Le Réveil Américain

Chapitre XVII

Expériences d’un catholique. — Quelqu’un qui manque de travail. — Il trouve dans l’Herald l’annonce des réunions de prière. — Il y va. — Son étonnement. — Puissance de la prière. — Il la compare avec la messe. — Il est convaincu, fasciné. — Il révèle son état. — La lumière se fait. — Sa femme suit son exemple.

Un Irlandais, qui avait résidé treize ans en Angleterre, était arrivé à New-York en janvier 1858, et y végétait depuis quelques semaines, seul, sans amis, sans travail, et perdu sur une terre étrangère. Il avait trente et un ans, et il était marié à une femme plus jeune que lui de neuf ans. Bien élevé et se présentant bien, cet Irlandais avait tous les dehors d’un homme comme il faut. A Londres, il avait occupé un emploi dans les bureaux de poste, et comme il était apte à remplir toutes sortes d’offices commerciaux, son but, en venant en Amérique, était de se procurer une position nouvelle. N’ayant d’autre ressource que son travail, il ne pouvait arriver dans une saison plus inopportune ; car c’était le moment où la crise financière jetait sur le pavé des milliers de jeunes gens.

Un jour, dans l’espoir de rencontrer quelqu’un, il prit un numéro de l’Herald qui donnait un compte-rendu des réunions de prière. — « Quelle chose extraordinaire ! pensa-t-il en lisant ces détails. Je n’ai jamais entendu parler de pareilles choses. Aujourd’hui même, je veux aller à ces réunions de Fulton Street, pour voir de quoi il s’agit. »

Fidèle à sa résolution, il parut à l’heure indiquée dans la salle du deuxième étage. On s’empressa de l’introduire et de lui trouver une place convenable, ainsi qu’on avait coutume de le faire pour tous les étrangers.

Qui pouvait connaître dans cette foule ce qui se passait dans le cœur de l’inconnu ? Ce pauvre catholique, qui était parfaitement content de lui-même et de sa religion, qu’il ne connaissait guère, à la vérité, mais qui savait que le prêtre était le guide de sa conscience et qu’il lui pardonnait régulièrement ses péchés ; ce pauvre catholique regardait avec une surprise extrême cette masse d’hommes, tous sérieux et recueillis. Comme il était entré des premiers, il avait eu le loisir d’observer les arrivants et de voir la salle se remplir. La presse augmenta jusqu’au point qu’on n’aurait pu y introduire une seule personne de plus. L’intérêt si vif qui se peignait sur tous les visages et la solennité de cette vaste assemblée le pétrifiaient d’étonnement. Il n’y comprenait rien.

Les exercices commencèrent par le chant de l’hymne. On lut l’Ecriture, puis on pria. Jamais de sa vie il n’avait entendu prier ainsi. Il se sentait pénétré de crainte et de respect.

Mais quand on commença à lire les demandes de prière, il apprit une chose qu’il ne savait pas encore. Il se mit à réfléchir sur cette manière de demander aux hommes de prier pour que les incrédules soient convaincus de péché et pour qu’ils se convertissent. Cela l’embarrassait étrangement ; il n’y comprenait rien non plus.

Après la lecture de quelques requêtes, un monsieur se leva pour prier. Cette figure lui parut ressembler d’une manière frappante à Daniel O’Connel, qu’il avait connu jadis, et cette seule circonstance attira d’autant plus son attention sur ce monsieur et sur la prière qu’il prononçait. A mesure que cette prière se prolongeait, il observa que toutes les personnes de l’assemblée, en proie à la même émotion, baissaient simultanément la tête en priant aussi. — « Ces Américains protestants, pensa-t-il, ont des manières de faire originales. C’est là ce qu’ils appellent prier ? Et pas de messe ? pas de formulaires de prière ? Il était là, debout, immobile comme une colonne, au fond de la salle, regardant avec la plus grande attention.

