Le Réveil Américain

Chapitre X

Christ trouvé sans sortir de chez soi. — L’homme qui rencontre la paix dans la rue.

Un jeune homme à la mode, appartenant à une famille riche et occupant une haute position sociale dans cette ville, n’avait pu échapper, au milieu du luxe de son élégante habitation, à l’influence croissante du réveil, et avait enfin compris qu’il était pécheur et qu’il avait une âme à sauver. Il se sentait comme au bord d’un abîme sans fond, abîme de douleur et de désespoir éternel. Il fléchissait sous le fardeau de ses péchés, et il cherchait partout du soulagement, sans pouvoir en trouver. La loi se dressait menaçante et impitoyable, et devant elle il se sentait justement condamné. Il était en proie à une tristesse profonde ; son visage portait l’empreinte de la réprobation divine. Il se traînait d’un lieu à l’autre, la tête pendante sur la poitrine, et chaque jour son angoisse devenait plus cruelle et plus intolérable. Que faire ? que devenir ? Il avait une jeune femme qu’il aimait plus que sa propre vie. Elle aussi avait vécu jusqu’alors dans les joies et les plaisirs du monde, sans connaître la religion, sans même s’en soucier. Il avait également une sœur qui demeurait chez lui, et tous trois à l’envi s’étaient livrés à toutes les folies et à toutes les vanités qui composent ce qu’on appelle la vie fashionable. La femme et la sœur observaient avec étonnement le changement étrange qui s’était opéré dans l’humeur du jeune homme, mais sans oser lui en parler.

Un jour, cet infortuné vint à la réunion de prière de Fulton Street, et au bout de peu de temps il se sentit délivré de son fardeau. La foi qui surgit alors dans son âme, tout en ravivant son repentir, l’inondait de cette joyeuse espérance qui ne confond point, et lui faisait sentir tout le prix d’un Sauveur. Il crut au pardon que Dieu lui avait octroyé pour l’amour de Jésus-Christ, et il résolut de confesser son Sauveur et de le glorifier partout et toujours.

L’occasion ne tarda pas à se présenter. Comme il se dirigeait, le soir, vers sa demeure :

— Désormais, se dit-il, je veux honorer Dieu dans ma maison ; je veux instituer chez moi le culte de famille.

— Oh non ! répondit le tentateur, pas encore ! pas de précipitation ! Tu as bien le temps. Affermis-toi d’abord, et tu n’agiras que mieux.

— Je commencerai ce soir même. Je ne sais trop ce qu’en diront ma femme et ma sœur ; mais c’est mon devoir et je le ferai, me confiant en Dieu pour tout le reste. Il faut que je prie avec ma famille.

— Pas ce soir ! continuait la voix du tentateur ; tu ne sais pas prier ; tu n’as presque jamais prié ; tu ne connais pas le langage de la prière. Attends et apprends-le avant de te lancer.

— Non, non ! il faut que je prie ce soir. Arrière, Satan !

De retour chez lui, il s’enferme dans son cabinet d’étude, et, se jetant à genoux, il ouvre à Dieu son cœur et lui demande la force d’accomplir son devoir.

Quand il parut le soir devant sa femme, elle s’aperçut avec une surprise extrême que son visage avait une expression toute nouvelle ; mais elle se tut. Enfin, l’heure arriva.

— Ma chère amie, dit-il, as-tu quelqu’objection à ce que nous ayons un culte de famille ?

D’abord muette d’étonnement, mais trop polie pour refuser, la jeune dame répondit après un instant d’hésitation :

— Mais… non, si cela t’est agréable.

— Hé bien ! apporte-moi une Bible. Nous lirons et nous prierons.

Après la lecture d’un chapitre, il s’agenouilla. Sa femme et sa sœur demeurèrent assises dans leurs fauteuils. Levant alors les yeux vers le Seigneur, il s’écria dans la tristesse de son cœur : « O Dieu ! aie pitié de moi qui suis pécheur ! » A ces paroles, il se sentit animé d’une force inconnue ; il répandit son âme devant le Seigneur et lui demanda avec larmes d’avoir pitié de sa femme et de sa sœur.

Sa prière fut si fervente, il demanda à Dieu avec tant d’instance, de vouloir bien manifester sa puissance au moment même, par la conversion de ces deux âmes qui lui étaient si chères, que sa femme se laissa bientôt glisser sur ses genoux ; puis, se traînant jusqu’à côté de lui et posant son bras sur son cou, elle se mit à sangloter douloureusement, en demandant grâce au Seigneur Jésus. A ce spectacle, la sœur ne put plus se contenir, et s’agenouillant du côté opposé, elle mit, elle aussi, son bras sur le cou de son frère et fondit en larmes. Sans interrompre pour cela sa prière, il se consacra, lui et les siens, au service de Dieu, en déplorant l’insouciance dans laquelle ils avaient vécu jusqu’alors, et en invoquant les promesses faites dans l’Evangile à tous ceux qui cherchent l’Eternel de tout leur cœur. Il en vint ensuite à exalter la miséricorde ineffable de Celui qui lui avait récemment pardonné ses péchés, et à le supplier d’étendre son pardon et ses grâces à tous les siens, afin qu’ils pussent trouver tous ensemble la paix dans leur Sauveur crucifié.

