Synonymes du Nouveau Testament

14.
Σκληρός, αὐστηρός
Dur (rugueux), austère (âpre)

Dans la parabole des Talents (Matthieu 25.19), le serviteur paresseux accuse son maître d’être σκληρός « un homme dur » ; tandis que dans la parabole correspondante de St. Luc, il y a αὐστηρός, « un homme austère » (Luc 19.21). Il s’ensuit que l’on peut échanger les mots jusqu’à un certain point ; mais non pas que leurs significations soient exactement parallèles. On trouvera, au contraire, qu’on peut très bien distinguer entre ces mots, quoique cette distinction ne puisse pas affecter l’interprétation de ces paraboles.

Σκληρός, dérivé de σκέλλω, σκλῆναι, « arefacio », est proprement une épithète qui exprime ce qui, manquant d’humidité, est dur et sec, et, par conséquent, rude et désagréable au toucher, et même ce qui est déjeté, intraitable ; c’est à la fois le « asper » et le « durus » des Latins. Le vocable passe alors dans les régions morales, dans lesquelles il se meut principalement, et il y exprime l’indocilité de la nature morale de l’homme, son âpreté, ses aspérités. Ainsi Nabal (1 Samuel 25.3) est σκληρός, et aucune épithète ne pouvait mieux dépeindre le déplorable état de ce grossier personnage. Si nous considérons la société que σκληρός fréquente, nous le trouvons dans celle d’αὐχμηρός (Plat., Symp. 195 d) ; d’ἀντίτυπος (Theæt. 155 a) ; d’ἀμετάστροφος (Crat. 407 d) ; d’ἄγριος (Aristote, Ethic. 4.8 ; Plutar. Cons. ad Apoll. 3) ; d’ἀνήδυντος (Plutar., Præc. Ger. Reip. 3) ; d’ἀπηνής (De Vit. Pud.) ; de τραχύς. (De Lib. Ed. 18) ; d’ἀπαίδευτος (Alex. Virt. seu Fort. Or. 1.5) ; d’ἄτρεπτος ; (Diogenes Laërtius, vii, 1, 64, 117) ; d’ἀφηνιαστής (Phil., De Septen. 1) ; d’αὐθάδης (Genèse 49.3) ; de πονηρός (1 Samuel 25.3). Il est opposé εὐηθικός (Plat., Charm. 175 d) ; à μαλακός (Protag. 331 d) ; à μαλθακός (Symp. 195 d ; Soph., Œdip. Col. 771).

Αὐστηρός, qui dans le N. T. n’apparaît que dans le seul passage de St. Luc, et jamais dans les Septante, s’applique dans son sens primitif à ces sortes de choses aigres et astringentes qui font retirer et contracter la langue, comme le vin que l’âge n’a pas encore adouci. Ainsi le poète Cowper, quand il se dépeint enfant, cueillant aux haies des prunelles austères, se sert de ce terme dans le sens le plus correct. Mais, de même que nous avons fait passer « strict » (de « stringo » ) dans le domaine de la morale, de même les Grecs y ont transféré αὐστηρός à l’aide d’une image empruntée au goût, comme dans σκληρός, elle l’est au toucher.

Αὐστηρός lui aussi n’indique rien d’aimable ou d’attrayant chez celui auquel on l’applique. On le trouve uni à ἀηδής (Plat., Rep. iii, 398 a), à ἄκρατος et àἀνήδυντος (Plutar. Præc. Conj. 29) ; à ἀνήδυστος (Phoc. 5) ; à αὐθέκαστοςc (De Adul. et Am. 14) ; à ἀγέλαστος et à ἀνέντευκτος (De Cup. Div. 7) ; à αὐχμηρός (Philo, De Præm. et Pæn. 5) ; Aristote (Ethic. Eudem. 7.5) met en contraste αὐστηρός avec εὐτράπελος, ce dernier mot étant pris dans un bon sens.

c – Dans Plutarque ce mot est employé dans un mauvais sens, comme en anglais, self-willed (« eigensinnig ») ; c’est un de ces termes, nombreux dans toutes les langues, qui commencent par un bon sens (Aristot., Ethic. Nic. 4.7) et finissent par un mauvais.

Avec tout cela, on remarquera qu’aucune des épithètes auxquelles αὐστηρός est associé, n’implique cette profonde perversité morale qui est inhérente à celles avec lesquelles σκληρός est en relation ; il y a plus : assez souvent on rencontre αὐστηρός en meilleure compagnie que celle qui vient d’être indiquée ; ainsi il est joint continuellement à σώφρων (Plutar. Præc. Conj. 7, 29 ; Quæst. Gr. 40) ; à σωφρονικός (Clément d’Alexandrie, Pædag. 2.4) ; quelqu’un d’ailleurs γενναῖος καὶ μέγας est αὐστηρός, en tant qu’il ne sacrifie pas aux Grâces (Plutar. Amat. 23) ; tandis que les Stoïciens étaient dans l’habitude d’affirmer que tous les hommes de bien sont austères (Diogenes Laërtius, vii, 1, 64, 117) : καὶ αὐστηροὺς δέ φασιν εἶναι πάντας τοὺς σπουδαίους τῷ μήτε αὐτοὺς πρὸς ἡδονὴν ὁμιλεῖν μήτε παρ᾽ ἄλλων τὰ πρὸς ἡδονὴν προσδέχεσθαι cf. Plutar. Præc. Conj. 27 : En latin, « austerus » est d’une manière prédominante une épithète d’honneur (Dœderlein, Latein. Syn. vol. in, p. 232) ; l’homme « austerus » est sérieux et sévère, opposé à toute légèreté ; ayant besoin de veiller, c’est très possible, contre la dureté de caractère, la rigueur ou la morosité, dangers dans lesquels il peut facilement tomber (« non austeritas ejus tristis, non dissoluta sit comitas », Quintil., ii, 2, 5), — mais il n’est pas encore entaché de ces défauts.

Nous pouvons donc établir cette distinction entre nos deux mots : σκληρός entraîne toujours l’idée d’un reproche et d’un reproche sévère ; il indique un caractère dur, inhumain, et (dans l’usage plus ancien du mot) impoli ; αὐστηρός, au contraire, ne comporte pas toujours cette idée de reproche, pas plus que l’allemand « streng », qui est bien différent de « hart », et même, quand il le fait, il s’agit d’un reproche d’un caractère bien moins odieux ; de la dégénérescence d’une vertu plutôt que d’un vice proprement dit.

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