Somme théologique

Somme théologique — La prima secundae

98. LA LOI ANCIENNE EN ELLE-MÊME

Au sujet de la loi ancienne considérée en elle-même, six questions se posent :

  1. Est-elle bonne ?
  2. Vient-elle de Dieu ?
  3. Par l'intermédiaire des anges ?
  4. Est-elle donnée à tous ?
  5. Oblige-t-elle tout le monde ?
  6. Fut-elle donnée au moment opportun ?

1. La loi ancienne était-elle bonne ?

Objections

1. « Je leur ai donné, dit le Seigneur, des préceptes qui ne sont pas bons, des ordonnances selon lesquelles ils ne pourront pas vivre » (Ézéchiel 20.25). Si une loi n'est dite bonne qu'en raison des bons préceptes qu'elle contient, la loi ancienne n'était pas bonne.

2. Suivant S. Isidore, une loi bonne doit être avantageuse à la communauté. Or la loi ancienne ne fut pas avantageuse, mais plutôt meurtrière et funeste. S. Paul l'affirme : « Sans la loi, le péché était mort tandis que moi je vivais jadis sans la loi. Mais, venu le précepte, le péché a repris vie tandis que moi je suis mort » (Romains 7.8 s). Ou encore : « La loi est intervenue pour que la faute se multiplie » (Romains 5.20). La loi ancienne n'était donc pas bonne.

3. Si une loi est bonne, les hommes doivent pouvoir l'observer, compte tenu de leur nature et de leurs coutumes. Ce ne fut pas le cas de la loi ancienne : « Pourquoi cherchez-vous, demande Pierre, à placer sur les épaules des disciples un joug que ni nous ni nos pères n'avons pu porter ? » (Actes 15.10). Par où l'on voit que la loi ancienne n'était pas bonne.

En sens contraire, dit S. Paul, « la loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon » (Romains 7.12).

Réponse

Indubitablement la loi ancienne était bonne. De même en effet qu'on montre la vérité d'une doctrine par son accord avec la raison droite, de même la bonté d'une loi quelconque se manifeste en ce qu'elle s'accorde avec la raisons. Et c'était le cas de la loi ancienne. Elle réprimait la convoitise qui s'oppose à la raison : « Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain », prescrit l'Exode (Exode 20.17). Elle interdisait même tous les péchés, lesquels sont contraires à la raison. Sa bonté est donc manifeste et c'est bien l'avis de l'Apôtre : « Selon l'homme intérieur je me complais dans la loi de Dieu » ; et encore : « je suis d'accord avec la loi, tenant qu'elle est bonne » (Romains 7.22).

Notons toutefois avec Denys que le bien comporte plusieurs degrés : il y a un bien parfait et un bien imparfait. Ce qui est ordonné à une fin est parfaitement bon si l'on y trouve tout ce qu'il faut pour mener à la fin ; est imparfaitement bon ce qui contribue à l'obtention de la fin sans être cependant en mesure d'y aboutir. Ainsi le remède parfait est celui qui guérit, le remède imparfait celui qui est utile mais qui cependant ne peut guérir le malade. Or on sait que la fin de la loi humaine et celle de la loi divine ne se confondent pas. Pour la loi humaine, c'est la tranquillité de la cité dans le temps présent ; la loi y parvient en refrénant les actes extérieurs, dans la mesure où leur malice peut troubler la paix de la cité. Mais la fin de la loi divine c'est de conduire l'homme à sa fin, la félicité éternelle. Or tout péché fait obstacle à cette fin, non seulement les actes extérieurs, mais aussi les actes intérieurs. Il peut donc suffire à la perfection de la loi humaine qu'elle interdise le péché et le punisse, mais cela ne suffit pas pour la loi divine qui doit mettre l'homme pleinement en état de participer à l'éternité bienheureuse. En vérité, pareille tâche exige la grâce de l'Esprit Saint, par qui « est répandue dans nos cœurs la charité » qui accomplit la loi. « La grâce de Dieu est vie éternelle », dit en effet l'épître aux Romains (Romains 6.23). Or cette grâce, la loi ancienne ne pouvait la conférer, cela était réservé au Christ : « La loi a été donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont le fait de Jésus Christ » (Jean 1.17). Il s'ensuit que la loi ancienne était bonne, mais imparfaite, comme l'indique l'épître aux Hébreux (Hébreux 7.19) : « La loi n'a rien conduit à la perfection. »

Solutions

1. Dans le texte allégué, le Seigneur parle des préceptes cérémoniels. Ils ne sont pas « bons », parce qu'ils ne conféraient pas la grâce qui eût purifié les hommes du péché, alors que dans ces rites mêmes les hommes se déclaraient pécheurs. De là cette notation : « Et des ordonnances selon lesquelles ils ne pouvaient pas vivre », c'est-à-dire obtenir la vie de la grâce. Et plus loin : « je les ai souillés par leurs offrandes » (autrement dit, j'ai manifesté leurs souillures), « tandis qu'ils m'offraient leurs premiers-nés à cause de leurs pêchés ».

