Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

2. L'ACTE INTÉRIEUR DE FOI

  1. Qu'est-ce que « croire », qui est l'acte intérieur de foi ?
  2. De combien de manières emploie-t-on le mot « croire » ?
  3. Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui dépasse la raison naturelle ?
  4. Est-il nécessaire de croire ce que peut atteindre la raison naturelle ?
  5. Est-il nécessaire au salut de croire explicitement certaines vérités ?
  6. Tous sont-ils également tenus de croire explicitement ?
  7. Est-il toujours nécessaire au salut de croire explicitement au Christ ?
  8. Est-il nécessaire au salut de croire explicitement à la Trinité ?
  9. L'acte de foi est-il méritoire ?
  10. La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?

1. Qu'est-ce que « croire », qui est l'acte intérieur de foi ?

Objections

1. On a défini croire : « Réfléchir en donnant son assentiment. » Mais réfléchir implique une certaine recherche, car réfléchir (cogitare) se dit au sens d'agiter plusieurs pensées. Mais S. Jean Damascène a dit que la foi « est un consentement sans discussion ». Donc réfléchir n'appartient pas à l'acte de foi.

2. Nous le dirons plus loin : la foi réside dans la raison. Mais l'acte de réfléchir est l'acte de la puissance cogitative qui, comme nous l'avons dit dans la première Partie, appartient à l'appétit sensible. Elle n'a donc rien de commun avec la foi.

3. Croire est un acte de l'intelligence, puisqu'il a pour objet le vrai. Or, donner son assentiment n'est pas, semble-t-il, un acte de l'intelligence, mais de la volonté, comme celui de donner son consentement que nous avons étudié plus haut. Croire n'est donc pas l'acte de réfléchir en donnant son assentiment.

En sens contraire, S. Augustin définit ainsi l'acte de croire.

Réponse

Réfléchir peut se prendre en trois sens. D'abord d'une façon tout à fait générale, dans le sens de n'importe quelle application actuelle de la pensée, comme S. Augustin dit : « Nous possédons cette intelligence par laquelle nous comprenons en réfléchissant. » D'une autre façon, on appelle plus proprement réfléchir l'application d'esprit qui s'accompagne d'une certaine recherche avant qu'on soit parvenu à une parfaite intelligence des choses par la certitude que procure la vision. C'est ce qui fait dire à S. Augustin : « Le Fils de Dieu est appelé non pas la réflexion mais le Verbe de Dieu, car c'est seulement lorsque notre réflexion parvient au savoir et qu'à partir de là elle est formée, qu'elle constitue vraiment notre verbe. Et c'est pourquoi le Verbe de Dieu doit s'entendre sans la réflexion, n'ayant rien en lui qui soit encore en formation et puisse être sans forme. » Ainsi, on donne proprement le nom de réflexion au mouvement de l'esprit lorsqu'il délibère sans être encore arrivé à son point de perfection par la pleine vision de la vérité. Mais cette sorte de mouvement peut être soit d'un esprit qui délibère à propos d'idées générales, ce qui ressortit à l'intelligence, soit d'un esprit qui délibère à propos d'idées particulières, ce qui ressortit à la faculté sensible. Voilà comment réfléchir est pris d'une deuxième façon pour l'acte de l'intelligence lorsqu'elle délibère ; d'une troisième façon pour l'acte de la faculté cogitative.

