Notes sur les Miracles de notre Seigneur

33. La seconde pêche miraculeuse

Jean 21.1-23

Il semble que ce chapitre 21 soit post-scriptum ajouté à l’évangile de Jean, qui paraît se terminer avec les derniers versets du chapitre précédent ; l’apôtre a jugé nécessaire de rapporter encore les événements contenus dans ce dernier chapitre, peut-être à la demande de ses disciples, qui avaient entendu de sa bouche le récit de ces faits, et voulaient que l’Église de tous les temps en fût instruitea. Nous avons donc ici l’épilogue de l’évangile, qui a aussi son prologue.

a – Grotius pense que ce chapitre 21 fut ajouté à l’évangile par les anciens d’Éphèse. Il n’y a pas de raison sérieuse d’en contester l’authenticité ; partout on y reconnaît la main de l’apôtre, c’est bien son langage.

Cette apparition de Christ à ses disciples et le miracle qui l’accompagna eurent lieu près de la mer de Galilée ; c’est là que « Jésus se montra encore aux disciples. » Les mots : « se montra » signifient que le corps de Jésus après sa résurrection, ne devenait visible que par un acte positif de sa volonté ; depuis la résurrection, les disciples ne virent pas Jésus comme auparavant, mais Jésus leur apparut (Luc 24.34 ; Actes 13.31 ; 1 Corinthiens 15.5-8). Il en est de même des apparitions d’anges ; les hommes ne les voient pas, mais ils se montrent à eux (Juges 6.12 ; 13.1-3, 10, 21 ; Matthieu 17.3 ; Luc 1.11 ; 22.43 ; Actes 2.3). Ceux auxquels Jésus se montra furent Simon-Pierre, Thomas, Nathanaël, Jacques et Jean, et deux autres disciples qui ne sont pas nommés ; Nathanaël est probablement le même que Barthélémy ; on suppose que les deux disciples qui ne sont pas nommés étaient André et Philippe.

La parole de Pierre : « Je vais pêcher » ne signifie pas qu’il ait abandonné son espérance en Jésus comme Messie, et son apostolat pour reprendre son ancien métier ; les docteurs juifs avaient ordinairement une occupation qui pouvait fournir à leurs besoins matériels : saint Paul faisait des tentes. Cette parole : « Je vais pêcher » est une invitation à ses amis de l’accompagner ; ils lui disent alors : « Nous allons avec toi. » Ils ne prirent rien cette nuit-là et pouvaient bien avoir peut-être le pressentiment de ce qui arriverait ; toutefois, ils ne reconnurent pas le Seigneur et crurent que c’était un voyageur étranger. Jésus leur parla en cette qualité : « Enfants, n’avez-vous rien à manger ? »

Il leur adresse cette question pour connaître le résultat de leur travail ; eux répondent qu’ils n’ont rien pris. Jésus voulait les obliger à faire cette réponse ; avant de recevoir les richesses de la grâce de Dieu, l’homme doit confesser sa pauvreté. « Il leur dit : Jetez le filet du côté droit de la barque, et vous trouverez ; » ils obéirent immédiatement, pensant que l’étranger était sans doute un habile pêcheur : « Ils le jetèrent donc, et ne pouvaient plus le retirer, à cause de la grande quantité de poissons. » — « Alors le disciple que Jésus aimait » reconnut son Maître ; il se souvint de la première pêche miraculeuse, et dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Le caractère de chaque apôtre se montre bien clairement ici ; celui qui possède un œil d’aigle reconnaît la présence du Bien-Aimé ; Pierre, toujours prompt à agir, incapable d’attendre que la barque ait touché le rivage, se jette dans la mer, afin d’arriver le premier aux pieds du Sauveur (Matthieu 14.28). Il s’était auparavant dépouillé de ses vêtements, ne gardant que la tunique recouvrant la peau ; maintenant, il met son vêtement de pêcheur, n’osant pas se présenter autrement à son Maître. Quelques-uns ont supposé qu’il marcha sur la mer, mais le texte ne permet pas cette supposition ; il nagea plutôt vers le rivage, qui n’était pas éloigné de plus de « deux cents coudées, » soit une centaine mètres. Les autres disciples le suivirent plus lentement, car ils étaient chargés du filet et des poissons, qu’ils traînèrent dans l’eau jusqu’au rivage ; là, ils trouvèrent un feu allumé, du poisson dessus, et du pain. Ils reçurent l’ordre d’apporter leurs poissons et de prendre part au repas : Pierre tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois grands poissons.

