Méditations sur différents aspects de la vie spirituelle

IV. Douleur et souffrance

1. Dans le monde il y a des douleurs spirituelles comme il y a des douleurs physiques. La douleur spirituelle est le résultat du péché et de la séparation d'avec Dieu, tandis que la douleur physique provient de maladies ou de lésions. Toutes les créatures vivantes souffrent en proportion du développement de leurs organes de perception, mais pas au même degré que l'homme dont les sentiments et la puissance intellectuelle supérieure ajoutent immensément à sa sensibilité et à sa capacité de souffrir. Nous en trouvons la preuve dans le fait que chaque fois que l'homme s'imagine avoir des douleurs, ses souffrances réelles en sont d'autant augmentées.

En général, les dents, les crocs des bêtes de proie et les becs des oiseaux sont formés de telle manière qu'il est à peu près impossible à leurs victimes de s'en échapper. C'est grâce à cela que la proie est tuée immédiatement, sans douleur excessive. Les souffrances qui résulteraient de ses blessures si elle arrivait à s'échapper mortellement atteinte, lui sont ainsi épargnées. De même, le poison des serpents et des insectes venimeux entrant dans le sang, provoque un engourdissement si profond que la mort s'ensuit sans douleur. Ainsi dans la nature, à part des circonstances extraordinaires, la mort se produit le plus souvent sans grandes douleurs parce qu'à ce moment les victimes sont rendues à demi-inconscientes soit par l'effet du poison, soit par l'effet du choc ou des blessures. Bref, l'état de ceux qui ont été la proie des bêtes féroces ou malfaisantes est généralement moins misérable que nous ne nous l'imaginons souvent. Mais la douleur et la souffrance résultant d'un mal physique ou spirituel provoquent une vraie agonie.

2. La douleur et la souffrance sont souvent nécessaires pour nous faire croître et progresser dans la vie spirituelle. Nous ne croyons donc pas que la volonté de Dieu soit que nous lui échappions toujours. Bien des choses qui paraissent à notre palais mauvaises et amères nous sont d'une grande utilité. Nous pourrions peut-être aller plus loin et prétendre que tout poison et toutes les choses amères et désagréables au goût agissent comme un remède ou un spécifique dans une maladie ou dans une autre. Nous les appelons faussement poison parce que nous en ignorons la propriété médicinale réelle, car, ne l'oublions pas, Dieu a créé toutes choses pour l'accomplissement de ses desseins. Tout ce qui a donc été créé par Dieu l'a été d'une manière propre à remplir sa mission, mais à cause de notre ignorance de leur vrai usage et de leur application nous nous en servons d'une manière qui nous est nuisible. De tout ce que Dieu a créé, il n'est aucune chose qui en elle-même soit mauvaise ou nuisible, aucune dont l'usage propre fasse du mal aux créatures de Dieu. De même toute douleur et toute souffrance est un moyen pour développer et approfondir notre vie spirituelle (Romains VIII, 18).

Les conséquences empoisonnées et nocives de la douleur dans nos vies ne se produisent que lorsqu'elles sont la suite d'un mauvais usage de la puissance et des facultés que Dieu nous a données, tout particulièrement le fruit de la désobéissance.

3. La douleur et la souffrance ne sont pas seulement un moyen efficace de réveiller l'homme et de lui révéler son état spirituel. Non, elles sont aussi profitables à tous ceux qui viennent en aide à l'homme dans ses tribulations, car cela leur donne l'occasion d'exercer les qualités distinctives qui leur sont nécessaires pour croître dans la perfection. La réelle victoire n'est donc pas d'être épargné par la douleur et la souffrance, par la mort et le mal, mais c'est, par la grâce de Dieu, de transformer la douleur en bien-être, la croix et la mort en vie et le mal en bien. C'est pour ce seul but que nous sommes jetés dans la guerre et dans la mêlée, car « c'est par plusieurs tribulations que nous devons entrer dans le royaume de Dieu » (Actes XIV, 22). La valeur du bien-être ne peut pas être justement appréciée avant que nous ayons fait connaissance avec la douleur, pas plus qu'il n'est possible de connaître ce qui est doux avant d'avoir goûté aux choses amères. Il n'est pas non plus possible de jouir du bien avant d'avoir vu le mal, d'apprécier la vie avant d'avoir passé par la mort. Pour toutes ces raisons nous croyons que Dieu, avant de nous faire entrer avec Lui dans son royaume pour jouir éternellement de Sa présence, a voulu nous faire passer au travers de toutes les expériences de cette vie présente afin de nous donner une leçon pour l'éternité.