Leur reddition et leur conversion à tous trois furent complètes et définitives. La repentance et la foi avaient surgi simultanément dans leur cœur, et lorsqu’ils se relevèrent ils s’entendirent aussitôt sur les résolutions nouvelles qu’ils devaient prendre et sur le nouveau plan de vie qu’ils devaient se proposer désormais, pour se vouer entièrement au service de Christ.

Depuis cette première prière dans leur salon, on les vit chaque jour se prosterner devant Dieu à la même place ; ils allaient ensuite au dehors répandre leurs largesses sur les pauvres et les déshérités, et ils faisaient éclater leur amour pour les âmes qui périssent, en cherchant eux-mêmes à les découvrir au sein de leur misère. Combien ils étaient plus heureux ! non seulement ils possédaient le vrai bonheur, mais ils le répandaient sur autrui. Pendant toute l’éternité, ils se souviendront de cette première prière dans leur salon.

— Dans une autre occasion, on racontait qu’un homme, qu’on a vu depuis venir régulièrement aux réunions de Fulton Street et de l’hôtel du Globe, se promenait, il y a un certain temps, sur les trottoirs de l’église réformée hollandaise, pendant l’heure de la réunion de prière. Il était vêtu d’une chemise et d’un pantalon de toile blanche rayée de bleu, et portait une vieille jaquette verte sur son bras. Son apparence et l’étrange expression de ses traits le signalaient à l’attention de tous. Quoiqu’il fût propre dans sa mise et qu’il parût posséder toute sa raison, on aurait dit, en le voyant, une de ces victimes que le vice impitoyable de l’ivrognerie a totalement ruinées, et auxquelles il n’a laissé que juste de quoi se couvrir. Des émotions violentes se livraient évidemment un rude combat dans l’âme de cet inconnu, et cette lutte intérieure se reflétait sur son visage. Après beaucoup d’hésitations, il se décida enfin à monter au second étage. Parvenu à l’entrée de la salle, il demanda au missionnaire laïque, dont l’office était de placer convenablement les étrangers, s’il permettrait à un misérable comme lui d’entrer à la réunion.

— Bien certainement, dit le missionnaire. Nous sommes heureux, au contraire, que vous soyez monté. Venez, et soyez le bien-venu.

En disant cela, il le conduisit à une bonne place.

Pendant des semaines, cet homme revenait tous les jours, et manifestait un intérêt croissant pour les choses de Dieu. Il avait, dès le début, abandonné l’usage des boissons enivrantes, et, après un mois de complète abstinence, il avait signé son engagement avec une société de tempérance. Ce serment, il avait su le respecter, quoiqu’il fût demeuré plusieurs fois sans nourriture pendant tout un jour. Celui qui prend soin des petits oiseaux pourvoyait à ce qu’il ne pérît pas de faim dans son dénuement. Tandis qu’il allait et venait dans les rues, il avait souvent trouvé de petits paquets de papier, contenant tantôt du pain, tantôt de la viande ; d’autres fois, il avait trouvé de petites sommes d’argent. Mais on avait eu soin de ne rien lui donner à la réunion de prière, de peur qu’il n’y fût attiré, par ces petites trouvailles. C’est ainsi que Dieu avait pourvu à ses besoins.

Le sentiment de son péché n’en devenait que plus poignant, et son visage exprimait une angoisse toujours plus grande. Après la réunion de prière, on le voyait s’attarder à dessein, dans l’espoir que quelqu’un lui parlerait religion. Un jour qu’il se trouvait à l’hôtel du Globe, on le pressa de recevoir immédiatement Jésus dans son cœur. De retour dans sa misérable demeure, il ne put dormir. Son angoisse fut alors à son comble. On lui avait dit d’aller à Christ ; mais comment faire pour cela ? Il s’écriait douloureusement : « Oh ! si je savais où le trouver ! » Ne pouvant fermer les yeux, il se leva au milieu de la nuit, et se mit à parcourir les rues pour chercher quelque soulagement. Efforts inutiles ! le péché pesait sur lui comme un fardeau immense, et il se répétait en lui-même : « Oh ! si je savais où le trouver ! Oh ! si je pouvais être délivré de ce fardeau ! »

