Somme théologique

Somme théologique — La prima secundae

100. LES PRÉCEPTES MORAUX DE LA LOI ANCIENNE

  1. Tous les préceptes moraux de la loi ancienne appartiennent-ils à la loi naturelle ?
  2. Portent-ils sur des actes de toutes les vertus ?
  3. Tous les préceptes se ramènent-ils aux dix préceptes du décalogue ?
  4. La division des préceptes du décalogue.
  5. Leur dénombrement.
  6. Leur ordre.
  7. Leur présentation.
  8. Souffrent-ils dispense ?
  9. La modalité vertueuse de l'acte tombe-t-elle sous le précepte ?
  10. Et cette modalité que donne la charité ?
  11. Peut-on distinguer d'autres préceptes moraux ?
  12. Les préceptes moraux de la loi ancienne justifient-ils ?

1. Tous les préceptes moraux de la loi ancienne appartiennent-ils à la loi naturelle ?

Objections

1. L'Ecclésiastique (Ecclésiastique 17.9) interdit de l'affirmer : « Il leur communique sa discipline, il leur donna en héritage la loi de vie. » Or la discipline ne se confond pas avec la loi de nature qui ne s'enseigne pas, puisqu'on la possède par instinct de nature. Tous les préceptes moraux ne relèvent donc pas de la loi naturelle.

2. La loi divine est plus parfaite que la loi humaine. Or celle-ci fait à la loi naturelle des additions concernant les bonnes mœurs ; on n'en peut douter puisque, la loi naturelle étant la même chez tous, les institutions morales varient ici et là. À bien plus forte raison la loi divine devait-elle donc, touchant les bonnes mœurs, ajouter quelque chose à la loi naturelle.

3. La raison naturelle invite à une certaine bonté morale, mais aussi la foi qui, selon S. Paul, (Galates 5.6) « agit par l'amour ». Or la foi ne dépend pas de la loi naturelle, car son objet dépasse la raison. Tous les préceptes moraux de la loi divine ne relèvent donc pas de la loi naturelle.

En sens contraire, S. Paul écrit aux Romains (Romains 2.14) : « Les païens qui n'ont pas la loi observent naturellement ses prescriptions. » Et cela s'entend des prescriptions morales. Tous les préceptes moraux de la loi appartiennent donc à la loi de nature.

Réponse

Les préceptes moraux, à la différence des préceptes cérémoniels et judiciaires, sont ceux qui de soi concernent les bonnes mœurs. Or les mœurs humaines se définissent par rapport à la raison, principe propre des actes humains, de sorte qu'on appelle bonnes les mœurs qui s'accordent avec la raison, et mauvaises celles qui s'y opposent. Or, comme tout jugement de la raison spéculative dérive de la connaissance naturelle des premiers principes, tout jugement de la raison pratique dérive, lui aussi, comme on l'a vu, de quelques principes naturellement connus. Mais, selon les cas, le jugement peut procéder différemment. Car il y a dans la conduite humaine des choses si claires qu'un peu d'attention révèle aussitôt, grâce à ces principes premiers et généraux, s'il faut les approuver ou les blâmer. Il en est d'autres en revanche qui ne peuvent être jugées qu'en faisant grande attention aux circonstances particulières ; et il n'est pas donné à tout le monde, mais seulement aux sages, de se livrer à cette étude attentive, de même qu'il n'appartient pas au vulgaire, mais seulement au philosophe, d'examiner les conclusions particulières du savoir. Il y en a enfin que l'homme ne peut discerner sans l'aide d'une révélation divine, comme il arrive en matière de foi.

Étant donc admis que les préceptes moraux concernent les bonnes mœurs, que celles-ci s'accordent avec la raison et que tout jugement de la raison humaine dérive en quelque façon de la raison naturelle, il est clair que tous les préceptes moraux appartiennent à la loi naturelle. Mais ici on distinguera. Tantôt la raison naturelle de chacun, par ses propres moyens, discerne immédiatement ce qu'il faut faire ou ne pas faire; ainsi : Tu honoreras tes père et mère, tu ne tueras point, tu ne commettras pas de vol ; les préceptes de cette sorte appartiennent purement et simplement à la loi naturelle. Tantôt une étude plus pénétrante permet aux sages de discerner ce qu'il y a lieu de faire : ces derniers préceptes, bien qu'ils appartiennent à la loi de nature, exigent toutefois que les simples en soient instruits par l'enseignement des sages ; ainsi : « Lève-toi devant une tête blanche et honore la personne du vieillard » (Lévitique 19.32), et d'autres préceptes analogues. Il y a enfin des jugements que la raison humaine ne peut porter si elle n'est instruite par Dieu, notre maître en choses divines ; par exemple : Tu ne feras pas d'image taillée ni de représentation, tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu.

Tout cela donne la réponse aux objections.


2. Les préceptes moraux de la loi ancienne portent-ils sur les actes de toutes les vertus ?

Objections

1. L'observation des préceptes de la loi ancienne porte le nom de justification ; le Psaume (Psaumes 119) l'entend en ce sens : « Je garderai tes justifications. » Mais ce terme signifie : mise en œuvre de la justice. Les préceptes moraux portent donc exclusivement sur des actes de justice.

2. Tout ce qui tombe sous le précepte est à considérer comme dû. Or l'idée de dû ne met pas en cause les autres vertus, mais la seule justice, dont c'est l'acte propre de rendre à chacun son dû. Les préceptes moraux de la loi portent donc uniquement sur les actes de la justice et nullement sur les actes d'autres vertus.

3. S. Isidore dit que toute législation a pour but le bien commun. Mais, selon Aristote, parmi les vertus, seule la justice regarde le bien commun. Les préceptes moraux ne concernent donc que les actes de la justice.

En sens contraire, S. Ambroise définit le péché : « Une transgression de la loi divine, une désobéissance aux ordres du ciel. » Comme les péchés s'opposent aux actes de toutes les vertus, la loi divine connaît donc des actes de toutes les vertus.

Réponse

Il a été établi plus haut, que les préceptes de la loi se rapportent au bien commun. Il s'ensuit que les préceptes d'une loi doivent se différencier selon les types de communauté : aussi Aristote enseigne-t-il que la législation ne doit pas être la même si la cité est gouvernée par un roi, ou par le peuple, ou par un certain nombre de citoyens importants. Or ce n'est pas au même type de communauté que se réfèrent la loi humaine et la loi divine. La loi humaine vise une communauté civile, celle qui s'établit entre les hommes par le moyen d'activités extérieures, puisque c'est par de tels actes que les hommes entrent en rapports les uns avec les autres. Les rapports de cette sorte sont du ressort de la justice, spécialement qualifiée pour l'organisation des rapports sociaux parmi les hommes. C'est pourquoi les préceptes proposés par la loi humaine n'intéressent que les actes de justice ; si des actes d'autres vertus sont prescrits, c'est dans la mesure seulement où ces actes revêtent un caractère de justice, ainsi que l'explique Aristote.

Mais, avec la loi divine, la communauté en cause est celle des hommes envers Dieu, soit dans la vie présente soit dans la vie future ; aussi les préceptes que cette loi propose ne négligent rien de ce qui peut disposer l'humanité à ces bons rapports avec Dieu. Et comme c'est par la raison, faculté spirituelle où s'inscrit l'image divine, que l'homme entre en communication avec Dieu, les préceptes de la loi divine embrassent toutes les dispositions propres à mettre la raison humaine en cette condition favorable. Or c'est le fait des actes de toutes les vertus : les vertus intellectuelles dirigent la raison dans ses activités propres, et les vertus morales dirigent l'activité rationnelle dans le domaine des passions intérieures et des opérations extérieures. Il est donc évident que les préceptes posés par la loi divine doivent s'occuper des actes de toutes les vertus. Observons toutefois que certaines dispositions, indispensables au maintien de l'ordre vertueux, c'est-à-dire de l'ordre de raison, tombent sous l'obligation du précepte, tandis que d'autres dispositions, intéressant le parfait développement de la vertu, relèvent des exhortations du conseil.

Solutions

1. Même si les préceptes de la loi mettent en œuvre les autres vertus, le fait de les observer mérite le nom de justifications, car c'est justice pour l'homme d'obéir à Dieu, et c'est justice aussi, pour tout ce qui est dans l'homme, d'être soumis à la raison.

