Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

IV.
Le levain

Matthieu 13.33 ; Luc 13.20, 21

« Il leur dit une autre parabole : Le royaume des cieux est semblable à du levain qu’une femme a pris et caché dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout soit levé. »

Cette parabole se rapporte aussi au merveilleux développement du royaume de Dieu ; elle en montre l’influence cachée sur le monde dans lequel il se trouve. Le grain de sénevé n’attire pas les regards pendant un certain temps, les oiseaux ne se réfugient pas dans ses branches avant qu’il ait atteint une croissance suffisante ; mais le levain agit dès qu’on le met dans la pâte. Gurtler, Teelman, et quelques sectaires, tels que Darby, prétendent que notre parabole ne concerne nullement les glorieux progrès du royaume de Dieu. Ils l’envisagent plutôt comme une prophétie des hérésies et des souillures qui altéreront la pure doctrine de l’Évangile. La femme qui cache le levain dans la farine est, selon eux, l’Église apostate ; ils font remarquer qu’elle est souvent désignée par cette image (Proverbes 9.13 ; Apocalypse 17.1 ; Zacharie 5.7-11). L’argument dont ils font surtout usage, est le fait que l’Écriture considère le plus souvent le levain comme le symbole du mal (1 Corinthiens 5.7 ; Luc 12.1 ; Galates 5.9). Cela est vrai. Aussi la loi interdisait de l’employer dans les offrandes à l’Éternel (Exode 13.3 ; Lévitique 2.11 ; Amos 4.5). Les enfants d’Israël avaient reçu l’ordre de ne conserver aucun levain dans leurs maisons pendant la semaine de la Pâque ; pour célébrer convenablement la fête, ils devaient purifier leurs cœurs de tout levain de maliceh. Mais, même en admettant tout cela, il reste toujours impossible d’accepter leur interprétation. La parabole du Seigneur est celle du « royaume des cieux » ; elle ne peut donc être en même temps la parabole d’un autre royaume. S’il avait voulu dire que quelqu’un placerait un levain de mensonge et de corruption dans le royaume des cieux, il aurait déclaré par là même que les portes de l’enfer prévaudraient contre ce royaume ; il aurait prophétisé la ruine de son œuvre.

h – Les Romains se gardaient aussi d’employer le levain dans les cérémonies du culte ; Plutarque dit : « Le levain est issu de la corruption, et corrompt la masse dans laquelle il se trouve. »

Si le levain est souvent, dans l’Écriture, le type de la corruption, il peut aussi avoir un sens favorable. Le langage figuré de l’Écriture n’a pas une signification invariable. Le diable est « un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer » (1 Pierre 5.8) ; cependant, cette même appellation est appliquée à Christ : « le Lion de la tribu de Juda » (Apocalypse 5.5) ; seulement, dans le premier cas, il s’agit de la ruse et de la férocité du lion ; dans le second, de sa noblesse et de sa puissance, par laquelle il est roi sur tous les animaux. Dans un passage, il est question de la stupidité de la colombe (Osée 7.11) ; dans un autre de sa simplicité, (Matthieu 10.16). Ignace, employant l’image du levain, montre qu’elle peut avoir un sens favorable ou défavorable ; parlant des pratiques juives, il dit : « Rejetez le mauvais levain qui a vieilli, et soyez transformés en nouveau levain, savoir Jésus-Christ. » Le levain a pour effet de rendre le pain plus savoureux, plus léger, plus nourrissant, et en général plus sain. Nous ne devons donc pas hésiter à donner à notre parabole son sens évident, à savoir une prophétie de la diffusion de l’Évangile, et non pas de la corruption. Par le levain, il faut entendre la parole du royaume, parole qui était Christ lui-même ; comme le grain de sénevé, qui donne naissance à un arbre vigoureux, était « la plus petite de toutes les semences », de même le levain est peu de chose en apparence, mais il agit puissamment ; il représente ainsi Celui dont il est dit qu’il n’avait ni forme ni apparence ; « il n’y a rien en lui, à le voir, qui fasse que nous le désirions ; mon serviteur juste en justifiera plusieurs par la connaissance qu’ils auront de lui ; il partagera le butin avec lui puissants » (Ésaïe 3.2,11-12) ; lorsqu’il eut communiqué de son Esprit aux Apôtres, il les rendit capables, à leur tour, quoique pauvres et ignorants, de devenir « le sel de la terre », le levain du monde.