4. La formation de la perle cause de grandes souffrances à l'huître perlière. « Lorsque la mère de la perle ou de la nacre est torturée par l'intrusion d'un organisme vivant, d'un parasite qui la fore, d'un ver ou d'un petit poisson, ou encore d'un grain de sable, ou de quelque autre substance inorganique dont elle ne peut se libérer, elle neutralise l'objet qui l'irrite et le convertit en un objet de beauté. » La perle est le produit de la douleur et de la souffrance mais son lustre peut être détruit lorsqu'elle est traitée avec négligence. Son charme, dû aux jeux de la lumière, peut disparaître lorsqu'elle est souillée par des taches de graisse ou d'encre, par exemple. On trouve dans de très anciennes tombes, des perles (qui ont été déposées avec les cadavres), mais voici qu'elles aussi se sont décomposées et leur poussière s'est mélangée avec celle des morts. Ainsi, semblable à la perle née de la douleur, la vie spirituelle ne peut embellir que par la douleur et par la souffrance. Même plus tard, à moins de rester attachés à notre Seigneur dans l'humilité par les liens de l'amour ainsi que par la reconnaissance de nos cœurs, nous courrons toujours le risque de perdre le lustre, la beauté que nous a conférés la souffrance et de tomber de l'état d'élévation auquel la douleur nous avait conduits (1 Cor. V, 12). Il est donc bien nécessaire de toujours veiller et prier.

5. Comme les diamants et d'autres pierres précieuses mettent des centaines et des milliers d'années à se former, comme ils doivent être comprimés, pressurés dans les laboratoires de la nature avant d'atteindre leur perfection de beauté, ainsi nous aussi nous devons passer par la douleur et la souffrance avant d'être parfaits. Les chimistes peuvent fabriquer des diamants et d'autres pierres précieuses, mais lorsqu'on les examine avec soin, on découvre bientôt les défauts de ces faux diamants. De même, il ne nous est pas possible d'atteindre en un seul jour un état de perfection qui ne laisserait subsister aucun défaut en nous. Non, ce n'est qu'en vivant continuellement en la présence de notre Père Céleste et encore aussi près que possible de Lui, que nous deviendrons parfaits comme Il est parfait Lui-même.

6. La tempête avec sa pluie trop violente et son vent dévastateur nous paraît avant tout destructive et pourtant, en réalité, c'est une bénédiction déguisée, car elle emporte les germes morbides de la peste et de toutes sortes de maladies, elle nous apporte la santé. De la même manière, le vent du Saint-Esprit (Jean III, 8) et le choc de la tempête de la douleur et de la souffrance nous apportent santé spirituelle et bénédiction.

La chaleur du soleil fait monter de la terre la vapeur qui forme les nuages qui procurent à la terre la pluie qui l'arrose et la fertilise. De la même manière, le soleil de justice nous apporte la vie en faisant couler dans notre vie spirituelle ses fleuves d'eau de la vie.