2. La justice proprement dite considère la dette d'un homme à l'égard d'un autre homme; mais les autres vertus considèrent toutes ce que les puissances inférieures doivent à la raison. Aristote tenait compte de cette dette lorsqu'il mentionnait une sorte de justice métaphorique.

3. La réponse est claire : on vient de dire qu'il y a différents types de communauté.


3. Tous les préceptes moraux de la loi ancienne se ramènent-ils aux dix préceptes du décalogue ?

Objections

1. L'évangile selon S. Matthieu (Matthieu 22.37) dit que les premiers et principaux préceptes de la loi sont : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » et « Tu aimeras ton prochain ». Or ces préceptes, qui sont bien deux préceptes moraux, ne figurent pas dans le décalogue.

2. Les préceptes moraux ne se ramènent pas aux préceptes cérémoniels, c'est plutôt l'inverse. Or il y a dans le décalogue un précepte cérémoniel : « Souviens-toi de sanctifier le sabbat. » Donc les préceptes moraux ne se ramènent pas à tous les préceptes du décalogue.

3. Les préceptes moraux s'étendent à tous les actes vertueux. Mais que l'on passe en revue tous les préceptes du décalogue, on n'y trouvera que des préceptes touchant les actes de la justice. Les préceptes du décalogue n'embrassent donc pas tous les préceptes moraux.

En sens contraire, à propos du texte de S. Matthieu (Matthieu 5.11) : « Bienheureux serez-vous quand on vous maudira », la Glose explique que « Moïse propose dix préceptes, pour les développer ensuite en détail. » Ainsi tous les préceptes de la loi détaillent en quelque sorte les préceptes du décalogue.

Réponse

Les préceptes du décalogue diffèrent des autres préceptes en ce que, lisons-nous, Dieu les a présentés lui-même au peuple, tandis qu'il a présenté les autres par l'intermédiaire de Moïse. Appartiennent donc au décalogue les préceptes dont l'homme reçoit lui-même de Dieu la connaissance. Or c'est le cas de ceux qu'après une brève réflexion on peut conclure des premiers principes généraux, et aussi de ceux que nous fait immédiatement connaître la foi infusée par Dieu. Il y a donc deux sortes de préceptes qui ne figurent pas au décalogue : d'une part les préceptes premiers et généraux, qui n'ont pas besoin d'être déclarés autrement que par leur insertion dans la raison naturelle au titre de connaissance immédiate, comme de ne faire tort à personne, et autres du même genre ; et d'autre part ceux dont la convenance rationnelle se découvre aux sages après une étude attentive, car c'est à travers l'enseignement des sages que ces préceptes parviennent de Dieu au peuple.

Cependant l'on peut dire que ces deux catégories de préceptes sont contenues dans le décalogue, chacune à sa manière : les préceptes premiers et généraux s'y trouvent comme les principes dans leurs conclusions prochaines ; les préceptes connus par l'intermédiaire des sages y sont contenus, inversement, comme les conclusions dans leurs principes.

Solutions

1. Ces deux grands préceptes sont les préceptes premiers et généraux de la loi naturelle, que la raison humaine connaît immédiatement, par la nature ou par la foi. Et ainsi tous les préceptes du décalogue se rapportent à ces deux-là comme les conclusions aux principes généraux.

2. Le précepte du sabbat est à certains égards un précepte moral, en ce qu'il prescrit à  : « Arrêtez et voyez que je suis Dieu. » (Psaumes 46.11) C'est par là qu'il prend rang dans les préceptes du décalogue et non par le fait qu'il fixe un temps déterminé ; à cet égard, en effet, c'est un précepte cérémoniel.

3. Dans les autres vertus l'idée de dette ne ressort pas avec la même évidence que dans la justice; aussi, pour le peuple, les préceptes qui concernent leurs actes ne s'imposent pas au même degré que ceux qui concernent les actes de la justice. Voilà pourquoi ce sont précisément ces derniers qui relèvent des préceptes du décalogue, premiers éléments de la loi.


4. La division des préceptes du décalogue ?

Objections

1. Religion et foi sont deux vertus distinctes, réclamant deux préceptes puisque les préceptes portent sur les actes des vertus. Or la clause initiale du décalogue, où S. Augustin ne reconnaît qu'un précepte, touche d'abord la fou. « Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi » puis le culte, c'est-à-dire la religion : « Tu ne feras pas d'image taillée etc. » Il y a là en réalité deux préceptes.

2. Les préceptes affirmatifs comme : Honore ton père et ta mère, et les préceptes négatifs comme : Tu ne tueras point, sont distingués dans la loi. Or, toujours au début du décalogue, une affirmation : « je suis le Seigneur ton Dieu », est réunie à une disposition négative : « Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi ». Cela fait deux préceptes, alors que S. Augustin n'en compte qu'un.

3. « Je n'aurais pas connu la convoitise, écrit S. Paul aux Romains (Romains 7.7), si la loi n'avait édicté : « Tu ne convoiteras pas. » Ce précepte se présente donc comme unique. Alors il ne fallait pas distinguer deux préceptes au sujet de la convoitise.

En sens contraire, s'impose l'autorité de S. Augustin qui compte trois préceptes regardant Dieu et sept préceptes regardant le prochain.

Réponse

Suivant les auteurs, les préceptes du décalogue se répartissent de manières différentes. Hésychius, à propos de ce passage du Lévitique (Lévitique 26.26) : « Dix femmes boulangeront dans un seul four », estime que le précepte du sabbat n'appartient pas au décalogue parce qu'il ne doit pas être observé, au sens littéral, en tout temps. Il n'en distingue pas moins quatre préceptes à l'égard de Dieu : 1. « je suis le Seigneur ton Dieu ». 2. « Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi » (cette division des deux premiers préceptes est admise également par S. Jérôme). 3. « Tu ne te feras pas d'image taillée ». 4. « Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu ». Après quoi il distingue six préceptes regardant le prochain : 1. « Honore ton père et ta mère ». 2. « Tu ne tueras point ». 3. « Tu ne commettras pas d'adultère ». 4. « Tu ne déroberas point ». 5. « Tu ne porteras pas de faux témoignages ». 6. « Tu ne convoiteras point ».

Mais cette répartition offre un double inconvénient : le précepte relatif à l'observance du sabbat ne doit pas figurer dans le décalogue s'il lui est étranger. De plus, comme « nul ne peut servir deux maîtres » (Matthieu 6.24), les clauses : « je suis le Seigneur ton Dieu », et : « Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi », expriment une seule et même idée et relèvent d'un unique précepte. Aussi Origène, qui distingue lui aussi quatre préceptes à l'égard de Dieu, ne voit-il là qu'un seul précepte. Pour lui, les trois suivants seraient : « Tu ne feras pas d'image taillée. Tu ne prendras pas le nom de ton Dieu en vain » et : « Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat ». Quant aux six derniers préceptes, il les détaille comme Hésychius.

Toutefois les images taillées et les représentations sont interdites uniquement pour éviter qu'on les révère comme des dieux (car, dans le tabernacle, Dieu fit placer des images de Séraphins) ; S. Augustin était donc fondé à réunir sous un seul précepte les clauses : « Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi », et : « Tu ne feras pas d'image taillée ». D'autre part, il dédouble l'interdiction de la convoitise en deux préceptes relatifs à la convoitise du bien d'autrui et à celle de la femme d'autrui : en effet, cette dernière relève de la convoitise de la chair, dans l'ordre de la génération, tandis que la convoitise des autres biens qui sont désirés en vue de la possession relève de la convoitise des yeux. On obtient, en suivant S. Augustin, un classement plus juste, avec trois préceptes envers Dieu et sept relatifs au prochain.

Solutions

1. Le culte n'étant qu'une sorte de protestation de foi, il n'y a pas lieu de donner séparément les préceptes en matière de religion et les préceptes en matière de foi. Cependant, les préceptes de religion doivent être donnés de préférence à ceux de la foi parce que le précepte de la foi, comme celui de la dilection, est présupposé aux préceptes du décalogue. De même en effet que les premiers préceptes généraux de la loi de nature sont évidents pour tout être raisonnable et ne demandent aucune promulgation, de même croire en Dieu est une vérité première et évidente pour qui a la foi : « Celui qui s'approche de Dieu doit croire que Dieu existe », dit l'épître aux Hébreux (Hébreux 11.6). Il n'est pas besoin pour cela d'autre promulgation que le don divin de la foi.

