Synonymes du Nouveau Testament

26.
Ζῆλος, φθόνος
Zèle, envie

On rencontre souvent ces mots ensemble ; ainsi sous la plume de St. Paul, Galates 5.20-21 ; de Clément de Rome, (1 Corinthiens 3.2, 4) ; et aussi de Cyprien, dans son petit traité, De Zelo et Livore : ajoutons qu’ils se trouvent encore chez les auteurs classiques, tels que Platon, Phil. 47 e, Leg. iii, 679 c ; Menex. 242 a, et Plutarque, Coriol. 10. Il y a pourtant des différences entre eux ; la première c’est que ζῆλος est un μέσον, employé tantôt dans un bon sens, comme dans Jean 2.17 ; Romains 10.2 ; 2 Corinthiens 9.2, tantôt, comme cela est le plus souvent le cas dans l’Écriture, dans un mauvais : Actes 5.17 ; Romains 13.13 ; Galates 5.20 ; Jacques 3.14 : tandis que φθόνος, qui ne peut avoir un bon sens, est employé dans un mauvais, et seulement dans un mauvais. Quand ζῆλος est pris en bonne part, il signifie cette honorable émulationb qui s’efforce d’imiter ce qui se présente à l’esprit comme excellent : ζῆλος τῶν ἀρίστων (Lucian., Adv. Indoct. 17) ; ζῆλος τοῦ βελτίονος (Philo, De Prœm. et Pœn. 3) ; ζῆλος καὶ μίμησις (Herodian., ii, 4) ; ζηλωτὴς καὶ μιμητής (vi, 8). Plutarque (De Virt. Mor. 12) l’associe à φιλοτιμία. C’est le latin « « æmulatio », qui ne renferme nécessairement aucune idée d’envie, mais qui en contient pourtant autant qu’il en existe dans notre mot « émulation » ainsi que dans l’allemand « Nacheiferung », qu’il ne faut pas confondre avec « Eifersucht ». Le verbe « æmulor », comme c’est bien connu, exprime subtilement la différence entre la bonne et la mauvaise émulation, et gouverne l’accusatif dans le premier cas, le datif dans le second. South, qui s’exprime toujours bien, le fait encore ici, quand il dit : « Nous devrions, par tous les moyens, marquer la différence entre l’envie et l’émulation. Cette dernière, chose honnête et noble, est d’une tout autre nature que l’envie, puisqu’elle ne consiste que dans une généreuse imitation de ce qui est excellent, imitation qui ne peut consentir à rester au dessous de son modèle, mais qui s’efforce, si possible, de le dépasser. Celui qui brûle d’émulation ne supporte pas de supérieur, et il travaille à s’en débarrasser, non en écrasant un autre ou en lui portant envie, mais en se perfectionnant lui-même. En sorte que, tandis que l’envie, cette chose stupide, remplit toute l’âme, comme un grand brouillard sombre remplit l’air, l’émulation, au contraire, inspire l’âme d’une vie et d’une vigueur nouvelles ; elle aiguise et excite à l’activité toutes les puissances de notre être. Assurément ce qui produit de tels effets (abstraction faite de toute cette vivacité et de cette aigreur qui accompagnent quelquefois l’émulation) doit être chose aussi légitime et même aussi louable que ce qui pousse un homme à se rendre utile et à se perfectionner autant qu’il le peut. »

bἜρις, qui souvent dans l’Odyssée et chez les écrivains postérieurs (mais je ne crois pas dans l’Iliade) atteint presque au sens de ζῆλος quand il signifie émulation, était susceptible d’avoir, de la même manière, une plus noble application.

Aristote emploie ζῆλος (Rhet. ii, 11) exclusivement dans le sens plus noble de cette émulation active qui s’attriste, non de ce qu’un autre possède quelque bien, mais de ; de ce qu’elle-même ne le possède point, et qui, ne s’arrêtant point là, cherche à combler les vides qu’elle aperçoit en elle-même. C’est en se plaçant à ce point de vue que le philosophe de Stagyre établit un contraste entre l’émulation et l’envie : ἔστι ζῆλος λύπη τις ἐπὶ φαινομένῃ παρουσίᾳ ἀγαθῶν ἐντίμων… οὐχ ὅτι ἄλλῳ ἀλλ᾽ ὅτι οὐχὶ καὶ αὑτῷ ἐστι. διὸ καὶ ἐπιεικές ἐστιν ὁ ζῆλος καὶ ἐπιεικῶν. τὸ δὲ φθονονεῖν φαῦλον καὶ φαύλων. Les Pères de l’Église suivent ses traces. Jérôme (Exp. in Gal., v, 20) écrit : « ζῆλος et in bonam partem accipi potest, quum quis nititur ea quæ bona sunt æmulari. Invidia vero aliena felicitate torquetur » ; et encore (in Gal. iv, 17) : « Æmulantur bene, qui cum videant in aliquibus esse gratias, dona, virtutes, ipsi tales esse desiderant ». Œcumenius : ἔστι ζῆλος κίνησις ψυχῆς ἐνθουσιώδης ἐπί τι μετά τινος ἀφομοιώσεως τοῦ πρὸς ὃ ἡ σπουδή ἐστι.