2. On dit que la loi « tuait ». Non certes qu'elle causât la mort effectivement, mais elle en fournissait l'occasion du fait de son imperfection, en tant qu'elle ne conférait pas la grâce qui eût permis aux hommes d'accomplir ce qu'elle prescrivait ou d'éviter ce qu'elle interdisait. En ce sens, l'occasion ne leur avait pas été donnée, mais les hommes s'en étaient saisis. D'où le mot de l'Apôtre à l'endroit cité : « Le péché prenant occasion du précepte m'a séduit et par lui m'a donné la mort » (Romains 7.11). On entend dans le même sens : « La loi est intervenue pour que la faute se multiplie » ; « pour que » marque ici un rapport de conséquence, non un rapport de causalité ; autrement dit, les hommes prenant occasion de la loi, péchèrent davantage parce que, d'une part, le péché fut plus grave lorsqu'il eut été prohibé par la loi et parce que, d'autre part, la convoitise s'accrut, s'il est vrai que nous convoitons davantage ce qui nous est interdit.

3. Le joug de la loi ne pouvait être porté sans l'aide de la grâce que la loi ne fournissait pas : « Cela ne dépend pas de celui qui veut ou de celui qui court (à savoir le fait de vouloir et de courir selon les préceptes divins), mais de Dieu qui fait miséricorde » (Romains 9.16). Et le psalmiste avait dit : « J'ai couru dans la voie de tes commandements, lorsque tu as dilaté mon cœur », entendons : dilaté par le don de la grâce et de la charité (Psaumes 119.32).


2. La loi ancienne venait-elle de Dieu ?

Objections

1. « Les œuvres de Dieu sont parfaites », dit le Deutéronome (Deutéronome 32.4). Puisque la loi ancienne était imparfaite, comme on vient de l'établir, elle ne pouvait venir de Dieu.

2. « J'ai appris que toutes les œuvres de Dieu demeurent à jamais », lit-on dans l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 3.14). Or tel n'est pas le cas de la loi ancienne, puisque S. Paul déclare : « Voici abolie la première ordonnance, en raison de son impuissance et de son inutilité » (Hébreux 7.18). Elle n'était donc pas l'œuvre de Dieu.

3. Une sage législation ne se contente pas d'extirper le mal, elle en écarte aussi les occasions. Or, on l'a dit, la loi ancienne était occasion de péché. Dieu « n'ayant pas d'égal parmi les législateurs » (Job 36.22), n'avait rien à voir avec une telle législation.

4. On vient de dire que la loi ancienne n'avait pas de quoi assurer le salut des hommes. Or, « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Timothée 2.4). Une telle loi ne pouvait donc venir de Dieu.

En sens contraire, le Seigneur s'adresse en ces termes aux Juifs à qui avait été donnée la loi ancienne : « Au nom de vos traditions, vous avez rendu inefficace le commandement de Dieu » (Matthieu 15.6). Or il s'agissait du précepte d'honorer ses père et mère, précepte qui se trouve, à n'en pas douter, dans la loi ancienne. La loi ancienne vient donc de Dieu.

Réponse

La loi ancienne a été donnée par le Dieu bon, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle orientait en effet les hommes vers le Christ. Et doublement : d'abord elle rendait témoignage au Christ comme il l'a déclaré lui-même : « Il faut que soit accompli tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi, les Psaumes et les Prophètes » (Luc 24.44). Et encore : « Si vous aviez foi en Moïse, peut-être croiriez-vous aussi en moi, car c'est de moi qu'il a écrit » (Jean 5.46). D'autre part, à sa façon, la loi ancienne préparait les hommes au Christ, en les arrachant à l'idolâtrie et en les tenant soumis au culte du Dieu unique qui, par le Christ, devait sauver le genre humain. Ce qui fait dire à l'Apôtre : « Avant que vînt la foi, nous étions sous la garde de la Loi, enfermés dans l'attente de la foi qui devait être révélée » (Galates 3.23). Mais préparer les voies et mener au but, c'est le fait d'un seul et même auteur, entendez son fait personnel ou le fait de ses gens. Bref, ce n'est pas le diable, lui que le Christ allait expulser, qui aurait institué une législation propre à mener les hommes vers le Christ : « Si Satan expulse Satan, son royaume est divisé » (Matthieu 12.26). Par conséquent c'est le même Dieu qui est l'auteur de la loi ancienne et qui a réalisé le salut des hommes par la grâce du Christ.

