Synonymes du Nouveau Testament

33.
Ἄφεσις, πάρεσις
Pardon, rémission

Ἄφεσις est le mot capital qui sert, dans le N. T., à exprimer le pardon ou la rémission des péchés (voy. Vitringa, Obs. Sacr., vol. i, pp. 909-933). Dérivé d’ἀφιέναι, ce mot repose sur une image qui indique l’action de relâcher, de laisser aller. Probablement l’année du jubilé, appelée constamment ἔτος ou ἐνιαυτὸς τῆς ἀφέσεως, ou simplement ἄφεσις (Lévitique 25.31, 40 ; 27.24), l’année dans laquelle on remettait toutes les dettes, suggéra l’application plus élevée du mot, qu’il reçoit si fréquemment dans le N. T., et particulièrement dans St. Luc. On trouve cependant (mais c’est le seul cas) l’expression πάρεσις τῶν ἁμαρτημάτων dans Romains 3.25f. C’est que St. Paul, à notre avis, veut dire quelque chose que πάρεσις doit rendre d’une manière adéquate mais qu’ἄφεσις n’exprimerait qu’imparfaitement.

f – La version de Lausanne, dans sa dernière édition, s’est efforcée de rendre le vrai sens de ce mot. F. de R.

On sait que Cocceius et son école trouvèrent dans le texte leur principal appui pour étayer leur doctrine favorite, à savoir, que, sous l’Ancienne Économie, il n’y avait pas proprement de rémission des péchés, dans le sens le plus complet ; point de τελείωσις (Hébreux 10.1-4) ; point d’abolition pleine et entière du péché, même pour les fidèles, mais qu’il y avait simplement une sorte de voilement (si le mot est permis) temporaire du péché, de la part de Dieu, en considération du sacrifice qui devait être consommé un jour ; et, qu’en attendant, l’ἀνάμνησις τῶν ἁμαρτίων demeurait. Une violente controverse éclata sur cette question parmi les théologiens de la Hollande, à la fin du seizième siècle et au commencement du suivant, elle fut poursuivie avec une acrimonie inexplicable. Voir, pour un court résumé de ce débat, Deyling, Obs. Sacr., vol. v, p. 209 ; Vitringa, Obs. Sacr., vol. iv, p. 3 ; Venema, Dis. Sacr., p. 72 ; et, pour un compte rendu détaillé de la pensée de Cocceius, son propre Commentaire sur les Romains, in loc. Op. vol. v, p. 62). Le même théologien défendit et justifia plus au long dans son traité : Utilitas distinctionis duorum vocabulorum Scripturæ, παρέσεως et ἀφέσεως (vol. ix, p. 121 sq.). Ceux qui s’opposèrent alors au système de Cocceius refusèrent d’admettre aucune distinction entre ἄφεσις et πάρεσις ? Mais ils errèrent en ce point ; car, quoique Cocceius et les siens eussent évidemment tort, en prétendant que pour les fidèles il n’y avait qu’une πάρεσις et point d’ἄφεσις ἁμαρτημάτων, leur appliquant ce qui était affirmé du monde sous l’Ancienne Alliance, ils avaient raison de maintenir que πάρεσις n’est pas entièrement l’équivalent d’ἄφεσις. Théod. de Bèze, du reste, avait déjà attiré l’attention sur cette distinction. Dans sa version latine, publiée pour la première fois en 1556, il n’en fait pas mention, mais plus tard il reconnaît le fait, quand il dit : « Hæc duo plurimum inter se differunt », et il traduit dès lors πάρεσις par « dissimulatio ».