En, tout cela, Christ nous parle par ses actes. Augustin a eu raison de donner un sens symbolique à ce miracle ; il compare cette seconde pêche miraculeuse avec la première, et voit dans celle-ci l’image de l’Église telle qu’elle est maintenant ; dans la seconde pêche, il voit l’image de l’Église telle qu’elle sera après la résurrection, avec sa grande moisson d’âmes. Lors de la première pêche, Jésus n’ordonne pas à ses apôtres de jeter le filet d’un côté seulement de la barque : dans l’état actuel de l’Église, le bon et le mauvais sont mélangés ; maintenant il donne un ordre qui suppose que tout ce qui sera pris sera bonb. La première fois, les filets se rompirent à cause de la multitude de poissons, en sorte qu’on ne les recueillit pas tous ; les schismes et les divisions de l’Église actuelle sont aussi des déchirures par lesquelles beaucoup d’âmes lui échappent ; mais maintenant, « quoiqu’il y eût beaucoup de poissons, le filet ne se rompit point. » Autrefois, les poissons étaient amenés dans la barque de même que les pécheurs sont introduits dans l’Église ; maintenant, les filets sont amenés au rivage, au rivage paisible de l’éternité.

b – La droite est la place favorable dans les Écritures.

Ce qui suit est obscur, et le serait plus encore sans la clef fournie par l’explication symbolique. Quel est le sens de ce repas que les disciples trouvèrent préparé sur le rivage, et auquel le Seigneur les invita à prendre part ? Ce repas ne pouvait être nécessaire à Jésus, qui avait un corps ressuscité, ni à ses disciples, dont les demeures étaient proches ; il faut voir encore dans ce fait un sens caché et profond. De même que la multitude des poissons était pour eux le gage d’un travail fructueux, ainsi le repas préparé par le Seigneur sur le rivage était le symbole du grand festin auquel ils pourraient s’asseoir, dans le royaume céleste, avec Abraham, Isaac et Jacob.

La parole de l’évangéliste : « Aucun des disciples n’osait lui demander : Qui es-tu ? sachant que c’était le Seigneur, » est également difficile à comprendre, car, s’ils le savaient, à quoi bon cette question ? il semble cependant qu’ils étaient tentés de la faire, mais en furent empêchés par la crainte qu’ils avaient de Jésus, aucun d’eux n’osant faire paraître l’incrédulité qu’elle aurait impliquée.

L’entretien qui suit se rattache immédiatement à ce miracle ; après que le Seigneur eut ouvert les yeux de ses apôtres sur la grandeur de leur œuvre future, il leur déclara la condition du succès dans cette œuvre. L’amour pour Christ et la consécration entière de soi-même à Dieu, telles sont les conditions ; lorsque le repas fut terminé, « Jésus dit à Simon-Pierre : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne m’aiment ceux-ci ? » C’était comme si Jésus voulait lui dire : Où est ce nom de Pierre que je t’ai donné ? où est cette fermeté de roc dont j’avais besoin ? je ne puis t’appeler Pierre maintenant, mais un simple enfant des hommes ; tout ce qui était supérieur en toi a disparu.

La question : « M’aimes-tu plus que ne m’aiment ceux-ci ? » est une allusion à la présomption de Pierre : « Alors même que tous seraient scandalisés à cause de toi, je ne le serais point » (Matthieu 26.33) ; c’est ce que prouve la réponse de l’apôtre, qui fait appel à Celui qui sonde les cœurs, pour l’assurer de son amour. En disant : « Pais mes brebis, » — « pais mes agneaux, » le Seigneur veut le rétablir dans ses fonctions apostoliques.

Ces paroles impliquent donc un pardon complet pour le passé ; seul un pécheur pardonné peut proclamer le pardon de Dieu. La question : « M’aimes-tu ? » est répétée trois fois, comme allusion au triple reniement de l’apôtre. En parlant d’« agneaux, » le Seigneur a en vue les chrétiens les moins avancés, les petits enfants en Christ ; les « brebis, » ce sont les chrétiens parvenus à la maturité. Mais ce n’est pas tout de « paître les brebis ; » cette vie de travail sera couronnée par une mort douloureuse ; tel est le chemin qui conduit à la vie éternelle. Le Seigneur a voulu montrer à Pierre les grandes choses qu’il devait endurer pour son nom ; il agit de même avec Ézéchiel (Ézéchiel 3.25), avec Paul (Actes 21.11). « Quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas. » Il y a ici une allusion évident à la crucifixion de Pierre. Les mots : « où tu ne voudras pas » font allusion à la répugnance de la chair pour la douleur, mais Pierre donnera librement sa vie pour son Maître et pourra répéter les mêmes paroles que Paul (2 Timothée 4.6-8).