Solutions

1. Pourquoi, sans être parfaite absolument, une réalité ne posséderait-elle pas la perfection qui lui convient à un moment donné ? Ainsi dit-on d'un enfant qu'il est parfait, non absolument, mais comme son âge le comporte. De même, les préceptes que l'on fait aux enfants, s'ils ne sont pas parfaits absolument, sont parfaits cependant si l'on tient compte de ceux à qui ils s'adressent. Tel fut le cas des préceptes de la loi, celle-ci étant, selon l'expression de l'Apôtre, « notre pédagogue dans le Christ » (Galates 3.24).

2. « Les œuvres divines qui demeurent à jamais », ce sont celles que Dieu destine à demeurer à jamais, c'est-à-dire les œuvres parfaites. Si la loi ancienne est repoussée au moment où la grâce est venue à sa perfection, ce n'est pas comme mauvaise, mais comme « impuissante et inutile » désormais, puisque, le texte le mentionne, « la loi n'a rien conduit à la perfection ». Ce qui revient à dire avec S. Paul : « Du moment que la foi est venue, nous ne sommes plus soumis au pédagogue » (Galates 3.25).

3. On sait que Dieu permet parfois le péché pour l'humiliation du pécheur. De même aussi voulut-il donner aux hommes une loi qu'ils ne pussent observer par leurs propres forces ; par là, dans leur présomption, ils se connaîtraient pécheurs, et dans leur humiliation, ils recourraient à l'aide de la grâce.

4. Certes la loi ancienne n'avait pas de quoi sauver l'homme. Mais celui-ci, en même temps que la loi, recevait de Dieu un autre secours qui pouvait le sauver : c'était la foi au médiateur, par laquelle les Pères de l'Ancien Testament étaient justifiés, comme nous le sommes aussi. Ainsi Dieu ne manquait pas de fournir aux hommes les secours nécessaires au salut.


3. La loi ancienne fut-elle donnée par l'intermédiaire des anges ?

Objections

1. Il semble plutôt que Dieu l'ait donnée sans intermédiaire. Ange veut dire messager ; le nom évoque l'idée de service et non celle de seigneurie : « Bénissez le Seigneur, vous tous ses anges, ses serviteurs » (Psaumes 103.20). Or la loi ancienne a été communiquée par le Seigneur, d'après le livre de l'Exode (Exode 20.21) : « Le Seigneur a dit les paroles que voici » ; et un peu plus loin : « je suis le Seigneur ton Dieu », formule reprise fréquemment dans l'Exode et dans la suite des livres de la loi. La loi a donc été donnée par Dieu sans intermédiaire.

2. D'après S. Jean, « la loi a été donnée par Moïse » (Jean 1.17). Mais Moïse la tenait immédiatement de Dieu comme il ressort de ce passage : « Le Seigneur s'entretenait avec Moïse face à face, comme un homme parle avec son ami » (Exode 33.11). La communication a donc été immédiate.

3. Seul le souverain a compétence pour légiférer, avons-nous dit. Mais dans l'ordre du salut des âmes l'autorité souveraine n'appartient qu'à Dieu, les anges étant « des esprits qui servent » (Hébreux 1.14). La loi ancienne, destinée au salut des âmes, ne pouvait donc être donnée par des anges.

En sens contraire, S. Paul dit de la loi qu'elle « fut donnée par les anges avec le concours d'un médiateur » (Galates 3.19) ; et S. Étienne rappelle aux Juifs : « Vous avez reçu la loi par le ministère des anges » (Actes 7.53).