Et d’abord, la dérivation doit d’elle-même suggérer une différence de signification. Si ἄφεσις est remissio, « Loslassung », πάρεσις, de παρίημι, sera naturellement « prœtermissio, » ou l’action de passer outre à l’endroit des péchés, et cela, pour le temps présent, laissant la question indécise, quant à l’avenir, ou de remettre entièrement les péchés, ou de les punir comme ils le méritent, selon qu’il peut sembler bon à celui qui a la puissance et le droit de faire l’un ou l’autre. Ainsi Fritzsche écrit (Ad Rom. vol. i, p. 199 : « Conveniunt in hoc [ἄφεσις et πάρεσις quod sive illa, sive hæc tibi obtigerit, nulla peccatorum tuorum ratio habetur ; discrepant eo, quod, hac data, facinorum tuorum pœnas nunquam pendes ; illa concessa, non diutius nullas peccatorum tuorum pœnas lues, quum ei in iis connivere placuerit, cui in delicta tua animadvertendi jus sit ». Puis l’usage classique de παριέναι et de πάρεσις justifie cette distinction. Xénophon avait dit (Hipp. 7, 10) : ἁμαρτήματα οὐ χρὴ παριέναι ἀκόλαστα ; tandis que Josèphe nous apprend d’Hérode qu’il était désireux de punir une offense, cependant, par certaines considérations, il passa outre (Ant. xv, 3, 2) : παρῆκε τὴν ἁμαρτίαν. Quand le fils de Sirach (Sira.23.2) prie que Dieu ne passe pas pardessus ses péchés, assurément il ne se sert pas d’οὐ μὴ παρῇ comme équivalant à οὐ μὴ ἀφῇ, mais il demande seulement que Dieu ne le laisse pas sans un châtiment salutaire qui suive de près ses transgressions. D’un autre côté, et comme preuve de l’équation πάρεσις = ἄφεσις, on peut citer le passage suivant de Denis d’Halicarnasse (Ant. Rom. vii, 37) : τὴν μὲν ὁλοσχερῆ πάρεσιν οὐχ εὕροντο τὴν δὲ εἰς χρόνον ὅσον ἠξίουν ἀναβολὴν ἔλαβονg. Cependant ici ce n’est pas πάρεσις, mais ὁλοσχερὴς πάρεσις, qu’on donne comme l’équivalent d’ἄφεσις, et, sans doute, l’historien a ajouté l’épithète, parce qu’il sentait bien que, sans elle, πάρεσις aurait exprimé sa pensée d’une manière insuffisante.

g – Lœsner est encore plus malheureux (Ohs. e Philone, p. 249) dans un passage auquel il renvoie d’après Philon (Quod Det. Pot. Ins. 47) pour prouver que πάρεσις est identique à ἄφεσις. Un coup d’œil sur les mots, tels qu’ils sont, suffit pour montrer que Lœsner, par quelque inadvertance, en a entièrement méconnu le sens.

Il y a donc, prima facie, une forte probabilité qu’au seul endroit où St. Paul emploie l’expression πάρεσις ἁμαρτημάτων, il veut dire autre chose que ce qu’il dit dans les nombreux endroits où il se sert d’ἄφεσις. — Considérons maintenant de plus près ce passage lui-même, Romains 3.25. Je me permettrai de le traduire ainsi : « Whom God hath set forth as a propitiation, through faith in his blood, for a manifestation of his righteousness, because of the prætermission (διὰ τὴν πάρεσιν, non διὰ τῆς παρέσεως), in the forbearance of God, of the sins that went before »h, et je l’interprète ainsi : « On avait besoin d’une manifestation signalée de la justice de Dieu, parce que, pendant longtemps, dans son infinie patience, Dieu avait passé par dessus les péchés, sans donner aux hommes de marque adéquate de sa réprobation, et cela, pendant toutes ces longues années qui ont précédé la venue de Christ ; mais cette manifestation de la justice de Dieu éclata, quand Il donna son propre Fils, et pas un autre, pour être le sacrifice propitiatoire pour le péché. » Pendant de longs siècles, Dieu ne montra point sa profonde indignation contre le péché ni contre les pécheurs (il s’agit de tout le temps qui a précédé l’Incarnation). Il va sans dire que cette connivence de Dieu, ce silence de sa part, n’était que partiel, car St. Paul lui-même a déclaré un peu plus haut que la colère de Dieu se révélait du ciel contre toute transgression des hommes (Romains 1.18) ; et il a retracé, en des lignes terribles, quelques-unes des manières par lesquelles s’est manifestée cette révélation de la colère divine (Romains 1.24-32) ; avec tout cela, c’était le temps pendant lequel Dieu « permettait aux nations de marcher dans leurs voies » (Actes 14.16) ; c’étaient « des temps d’ignorance » sur lesquels Dieu passait (Actes 17.30) ; en d’autres mots, les temps de l’ἀνοχὴ τοῦ Θεοῦ, et cette ἀνοχή est l’idée corrélative de πάρεσις, comme χάρις l’est de ἄφεσις : en sorte que le fait que nous trouvons ici ἀνοχή est une forte confirmation en faveur de l’interprétation que nous venons de donner du mot.

