Lettres aux chrétiens persécutés ou affligés

A Lady Bogd

La joie des fidèles sur la terre est une assurance des bénédictions dont ils seront les objets dans le ciel.
Il est difficile de supporter l’absence de Christ.
Sentiment du péché.
Grâce dont le fidèle est l’objet.

Aberdeen, 1er mai 1637

Madame,

Que la grâce et la paix de Dieu notre Père et de notre Seigneur Jésus-Christ soient multipliées sur vous. Je me suis longuement entretenu avec votre fils, me réjouissant de lui voir prendre la bonne route, aujourd’hui surtout où la noblesse s’attache aux beaux côtés de l’Évangile. Elle se plaint que Christ manque de soldats, et ne sait rien faire pour son service. Nos obligations sont grandes envers Christ, Madame.

Les grâces du salut gratuit sont le continuel étonnement des hommes et des anges. La miséricorde divine ne saurait se payer. Vous qui connaissez Christ, travaillez à le placer de manière à ce que tous puissent le voir. Montrez le diable tel qu’il est, sous son voile blanc cachant l’apostasie du présent siècle, se dissimulant sous de vains prétextes. Sept fois le jour je sens faillir mon courage ; je me laisse emporter au courant, et mes pieds touchent en passant « la roche trop élevée pour moi. » Alors Jésus me laisse voir des choses que je n’avais pas encore aperçues. Il me montre le festin préparé dans la grande salle du Roi de gloire. Quelle douceur d’y prendre place, de se rafraîchir après la chaleur du jour ! Lui-même soutient et console les âmes affligées dans la Sion terrestre en leur adressant des messagers de paix. Etonnante pensée ! Quoi ! le plus beau des fils des hommes donnerait un baiser à de pauvres pécheurs ! Puisse ce jour luire bientôt ! Seigneur Jésus, bien-aimé de mon âme, viens, viens bientôt, franchis la distance qui nous sépare avec la rapidité du chamois qui s’élance d’une cime à l’autre. Nous devrions compter les heures, jusqu’à ce que le soleil terrestre disparaisse pour être remplacé par celui qui éclairera nos âmes et les réjouira sans fin dans l’éternité.

Etre éloigné de Christ, tue l’amour ; il faut se placer dans la brise qui a joué autour de Lui, et s’imprégner des parfums célestes qui s’en exhalent. Même dans l’éloignement, même quand Il est comme voilé, un simple signe de tête de sa part est un gage qui nous porte à dire : De quoi donc te plains-tu, insensé que tu es ?

Dans mes sabbats muets et solitaires, parfois je me surprends contestant encore avec mon Seigneur. Puisse-t-il pardonner ces résidus d’amertume qui se trouvent encore au fond de ma coupe !

J’ai reconnu aussi combien je suis méchant ; si l’on me connaissait pour ce que je suis, personne dans le royaume ne se soucierait plus de moi. Ce qui ne vaut pas dix sous, est accepté pour cent ; y a-t-il un plus grand hypocrite que moi, un plus insipide professeur de la vérité ? Dieu sait qu’à cette heure du moins, je parle selon ce qui est. Si l’on inscrivait sur une page mes fautes en grandes lettres, et sur l’autre la miséricorde dont je suis l’indigne objet, c’est bien alors qu’on crierait au miracle.

Assurément l’amertume ne m’a pas manqué, et parfois on ne serait pas surpris de trouver au fond de mon cœur une teinte de désespoir ; mais je suis de ceux qui ont reçu le don gratuit de la grâce. C’est par elle, j’en suis assuré, que mon salut m’est acquis ; le sang de Christ l’a scellé. C’est un don que sa miséricorde m’a librement octroyé. Tout ce que je redoute, c’est de manquer de reconnaissance. Déjà, à plusieurs reprises, cette ingrate paroisse s’est jouée de ses adhérents. Ils se moquent outrageusement de cet aimable Roi ; ils se jouent de Lui, et je ne puis rien pour l’empêcher. Christ est semblable à un antique château que ses habitants auraient abandonné. Tous ou presque tous fuient au loin. Couverte du sac et de la cendre, l’innocente vérité se tord les mains, menant grand deuil sur ses pertes. Malheur ! malheur à moi, à cause du mal qui va fondre sur la vierge d’Ecosse ! Malheur ! trois fois malheur aux Ecossais, à cause de leurs perpétuelles réticences ! Ces choses me causent une telle douleur, que reposer sur un lit emprunté, me chauffer au foyer de l’étranger avec le vent sur mes épaules, éloigné de tous ceux que j’aime, arraché à mon cher troupeau, sont peines de nulle valeur, je n’y prends pas garde au sein des cuisants chagrins qui me rongent le cœur. Mais je ne puis m’empêcher de trouver bienheureux le passereau et l’humble hirondelle, qui attachent leur nid à l’église d’Anwoth. Rien n’a autant éprouvé ma foi que de ne pouvoir plus annoncer la Parole de Dieu. Je voudrais être le seul affligé, et que Dieu gardât tous mes frères dans la paix. Quand Il reviendra à moi, Celui que je ne glorifierai jamais assez, je triompherai avec sa force.

Ayez pitié de moi, Madame ; aidez-moi à louer le Seigneur, car, quoique je sois le plus grand des pécheurs, cependant je suis la prunelle de l’œil de Christ, son honneur, sa gloire. Le Chef de l’Église, pour lequel je suis dans les liens à cette heure, me conduira Lui-même dans l’éternité.

Votre seigneurie et vos enfants ont les prières d’un prisonnier. Que la grâce soit avec vous.

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