2. Les préceptes affirmatifs se distinguent des négatifs quand l'un n'est pas inclus dans l'autre ; par exemple, honorer ses parents n'inclut pas qu'on ne tuera personne, ni inversement. Mais si l'affirmatif est contenu dans le négatif ou réciproquement, il n'y a pas matière à préceptes distincts. Ainsi le précepte de ne pas voler implique celui de respecter le bien d'autrui ou d'en faire restitution. Pour la même raison, cela ne fait pas deux préceptes différents de croire en Dieu et de ne pas croire en d'autres dieux.

3. L'Apôtre peut parler au singulier d'un précepte relatif à la convoitise, parce qu'il y a une idée générale commune qui se retrouve en toute convoitise. Mais dans le détail il existe des types différents de convoitise, ce qui amène S. Augustin à distinguer plusieurs préceptes en cette matière ; la diversité des actes et des objets, selon le Philosophe, fonde en effet des espèces différentes de convoitise.


5. Le dénombrement des préceptes du décalogue est-il satisfaisant ?

Objections

1. « Transgresser la loi divine, désobéir aux ordres du ciel », c'est ainsi que S. Ambroise définit le péché. Or on distingue les péchés suivant qu'on les commet contre Dieu, contre le prochain ou contre soi-même. L'énumération des préceptes du décalogue n'est donc pas suffisante, puisque, s'il s'y trouve des préceptes relatifs à Dieu et au prochain, on n'en trouve aucun pour diriger l'homme envers soi-même.

2. Le culte divin appelait, tout autant que l'observance du sabbat, celle des autres fêtes, ainsi que l'offrande des sacrifices. Le décalogue mentionne l'observance du sabbat, mais aurait dû comporter quelques préceptes relatifs aux autres fêtes et aux sacrifices rituels.

3. Contre Dieu, on pèche non seulement par le parjure, mais encore par le blasphème, voire par toute fausseté s'opposant à l'enseignement divin. À côté du précepte interdisant le parjure « Tu ne prendras pas le nom de ton Dieu en vain », le décalogue devait donc, par des préceptes spéciaux, interdire les péchés de blasphème et d'enseignement hétérodoxe.

4. L'homme chérit naturellement ses parents, mais aussi ses enfants ; d'ailleurs la charité embrasse le prochain dans son ensemble. Puisque les préceptes du décalogue sont ordonnés à la charité, selon le mot de S. Paul : « La charité est la fin du précepte » (1 Timothée 1.5), outre celui qui concerne les parents, il en fallait aussi touchant les enfants et les autres catégories de prochain.

5. En toute espèce de péché, on peut pécher par pensée et par action. Or voici des espèces de péchés, le vol et l'adultère, qui font l'objet d'une double interdiction, l'une portant sur le péché d'action : « Tu ne commettras pas d'adultère, Tu ne déroberas pas », l'autre portant sur le péché de pensée : « Tu ne convoiteras pas le bien d'autrui, Tu ne désireras pas sa femme. » Il fallait en faire autant pour le péché d'homicide et de faux témoignage.

6. Le péché peut naître d'un désordre de l'irascible aussi bien que d'un désordre du concupiscible. Puisqu'il y a des préceptes pour mettre en garde contre une convoitise désordonnée, il devait aussi y en avoir pour empêcher le désordre de l'irascible. Bref, on a le sentiment que ce nombre de dix pour les préceptes du décalogue n'est pas satisfaisant.

En sens contraire, il est écrit au Deutéronome (Deutéronome 4.13) : « Dieu vous a fait connaître son alliance qu'il vous a commandé d'observer, et les dix paroles qu'il a écrites sur deux tables de pierre. »

Réponse

On l'a dit plus haut, de même que les préceptes de la loi humaine disposent l'homme en vue d'une société humaine, de même les préceptes de la loi divine disposent l'homme en vue d'une sorte de société ou de cité des hommes soumise à Dieu. Or deux conditions sont requises si l'on veut vivre des jours heureux dans une société : d'abord se comporter comme il faut envers celui qui exerce l'autorité, ensuite être en règle avec les autres membres et compagnons engagés dans cette société. Il faut donc que la loi divine édicté d'abord certains préceptes qui règlent les rapports de l'homme avec Dieu, puis d'autres préceptes qui règlent les rapports de chacun avec ceux qui, comme lui et près de lui, vivent sous l'autorité de Dieu.

Au chef de la société, l'homme doit fidélité, respect et service. La fidélité au maître empêche essentiellement que l'hommage de souveraineté soit accordé à aucun autre ; telle est la signification du premier précepte : « Tu n'auras pas d'autres dieux. » — Le respect du maître veut qu'on s'abstienne à son égard de toute attitude offensante et c'est l'objet du second précepte : « Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu. » — Le maître a droit au service, en contrepartie des bienfaits qu'il dispense à ses sujets, et le troisième précepte y pourvoit, par la sanctification du sabbat en mémoire de la création.

Les justes rapports avec le prochain supposent deux conditions. À un titre spécial, il faut s'acquitter de ce que l'on doit envers ceux dont on a reçu : ici se place le précepte touchant le respect des parents. — À un titre général, envers tous sans exception, ne léser personne, ni de fait, ni en parole, ni en pensée. Par voie de fait, on nuit au prochain dans sa personne même, par atteinte à l'intégrité de son être, d'où suit la clause prohibitive : « Tu ne tueras point », — ou dans la personne qui lui est conjointe aux fins de la procréation, et cela est interdit par le précepte : « Tu ne commettras pas d'adultère » ; — ou dans les biens qu'il possède et qui servent les deux buts susdits, ce qui est écarté par le précepte : « Tu ne déroberas pas ». Enfin la prohibition du faux témoignage réprime le péché de parole, et celle de la convoitise le péché de pensée.

On pourrait aussi appliquer cette division aux trois préceptes qui regardent Dieu. Le premier concerne l'action : « Tu ne feras pas d'image taillée » ; le second la parole : « Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu », le troisième regarde les pensées, car la sanctification du sabbat, entendue comme un précepte moral, veut que la pensée se repose en Dieu. — S. Augustin dit encore autrement que, par le premier précepte, nous révérons l'unité du principe premier, par le second la vérité divine, et par le troisième la bonté de Dieu qui nous sanctifie et en qui nous trouvons le repos comme en notre fin.

Solutions

1. La première difficulté comporte une double réponse. 1° Les préceptes du décalogue sont relatifs aux préceptes de la charité ; or, s'il était nécessaire de prescrire à l'homme d'aimer Dieu et le prochain, la loi naturelle ayant été en cela obnubilée par le péché, cela n'était pas nécessaire en ce qui regarde l'amour de soi-même, parce que sur ce point la loi naturelle gardait sa force ; — ou encore parce que l'amour de soi est inclus dans l'amour de Dieu et du prochain, vu que s'aimer vraiment, c'est se rapporter à Dieu. C'est encore une raison pour que le décalogue ne contienne de préceptes que relativement au prochain et à Dieu. — 2° Les préceptes du décalogue sont ceux que le peuple a reçus de Dieu sans intermédiaire ; le Deutéronome (Deutéronome 10.4) le dit expressément : « Dieu a écrit sur les tables ce qu'il avait déjà écrit, les dix paroles que le Seigneur vous a adressées. » C'est donc une nécessité pour les préceptes du décalogue de pouvoir être compris immédiatement de tous les esprits. Or l'idée de précepte évoque essentiellement celle d'une dette ; et que l'on soit tenu d'une dette envers Dieu ou envers le prochain, c'est ce que l'on comprend aisément, surtout si l'on a la foi ; mais que l'homme soit tenu d'une dette rigoureuse envers soi-même et non envers autrui, cela ne saute pas aux yeux, car de prime abord chacun se sent libre dans les affaires qui ne concernent que soi. Aussi les préceptes qui interdisent à l'homme de se manquer à soi-même sont-ils communiqués au peuple par l'intermédiaire des sages qui l'instruisent, et ils ne relèvent pas du décalogue.

