Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

XXI.
Le grand souper

Luc 14.15-24

Je ne reproduirai pas ici les arguments qui me convainquent que cette parabole est entièrement distincte de celle qui est contenue dans Matthieu 22.1-14. Dans la circonstance qui nous occupe, le Seigneur avait été invité à manger du pain dans la maison de l’un des chefs des pharisiens (v. 1). Le repas doit avoir été somptueux. Il réunissait probablement des amis et de riches voisins du pharisien (v. 12), parmi lesquels il y avait eu quelques contestations au sujet de la préséance (v. 7). En général, ces invités étaient, certainement hostiles au jeune docteur galiléen ; mais l’un d’eux ne put s’empêcher d’accueillir avec joie quelques paroles du Seigneur (v. 15). Nous pouvons remarquer toutefois que son exclamation trahissait une grande confiance en soi-même ; il semble ne pas douter de son admission dans le royaume de Dieu, et cependant il était encore possible qu’il n’y entrât pas, à cause de son attachement aux choses de la terre. C’est à lui et à nous tous que cette parabole est adressée.

« Un homme fit un grand souper et il invita beaucoup de gens. » Un souper a lieu ordinairement le soir ; de même, a-t-on dit quelque fois, c’est le soir, à la « dernière heure » (1 Jean 2.18 ; 1 Corinthiens 10.11), que Christ vint pour inviter les hommes à recevoir les bénédictions de l’Évangile. Mais ce rapprochement est forcé ; le mot « souper » n’indique ici que le repas principal de la journée. Ces « gens » que l’homme riche invita sont les Juifsk ; non pas, toutefois, la masse de la nation, mais ceux que l’on croyait le mieux disposés à recevoir la vérité, les plus religieux parmi le peuple, tels que les sacrificateurs et les anciens, les scribes et les pharisiens, par opposition aux péagers et aux pécheurs, et à la partie la plus méprisée de la nation.

kΚαλεῖν, vocare, est le mot propre pour désigner une invitation (Matthieu 22.3 ; Jean 2.2 ; 1 Corinthiens 10.27). L’homme peut toujours résister à l’appel.

« Et il envoya son serviteur, à l’heure du souper, dire à ceux qui avaient été invités : Venez, car déjà tout est prêt. » On a prétendu que ces invités, qui avaient besoin qu’on leur rappelât l’heure du festin, montraient ainsi le peu de cas qu’ils faisaient de l’invitation. Mais c’est une erreur, car tel était l’usage ; leur mépris de l’honneur qui leur était fait se montre dans leurs excuses. Il y eut sans doute, dans l’histoire du monde, une époque à laquelle on put dire, plus que dans aucune autre : « Déjà tout est prêt », une plénitude de temps dans laquelle les Juifs d’abord, puis les Gentils, furent appelés au royaume (Galates 4.1-4). Quelques interprètes voient dans ce serviteur qui fut envoyé les évangélistes et les apôtres, mais il représente plutôt le grand apôtre et souverain sacrificateur de notre profession, lequel étant en forme de Dieu revêtit la forme de serviteur pour accomplir sur la terre la volonté de son Père.

« Et ils se mirent tous unanimement à s’excuser. » Ces excuses, qui sont diverses, représentant les divers obstacles qui retiennent les hommes loin de Christ. Le premier qui dit : « J’ai acheté un champ, et je suis obligé de m’en aller pour le voir », représente ceux que leurs richesses ont enorgueillis. Il va voir son champ, mais non dans l’esprit d’Achab lorsqu’il visita la vigne qu’il avait injustement acquise (1 Rois 21.15-16), car il n’y a aucun mal dans ce qu’il veut faire ; au reste, il est à remarquer qu’aucun des invités ne prétexte une occupation mauvaise en soi, toutefois elles deviennent mauvaises parce qu’elles tiennent le premier rang. Il va voir son acquisition pour se glorifier en elle ; il représente donc ceux que « la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie » éloignent de Christ. Le second invité est absorbé par le souci de cette vie, la soif d’acquérir, qui remplissent entièrement son âme ; il a fait un achat important : « J’ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les essayer ».

C’est la jouissance mondaine qui retient le dernier invité loin de Christ. « Ne vois-tu pas que j’ai ma propre fête ? Pourquoi me parles-tu de la tienne ? J’ai épousé une femme, c’est pourquoi je ne puis aller. » D’après la loi lévitique, c’était là une raison suffisante pour ne point aller au combat (Deutéronome 24.5) ; mais ce n’était pas un motif pour refuser l’invitation au souper (1 Corinthiens 7.29). Les autres invités, sentant l’insuffisance des excuses, donnèrent au moins des réponses polies.