Dans son Eglise, quand on priait, il pouvait parfaitement rester simple spectateur. Il répétait sa partie du service sans y mettre la moindre pensée personnelle. Jamais il n’avait songé à sentir ses propres prières, ni celles que le prêtre disait pour lui. Mais ici, tous paraissaient prier. Il voyait que tous sentaient ce qui se disait ; il le sentait lui-même. Tout autour de lui régnait une émotion profonde. Il avait vu des centaines de services sans la moindre larme ; mais ici les larmes coulaient de tous les yeux, et tous semblaient se présenter devant le Trône des miséricordes. Jamais il n’avait entendu de pareilles prières, demandant de pareilles choses. — « Et de quoi donc pleurent-ils tous ? » se demandait-il.

Depuis cette heure, sa sécurité charnelle fut détruite et la paix de son esprit fut troublée. Il avait perdu la bonne opinion qu’il avait de lui-même, de son Eglise et de ce système de foi aveugle dans sa propre religion. Il quitta la salle tout inquiet. Il ne comprenait pas qu’il eût pu vivre jusqu’alors d’une vie si irréfléchie et dans une sérénité si étrange. — « Ces gens, se disait-il, prient pour des bienfaits auxquels je n’ai jamais réfléchi ; ils confessent des fautes que je n’ai jamais confessées, et ils possèdent quelque chose que je n’ai jamais possédé. Et si tout cela leur est utile, nécessaire, je puis aussi en avoir besoin. »

Le lendemain, il était encore à la réunion de prière, le surlendemain également, et depuis lors il n’en manqua pas une. A la troisième séance, il avait déjà perdu, et pour toujours, sa confiance dans les pratiques de son Eglise. Il ne comprenait pas qu’il eût pu prendre tout cela pour de la piété. Le vide de cette religion et les prétentions qu’elle affichait lui paraissaient d’une étrangeté incroyable. Tout respect pour elle avait donc disparu de son cœur, et il n’était déjà plus catholique.

Privé ainsi, presque subitement, de tout appui spirituel, débarrassé du bandeau qui lui couvrait les yeux, il s’était senti saisi d’une vive inquiétude. Etait-ce surprenant ? et n’aurait-il pas été bien plus surprenant qu’il en fût autrement ?

Ces prières de Fulton Street tourmentaient cruellement son âme ; cependant, il ne pouvait pas s’empêcher d’y retourner. Plus il y allait, plus il reconnaissait son état de péché, et plus il sentait aussi le besoin d’un Sauveur. Il commençait déjà à désirer ardemment d’avoir part à ce salut et de devenir vraiment chrétien.

Mais son intelligence était encore pleine de ténèbres ; il ne voyait que très obscurément et il ne comprenait que très imparfaitement ce que c’était qu’être chrétien. La nuit dans laquelle son esprit se mouvait était profonde encore. Toutes ces préoccupations chrétiennes relatives aux péchés du cœur, aux péchés de chaque jour et de chaque instant, au renouvellement intérieur par la puissance régénératrice du Saint-Esprit, lui ouvraient des horizons nouveaux qui lui semblaient un rêve. Il apercevait déjà bien des vérités d’une portée immense et terrible, et plus sa connaissance s’étendait, plus son angoisse augmentait.

Au bout d’un certain temps, son état finit par être connu de quelques personnes. Au commencement, il avait soigneusement caché à toute âme vivante les préoccupations qui l’agitaient. Il était d’ailleurs étranger : à qui pouvait-il s’adresser ?… Mais quand son inquiétude devint si grande qu’il ne put plus la cacher, il s’en ouvrit à ceux qui étaient chargés du soin de ces assemblées. Ils lui parlèrent, ils prièrent avec lui ; ils l’amenèrent même à prier. Cependant, le sombre nuage demeurait toujours sur son cœur ; aucun rayon de lumière ne parvenait à le percer.