Réponse

C'est bien par le ministère des anges que Dieu a donné la loi. Outre cette raison générale empruntée à Denys qui veut que « les réalités divines soient présentées aux hommes par la médiation des anges », une raison spéciale imposait que la loi ancienne fût donnée de la sorte. Cette loi, on le sait, était imparfaite, mais elle préparait pour le genre humain la perfection du salut qui devait se réaliser par le Christ. Ainsi, nous voyons, en tout ordre de pouvoirs et de techniques, que le maître se réserve la direction et l'achèvement, tandis qu'il fait exécuter par des sous-ordres les opérations qui précèdent et préparent l'accomplissement ultime. Par exemple, le constructeur de navires exécute lui-même le travail d'assemblage, mais fait préparer les pièces par les ouvriers à son service. C'est pourquoi la loi parfaite du Nouveau Testament devait être donnée immédiatement par Dieu lui-même, fait homme, tandis que la loi ancienne devait parvenir aux hommes par les serviteurs de Dieu, ses anges. Telle est précisément la preuve que fournit l'Apôtre de la supériorité de la loi nouvelle sur l'autre : « Dans le Nouveau Testament, Dieu nous a parlé en son Fils, dans l'Ancien sa parole s'est produite par le moyen des anges » (Hébreux 1.2 ; 2.2).

Solutions

1. « L'Ange qui apparut à Moïse, écrit S. Grégoire, est désigné tantôt comme un ange, tantôt comme le Seigneur. C'est un ange, puisqu'il exerçait le ministère extérieur de la parole, mais il est appelé Seigneur, à cause de l'autorité intérieure qui rendait le discours efficace. » De là vient aussi que l'ange, en parlant, tenait pour ainsi dire la place du Seigneur.

2. Le verset de l'Exode : « le Seigneur parla à Moïse face à face... » est suivi bientôt de celui-ci : « Montre-moi ta gloire » (Exode 33.11, 18). S. Augustin, qui fait le rapprochement, conclut : « Moïse connaissait donc l'objet qu'il voyait, et ce qu'il ne voyait pas il le désirait. » Il ne voyait donc pas l'essence même de Dieu, et ainsi Dieu ne l'instruisait pas immédiatement. Mais ne lui parlait-il pas « face à face » ? L'Écriture adopte ce langage pour se conformer à l'opinion populaire qui croyait que Moïse parlait à Dieu en tête à tête, alors que Dieu lui parlait et lui apparaissait sous les espèces d'une créature, ange ou nuée. — À moins que cette vision faciale ne signifie quelque contemplation sublime et intime, inférieure toutefois à la vision de l'essence divine.

3. Seul le souverain, de sa propre autorité, établit une loi, mais il lui arrive de promulguer par intermédiaires la loi qu'il a établie. C'est ainsi que la loi ancienne, instituée par l'autorité même de Dieu, a été promulguée par des anges.


4. La loi ancienne a-t-elle été donnée à tous ?

Objections

1. Ce n'est pas seulement aux juifs, c'est à toutes les nations que devait parvenir le salut auquel disposait la loi ancienne, et que le Christ allait apporter. « C'est peu que tu me serves en réveillant les tribus de Jacob, en ramenant les restes d'Israël ; je t'ai établi lumière des nations pour être mon salut jusqu'aux extrémités de la terre » (Ésaïe 49.6). Ainsi la loi ancienne devait être donnée à toutes les nations et non à un seul peuple.

2. « Dieu ne fait pas acception des personnes » lit-on au livre des Actes (Actes 10.34), « en toute nation celui qui le craint et vit dans la justice lui est agréable. » Il ne devait donc pas ouvrir la voie du salut à un peuple particulier, de préférence aux autres.

3. Les services des anges, dont on vient de parler, ce n'est pas aux seuls juifs, c'est à toutes les nations que Dieu les a toujours assurés : « À la tête de chaque nation, affirme l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 17.14), Dieu a placé un chef. » Toutes les nations ont reçu aussi de Dieu des biens temporels, qui ont à ses yeux moins d'importance que les biens spirituels. La loi également devait donc être donnée à tous les peuples.