D'après cela, si l'on prend l'acte de réfléchir dans son acception commune selon la première manière, lorsqu'on dit « réfléchir en donnant son assentiment », on ne dit pas totalement ce qui fait l'acte de croire, car, dans ce sens, même celui qui considère les choses dont il a la science ou l'intelligence réfléchit avec assentiment. En revanche, si l'on prend l'acte de réfléchir dans le deuxième sens, on y saisit toute la définition de cet acte précis qui consiste à croire. Parmi les actes de l'intelligence, en effet, certains comportent une adhésion ferme sans cette espèce de réflexion, comme il arrive quand on considère les choses dont on a la science ou l'intelligence, car une telle considération est désormais formée. Mais certains actes de l'intelligence comportent une réflexion informe et sans adhésion ferme, soit qu'ils ne penchent d'aucun côté, comme il arrive à celui qui doute ; soit qu'ils penchent davantage d'un côté mais sont retenus par quelque léger indice, comme il arrive à celui qui a un soupçon ; soit qu'ils adhèrent à un parti en craignant cependant que l'autre ne soit vrai, comme il arrive à qui se fait une opinion. Mais cet acte qui consiste à croire contient la ferme adhésion à un parti ; en cela le croyant se rencontre avec celui qui a la science et avec celui qui a l'intelligence ; et cependant sa connaissance n'est pas dans l'état parfait que procure la vision évidente ; en cela il se rencontre avec l'homme qui est dans le doute, dans le soupçon ou dans l'opinion. De sorte que c'est bien le propre du croyant de réfléchir en donnant son assentiment. Et c'est par là que cet acte de croire se distingue de tous les actes de l'intelligence concernant le vrai ou le faux.

Solutions

1. Il n'y a pas à l'intérieur de la foi une recherche de la raison naturelle pour démontrer ce que l'on croit. Mais il y a une recherche de ce qui peut amener l'homme à croire : par exemple parce que Dieu l'a dit, et que c'est confirmé par des miracles.

2. Nous ne prenons pas ici l'acte de réfléchir comme un acte de la faculté cogitative, mais comme un acte de l'intelligence, nous venons de le dire.

3. L'intelligence du croyant est déterminée à une chose non par la raison mais par la volonté. Et c'est pourquoi l'assentiment est pris ici pour un acte de l'intelligence en tant qu'elle est déterminée par la volonté à un seul parti.


2. De combien de manières emploie-t-on le mot « croire » ?

Objections

1. Il semble illogique de distinguer l'acte de foi entre « croire Dieu », « croire en Dieu » et « croire à Dieu ». Car un seul habitus n'a qu'un seul acte. Mais la foi est un seul habitus, puisqu'elle est une seule vertu. Il est donc illogique de lui attribuer plusieurs actes.

2. Ce qui est commun à tout acte de foi ne doit pas être posé comme un acte de foi particulier. Or croire Dieu se retrouve communément dans tous les actes de foi, puisque cette foi s'appuie sur la vérité première. Il ne convient donc pas, semble-t-il, de distinguer cela de certains autres actes de la foi.

3. Ce qui convient même à des infidèles ne peut être compté comme un acte de foi. Mais croire que Dieu existe convient même aux infidèles. Donc on ne doit pas compter cela parmi les actes de foi.

4. Le fait de se porter vers une fin appartient à la volonté qui a pour objet le bien et la fin. Mais croire n'est pas un acte de la volonté, c'est un acte de l’intelligence. Donc, on ne doit pas faire de « croire en Dieu » qui implique mouvement vers une fin, une espèce particulière de l’acte de croire.

En sens contraire, cette distinction est de S. Augustin.

Réponse

L’acte d’une puissance ou d’un habitus dépend toujours de l’adaptation de la puissance ou de l’habitus à son objet. Or l’objet de la foi peut se présenter de trois façons. Croire, on vient de le dire, appartient à l’intelligence en tant qu’elle est portée par la volonté à donner son adhésion ; aussi l’objet de foi peut-il se prendre soit du côté de l’intelligence elle-même, soit du côté de la volonté qui la meut. Si on le prend du côté de l’intelligence, on peut voir dans l’objet de foi deux choses, selon ce que nous avons dit plus haut. De ces deux choses, l’une est objet matériel de la foi, et à ce point de vue l’acte de la foi consiste à « croire à Dieu » (Credere Deo) puisque rien ne nous est proposé à croire, avons-nous dit, si ce n’est dans la mesure où cela concerne Dieu. L’autre est la raison formelle de l’objet ; c’est comme le moyen à cause de quoi l’on adhère effectivement à telle et telle chose parmi les réalités à croire et à cet égard l’acte de la foi consiste à « croire Dieu » (Credere Deum) : car, avons-nous dit, l’objet formel de la foi c’est la vérité première, et c’est à elle que l’on s’attache pour adhérer par elle à ce qu’on croit. Enfin, si l’on regarde l’objet de foi de la troisième manière, en tant que l’intelligence est mue par la volonté, alors c’est « croire en Dieu » (Credere in Deum), qui est l’acte de la foi ; car la vérité première se réfère au vouloir en tant qu’elle s’offre comme une fin.