2. Toutes les fêtes de la loi ancienne ont été instituées pour commémorer un bienfait de Dieu reçu dans le passé, ou pour préfigurer un bienfait à venir. Et c'est aux mêmes intentions que répondaient toutes les offrandes de sacrifices. Or, parmi tous les bienfaits divins dignes d'être commémorés le premier et le principal était celui de la création ; c'est lui qui est rappelé dans la célébration du sabbat, puisque le fondement de ce précepte, selon l'Exode (Exode 20.11), c'est que « Dieu fit le ciel et la terre en six jours ». Quant aux bienfaits à venir qui devaient être préfigurés, celui qui dépasse et achève tous les autres était le repos de l'âme en Dieu, ici-bas par la grâce, au jour futur par la gloire ; cela aussi était représenté par la célébration du sabbat au sens où l'entendait Isaïe (Ésaïe 58.13) : « Si tu évites de fouler aux pieds le sabbat, de suivre ton penchant en mon saint jour ; si tu l'appelles sabbat de délices, et vénérable le jour saint du Seigneur. » À ces bienfaits-là tous les cœurs, surtout s'ils ont la foi, accordent le premier rang et une importance suprême ; tandis que les bienfaits célébrés au cours des autres solennités n'avaient qu'un caractère partiel et provisoire : ainsi le rite pascal rappelait un bienfait passé, la délivrance d'Égypte, et annonçait la passion du Christ, cet événement qui s'est accompli à un moment du temps et qui nous fit entrer dans le repos d'un sabbat spirituel. On comprend donc que le sabbat, à l'exclusion de toute autre solennité et des sacrifices, soit seul mentionné parmi les préceptes du décalogue.

3. « Les hommes, dit l'épître aux Hébreux (Hébreux 6.16), jurent par plus grand qu'eux, et toute contestation se termine par la garantie du serment. » On voit que tout le monde peut être amené à faire un serment, et donc qu'un précepte spécial du décalogue devait, en cette matière, exclure tout désordre. Mais le péché de fausseté dans la doctrine n'étant le fait que de quelques-uns, le décalogue n'avait pas à en faire état. Du reste, ce péché se trouve interdit, en un certain sens, par le précepte : « Tu ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu », qu'une glose éclaire par cet exemple : Ne pas dire que le Christ serait une créature.

4. Ne léser personne est une requête immédiate de la raison naturelle, et les préceptes qui interdisent de nuire s'adressent à tout le monde. Mais intervenir positivement en faveur d'autrui, cela n'est pas dicté aussitôt par la raison naturelle, sauf s'il s'agit d'une dette. Or le devoir du fils à l'égard du père est si manifeste qu'il échappe à toute discussion, le père étant principe dans l'ordre de la génération et de l'existence, de l'éducation et de l'instruction. C'est pourquoi, en dehors des parents, nul précepte du décalogue ne prescrit de servir ou d'honorer qui que ce soit. Les parents, en revanche, au titre des bienfaits reçus, seraient plutôt les créanciers que les débiteurs de leurs enfants. — De plus, l'enfant est quelque chose de son père, remarque Aristote et « les pères aiment leurs enfants comme une part d'eux-mêmes ». Les raisons qui font que le décalogue n'impose à l'homme aucun précepte envers soi-même valent aussi touchant l'amour de ses enfants.

5. La délectation de l'adultère, l'avantage des richesses sont intrinsèquement désirables, à raison de leur caractère délectable ou utile ; il fallait donc, ici, exclure non seulement l'acte, mais le désir. Au contraire, le prochain et la vérité étant naturellement objet d'amour, il y a quelque chose de si répugnant en soi dans le meurtre et le mensonge, qu'il faut, pour les désirer, quelque autre motif ; par conséquent il suffisait à leur sujet de prohiber l'acte, sans mentionner le désir.

6. On sait que toutes les passions de l'irascible dérivent des passions du concupiscible. Dans ces premiers éléments de la loi que sont les préceptes du décalogue on n'avait donc pas à faire état des premières, mais seulement des secondes.


6. L'ordre des dix préceptes dans le décalogue est-il satisfaisant ?

Objections

1. L'amour du prochain précède l'amour de Dieu, le prochain nous étant plus connu que Dieu : « Comment, demande S. Jean dans sa première épître (1 Jean 4.20), peut-on aimer Dieu qu'on ne voit pas, si l'on n'aime pas son frère que l'on voit ? » Or les préceptes relatifs à l'amour de Dieu occupent les trois premières places dans le décalogue, et les préceptes relatifs à l'amour du prochain les sept autres. L'ordre des préceptes dans le décalogue n'est donc pas satisfaisant.

2. Les préceptes affirmatifs commandent l'exercice des vertus, et les préceptes négatifs interdisent les actes vicieux. S'il est vrai, comme le pense Boèce, qu'il faille extirper les vices avant d'implanter les vertus, il fallait, dans la liste des préceptes relatifs au prochain, faire passer les préceptes négatifs avant les préceptes affirmatifs.

3. Dans l'activité humaine dont s'occupent les préceptes de la loi, il y a priorité de la pensée sur la parole et sur l'action extérieure. C'est donc à tort que les préceptes interdisant la convoitise, préceptes qui visent des péchés de pensée, obtiennent la dernière place.

En sens contraire, « ce qui vient de Dieu est ordonné », dit S. Paul (Romains 13.1). Les préceptes du décalogue ont été donnés immédiatement par Dieu, comme on l'a vu. Ils sont donc dans l'ordre qui convient.

Réponse

Nous savons déjà que les préceptes du décalogue formulent des données immédiatement accessibles à l'esprit humain. Or il paraît bien qu'une donnée est d'autant plus accessible à la raison que son contraire y est opposé davantage et plus gravement. Et comme c'est dans la fin que l'ordre de la raison trouve son principe, ce qui par-dessus tout s'oppose à la raison, c'est le dérèglement au regard de la fin. Or la fin de la vie et de la société humaine est Dieu. Le décalogue devait donc, dans ses premiers préceptes, organiser les rapports de l'homme avec Dieu, puisque ce les contrarie est le plus grave de tous les maux. Il en va de même dans une armée où le chef, à l'instar d'une fin, joue un rôle ordonnateur : avant tout, le soldat doit être soumis au chef, si bien que la faute suprême serait l'insubordination ; ensuite le soldat doit entretenir avec les autres les rapports qui conviennent.

Parmi les préceptes qui règlent nos rapports avec Dieu, nous trouvons en premier lieu que l'homme lui soit fidèlement soumis, sans aucune collusion avec ses ennemis. Ensuite, que l'homme lui témoigne de la révérence, et enfin qu'il s'applique à le servir. Dans une armée aussi il est plus grave pour un soldat de pécher par traîtrise en pactisant avec l'ennemi que de manquer de respect envers le chef, et ceci est plus grave qu'une certaine insuffisance dans le service du chef.

Passons aux préceptes qui règlent les rapports avec le prochain. Sans conteste, il est plus contraire à la raison et c'est un péché plus grave de manquer à ce que l'on doit à l'égard des personnes envers qui l'on est le plus obligé. Et ainsi vient en tête de ces préceptes celui qui regarde les parents. Mais les autres se classent aussi selon la gravité des péchés. Il est plus grave, plus contraire à la raison, de pécher par action que par parole, et de pécher par parole que par pensée. Et parmi les péchés en action, l'homicide qui supprime une vie humaine déjà existante est plus grave que l'adultère qui rend incertaine une filiation ; et l'adultère est plus grave que le vol, qui ne s'en prend qu'à des biens extérieurs.

Solutions

1. Suivant les lois de la connaissance sensible, le prochain nous est connu plus que Dieu ; néanmoins, nous verrons au traité de la charité que l'amour de Dieu est la raison de l'amour du prochain. L'ordre des préceptes s'en trouve justifié.