Il y a un rapprochement intéressant à faire entre ces diverses excuses et les paroles suivantes du Sauveur : « Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants, et ses frères et ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple » ; saint Paul dit : « Le temps est court désormais ; que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant point, et ceux qui pleurent, comme ne pleurant pas, et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent, comme ne possédant pas, et ceux qui usent de ce monde, comme n’en usant pas pleinement » (1 Corinthiens 7.29-31) ; l’obstacle consistait, pour les invités, dans un amour exagéré de leurs biens, aussi furent-ils exclus de la fête.

« Ainsi ce serviteur, étant revenu, rapporta ces choses à son seigneur. » Il raconte le peu de succès qu’il a eu, les excuses qui lui ont été données. « Alors le maître de la maison, tout en colère, dit à son serviteur : Va promptement dans les places et les rues de la ville, et amène ici les pauvres, et les estropiés, et les boiteux, et les aveugles. » Cette colère de Dieu, dont il est parlé dans deux autres paraboles (Matthieu 18.34 ; 22.7), est la colère de l’amour méconnu, méprisé ; elle est d’autant plus terrible. Cette seconde catégorie d’invités se trouve encore dans la ville ; il ne s’agit donc pas ici de la vocation des gentils. Le Seigneur avait dit auparavant : « Invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles » (v. 13). Il se conforme lui-même à cet ordre. Il invite à sa table les malades et les pauvres spirituels ; tandis que ceux qui s’estiment assez riches de leurs propres mérites s’excluent eux-mêmes et sont exclus par le Seigneur (Luc 6.24-25 ; Apocalypse 3.17). Le peuple qui ne connaissait pas la loi, les méprisés et les misérables, ce sont eux qui doivent entrer dans le royaume de Dieu, avant les sages, les prudents, avant ceux qui prétendaient voir, qui rendaient grâce à Dieu de n’être pas comme le reste des hommes. « Et le serviteur dit : Seigneur, on a fait ainsi que tu l’as commandé, et il y a encore de la placel. » Alors il reçoit un nouveau message : « Va dans les chemins et le long des haies, et contrains-les d’entrer, afin que ma maison soit remplie ». Si ceux qui se trouvaient « dans les places et les rues de la ville » étaient les plus misérables parmi les Juifs, les plus ignorants, les plus souillés, ceux qui se trouvent en dehors de la ville, qui représente ici la théocratie, ceux qui errent le long des haies, sont les païens. La parabole devient alors prophétique ; elle nous enseigne que Dieu avait des desseins de grâce non seulement à l’égard du peuple juif, mais aussi à l’égard des gentils. M. Godet dit avec raison : « Comme le verset 21 est le texte de la première partie des Actes (1 à 12, conversion des juifs), les versets 22 et 23 sont celui de la seconde (13 à fin, conversion des païens), et même de toute l’économie présente ».

l – Bengel : « La nature et la grâce ont horreur du vide ».

« Contrains-les d’entrer » ; les persécuteurs de tous les temps se sont servis de cette parole. D’autres s’en sont servis également pour justifier une répression violente des erreurs, pour sauver les hommes malgré eux. Saint Augustin ne craignait pas de faire appel au pouvoir civil pour faire rentrer les donatistes dans le sein de l’Église, et il se sert pour cela de notre parabole. Mais il ne s’agit, dans ces paroles, que d’une contrainte morale, celle de la persuasion ; le serviteur n’aurait guère pu, à lui seul, employer la force contre tant de gens. Celui qui donne le souper ne prévoit aucune résistance ; il pense plutôt que ces gens se regarderont comme indignes de l’invitation, et ne pourront croire qu’elle soit réellement pour eux. Il faudra donc les exhorter chaleureusement à venir, et c’est ce que doivent faire tous les ambassadeurs pour Christ. Dieu contraint les hommes d’entrer lorsqu’il les oblige, par de grandes épreuves, à chercher leur refuge en Lui et dans son Église ; Luther dit : « Ils sont contraints, lorsque la loi est clairement prêchée, et qu’elle terrifie leurs consciences, en les amenant à Christ, comme à leur seul refuge ».

La parabole se termine par cette parole d’indignation : « Je vous dis qu’aucun de ces hommes qui étaient invités ne goûtera de mon souper ». Il s’agit ici des principaux de la ville, qui furent invités les premiers. Le pluriel : « vous » est embarrassant, car il n’a été question que d’un seul serviteur. Il est possible que ce serviteur soit envisagé comme le représentant de plusieurs, ou que le maître de maison s’adresse maintenant aux invités réunis chez lui. La sentence est définitive (Proverbes 1.28 ; Matthieu 25.11-12 ; Jean 8.21). Ils seront exclus du royaume de Dieu.

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