Solutions

1. Par ces trois expressions, nous ne désignons pas divers actes de la foi, mais un seul et même acte ayant diverses relations avec l’objet de la foi.

2. Cela répond encore à la deuxième objection.

3. Croire à Dieu ne se trouve pas chez les infidèles sous l’aspect où nous en faisons l’acte de la foi. Ils ne croient pas que Dieu existe dans ces conditions que détermine la foi. Aussi n’est-ce pas vraiment à Dieu qu’ils croient puisque, selon la remarque du Philosophe, en face d’un être simple notre connaissance est en défaut du seul fait qu’elle n’atteint pas cet être en sa totalité.

4. Comme nous l’avons dit, la volonté meut l’intellect et les autres puissances de l’âme vers sa fin. Et c’est à ce titre que croire en Dieu est donné comme un acte de la foi.


3. Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui dépasse la raison naturelle ?

Objections

1. Il semble que croire ne soit pas nécessaire au salut, car pour son salut et pour sa perfection un être peut toujours se suffire avec ce qui lui convient selon sa nature. Mais ce qui est de foi dépasse la raison naturelle de l’homme puisque c’est ce qui ne se voit pas, nous l’avons dit. Croire ne semble donc pas nécessaire au salut.

2. Il est même dangereux pour l’homme d’adhérer quand il ne peut juger si ce qu’on lui propose est vrai ou faux. Il est dit au livre de Job (Job 12.11) : « L’oreille ne juge-t-elle pas les discours qu’elle entend ? » Or on ne peut avoir un tel jugement dans ce qui est de foi, puisqu’on ne peut le résoudre dans les premiers principes par lesquels nous jugeons de tout. Il est donc périlleux de prêter foi à de telles choses et croire n’est donc pas nécessaire au salut.

3. Le salut de l’homme réside en Dieu selon le Psaume (Psaumes 37.39) : « Le salut des justes vient du Seigneur. » Mais « ce qu’il y a d’invisible en Dieu se découvre à la pensée par ce qu’il a fait, même son éternelle puissance et sa divinité », dit l’Apôtre (Romains 1.20). Or ce qui se découvre à la pensée, on n’a pas à le croire. Il n’est donc pas nécessaire au salut que l’homme croie certaines choses.

En sens contraire, l’épître aux Hébreux (Hébreux 10.6) dit formellement : « Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. »

Réponse

Partout où des natures forment entre elles un ordre, on trouve que deux choses concourent à la perfection de la nature inférieure d'une part que cette nature agisse selon son propre mouvement, et d'autre part queue agisse selon la motion de la nature supérieure. Ainsi l'eau, selon son propre mouvement, gravite vers le centre de la terre ; mais elle a autour de ce centre un mouvement de flux et de reflux qui suit le mouvement de la lune. De même, les planètes dans leurs orbites sont emportées par leurs propres mouvements de l'occident vers l'orient, mais de l'orient vers l'occident par le mouvement du premier ciel. Or, dans la création, la nature raisonnable seule est immédiatement ordonnée à Dieu. Car les autres créatures n'atteignent pas à un effet universel, mais uniquement à un effet particulier ; elles participent de la perfection de Dieu soit par le seul fait d'exister, comme les êtres inanimés, soit en outre par celui de vivre et de connaître les singuliers comme font les plantes et les animaux. La nature raisonnable au contraire, en tant qu'elle connaît la raison universelle de bien et d'être, se trouve ordonnée immédiatement au principe universel de l'existence. La perfection de la créature douée de raison consiste donc, non pas seulement en ce qui convient à cette créature selon sa nature, mais aussi en ce qui lui est accordé par une certaine perfection surnaturelle venant de la bonté divine. Aussi avons-nous dit plus haut que l'ultime béatitude de l'homme consiste dans une vision surnaturelle de Dieu. À cette vision il est sûr que l'homme ne peut parvenir s'il ne se met à apprendre à l'école même de Dieu, selon ce texte en S. Jean (Jean 6.45) : « Quiconque prête l'oreille au Père et a reçu son enseignement vient à moi. » Mais l'homme n'entre pas tout d'un coup dans cet enseignement, mais progressivement, selon le mode de sa nature. Quiconque, d'ailleurs, se met à apprendre ainsi doit nécessairement commencer par croire, pour se trouver en état de parvenir à la science parfaite ; le Philosophe le dit : « Si l'on veut apprendre il faut croire. » De là vient que, pour être en état de parvenir à la vision parfaite de la béatitude, l'homme doit auparavant croire Dieu, comme un disciple croit le maître qui l'enseigne.

