Notes sur les Miracles de notre Seigneur

3. Miracles postérieurs ou ecclésiastiques

Sans entrer dans un long examen de ce sujet, qui nous entraînerait trop loin, nous dirons cependant quelques mots des dons miraculeux que revendiquent pour l’Église ceux qui en font une condition de sa sainteté, et voient dans leur absence une preuve de sa décadence. Je ne crois pas que l’Église ait le don de faire des miracles, ni qu’elle l’ait jamais reçu et l’ait perdu par son infidélité. — Ce qui peut nous faire penser que les dons miraculeux n’ont pas été accordés à l’Église d’une manière permanente, ce sont les analogies tirées de l’histoire ancienne du règne de Dieu. Nous ne voyons pas que les miracles aient eu lieu durant la période entière de l’ancienne Alliance, mais ils peuvent être groupés autour de quelques personnages, et se rapportent à certaines grandes époques ou crises du royaume de Dieu. Abraham, le père des croyants, David, le roi théocratique, Daniel, l’homme aimé de Dieu, n’opèrent eux-mêmes aucun prodige. Il n’y a que deux grandes séries de miracles ; la première, lors de la fondation du royaume, sous Moïse et Josué ; la seconde, au temps d’Élie et d’Elisée ; dans ce dernier cas, il s’agissait de voir si la religion des rois apostats d’Israël l’emporterait sur le service de Jéhovah. Dans cette époque décisive de l’histoire du royaume, les deux grands prophètes qui devaient inaugurer une nouvelle période parurent, revêtus de pouvoirs destinés à prouver qu’ils étaient les serviteurs du Dieu d’Israël. Les miracles, même alors, sont des ressources réservées pour les besoins pressants du royaume de Dieu. Combien cette modération diffère du luxe de prodiges accomplis, soit disant, dans l’histoire de l’Église au moyen âge ! Ajoutons à ce qui précède les déclarations de l’Écriture au sujet du rôle des miracles, à savoir d’attester un message céleste aux yeux des incrédules (1 Corinthiens 14.22).

A quoi servent, dès lors, les miracles dans la chrétienté ? On peut répondre, sans doute, qu’elle renferme des incrédules, toutefois non pas dans le sens où l’entend saint Paul, qui parle plutôt de personnes ayant besoin de nouveaux témoignages pour croire à la vérité. Les « œuvres » de puissance ne sont pas pour ceux qui veulent résister, de propos délibéré, à la vérité, car ils repousseront également les signes d’en haut ; mais elles s’adressent à ceux qui sont devenus incrédules simplement parce que la lumière leur manque, et qui entendent la vérité pour la première fois. L’Église de Christ est elle-même le grand témoin et la grande démonstration de la vérité.

Tous les commencements sont miraculeux, étant placés sous des lois bien différentes de celles qui régissent un progrès régulier. Les forces toujours actives pour soutenir le monde n’auraient pas suffi pour le créer : il fallait une plus grande puissance pour produire les diverses races d’animaux qui peuplent la terre, et les plantes dont elle est parée, que pour les conserver. Nous pouvons donc penser qu’il en était de même pour la création de l’Église chrétienne ; il en est de même aussi pour l’œuvre de la régénération. Une fois que les plus fortes tendances de la vieille nature sont domptées, l’impossible devient possible, parce que le centre a été déplacé ; la chair est devenue pôle négatif, et l’esprit pôle positif. Nous ne devons pas trouver étrange que l’apparition d’un nouvel ordre de choses ait été miraculeuse. Le fils de Joseph aurait pu vivre et mourir sans faire aucun miracle ; le Fils de la vierge, le Fils du Très Haut, devait en faire, étant lui-même une apparition extraordinaire. Ce nouvel ordre de chose une fois établi, rien n’empêche qu’il suive son cours régulier dans la dépendance des lois ordinaires. Un roi établi sur son trône n’a pas besoin de renouveler continuellement sa proclamation d’avènement. Les miracles sont comme ces nuages brillants qui se rassemblent pour annoncer le lever du soleil ; ils disparaissent quand le soleil est dans tout son éclat. L’Église a connu ces merveilles au moment de sa fondation ; elles rendent, aujourd’hui encore, témoignage à la puissance de Christ ; les miracles de l’Écriture, spécialement ceux de Christ et de ses apôtres, doivent être considérés comme servant de norme pour tous les autres, à supposer qu’ils se continuent dans l’Église. Les détails, la couleur locale peuvent différer, mais l’esprit doit se retrouver le même ; ils ne doivent pas être arbitraires, sans aucun but, puisque les miracles de Christ avaient un but moral très précis : ils lui servaient de ponts pour arriver à l’âme et ils étaient des manifestations de sa gloire.

Il est très difficile de déterminer le moment précis où les dons miraculeux ont été retirés à l’Église, où elle est entrée dans son état actuel, ne vivant plus que de grâce et du souvenir des miracles d’autrefois. Il est difficile de fixer le moment où l’Église a cessé de devenir pour exister réellement aux yeux de Dieu ; nous pouvons dire seulement que la puissance divine résidant en Christ dans toute sa plénitude fut répartie entre ses apôtres, lesquels accomplirent des œuvres moins grandes et moins nombreuses que leur Maître ; puis ces pouvoirs furent subdivisés parmi les membres de l’Église, qui possédèrent les dons à un degré bien inférieur. L’apparition de l’Église a fait cesser les miracles des premiers jours, comme la fleur disparaît quand le fruit est formé, parce que l’existence de l’Église est elle-même un miracle permanent. Les lois du monde spirituel, qui produisent leurs effets continuels parmi nous, sont un témoignage d’une puissance divine ; la nouvelle naissance, la communion personnelle avec Christ, la vie de Dieu dans l’âme, le royaume des cieux dans le monde sont autant de merveillesa. Il importe fort peu de savoir quand les dons miraculeux ont cessé, mais ce qui nous importe, c’est de ne pas les croire indispensables au vrai christianisme, à la vie de l’Église ; recherchons la sainteté plus que le don des miracles.

a – Augustin : « Si vous ne croyez pas aux miracles, vous devez au moins admettre celui-ci, à savoir que le monde a été converti sans miracle. — Les apôtres virent Christ présent avec eux, mais non l’Église s’étendant sur toute la terre : ils virent la tête et crurent au corps ; nous voyons le corps, et devons croire à la tête. »

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