En sens contraire, S. Paul se demandant « Quel est donc l'avantage des Juifs ? » répond « Il est grand à tous égards : d'abord les oracles de Dieu leur ont été confiés » (Romains 3.1). On lit (Psaumes 147) : « Dieu n'a pas agi de la sorte avec toutes les nations, il ne leur a pas fait connaître ses ordonnances. »

Réponse

Que la loi ait été donnée au peuple juif plutôt qu'aux autres, on pourrait en chercher la raison dans le fait que seul le peuple juif est resté fidèle au culte du Dieu unique, alors que les autres peuples tombant dans l'idolâtrie n'étaient pas dignes de recevoir la loi, puisque ce qui est saint ne doit pas être donné aux chiens. Mais cette explication n'est pas satisfaisante, car le peuple juif, lui aussi, tomba dans l'idolâtrie et même après l'établissement de la loi, ce qui aggrave son cas. Nous en avons la preuve soit dans l'Exode (Exode 32), soit dans Amos (Amos 5.25 s) : « M'avez-vous offert des sacrifices et des oblations dans le désert pendant quarante ans, maison d'Israël ? Vous portiez la tente de votre dieu Moloch et vos images idolâtriques et l'étoile de votre dieu, que vous vous êtes fabriquées ! »

En outre, il est dit expressément dans le Deutéronome (Deutéronome 9.6) : « Sache que ce n'est pas à cause de tes œuvres justes que le Seigneur ton Dieu t'a donné cette terre en propriété, car tu es un peuple à la nuque raide. » Mais la vraie raison est fournie : « C'est pour accomplir la parole que le Seigneur a jurée à tes pères Abraham, Isaac et Jacob » (v. 5).

Quelle fut cette promesse, l'Apôtre le dit : « Les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance, non pas au pluriel : à ses descendants, mais au singulier : à sa descendance, qui est le Christ » (Galates 3.16). Ainsi donc à ce peuple Dieu accorda la loi et d'autres bienfaits spéciaux parce qu'il avait promis à leurs pères que le Christ naîtrait d'eux. Il convenait en effet que le peuple qui devait donner le jour au Christ se distinguât par une sainteté particulière : « Soyez saints comme je suis saint » (Lévitique 19.2). Ce n'est pas non plus le mérite d'Abraham qui explique la promesse qui lui fut faite, à savoir que le Christ naîtrait de sa race : il y va d'un choix et d'un appel gratuits : « Qui a suscité le juste de l'Orient et l'a appelé à sa suite ? » (Ésaïe 41.2).

D'où il ressort clairement que les Pères ont reçu la promesse, et que le peuple de leur lignage a reçu la loi en vertu seulement d'un choix gratuit : « Vous avez entendu ses paroles du milieu du feu, lisons-nous au Deutéronome (Deutéronome 4.36), parce qu'il a aimé vos pères et a choisi leur postérité après eux. » — Si l'on insiste en demandant pourquoi Dieu a choisi ce peuple et non un autre pour donner le jour au Christ, il conviendra de répondre avec S. Augustin : « Pourquoi attire-t-il celui-ci et non celui-là, ne prétends pas en décider, si tu ne veux pas errer. »

Solutions

1. Toutes les nations devaient bien avoir accès au salut réalisé par le Christ, mais celui-ci ne pouvait naître que d'un peuple déterminé, d'où découlent pour ce peuple des prérogatives exclusives : « À eux, écrit S. Paul, c'est-à-dire aux juifs, appartient l'adoption des fils de Dieu, à eux l'alliance, à eux la loi et les patriarches ; c'est d'eux que le Christ naquit selon la chair » (Romains 9.4).

2. On peut parler d'acception des personnes quand il y a obligation de donner, mais non pas à propos de libres dispositions à titre gratuit. Donner libéralement de son bien à celui-ci plutôt qu'à celui-là, ce n'est pas faire acception des personnes ; ce serait le cas si l'on avait à répartir des biens communs et qu'on ne réglât pas équitablement la distribution selon les titres de chacun. Mais le bienfait du salut, Dieu ne l'accorde au genre humain que par sa grâce ; il ne fait donc pas acception des personnes s'il en gratifie les uns de préférence aux autres : « Tous ceux que Dieu instruit, c'est par miséricorde qu'il les instruit ; ceux qu'il n'instruit pas, c'est par une juste sentence », nous dit encore S. Augustin ; c'est là, en effet, une suite de la condamnation du genre humain pour la faute de notre premier père.

3. La faute prive l'homme des dons de la grâce, mais ne lui enlève pas ceux de la nature. Or le ministère des anges fait partie de ces derniers ; c'est en effet l'ordre naturel des êtres, qui veut que les plus humbles soient gouvernés par des agents de rang intermédiaire, et que même les secours corporels ne soient pas réservés par Dieu aux hommes, mais procurés aussi aux animaux sans raison : « Seigneur, tu sauves les hommes et les bêtes » (Psaumes 36.7).