Solutions

1. Parce que la nature humaine dépend d'une nature supérieure, la connaissance naturelle ne suffit pas à notre perfection, on vient de le dire.

2. De même qu'on adhère aux principes par la lumière naturelle de l'intelligence, de même l'homme vertueux possède par l'habitus de la vertu un jugement droit sur ce qui s'y rapporte. C'est de cette façon, par une lumière de foi divinement infuse en lui, que l'homme adhère à ce qui est de foi et non à ce qui lui est contraire. C'est pourquoi il n'y a pas de péril « ni de damnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus » (Romains 8.1) : lui-même les éclaire par la foi.

3. La foi perçoit les attributs invisibles de Dieu d'une façon plus élevée et en plus grand nombre que ne fait la raison naturelle lorsqu'elle remonte des créatures à Dieu. D'où cette parole de l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 3.23) : « On t'a montré beaucoup plus de choses que l'intelligence humaine n'en peut comprendre. »


4. Est-il nécessaire de croire ce que peut atteindre la raison naturelle ?

Objections

1. Apparemment ce n'est pas nécessaire, car dans les œuvres de Dieu on ne trouve rien de superflu, beaucoup moins que dans les œuvres de la nature. Mais, lorsqu'une chose peut se faire par un seul moyen, il est superflu d'en ajouter un autre. Il serait donc superflu de recevoir par le moyen de la foi ce qui peut être connu par la raison naturelle.

2. Il est nécessaire de croire ce qui est du domaine de la foi. Mais la science et la foi n'ont pas le même objet, nous l'avons établi plus haut. Comme la science s'occupe de tout ce qui peut être connu par la raison naturelle, il semble qu'il n'y ait pas besoin de croire ce que la raison naturelle peut prouver.

3. Tout ce qui peut être objet de science semble l'être au même titre. Donc, si certaines de ces vérités sont proposées à l'homme comme des vérités à croire, à titre égal il deviendrait nécessaire de croire tout ce qui relève de la science. Or cela est faux. Il n'est donc pas vrai qu'il soit nécessaire de croire ce qui peut être connu par la raison naturelle.

En sens contraire, il est nécessaire de croire que Dieu est unique, n'a pas de corps, ce que les philosophes prouvent par la raison naturelle.

Réponse

Il est nécessaire à l'homme de recevoir par la foi, non seulement des vérités qui dépassent la raison, mais aussi des vérités connaissables par la raison. Et ceci pour trois motifs.

1° Afin que l'homme parvienne plus vite à la connaissance de la vérité divine. Car la science à laquelle il appartient de prouver que Dieu existe, et d'autres choses du même genre au sujet de Dieu, est proposée aux hommes en dernier lieu, beaucoup d'autres sciences étant présupposées. Ainsi ce serait seulement très tard dans sa vie que l'homme parviendrait à la connaissance de Dieu.

