dernier, il demande de quelle utilité pouvaient être ses chiens de bronze ou de pierre qui aboyaient, ses statues qui parlaient, ses voyages dans les airs, ses métamorphoses en serpent, en bouc, son double visage et autres choses semblables. De telles œuvres sont sans signification ; ce ne sont pas des actes rédempteurs, des œuvres de grâce, une image de la délivrance morale de l’homme comme l’étaient les miracles de Christ. Ils faisaient partie de son œuvre ; ce sont des effets et des gages de sa puissance, des actes de salut, de glorieuses manifestations de son saint amour. Il vaut la peine d’insister sur ce fait.

Les maux qui empêchent l’homme de réaliser sa vraie destination sont des manifestations morales et physiques du péché. En ce qui concerne les manifestations morales, l’obscurcissement de l’intelligence, les désordres de la vie spirituelle, nous n’avons qu’à mentionner les démoniaques, qui furent l’objet spécial du pouvoir miraculeux du Seigneur. Quant aux effets physiques du péché, ce sont les maladies de toute sorte, fièvres, paralysie, lèpre, cécité. La grâce rédemptrice agit aussi dans ce domaine-là ; les guérisons révèlent Jésus-Christ comme Rédempteur. Le péché se montre aussi dans la lutte des éléments de la nature, dans la révolte de la nature contre l’homme, car toute la création a été soumise à la vanité par la chute de l’homme. Aussi voyons-nous le Seigneur, venu pour chercher ce qui était perdu, marcher sur la mer en tourmente ou apaisant la tempête par une seule parole ; il a voulu, par de tels actes, rendre sensible la délivrance de l’homme des puissances rebelles de la nature ; ce sont des actes rédempteurs. Le châtiment du péché fut la stérilité, la terre ne produisant son fruit qu’à la condition d’un pénible travail ; or, la multiplication des pains enlève cette malédiction, l’abondance primitive réapparaît pour un instant. Le miracle est donc un acte moral et ne doit être accepté que comme tel, comme confirmation de la sainteté de la doctrine ; il serait dangereux de l’oublier, comme plusieurs apologètes l’ont faitd.

d – Gerhard : « Les miracles sont les gages et les sceaux de la doctrine ; or comme un sceau isolé de tout document ne constitue en rien une preuve, ainsi les miracles sans la doctrine n’ont aucune valeur. »

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