h – En changeant un seul mot (victime expiatoire, au lieu de propitiatoire) nous aurons, dans la version de Lausanne, celle qui se rapproche le plus à la fois du texte grec et de la traduction de notre auteur : « Jésus que Dieu a d’avance établi comme une victime expiatoire au moyen de la foi en son sang, pour montrer sa justice parce qu’il avait passé par dessus les péchés qui précèdent, pendant le support de Dieu. » Trad.

Mais cette conduite de Dieu par rapport au péché ne pouvait être, dans la nature même des choses que provisoire et in transitu. Chez l’homme, cette « prætermissio » des péchés, ou cette « præteritio », comme Hammond voudrait traduire (faisant dériver le mot, mais à tort, de πάρειμι, « prætereo »), serait souvent identique à la « remissio », la πάρεσις se confondrait avec l’ἄφεσις, car l’homme oublie ; il n’a pas le pouvoir de traduire à sa barre ce qui est passé depuis longtemps, même quand il le veut ; ou bien, il n’a pas assez d’énergie, en fait de justice, pour le vouloir. Mais pour un Dieu absolument juste, la πάρεσις ne peut être que pro tempore ; elle doit toujours aspirer après une décision finale : patienter n’est pas acquitter ; tout péché doit à la fin être absolument pardonné ou vengé en tous points. En attendant, la πάρεσις elle-même pouvait paraître mettre en question l’absolue justice de Celui qui se contentait de passer ainsi à côté du péché et qui voulait bien ne point le remarquer. Dieu se tut, et l’homme méchant de s’imaginer aussitôt que Dieu lui ressemblait, et qu’il était moralement indifférent au bien et au mal. Le Psalmiste lui-même déclare (Psaumes 50.21 ; cf. Job 22.13 ; Matthieu 2.17 ; Psaumes 83.11) que, pour un trop grand nombre, telle fut la conséquence de l’ἀνοχὴ τοῦ Θεοῦ ; mais maintenant (ἐν τῷ νῦν καιρῷ) Dieu, par le sacrifice de son Fils, a rendu pour toujours impossible un si fatal malentendu de sa pensée, alors qu’il passait par-dessus les péchés d’autrefois. Bengel : « Objectum prætermissionis (παρέσεως), peccata ; tolerantiæ (ἀνοχῆς), peccatores, contra quos non est persecutus Deus jus suum. Et hæc et illa quamdiu fuit, non ita apparuit justitia Dei : non enim tam vehementer visus est irasci peccato, sed peccatorem sibi relinquere, ἀμελεῖν, negligere, Hébreux 8.9. At in sanguine Christi et morte propitiatoria ostensa est Dei justitia, cum vindicta adversus peccatum ipsum, ut esset ipse justus, et cum zelo pro peccatoris liberatione, ut esset ipse justificans ». Comp. Hammond (in loco), qui a admirablement saisi la vraie distinction entre les deux mots.

Qui a part à l’ἄφεσις, a donc ses péchés pardonnés, en sorte qu’à moins qu’il ne les ramène sur sa tête par une nouvelle désobéissance (Matthieu 18.32, 34 ; 2 Pierre 1.9 ; 2.20), ils ne lui seront point imputés ; désormais ils ne seront plus mis sur son compte. La πάρεσις, d’un autre côté, est un bienfait, mais bien subordonné ; c’est l’action par laquelle Dieu passe maintenant par-dessus le péché, suspend la punition, ne ferme point au pécheur tous les chemins de la miséricorde et lui donne de l’espace et les moyens de se repentir, comme il est écrit au livre Sagesse 11.23 : παρορᾷς ἁμαρτηματα ἀνθρώπων εἰς μετάνοιαν : cf. Romains 2.3-6. Si une telle repentance a lieu, alors la πάρεσις est engloutie dans l’ἄφεσις, mais, si tel n’est pas le cas, alors le châtiment suspendu, mais non écarté, tombe sur le coupable au temps convenable (Luc 13.9).

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