5. Tous les hommes étaient-ils obligés d'observer la loi ancienne ?

Objections

1. Tous les sujets d'un roi sont soumis à ses lois ; or Dieu, auteur de la loi ancienne, « est le roi de toute la terre » (Psaumes 47.8). Tous les habitants de la terre étaient donc tenus d'observer la loi.

2. S'ils n'observaient pas la loi ancienne, les Juifs ne pouvaient se sauver : « Maudit soit celui qui s'écarte des paroles de cette loi et ne les met pas en pratique » (Deutéronome 27.26). Donc, si le reste de l'humanité avait pu faire son salut sans observer la loi ancienne, la position des juifs eût été plus défavorable que celle des autres.

3. Les païens avaient accès au rite judaïque et aux pratiques de la loi : « Si un étranger veut séjourner chez vous et célébrer la Pâque, tout mâle de sa maison sera d'abord circoncis ; alors il pourra célébrer selon la loi comme un enfant de votre pays » (Exode 12.48). Mais pourquoi Dieu aurait-il décidé d'admettre les étrangers aux pratiques légales si celles-ci n'avaient pas été nécessaires à leur salut ? C'est donc que nul ne pouvait être sauvé, à moins d'observer la loi.

En sens contraire, Denys affirme que « nombre de païens ont été ramenés à Dieu par des anges ». Comme les païens, évidemment, n'observaient pas la loi, on pouvait donc être sauvé sans cela.

Réponse

La loi ancienne mettait en lumière les préceptes de la loi naturelle en y ajoutant quelques préceptes propres. Quant aux prescriptions qu'elle empruntait à la loi naturelle, tous les hommes étaient tenus de les observer non pas au titre de la loi ancienne, mais par l'autorité de la loi naturelle. Quant à ce qu'elle y ajoutait, la loi ancienne n'y obligeait que le peuple juif.

En effet, on sait que la loi ancienne a été accordée au peuple juif pour lui conférer une prééminence de sainteté, par respect pour le Christ, qui devait naître de ce peuple. Or, toutes les fois qu'un statut est édicté en vue de mettre certaines personnes dans un état spécial de sainteté, il n'oblige que ces personnes ; il y a par exemple des obligations particulières qui concernent les clercs, attachés au service de Dieu, et qui ne pèsent pas sur les laïcs; de même les religieux sont obligés par profession à certaines œuvres de perfection auxquelles ne sont pas tenus les séculiers. Ainsi le peuple de Dieu avait des devoirs particuliers que les autres peuples ne connaissaient pas : « Tu seras parfait et sans tache près du Seigneur ton Dieu », dit le Deutéronome (Deutéronome 18.13) qui signale même, un peu plus loin, l'usage d'une sorte de profession : « Je professe aujourd'hui en présence du Seigneur ton Dieu » etc. (Deutéronome 26.3).

Solutions

1. Lorsqu'un roi commande indifféremment à tous ses sujets l'observance d'une loi, celle-ci les oblige tous. Mais, s'il prescrit aux gens de sa maison des pratiques particulières, les autres n'y sont pas tenus.

2. Le mieux, pour l'homme, c'est d'être plus étroitement uni à Dieu. Aussi, parmi les autres peuples, le peuple juif l'emportait en dignité dans la mesure même où il était attaché davantage au culte divin : « Est-il une autre nation aussi fameuse qui ait nos rites, nos justes ordonnances et l'ensemble de notre loi ? » (Deutéronome 4.8). De ce point de vue pareillement, la condition des clercs est préférable à celle des laïcs, et celle des religieux à celle des séculiers.

3. Les païens étaient admis à l'observance de la loi parce que ce régime leur permettait de se sauver plus parfaitement et plus sûrement que celui de la seule loi naturelle. De même aujourd'hui voyons-nous des laïcs entrer dans la cléricature, des séculiers entrer en religion, alors qu'ils pourraient se sauver autrement.


6. L'époque de Moïse convenait-elle à l'établissement de la loi ?

Objections

1. Puisque la loi ancienne préparait les voies au salut que le Christ devait accomplir, c'est donc tout de suite après le péché, dès que se révéla la nécessité de ce remède salutaire, que la loi aurait dû être donnée.

2. Ou alors dès le temps d'Abraham, car la loi ancienne avait pour but de sanctifier ceux qui devaient être les ancêtres du Christ ; or c'est à Abraham que fut faite, pour la première fois, la promesse de « cette descendance », qui est le Christ (Genèse 12.7).