2. Comme Dieu est principe d'être pour tout l'univers, le père est aussi un principe d'être pour le fils ; on conçoit donc bien que le précepte relatif aux parents fasse suite aux préceptes qui regardent Dieu. Quant à l'argument allégué, il ne vaut que si les préceptes affirmatifs et les préceptes négatifs se rapportent à une seule et même catégorie d'actes. Et même en ce cas il ne vaut pas absolument, car si dans l'ordre de réalisation il est vrai que l'on doive extirper les vices avant d'implanter les vertus, comme le suggère le Psaume (Psaumes 34.15) : « Détourne-toi du mal et fais le bien », et Isaïe (Ésaïe 1.16 s) : « Cessez de mal faire et apprenez à faire le bien », il reste que dans l'ordre de la connaissance la vertu précède le péché, parce que, selon l'observation d'Aristote, « ce qui est droit fait connaître ce qui est tordu ». Et au dire de S. Paul aux Romains (Romains 3.20), « c'est la loi qui donne la connaissance du péché ». Ce serait donc un argument pour donner la priorité aux préceptes affirmatifs. Pourtant telle n'est pas la raison, mais bien celle qu'on a donnée ci-dessus, qui explique l'ordre des préceptes. Parmi les préceptes de la première table, qui regardent Dieu, c'est le précepte affirmatif qui vient en dernier lieu, parce que sa transgression entraîne une moindre culpabilité.

3. Bien que le péché en pensée soit le premier dans l'exécution, son interdiction ne vient qu'ensuite à notre esprit.


7. La présentation des préceptes du décalogue ?

Objections

1. Elle ne semble pas heureuse. Les préceptes affirmatifs prescrivent les actes vertueux, et les préceptes négatifs interdisent les actes vicieux ; mais cette opposition du vice à la vertu se vérifie en tout domaine, et donc c'est en tout domaine réglé par les préceptes du décalogue qu'il y avait lieu de poser un précepte négatif. Quelques échantillons de chaque espèce ne suffisent pas.

2. Pour S. Isidore « toute loi se fonde sur une raison ». Cette raison devait être exprimée non seulement à propos du premier et du troisième préceptes, mais à propos de tous les préceptes du décalogue puisque tous appartiennent à la loi divine.

3. En observant les préceptes, on mérite de Dieu une récompense, et les récompenses sont l'objet de promesses divines. Une promesse devait donc accompagner chacun des préceptes, et non pas seulement le premier et le quatrième.

4. La loi ancienne s'appelle loi de crainte parce qu'elle faisait observer les préceptes sous la menace de châtiments. Comme tous les préceptes du décalogue appartiennent à la loi ancienne, tous devraient être assortis d'une telle menace, et pas seulement le premier et le deuxième.

5. Tous les préceptes de Dieu doivent être gravés dans la mémoire : « Inscris-les, lit-on dans les Proverbes (Proverbes 3.3), sur les tablettes de ton cœur. » Il est donc anormal qu'on ne fasse appel à la mémoire que pour le troisième précepte. Tout cela donne à penser que les préceptes du décalogue sont mal présentés.

En sens contraire, le livre de la Sagesse (Sagesse 11.21) assure que « Dieu a tout fait avec nombre, poids et mesure ». Quand il formulait les préceptes de sa loi il a dû tout spécialement procéder d'une manière appropriée.

Réponse

Une sagesse sans défaut habite les préceptes de la loi divine, ce qui fait dire au Deutéronome (Deutéronome 4.6) : « C'est là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des nations. » Comme le propre du sage est de tout disposer comme il faut et avec ordre, la présentation des préceptes de la loi est évidemment satisfaisante.

Solutions

1. Toute affirmation entraîne la négation de son contraire, mais la négation d'un terme n’entraîne pas toujours l'affirmation du terme opposé. Ainsi, qu'une chose soit blanche, il s'ensuit qu'elle n'est pas noire ; mais de ce qu'elle ne soit pas noire, il ne s'ensuit pas qu'elle est blanche, car la négation a plus d'extension que l'affirmation. Ainsi, ne faire tort à personne est un précepte négatif qui, suivant la dictée première de la raison, s'étend à plus de personnes que l'obligation de rendre un service ou d'intervenir effectivement en faveur de quelqu'un. Mais la première dictée de la raison prescrit à l'homme qu'il doit service ou bienfait à ceux dont il a reçu, jusqu'à ce qu'il se trouve quitte. Or il y a deux êtres, Dieu et le père, dont les bienfaits sont tels que nul n'est jamais quitte à leur endroit, comme l'a noté Aristote. Il suffisait donc de deux préceptes affirmatifs, l'un d'honorer les parents, l'autre de célébrer le sabbat en mémoire des bienfaits de Dieu.

2. Les préceptes qui sont purement moraux n'ont pas besoin qu'on en exprime le motif, celui-ci étant évident. Mais parfois au précepte s'ajoute un élément cérémonial, ou encore une détermination du précepte moral universel. C'est le cas du premier précepte : « Tu ne feras pas d'image taillée », et du troisième où le jour du sabbat est déterminé. Dans l'un et l'autre cas il y avait donc lieu de marquer le motif du précepte.

3. Les hommes n'agissent le plus souvent que dans leur intérêt. C'est pourquoi il fallait assortir d'une promesse de récompense les préceptes qui pouvaient paraître sans profit ou même onéreux. Or les parents sont sur le déclin, on n'attend plus rien d'eux; aussi une promesse est-elle attachée au précepte de les honorer. Il en va de même pour l'interdiction de l'idolâtrie, précepte qui semblait empêcher les avantages apparents que l'on escompte d'un pacte avec les démons.

4. Les peines sont nécessaires surtout pour retenir ceux qui sont enclins au mal, explique Aristote. Les préceptes de la loi ne se présentent donc que dans les domaines où l'on constate une pente vers le mal. Ainsi la pratique générale des nations païennes invitait à l'idolâtrie, et l'on était exposé au parjure par la fréquence même des serments : les deux préceptes correspondants furent donc accompagnés d'une menace.

5. Le précepte du sabbat étant commémoratif d'un bienfait passé, il lui appartenait de faire appel à la mémoire. — On pourrait dire aussi qu'à ce précepte est annexée une détermination qui ne relève pas de la loi naturelle et qu'à ce titre il méritait spécialement d'être gravé dans la mémoire.


8. Les préceptes du décalogue souffrent-ils dispense ?

Objections

1. Les préceptes du décalogue sont du droit de nature ; mais ce droit, constate Aristote, est, comme la nature même de l'homme, sujet à des changements et à des défaillances. Or quand une loi est en défaut touchant certains cas particuliers, on sait qu'il y a lieu d'en dispenser.

2. Ce que l'homme peut à l'égard de la loi humaine, Dieu le peut à l'égard de la loi divine. Puisque l'homme peut dispenser des préceptes d'une loi établie par l'homme, Dieu qui a établi les préceptes du décalogue peut en dispenser ; et puisque les supérieurs tiennent sur terre la place de Dieu, selon ce mot de S. Paul (2 Corinthiens 2.10) : « Si j'ai accordé quelque chose, je l'ai fait pour vous au nom du Christ », il s'ensuit que les supérieurs peuvent aussi dispenser des préceptes du décalogue.

3. L'interdiction de l'homicide est un précepte du décalogue dont les hommes dispensent manifestement : selon les dispositions de la loi humaine il est légitime de mettre à mort certains hommes, malfaiteurs ou ennemis. C'est la preuve que l'on peut dispenser des préceptes du décalogue.

4. La célébration du sabbat, autre précepte du décalogue, a fait l'objet de dispense. Le fait est relaté dans le livre premier des Maccabées (1 Maccabées 2.41) : « Ils prirent en ce jour-là cette décision : Tout homme qui viendra guerroyer contre nous le jour du sabbat, nous combattrons contre lui. » Donc les préceptes du décalogue sont susceptibles de dispense.

En sens contraire, Isaïe (Ésaïe 24.5) réprimande ceux qui « ont violé les lois, rompu l'alliance éternelle », ce qui s'entend avant tout des préceptes du décalogue. Il n'est donc pas permis d'y porter atteinte par la dispense.