Mais il n’est que trop aisé, pour ce zèle et cette honorable rivalité, de dégénérer en une vile passionc ; le latin « simultas », qui vient (voir Dœderlein, Lat. Syn., vol. iii, p. 72), non de « simulare », mais de « simul », témoigne du fait : ceux qui visent ensemble au même objet, qui sont ainsi des compétiteurs, courent le danger de devenir aussi des ennemis ; ἅμιλλα (qui cependant a conservé son emploi plus honorable, voir Plutarch., Anim. an Corp. App. Pej. 3) ne vient-il pas de ἅμα ?

c – Aussi le fr. jaloux, angl. jealous vient-il de Zelus. Dr. A. Scheler.

Ces dégénérescences, qui touchent de si près à l’émulation, et qui sont quelquefois cause que le mot lui-même s’emploie pour le vice dans lequel la chose est tombée (« la pâle et inanimée émulation », Shakesp.), peuvent revêtir deux formes : ou bien celle du désir de faire la guerre au bien qu’on découvre chez les autres, et ainsi de troubler ce bien et de l’amoindrir ; aussi trouvons-nous ζῆλος et ἔρις continuellement ensemble (Romains 13.13 ; 2 Corinthiens 12.20 ; Galates 5.20 ; Clément de Rome, 1 Ep. 3, 6) ; ou bien, à défaut de la vigueur et de l’énergie nécessaires pour amoindrir le bien, il peut y avoir du moins le désir de l’amoindrir. Ce désir sert de point de contact entre ζῆλος et φθόνος (ainsi Plato, Menex. 242 a : πρῶτον μὲν ζῆλος ἀπὸ ζήλου δὲ φθόνος), essentiellement passif, comme ζῆλος est actif et énergique. Nous ne trouvons point φθόνος dans le long catalogue de Marc 7.21-22 ; une circonlocution en occupe la place : ὀφθαλμὸς πονηρός, mais une circonlocution qui rappelle l’« invidia » des Latins, dérivée, comme Cicéron le fait observer (Tusc. iii, 9), « a nimis intuendo fortunam alterius » ; cf. Matthieu 20.15 ; 1 Samuel 18.9 : « Saül avait l’œil sur David », c’est à dire qu’il lui portait envie. Les « urentes oculi » des Latins, le « mal occhio » des Italiens doivent s’interpréter de la même manière. Φθόνος est le plus vil des deux péchés (aussi a-t-il pu trouver place dans le beau proverbe grec : ὁ φθόνος ἔξω τοῦ θείου χόρου), il indique simplement le déplaisir qu’on éprouve du mérite d’un autred ; λύπη ἐπ᾽ ἀλλοτρίοις ἀγαθοῖς, comme l’ont défini les Stoïciens (Diogen. Laert. vii, 63, 111) ; λύπη τῆς τοῦ πλησίον εὐπραγίας, comme dit St. Basile (Hom. de Invid.) ; « ægritudo suscepta propter alterius res secundas, quæ nihil noceant invidenti », comme s’exprime Cicéron (Tusc. iv, 8 ; cf. Xenoph., Mem. iii, 9,8), avec le désir que ces richesses soient moindres, et cela, sans nourrir aucun espoir d’augmenter par là les siennes (Aristot., Rhet. ii, 10). Celui qu’agite le φθόνος ne sent aucune impulsion, aucun besoin de s’élever au niveau de celui auquel il porte envie, mais seulement de le faire descendre au siene. Quand les victoires de Miltiade ne permettaient point au jeune Thémistocle de dormir (Plutarch. Them. 3), c’était le ζῆλος, dans sa plus noble forme, qui était cause de cette insomnie, c’est à dire une émulation qui le portait aux belles actions et qui ne lui permettait de dormir qu’alors qu’il aurait une Salamine à opposer au Marathon de son illustre devancier. Mais c’était le φθόνος qui tourmentait ce citoyen d’Athènes quand il s’attristait d’entendre sans cesse qualifier Aristide de « Juste » (Plutarch. Arist. 7) ; et l’envie de cet homme ne contenait rien qui le poussât à faire des efforts pour atteindre lui-même à cette justice qui excitait sa jalousie chez un autref. Voyez encore sur ce sujet les belles remarques de Plutarque, De Prof. Virt. 14.

d – La définition que donne Augustin de φθόνος (Exp. in Gal. v, 21) n’est point tout à fait satisfaisante : « Invidia vero dolor animi est, cum indignus videtur aliquis assequi etiam quod non appetebas. » Ceci serait plutôt νέμεσις et νεμεσᾶν, selon la terminologie morale d’Aristote (Ethic. Nic. ii, 7, 15 ; Rhet. ii, 9). Augustin s’exprime mieux ailleurs : « Bono cruciatur alieno. »

e – Sur les ressemblances et les différences entre μῖσος et φθόνος, voir le petit traité de Plutarque, de Invidia et Odio. Il est plein de grâce, en même temps qu’il offre une fine analyse du cœur de l’homme.

fEnvy, to which the ignoble mind’s a slave,
Is emulation in the learned and the brave.
Pope.

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