Que faut-il penser de la « femme » qui cache le levain dans les trois mesures de farine ? Qui doit-elle représenter ici ? Nous pouvons admettre, en rapprochant notre passage de celui de Luc 15.8, qu’il s’agit probablement de la divine Sagesse (Proverbes 9.1-3), du saint Esprit, qui est la source de la sanctification pour l’humanité. L’organe du saint Esprit est l’Église, qui apparaît ici sous l’image d’une femme. L’œuvre de l’Esprit a lieu dans et par l’Église, qui devient ainsi un levain pour le monde. Le nombre « trois » peut désigner la diffusion de l’Évangile dans les trois parties alors connues du monde, ou, comme le pense saint Augustin, l’action du levain dans la race humaine, qui est issue des trois fils de Noé ; cela revient a peu près au mêmei. Jérôme et Ambroise y voient la sanctification de l’esprit, de l’âme et du corps (1 Thessaloniciens 5.23).

i – D’après les gnostiques, ces « trois mesures » représentent « les hommes de la terre » (χοϊκοί 1 Corinthiens 15.47), « les hommes psychiques » (ψυχικοί n’ayant que l’âme, 1 Corinthiens 2.14), et les « hommes ayant l’Esprit » (πνευματικοί Galates 6.1).

Mais le levain qui est mélangé à la masse et qui agit en elle, en est bien distinct ; la femme le prit d’ailleurs pour l’y placer ; de même l’Évangile est un royaume distinct du monde (Jean 18.36) ; il ne vient pas de la terre, comme les royaumes actuels ; il est une puissance déposée dans le monde, une Révélation. L’Évangile de Christ fut un agent nouveau placé dans un monde qui périssait, un centre vital pour ce monde, afin de le renouveler. Ce levain est caché dans la masse qu’il doit transformer. La régénération que Dieu opère, procède du dedans au dehors ; elle commence dans le monde spirituel, et s’étend au-delà, produisant une immense transformation du monde visible. C’est ce que nous montre l’histoire des premiers temps du christianisme. Le levain était alors réellement caché. Les auteurs païens témoignent d’une grande ignorance de ce qui se préparait au-dessous de la surface du monde dans lequel ils vivaient, jusqu’au moment où le triomphe du christianisme apparut.

Le levain continue à travailler la masse ; son action n’est pas encore terminée ; elle doit s’exercer jusqu’au triomphe final de l’Évangile, jusqu’à ce qu’il ait été prêché « en témoignage à toutes les nations » ; c’est là ce qu’indiquent les mots : « jusqu’à ce que le tout soit levé ». Nous avons ici l’assurance que la parole de vie ne cessera pas d’agir dans un cœur jusqu’à ce que l’être tout entier ait été sanctifié parfaitement. Au fond, la parabole nous parle du mystère de la régénération, depuis ses origines jusqu’à son plein achèvement. Saint Ambroise a dit : « Puisse la sainte Église, figurée par le type de cette femme, cacher le Seigneur Jésus dans les parties les plus intimes de nos cœurs, jusqu’à ce que la chaleur de la divine sagesse pénètre dans les profondeurs de nos âmes ».

Citons encore quelques paroles de M. Godet, à propos de notre parabole et de celle qui précède : « Ces deux paraboles, dit-il, forment le contraste le plus complet avec le tableau que s’était formé l’imagination juive de l’établissement du règne du Messie. Un coup de baguette magique devait tout opérer en un clin d’œil. A cette notion superficielle, Jésus oppose l’idée d’un développement moral, qui s’opère par des moyens spirituels et tient compte de la liberté, par conséquent lent et progressif. Comment admettre, en face de telles paroles, qu’il ait cru à la proximité imminente de son retour ? »

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