Réponse

On l'a dit, il faut dispenser d'un précepte lorsqu'il se présente un cas particulier où l'application littérale de la loi irait contre l'intention du législateur. Or l'intention de tout législateur vise en premier lieu et principalement le bien commun, secondairement un ordre de justice et de vertu qui garantit ce bien commun et qui permet d'y atteindre. Si donc il existe des préceptes impliquant précisément la sauvegarde du bien commun ou l'ordre de justice et de vertu, ces préceptes contiennent l'intention du législateur et excluent toute dispense. Supposons par exemple dans une cité le précepte interdisant de renverser l'État, ou de livrer la ville aux ennemis, ou de faire quoi que ce soit d'injuste et de mauvais : ces dispositions ne souffriraient aucune dispense. Mais s'il était porté d'autres préceptes, ordonnés aux premiers et déterminant telles conduites particulières, ici la dispense serait possible, pourvu que dans les cas considérés elle ne porte aucun préjudice aux préceptes précédents qui contiennent l'intention du législateur. Si par exemple, dans une ville assiégée, on décidait pour la sécurité publique de confier la défense à des vignes recrutés dans chaque quartier, certaines dispenses individuelles seraient admissibles en vue d'un avantage plus grand.

Or les préceptes du décalogue expriment justement l'intention de Dieu, le législateur. Ceux de la première table, relatifs à Dieu, énoncent pour lui-même l'attachement au bien commun et final qui est Dieu ; ceux de la seconde table énoncent l'ordre juste qui doit régner entre les hommes, nul tort n'étant fait à personne et chacun recevant son dû. C'est en ce sens qu'il faut entendre les préceptes du décalogue, et c'est pourquoi ils ne souffrent aucune sorte de dispense.

Solutions

1. À cet endroit, Aristote ne parle pas de ce droit de nature qui exprime précisément l'ordre de justice ; il n'y a en effet jamais d'exception au devoir d'observer la justice. Il fait allusion à telles manières déterminées d'observer la justice qui peuvent parfois être mises en échec.

2. S. Paul dit aussi (2 Timothée 2.13) : « Dieu demeure fidèle et ne peut se renier. » Il se renierait si l'ordre même de la justice était aboli par lui, puisqu'il est, lui, la justice même. Dieu ne peut donc dispenser l'homme ni d'être en règle avec lui ni de se soumettre à l'ordre de sa justice même dans les matières qui concernent le commerce des hommes entre eux.

3. Le décalogue interdit l'homicide en tant qu'acte indu ; en ce sens le précepte inclut l'idée même de justice. Or la loi humaine ne peut permettre qu'un homme soit tué injustement. Mais il n'est pas injuste de tuer les malfaiteurs ou les ennemis de l’État, et cela ne va pas contre le précepte du décalogue. L'acte de tuer, dans ces conditions, diffère de l'homicide prohibé par le décalogue au jugement de S. Augustin. De même, dépouiller quelqu'un de ce qui était à lui, si c'est à bon droit qu'on le lui ôte, ce n'est pas vol ou rapine prohibés par le précepte du décalogue. — Par conséquent, lorsque les enfants d'Israël, sur l'ordre de Dieu, emportèrent les dépouilles des Égyptiens, ce ne fut pas un vol ; elles leur étaient dues par sentence divine. — Et lorsque Abraham accepta de tuer son fils, il ne consentit pas à un homicide : Dieu, qui est maître de la vie et de la mort l'ayant ordonnée, cette mort était de droit. C'est Dieu en effet qui inflige à tous, justes et injustes, cette peine de mort, à cause du péché du premier père ; et l'homme divinement mandaté pour exécuter cette sentence ne sera pas un homicide, pas plus que Dieu. — De même, les relations d'Osée avec une prostituée ou avec une famine adultère ne constituaient ni une fornication ni un adultère, parce que cette femme était sienne par l'ordre de Dieu qui a fondé l'institution du mariage.

Ainsi les préceptes du décalogue, quant à la raison de justice qu'ils impliquent, sont invariables. Mais dans l'application aux cas d'espèce, telle détermination, par exemple que tel ou tel acte soit ou non un homicide, un vol ou un adultère, cela n'est pas immuable. Tantôt le changement procède exclusivement de l'autorité de Dieu, pour ce qui tient à la seule institution divine, comme le mariage ; tantôt intervient l'autorité humaine, dans les matières confiées à la juridiction des hommes. À cet égard, les hommes agissent au nom de Dieu, mais non dans tous les cas.

4. Cette décision fut moins une dispense qu'une interprétation du précepte. Le Christ a montré (Matthieu 12.3) qu'on n'est pas coupable de violer le sabbat quand on exerce une activité indispensable à la vie humaine.


9. La modalité vertueuse de l'acte tombe-t-elle sous le précepte ?

Objections

1. La modalité vertueuse de l'acte consiste à faire selon la justice les actes de justice, à faire avec force les actes de force, et ainsi de suite pour toutes les vertus. Or le Deutéronome (Deutéronome 16.20) prescrit : « Exerce le droit en rigueur de justice. » Donc la modalité vertueuse tombe sous le précepte.

2. Ce qui tombe d'abord sous le précepte, c'est ce qu'a en vue le législateur. Mais, Aristote assure que l'intention principale du législateur est de rendre les hommes vertueux. Si le propre du vertueux est d'agir vertueusement, cette circonstance n'est pas étrangère au précepte.

3. Si l'on admet que la modalité vertueuse de l'acte consiste précisément en ce qu'il est accompli volontiers et avec plaisir, cela tombe sous le précepte de la loi divine : « Servez le Seigneur dans la joie » (Psaumes 100.2) ; et S. Paul (2 Corinthiens 9.7) : « Non pas à contrecœur et par contrainte, car Dieu aime qui donne avec joie. » Ce dernier texte est ainsi commenté par la Glose : « Le bien que tu fais, fais-le dans la joie et tu le feras bien ; si tu le fais de mauvais gré, il se fait à tes dépens mais tu ne le fais pas. » Preuve que la modalité vertueuse tombe sous le précepte de la loi.

En sens contraire, pour agir à la manière du vertueux il faut être soi-même vertueusement qualifié, explique Aristote. Et comme d'autre part quiconque enfreint un précepte légal mérite d'être puni, on en viendrait à conclure que celui qui n'est pas vertueux, quoi qu'il fasse, mérite d'être puni. Or telle n'est pas l'intention de la loi ; elle entend conduire les hommes à la vertu en les accoutumant à faire des actes bons. Le mode de la vertu ne tombe donc pas sous le précepte.

Réponse

Le précepte légal ayant, comme nous le savons, une force contraignante, ce qui tombe directement sous le précepte tombe sous la contrainte légale, et comme la contrainte légale a pour moyen la menace de la peine, au jugement d'Aristote, ce qui tombe proprement sous le précepte c'est ce qui est légalement sanctionné par une peine. Mais dans l'organisation des peines la loi divine et la loi humaine procèdent différemment. En effet, toute peine légale procédant d'un jugement, le législateur ne peut en édicter que dans les matières qui sont de son ressort. Or le législateur humain n'a compétence que pour juger des actes extérieurs, car les hommes « ne voient que ce qui paraît » (1 Samuel 16.7). Dieu seul, auteur de la loi divine, peut juger les mouvements intimes de la volonté, lui qui « sonde les reins et les cœurs » (Psaumes 7.10).

Cela posé, on peut dire que la modalité vertueuse, en un premier sens, est visée tant par la loi divine que par la loi humaine ; en un autre sens, qu'elle est visée par la seule loi divine, et en un troisième sens, qu'elle échappe à la loi divine comme à la loi humaine. Car il y a trois éléments à considérer selon Aristote dans la modalité vertueuse. Le premier est un élément de connaissance dans l’action, et celui-là est pris en considération tant par la loi divine que par la loi humaine, car agir sans savoir ce que l'on fait, ce n'est pas proprement agir. Ainsi, compte tenu de ce qui tient à la seule institution divine, comme le mariage ; tantôt intervient l'autorité humaine, dans les matières confiées à la juridiction des hommes. À cet égard, les hommes agissent au nom de Dieu, mais non dans tous les cas.

4. Cette décision fut moins une dispense qu'une interprétation du précepte. Le Christ a montré (Matthieu 12.3) qu'on n'est pas coupable de violer le sabbat quand on exerce une activité indispensable à la vie humaine.