7. Un grand nombre de gens ignorent que les désirs intenses du cœur ne peuvent être satisfaits dans ce monde et dans l'autre que par Dieu seul. Quelques-uns d'entre eux – aussi bien les philosophes que les êtres immoraux et les criminels – ont essayé de trouver ailleurs le bonheur, mais n'y étant pas arrivés, ils sont tombés dans le désespoir et ont essayé, en se donnant la mort, de mettre un terme à leur angoisse. A l'autre extrémité, nous voyons les vrais croyants chrétiens. Ils ont beaucoup à souffrir dans ce monde parce que plus ils progressent dans leur vie spirituelle, plus grandes sont les difficultés qu'ils rencontrent. L'homme porté aux choses de ce monde n'arrive pas à comprendre cela, aussi, au lieu d'accorder son aide aux croyants, il s'oppose à eux et souvent il les persécute. Pourtant les chrétiens ne sont pas réduits au désespoir et au suicide parce que dans l'acte même de leur renoncement aux ambitions de ce monde, ils trouvent la paix dans la communion avec Dieu. Toutefois, bien que l'homme ne trouve qu'en Dieu la satisfaction de ses désirs les plus profonds, il a également soif de l'amitié et de la sympathie de ses semblables. Lorsque cet instinct qui pousse l'homme vers les autres hommes, lui faisant désirer d'entretenir avec eux des relations sociales n'est pas satisfait, le Christ, Lui, Dieu et homme, satisfait ce désir tout autant qu'Il répond à ses besoins spirituels. la compréhension de Christ pour les difficultés et les souffrances de l'homme ne lui vient pas uniquement de sa nature divine, elle est également le fruit de ses expériences personnelles. Ayant souffert comme un homme, il est capable de comprendre parfaitement et de donner une aide parfaite à tous les fils des hommes qui sont angoissés.

8. Dans ce monde, beaucoup de chrétiens souffrent (2 Timothée II, 12) parce qu'ils sont incompris de ceux qui sont incapables d'apprécier la vérité comme eux. La nature de ces derniers est comme brisée par la trame du péché et leur discernement spirituel en a été émoussé. Quand ils rencontrent un homme de bien, ils réalisent immédiatement qu'il y a incompatibilité entre leurs natures. Instinctivement, ils prennent une attitude d'opposition à l'égard du croyant. Au contraire, l'homme à qui son intuition et sa conscience ont révélé Dieu, entrant en contact avec quelqu'un dont les dispositions sont semblables aux siennes, reconnaît immédiatement en lui la vie divine et se sent attiré vers lui.

La véritable vie chrétienne est semblable au bois de santal qui sans jamais faire de mal à la hache qui le coupe, lui donne au contraire son parfum. L'avertissement de Dieu à Henry Suso : « Tu souffriras publiquement la perte de ton bon renom et partout où tu chercheras l'amour et la fidélité, tu ne trouveras que tromperie et souffrance », a été répété à toute une multitude de chrétiens qui ont dû faire, eux aussi, la même expérience. Dans ce monde où tous les saints prophètes, les apôtres et même le Seigneur Lui-même ont souffert, personne ne peut échapper à la souffrance. Cela ne pourrait arriver qu'en reniant la vérité, en détournant sa face de Dieu et faisant alliance avec le monde. D'autre part, le Seigneur nous accorde un grand privilège en nous faisant l'honneur d'avoir « part à la communion de Ses souffrances » (Phil. III, 10). Enfin, lorsque le temps fixé sera venu, celui qui aura participé aux souffrances de son Seigneur, entrera dans la gloire éternelle et régnera avec Lui (2 Timothée II, 12).

9. Avant de toucher le but qui nous est proposé, nous devons passer à travers la douleur, la souffrance et la tentation. Toutes ces étapes sont nécessaires au développement de notre vie spirituelle et concourent à notre bien futur. Voilà pourquoi c'est la volonté de Dieu que nous les traversions toutes. Si tel n'avait pas été le plan de Dieu pour nous, Dieu ne nous aurait pas demandé d'expérimenter ces choses. mais s'Il le veut, qui sommes-nous pour nous opposer à Lui ? Il ne nous reste rien à dire ; nous devons accepter joyeusement tout ce qui nous arrive et ne jamais permettre que le moindre doute s'enracine dans nos cœurs. En le permettant nous élèverions une barrière entre Dieu et nous, détruirions notre capacité de réaliser Sa présence et nous nous priverions de Sa communion.

Tant que nous serons dans ce monde nous aurons à supporter la douleur et la souffrance. L'abeille n'amasse pas seulement du miel, elle a aussi un aiguillon qui a sa fonction particulière. Les épines n'ont pas été placées sans raison autour de la belle rose parfumée. L'écharde dans la chair, dont parle Paul, lui a été donnée pour l'accomplissement de quelque plan grand et sage. Il est absolument nécessaire, croyons-nous, que nous passions par des temps d'épreuves pour que nous puissions parvenir an but éternel pour lequel nous avons été créés.

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