On ne lui disait point de quitter son Eglise, ni de faire aucune œuvre méritoire ; et pourtant son cœur eût désiré quelque chose dans ce genre. Pour peu qu’on l’y eût invité, il serait joyeusement rentré de la sorte dans son ancienne ornière. Au lieu de tout cela, on se bornait à lui dire de venir à Jésus, à cet Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde. On insistait pour qu’il allât à Lui tel qu’il était, et on lui recommandait de ne fonder ses espérances de justification devant Dieu que sur les mérites et sur la justice de Christ. Oh ! Avec quelle joie il entrevoyait cette glorieuse vérité : « Etant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par Notre Seigneur Jésus-Christ. » Mais, malgré tout cela, il resta deux mois encore sans trouver de repos.

On lui demandait : « Y a-t-il au monde quelque chose que vous ne soyez prêt à abandonner pour gagner Christ ? »

Il répondait : « Non, rien que je sache ».

Sa femme était catholique aussi, et il ne s’était probablement pas rendu compte de l’influence que cette seule circonstance avait exercée sur lui pour l’empêcher de se donner au Seigneur. Sa lutte était rude et prolongée ; cependant, à mesure qu’il avançait, son esprit se familiarisait avec les doctrines fondamentales de l’Evangile.

Enfin, la lumière se fit dans son esprit et dans son cœur, les ténèbres se dissipèrent, et après avoir eu beaucoup de peine à comprendre les divers offices de Christ en tant que son Sauveur, Jésus était né et avait grandi dans son âme. Il sentait poindre en lui l’espérance d’une glorieuse éternité. Désormais, un fleuve de joie débordait sans cesse de son cœur. Les impressions joyeuses qui se peignaient sur ses traits attestaient la grandeur du changement qui s’était opéré dans son âme. Au lieu de ce regard sombre et plein de tristesse qu’on avait remarqué jusqu’alors, tout en lui, jusqu’à ses moindres mouvements, respirait le bonheur et l’espérance.

Les dispositions les plus saillantes de son caractère étaient désormais une profonde humilité et un vif sentiment de son indignité. On vit rarement un homme de cette trempe avoir un si grand besoin d’encouragements et d’encouragements si constants. Il se défiait de lui-même à un point difficile à concevoir. Il éprouvait le besoin de faire publiquement profession de sa foi ; il le désirait même très ardemment ; mais, à la seule pensée de faire un premier pas, de se présenter à la Table du Seigneur et de prendre part au sacrement de la Sainte Cène, son esprit s’arrêtait tout troublé par le souvenir de sa profonde indignité et de sa complète insuffisance. Il semblait craindre de « manger et de boire sa propre condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur ». L’auteur de ce livre se souvient d’avoir conversé souvent avec lui sur ce sujet, et la simple possibilité d’encourir l’effroyable condamnation dont parle l’apôtre le remplissait de terreur et d’épouvante.

Ce ne fut que lorsqu’il eut compris nettement que son devoir était, avant tout, d’obéir à l’injonction du Maître, et qu’il eût approfondi la nature de cet acte symbolique, ainsi que les dispositions qu’il exige de la part de celui qui l’accomplit, qu’il se hâta de se rendre au vœu de son Maître et se présenta.

Il est devenu aujourd’hui un digne membre de l’Eglise, et il se réjouit d’une grande joie dans l’espérance que lui donne l’Evangile. Toutes ses anciennes relations catholiques romaines l’ont mis de côté depuis longtemps, après lui avoir fait subir une foule de tyranniques et mesquines tracasseries. Sa jeune femme a été si profondément dégoûtée de toutes ces manifestations pleines d’amertume, et, d’autre part, si rassurée, si consolée, si puissamment attirée par la sincérité et la fidélité de son mari, qu’elle a déclaré vouloir le suivre dans sa nouvelle carrière et partager son sort. De cette manière, ils ont été privés d’un soutien fort nécessaire, qu’ils auraient continué à obtenir sans cette circonstance, et ils se sont trouvés réduits à une vie de dures privations qu’ils acceptent sans le moindre murmure. Ils ont cette confiance en Dieu que puisqu’il a permis qu’ils fussent éprouvés, Il saura bien aussi pourvoir à leur nécessaire.

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