10. La modalité que donne la charité tombe-t-elle sous le précepte de la loi divine ?

Objections

1. On lit en S. Matthieu (Matthieu 19.17) « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » Il suffit donc d'observer les commandements pour être introduit dans la vie. Or les bonnes œuvres n'y suffisent que si elles sont faites par charité, comme l'Apôtre l'écrit (1 Corinthiens 13.3) : « Quand je distribuerais tous mes biens pour nourrir les pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » Il s'ensuit que la pratique des commandements inclut le mode de la charité.

2. Ce mode, en somme, consiste à faire tout en vue de Dieu ; mais cela tombe sous un précepte : « Faites tout, dit l'Apôtre dans la même épître (1 Corinthiens 10.31), pour la gloire de Dieu. »

3. Sinon, on pourrait accomplir les préceptes de la loi sans avoir la charité, donc sans avoir la grâce, celle-ci étant toujours liée à la charité. Or c'est là une erreur pélagienne, dénoncée par S. Augustin. Donc le mode de la charité est de précepte.

En sens contraire, si le mode de la charité tombait sous le précepte, tout acte ne procédant pas de la charité constituerait un manquement au précepte, c'est-à-dire un péché mortel. Ainsi quiconque serait privé de la charité et par conséquent incapable d'agir sous ce mode, ne pourrait que pécher mortellement, quoi qu'il fasse, même dans l'ordre du bien. Ce qui est contradictoire.

Réponse

Deux opinions opposées ont été soutenues à ce sujet. Pour les uns, le mode de la charité est purement et simplement de précepte. Il ne s'ensuit pas que celui qui n'a pas la charité soit incapable d'observer ce précepte, puisqu'il lui est loisible de se disposer de façon que la charité lui soit infusée par Dieu ; ni qu'il pèche mortellement quoi qu'il fasse dans l'ordre du bien, puisque le précepte qui enjoint d'agir par charité est affirmatif, donc n'exige pas un accomplissement ininterrompu, mais oblige aussi longtemps qu'on a la charité. — Pour les autres, d'aucune façon, le mode de la charité ne tombe sous le précepte.

Il y a du vrai dans l'une et l'autre opinion. L'acte de la charité peut en effet être considéré de deux manières. D'abord, comme un acte déterminé, pris à part ; ainsi entendu, il tombe sous le précepte légal qui en est expressément donné : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » (Deutéronome 6.5), et : « Tu aimeras ton prochain » (Lévitique 19.18). En ce sens la première opinion est dans le vrai, car il n'est pas impossible d'observer ce précepte qui impose l'acte de charité ; l'homme peut se disposer à recevoir la charité, et il peut l'exercer quand il l'a reçue.

D'autre part, on peut considérer l'acte de charité en tant qu'il imprime un mode aux actes des autres vertus du fait que ceux-ci sont ordonnés à la charité, « fin du précepte ». On a vu déjà que l'intention de la fin affecte d'une modalité typique l'acte ordonné à cette fin. Et en ce sens la seconde opinion dit bien que le mode de charité ne tombe pas sous le précepte, entendez tel précepte particulier ; celui-ci par exemple : « Honore ton père », n'oblige pas à honorer le père par charité, mais strictement à l'honorer. Ainsi celui qui honore son père, tout en étant dépourvu de charité, n'enfreint pas ce précepte-là, quand même il enfreindrait le précepte concernant l'acte de charité et mériterait d'être puni pour cette transgression.

Solutions

1. Le Seigneur n'a pas dit : « Si tu veux entrer dans la vie, observe un commandement », mais « tous les commandements », y compris celui de l'amour de Dieu et du prochain.

2. La teneur du précepte de la charité est d'aimer Dieu de tout son cœur, ce qui implique qu'on rapporte tout à Dieu ; autrement il n'y a pas moyen d'observer le précepte de la charité. Ainsi, lorsqu'on honore ses parents, on est tenu de le faire par charité, mais cela ne relève pas du précepte : « Honore tes parents », cela découle du précepte : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. » Et comme ce sont là deux préceptes affirmatifs qui n'obligent pas de manière ininterrompue, il n'est pas nécessaire qu'ils obligent simultanément. Ainsi peut-il arriver qu'on accomplisse le précepte de la piété filiale sans enfreindre en même temps par omission le précepte relatif au mode de la charité.

3. Il est impossible à l'homme d'observer tous les préceptes de la loi sans accomplir le précepte de la charité. Comme cela ne va pas sans la grâce, il est impossible de soutenir avec Pélage que l'homme pourrait sans la grâce accomplir la loi.


11. Peut-on distinguer dans la loi, d'autres préceptes moraux ?

Objections

1. En S. Matthieu (Matthieu 22.40), le Seigneur enseigne que « des deux préceptes de l'amour dépendent toute la loi et les prophètes ». Ces deux préceptes étant développés dans les dix préceptes du décalogue, il n'est pas besoin d'autres préceptes moraux.

2. Aux préceptes moraux s'opposent, avons-nous dit, les préceptes judiciaires et les préceptes cérémoniels, où des déterminations sont apportées aux préceptes généraux de la moralité. Quant à ces préceptes généraux de la moralité, ils appartiennent au décalogue ou même lui sont présupposés. Il n'y a donc pas lieu de formuler d'autres préceptes moraux en plus du décalogue.

3. Ces préceptes moraux, on l'a dit, concernent les actes de toutes les vertus. Ainsi donc, de même qu'il y a dans la loi, en plus du décalogue, des préceptes moraux relatifs à la religion, à la libéralité, à la miséricorde, à la chasteté, il devrait y en avoir touchant les autres vertus, comme la force, la sobriété. Or on ne trouve rien de tel. C'est donc que l'articulation des autres préceptes moraux de la loi, en dehors du décalogue, n'est pas correcte.

En sens contraire, « la loi du Seigneur est sans tache, elle convertit les âmes » (Psaumes 19.8). Or les autres prescriptions morales qui s'ajoutent au décalogue, elles aussi, aident l'âme à éviter la tache du péché et à se convertir à Dieu. Il revenait donc à la loi de formuler aussi ces autres préceptes moraux.

Réponse

Nous l'avons dit, en matière judiciaire et cérémonielle, un précepte ne vaut que parce qu'il a été institué, c'est-à-dire qu'auparavant on pouvait indifféremment faire ceci ou cela. Mais en matière morale, les préceptes empruntent leur force au verdict de la raison naturelle, même s'ils ne sont jamais imposés par une loi. Or on distingue trois degrés parmi ces préceptes. Il en est qui sont absolument universels et d'une évidence telle qu'ils ne requièrent aucune promulgation, par exemple les commandements relatifs à l'amour de Dieu et du prochain ou d'autres analogues, avons-nous dit, qui jouent le rôle de fins par rapport aux préceptes, en sorte qu'à leur endroit nul ne risque de se tromper s'il juge selon sa raison. Il en est de plus déterminés, tels que le premier venu, fût-il sans instruction, en reconnaît aisément le bien-fondé, mais qui ont besoin d'être promulgués parce que, exceptionnellement, il arrive à certains esprits de n'en pas juger correctement : tels sont les préceptes du décalogue. Il en est enfin dont le bien-fondé n'apparaît pas ainsi à tous les yeux mais seulement aux yeux du sage : et ce sont les préceptes moraux ajoutés au décalogue et que Dieu a communiqués au peuple par le ministère de Moïse et d'Aaron.