3. Si dans toute la postérité de Noé, seul le lignage issu d'Abraham à qui fut faite la promesse donna naissance au Christ, de même le Christ est né, à l'exclusion des autres descendants d'Abraham, du seul lignage issu de David, à qui la promesse fut renouvelée : « Paroles de l'homme (David) à qui un pacte fut garanti au sujet du Christ (l'Oint) du Dieu de Jacob » (2 Samuel 23.1). Ainsi la loi ancienne devait être donnée après David tout autant qu'après Abraham.

En sens contraire, selon S. Paul, « la loi a été établie en vue des transgressions, jusqu'à ce que int le lignage auquel a été faite la promesse, proposée par le ministère des anges, avec le concours d'un médiateur ». « Proposée, commente la Glose, donc donnée à propos » (Galates 3.19). Ainsi convenait-il que la loi ancienne fût offerte à ce moment du temps.

Réponse

L'époque de Moïse était on ne peut plus convenable pour l'institution de la loi ancienne. On s'en rend compte si l'on considère les deux catégories de personnes auxquelles toute loi s'applique : les indociles et les orgueilleux d'une part, que la loi contraint et assujettit ; d'autre part, les honnêtes gens, qui s'aident des lumières de la loi pour accomplir leurs bons desseins. Donc, pour réduire l'orgueil des hommes, la loi ancienne se présentait au moment favorable. Deux choses, en effet, entretenaient cet orgueil : la science et la puissance. La science d'abord, par l'idée que la raison naturelle suffisait au salut de l'homme ; en vue de réduire son orgueil à cet égard, l'homme fut livré au gouvernement de sa raison sans le secours d'une loi écrite, et l'expérience lui fit connaître la précarité de sa raison lorsque, vers l'époque d'Abraham, l'humanité sombra dans l'idolâtrie et les vices les plus abjects. Et dès lors se fit jour la nécessité d'une loi écrite donnée en remède à l'ignorance humaine car, dit l'Apôtre, « c'est par la loi qu'on connaît le péché » (Romains 3.20). — Une fois éclairé par la loi, c'est de faiblesse que fut convaincu l'homme orgueilleux, incapable qu'il était de réaliser ce qu'il savait. Voilà pourquoi, conclut l'Apôtre, « ce que ne pouvait faire la loi, rendue impuissante du fait de la chair, Dieu a envoyé son Fils, pour que la justice de la loi fût accomplie en nous » (Romains 8.3).

Quant aux honnêtes gens, l'aide de la loi leur devint surtout nécessaire au moment où la loi naturelle commençait de s'obscurcir sous une profusion de péchés. Mais il fallait encore que ce secours fût accordé selon un certain plan, menant pour ainsi dire les hommes par la main et par degrés progressifs jusqu'à la perfection. Aussi la loi ancienne devait-elle se présenter entre la loi naturelle et la loi de grâce.

Solutions

1. Immédiatement après le péché du premier homme, le moment n'était pas favorable à la réception de la loi ancienne. D'une part l'homme n'en avait pas encore reconnu la nécessité, parce qu'il se confiait en sa raison. D'autre part l'habitude du péché n'avait pas encore étouffé la voix de la loi naturelle.

2. Une loi ne peut être donnée qu'à un peuple, puisque c'est un précepte général, comme on l'a établi. Au temps d'Abraham il y eut donc des préceptes domestiques, d'ordre privé en quelque sorte, adressés par Dieu aux hommes. Mais la race d'Abraham s'étant ensuite multipliée jusqu'à constituer un peuple, celui-ci, une fois sorti d'esclavage, fut à même de recevoir une loi. Aristote enseigne en effet que « le peuple ou la cité, capable de recevoir une loi, ne comprend pas les esclaves. »

3. La loi, devant être reçue par un Peuple, ne fut pas donnée aux seuls ascendants directs du Christ, mais au peuple tout entier, marqué au sceau de la circoncision, signe de la promesse qui fut faite à Abraham et crue par lui, comme S. Paul l'explique aux Romains (Romains 4.11). Pour cette même raison, un tel peuple une fois rassemblé devait recevoir la loi, sans attendre l'époque de David.


Dans cette étude des préceptes de la loi ancienne, il faut d'abord établir un classement (Q. 99), puis examiner chaque catégorie de préceptes en particulier (Q. 100 et suivantes).

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