Il errait déjà depuis longtemps dans cet état, sans regarder et sans savoir où il allait, lorsqu’il s’arrêta enfin devant un réverbère. N’en pouvant plus de fatigue et de douleur, il appuya sa main et sa tête brûlante contre la colonne, et se mit à répandre son âme devant Dieu. Il y avait dans cette prière l’ardeur que donne le désespoir, et dans les larmes dont il l’accompagnait, l’aurore de la repentance. Son cœur s’était brisé, s’était fondu ; il suppliait humblement le Seigneur de lui pardonner pour l’amour de Christ. En ce moment suprême, son âme s’attacha à Jésus par des liens mystérieux et indissolubles ; le fardeau disparut aussitôt, et une joie ineffable et glorieuse en Jésus succéda aux tortures de sa conscience.

Combien de temps était-il resté appuyé contre ce réverbère ? c’est ce qu’il ne sait pas. Mais que lui importait alors le temps ? Il continua à parcourir les rues pendant le reste de la nuit, la jubilation dans l’âme et impatient de rencontrer quelqu’un à qui il pût dire ce que le Seigneur avait fait pour lui. Il alla de divers côtés dans cette pensée, mais sans trouver ce qu’il cherchait. Il finit donc par s’asseoir sur le gazon d’une promenade, et là, tirant de sa poche son Nouveau-Testament, il se mit à le lire, tout en pleurant de bonheur. Un monsieur, qui l’avait observé depuis quelques instants, et qui se tenait debout devant lui, sans qu’il s’en fût aperçu, lui dit :

— Mon ami, quel livre lisez-vous là avec tant d’attention ?

— C’est le Nouveau-Testament.

— Où vous l’êtes-vous procuré ?

— On me l’a donné à la réunion de prière de Fulton Street.

— Est-ce que vous y allez régulièrement ?

— Oui, Monsieur.

— Ces réunions vous ont-elles fait du bien ?

— Je le crois ; je crois que Jésus est devenu cher à mon cœur.

Il raconta alors comment, appuyé sur le réverbère, il avait trouvé son Sauveur la nuit précédente, et comment son âme avait été aussitôt remplie de joie.

— Oui, reprit l’étranger d’un ton vivement ému, j’ai entendu parler de ces réunions de Fulton Street, et je pense qu’elles font un bien incalculable. Mais j’ai quelque chose à vous demander : Je voudrais que vous vinssiez demain matin, à dix heures, dans mon comptoir. — Et après lui avoir donné son adresse, il s’en alla.

Notre nouveau frère se hâta d’aller à la vieille église hollandaise, pour y chercher le missionnaire qui lui avait témoigné tant de bienveillance. Il le trouva dans la salle supérieure, avec deux ou trois autres personnes. En peu de mots et le visage rayonnant de bonheur, il leur raconta l’histoire du réverbère et du grand changement qu’il avait éprouvé.

— Oh ! béni soit Dieu ! s’écria le missionnaire ; et aussitôt ils tombèrent tous à genoux.

— Prions à tour de rôle, dit-il, et, commençant le premier, il rendit gloire à Dieu de ce que, dans sa miséricorde infinie, Il avait fait grâce à ce pécheur, et de ce qu’il s’était manifesté à lui comme Celui qui pardonne et qui renouvelle les cœurs. Tous prièrent, et le nouveau racheté pria le dernier.

Le lendemain, à dix heures précises, le nouveau frère se présenta au comptoir qu’on lui avait indiqué la veille. On lui avait préparé des habillements neufs, et on lui avait trouvé une place, avec d’assez jolis appointements. Depuis ce moment, nous le voyons à toutes nos réunions du soir, et son visage brille comme celui d’un ange.

Il y a quelques semaines, comme nous étions assis dans la salle supérieure de Fulton Street, après la réunion, il entra précipitamment. O quelle joie que celle qui se reflétait sur sa figure ! — En passant dans la rue, il n’avait pu s’empêcher de monter à la hâte pour nous dire sa félicité et nous exprimer combien toutes choses avaient changé pour lui. « Il n’y a que peu de temps, ajouta-t-il, que j’étais encore l’esclave de Satan et des boissons fortes ; maintenant je suis affranchi de cette servitude et de cette dégradation. Je n’avais alors ni demeure, ni amis, ni moyens d’existence ; maintenant me voilà bien vêtu, dans une maison commode, avec de l’ouvrage assuré ! »

C’était un membre de l’église baptiste de Brooklyn qui l’avait pris à son service.

De semblables conversions deviennent d’autant plus significatives, qu’elles ont mis plus de temps à produire leurs fruits et à démontrer leur authenticité. Elles sont alors une preuve irrécusable de l’intervention directe de Dieu. Celle-ci est certainement de celles dont la solidité est incontestable aujourd’hui.

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