Ces paroles de Jésus renferment aussi un sens symbolique dont il faut tenir compte. L’action de « se ceindre soi-même » doit être envisagée comme le signe, l’image d’une prompte activité extérieure (Exode 12.11 ; Luc 12.35 ; 1 Pierre 1.13 ; Éphésiens 6.14) ; Jésus veut dire à Pierre : Quand tu étais jeune, tu agissais pour moi, tu allais où tu voulais, tu étais libre de travailler et de choisir ton champ de travail ; mais quand tu seras vieux, tu auras une autre leçon à apprendre, leçon plus difficile ; tu souffriras pour moi, tu ne choisiras plus ton œuvre, d’autres la choisiront pour toi, ce sera une œuvre de souffrance plus que d’action.

Telle est l’histoire de la vie chrétienne pour les serviteurs de Dieu ; commencée par l’action, souvent elle s’achève dans la souffrance ; Jean-Baptiste prêche d’abord aux foules, puis il devient captif à Machéronte. Il faut renoncer à toute volonté propre, pour arriver à une entière soumission à la volonté de Dieu.

Le Seigneur indique à Pierre le moyen d’atteindre ce but : « Ayant ainsi parlé, il lui dit : Suis-moi ; » — Ces derniers mots ne signifient pas seulement, d’une manière générale : Sois mon imitateur. Le disciple devait suivre immédiatement son divin Maître dans le rude chemin de l’activité chrétienne.

« Pierre, s’étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, et il dit : Seigneur, que lui arrivera-t-il ? » Il veut savoir quel sera son sort. Il n’est pas facile de discerner le motif de cette question, ni l’esprit dans lequel elle fut adressée ; il ne s’agissait certainement pas de satisfaire une vaine curiosité. Augustin pense que l’apôtre était intéressé à savoir si Jean ne partagerait pas avec lui l’honneur de suivre immédiatement son Maître ; d’autres pensent que la question était faite plutôt dans l’esprit de Marthe, lorsqu’elle dit à Jésus : « Seigneur, ne te soucies-tu pas que ma sœur me laisse servir seule ? » (Luc 10.40) mécontente que Marie demeurât tranquillement assise aux pieds de Jésus, tandis qu’elle agissait pour lui. Il est possible que Pierre fût un instant jaloux de la part plus facile assignée à Jean ; quoi qu’il en soit, il est évident que sa question ne procédait pas d’une source purec.

c – Appréciation sévère et injustifiée du caractère de Pierre, qui bien plus vraisemblablement s’inquiétait du sort de son jeune compagnon, avec la tendresse d’un père qui craint de voir son fils passer par la souffrance. La fin de non-recevoir que Jésus oppose à sa question, ne prouve en rien que Pierre l’avait posée pour un mauvais motif, par jalousie ou vaine curiosité. (ThéoTEX)

La réponse de Jésus ressemble à un reproche. Ce n’est pas à Pierre de connaître « les temps et les moments, » d’intervenir dans les secrets du Seigneur. Le Seigneur seul donne à chacun sa tâche, sans avoir aucun compte à rendre : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. » Cette réponse n’est pas destinée simplement à réduire Pierre au silence. Pour bien comprendre ces paroles il faut les rapprocher de Matthieu 16.28 ; parmi les apôtres, Jean était le seul qui, selon la parole du Maître, « ne dût pas mourir jusqu’à ce que le Fils de l’homme fût venu dans son règne. » Il verrait la fin de l’ancienne économie juive, le jugement prononcé sur Jérusalem, il survivrait à la grande catastrophe, et entrerait dans la glorieuse période qui suivrait. Son activité serait paisible ; il devait travailler au développement de la vie de l’Église, et terminer sa carrière par une mort naturelle ; il eut, sans doute, sa part de tribulations, mais une part toute spéciale.

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