Mais, comme on part de ce qui est clairement connu pour connaître le reste, ces autres préceptes moraux ajoutés au décalogue se ramènent à ses préceptes dont ils sont en quelque sorte le complément. Considérons en effet le premier précepte du décalogue ; il interdit le culte des dieux étrangers; en renfort voici d'autres préceptes prohibant ce qui se rattache au culte idolâtrique : « Que nul chez toi ne fasse passer son fils ou sa fille par le feu, ne pratique les maléfices ou les incantations, ne consulte les devins ou les sorciers ou n'interroge les morts » (Deutéronome 18.10 s.). — Le second précepte, prohibant le parjure, se complète par l'interdiction du blasphème (Lévitique 24), et de l'enseignement hétérodoxe (Deutéronome 13). — Au précepte du sabbat sont annexées toutes les dispositions cérémonielles. — Au quatrième précepte, touchant l'honneur dû aux parents, s'ajoute le précepte sur les égards envers les vieillards (Lévitique 19.32) : « Devant une tête blanchie lève-toi et honore la personne du vieillard », et encore, d'une manière générale, tous ceux qui prescrivent le respect des supérieurs et les bons procédés envers les égaux et les inférieurs. — La prohibition de l'homicide par le cinquième précepte se développe en interdiction de la haine et de toute entreprise contre le prochain (Lévitique 19.16) : « Tu ne te dresseras pas contre le sang de ton prochain », comme aussi de la haine fraternelle : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur » (v. 17). — Le sixième précepte, qui condamne l'adultère, se complète par les préceptes interdisant la prostitution (Deutéronome 23.17) : « Il n'y aura pas de courtisane chez les filles d'Israël, ni de prostitué parmi les fils d'Israël » ; ou le vice contre nature : « Tu n'auras pas de rapports honteux avec un garçon, tu n'iras avec aucune bête » (Lévitique 18.22 s.). — Au septième précepte, contre le vol, se rattachent le précepte prohibant l'usure : « Tu prêteras à ton frère sans intérêt » (Deutéronome 23.19), celui qui prohibe la fraude : « Tu n'auras pas dans ton sac plusieurs sortes de poids » (Deutéronome 25.13) et, en général, tous ceux qui condamnent mauvaise foi et rapine. — Le huitième précepte, qui porte interdiction du faux témoignage, se complète par la prohibition du faux jugement : « Tu ne t'écarteras pas de la vérité dans le jugement, pour suivre le sentiment du grand nombre » (Exode 23.2) ; par la prohibition du mensonge : « Tu fuiras le mensonge » (v. 7) et par celle de la diffamation : « Tu ne sèmeras pas les accusations et les insinuations parmi le peuple » (Lévitique 19.16). — Quant aux deux derniers préceptes, il n'y a rien à y ajouter, puisqu'ils interdisent toute convoitise mauvaise sans exception.

Solutions

1. Tous les préceptes moraux se rattachent à l'amour de Dieu et du prochain ; seulement le caractère obligatoire est manifeste dans les préceptes du décalogue, tandis qu'il est moins apparent dans les autres.

2. Si les préceptes judiciaires et cérémoniels apportent aux préceptes du décalogue certaines déterminations, celles-ci doivent leur force au fait qu'elles ont été posées, mais non à l'impulsion de la nature, comme pour les préceptes moraux complémentaires.

3. C'est en référence au bien commun que s'organisent les préceptes de la loi. Or les vertus qui règlent les rapports avec autrui intéressent directement le bien commun, et il en va de même de la chasteté, l'œuvre de chair concourant au bien commun de l'espèce. Aussi, relativement à ces vertus, les préceptes sont donnés directement, dans le décalogue ou dans ses annexes. Mais le précepte concernant l'exercice de la force doit être proposé par ceux qui conduisent le peuple et l'encouragent dans les combats entrepris pour le bien commun ; le Deutéronome (Deutéronome 20.3) confie ce rôle au prêtre : « Ne faiblissez pas, ne reculez pas. » De même la répression de la gourmandise, vice contraire au bien commun domestique, relève des avertissements paternels comme le montre ce passage du Deutéronome (Deutéronome 21.20) qui met en scène des parents : « Il refuse d'écouter nos avis, il passe son temps dans la débauche, les plaisirs et les banquets. »


12. Les préceptes moraux de la loi ancienne justifiaient-ils ?

Objections

1. Il semble bien. « Ce ne sont pas, dit l'Apôtre (Romains 2.13), ceux qui écoutent lire la loi qui sont justes aux yeux de Dieu ; ceux-là seront justifiés qui la mettent en pratique. » Mettre la loi en pratique, c'est en observer les préceptes; par conséquent l'observation des préceptes de la loi procurait la justification.

2. De même (Lévitique 18.5) : « Vous observerez mes lois et mes ordonnances, dit le Seigneur ; en les accomplissant l'homme vivra par elles. » Or c'est par la justice qu'on vit spirituellement; donc l'observation des préceptes justifiait.

3. Enfin la loi humaine justifie, car il y a une sorte de justice à en pratiquer les préceptes. La loi divine étant plus efficace que la loi humaine, ses préceptes justifiaient donc.

En sens contraire, l'Apôtre déclare dans la seconde aux Corinthiens que « la lettre tue » (2 Corinthiens 3.6) ; ce qu'il faut entendre, avec S. Augustin, même des préceptes moraux. C'est donc que ceux-ci ne justifiaient pas.

Réponse

Est sain, en premier lieu et au sens propre, l'être qui possède la santé ; ensuite, secondairement, ce qui entretient la santé ou qui en est la manifestation. Analogiquement, au sens premier et propre, le mot justification veut dire réalisation de la justice ; ensuite, selon une acception dérivée et moins stricte, il peut s'entendre soit de ce qui signifie la justice, soit de ce qui y dispose, et il n'est pas douteux qu'à le prendre ainsi les préceptes de la loi justifiaient : en ce sens qu'ils disposaient les hommes à la grâce du Christ qui justifie et même qu'ils la signifiaient puisque, de l'avis de S. Augustin « la vie même de ce peuple avait un caractère prophétique et préfigurait le Christ ».

Mais nous parlons de la justification au sens propre. Alors il y a lieu de remarquer que la justice peut être considérée comme une qualité qu'on a, ou comme un caractère de l'acte, ce qui donne un double sens à la justification. Ou bien l'on veut dire que l'homme est rendu juste, obtenant l'habitus de justice ; ou bien que l'homme fait des œuvres de justice, en sorte que la justification ne soit rien d'autre que la mise en œuvre de la justice.

1° La justice, comme toutes les vertus, peut s'entendre, on le sait, d'une qualité acquise aussi bien qu'infuse. Ce sont les œuvres qui causent la justice acquise, mais la justice infuse n'a d'autre cause que Dieu par sa grâce, et telle est la véritable justice dont il est ici question, celle qui permet de qualifier quelqu'un de juste devant Dieu, selon le langage de S. Paul (Romains 4.2) : « Si Abraham a été justifié par les œuvres de la loi, il a de quoi se glorifier. Mais non au regard de Dieu. » Les préceptes moraux qui concernent des actes humains ne pouvaient donc pas causer cette sorte de justice et, en ce sens, les préceptes moraux ne pouvaient justifier en causant la justice.

2° Si maintenant on entend par justification la mise en œuvre de la justice, alors les préceptes de la loi justifiaient, en tant qu'ils contenaient quelque chose de juste en soi ; mais ces sacrements de la loi ancienne ne conféraient pas la grâce comme la confèrent les sacrements de la loi nouvelle, dont on dit, à cause de cela, qu'ils justifient, mais à des titres divers. Dans leur intention générale, il est vrai, comme contribution au culte divin, les préceptes cérémoniels incluaient essentiellement la justice ; mais dans le détail de leurs dispositions ils ne contenaient pas essentiellement la justice, sinon par la seule détermination de la loi divine. Aussi admet-on que ces préceptes ne justifiaient qu'en vertu de la dévotion et de l'obéissance de ceux qui les pratiquaient. — Quant aux préceptes moraux et judiciaires, dans leur signification générale, mais aussi dans leurs dispositions spécifiques, ils exprimaient ce qui était essentiellement juste ; avec cette différence toutefois que le juste essentiel impliqué dans les préceptes moraux relevait de la justice générale qui rejoint toute vertu, selon Aristote, tandis que les préceptes judiciaires relevaient de cette justice particulière dont le domaine se circonscrit aux engagements réciproques qui se nouent entre les hommes dans une société policée.

Solutions

1. Dans le texte allégué, l'Apôtre entend la justification comme la mise en œuvre de la justice.

2. Celui qui accomplissait les préceptes de la loi, on peut dire qu'il vivait par eux, car il échappait à la peine de mort que la loi édictait contre les délinquants. La formule est alléguée en ce sens par S. Paul (Galates 3.12).

3. Les préceptes de la loi humaine justifient selon la justice acquise ; mais celle-ci ne nous intéresse pas pour le moment, et c'est sur la justice devant Dieu que nous nous interrogeons.


LES PRÉCEPTES CÉRÉMONIELS

Il faut d'abord les étudier en eux-mêmes (Q. 101). Ensuite étudier leur raison d'être (Q. 102). Enfin leur durée (Q. 103).

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