2° Afin que la connaissance de Dieu soit plus répandue. Beaucoup en effet ne peuvent progresser dans l'étude de la science, soit parce qu'ils ont l'esprit lent, soit parce qu'ils sont pris par d'autres occupations et par les nécessités de la vie temporelle, soit encore parce qu'ils n'ont pas le désir de s'instruire. Ces gens seraient entièrement privés de la connaissance de Dieu si les choses divines ne leur étaient proposées par mode de foi.

3° Pour avoir la certitude. La raison humaine est en effet très insuffisante en matière de réalités divines ; il y a de cela un indice dans le fait que les philosophes qui ont scruté les réalités humaines par une recherche rationnelle se sont trompés sur beaucoup de points et ont eu des opinions opposées. Donc pour qu'il y ait parmi les humains une connaissance sur Dieu qui soit indubitable et certaine, il fallait que les réalités divines leur soient transmises par mode de foi, comme étant dites par Dieu qui ne peut mentir.

Solutions

1. Les investigations de la raison naturelle ne suffisent pas au genre humain pour connaître les choses divines, même en ce que la raison peut en montrer ; aussi n'est-il pas superflu de croire de telles choses.

2. La science et la foi n'ont pas le même domaine chez le même individu. Mais ce qui est su par l'une peut être cru par l'autre, nous l'avons dit plus haut.

3. Toutes les vérités qui peuvent être objet de science se rencontrent dans la raison de science, mais elles ne se rencontrent pas en ce qu'elles ordonneraient également à la béatitude. Et c'est pourquoi elles ne sont pas toutes proposées à titre égal comme des vérités à croire.


5. Est-il nécessaire au salut de croire explicitement certaines vérités ?

Objections

1. Il semble que non, car nul n'est tenu à ce qui n'est pas en son pouvoir. Mais croire quelque chose explicitement n'est pas au pouvoir de l'homme. En effet, l'Apôtre écrit (Romains 10.14) : « Comment croiront-ils celui qu'ils n'ont pas entendu ? Comment entendront-ils si personne ne prêche ? Et comment prêchera-t-on si l'on n'est pas envoyé ? » On n'est donc pas tenu de croire quelque chose d'une manière explicite.

2. Nous sommes ordonnés à Dieu par la charité autant que par la foi. Mais on n'est pas tenu d'observer les préceptes de la charité, il suffit que l'esprit y soit préparé. C'est évident, par exemple, dans ce précepte du Seigneur qu'on lit en S. Matthieu (Matthieu 5.39) : « Si quelqu'un t'a frappé sur une joue, tends-lui aussi l'autre » et dans d'autres semblables comme l'explique S. Augustin. On n'est donc pas tenu non plus de croire explicitement quelque chose, mais c'est assez que l'esprit soit prêt à croire ce qui est proposé par Dieu.

3. Le bien de la foi consiste dans une certaine obéissance, selon l'Apôtre (Romains 1.5) qui parle de conduire à « l'obéissance de la foi tous les païens ». Mais la vertu d'obéissance ne requiert pas non plus qu'on observe des préceptes déterminés. Il suffit que l'on ait un esprit prêt à les garder, selon le Psaume (Psaumes 119.60) : « je suis prêt, sans difficultés, à garder tes commandements. » Il semble donc suffisant pour la foi aussi d'avoir l'esprit prêt à croire toutes les vérités qui pourraient nous être divinement proposées, sans qu'on ait à croire explicitement aucune.

En sens contraire, il est écrit (Hébreux 11.6) « Celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe, et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. »

Réponse

Les préceptes de la loi qu'on est tenu de remplir portent sur les activités vertueuses qui sont le chemin pour parvenir au salut. Mais l'activité d'une vertu, nous l'avons dit, se mesure au rapport de l'habitus avec son objet. Or dans l'objet d'une vertu on peut considérer deux choses : ce qui constitue proprement et par soi l'objet de la vertu, ce qui est nécessaire en tout acte de vertu ; et en second lieu ce qui se présente par accident et comme conséquence par rapport à la raison propre de l'objet. Ainsi la force a pour objet proprement et par soi d'endurer les périls de mort et d'affronter dangereusement l'ennemi au péril de sa vie en vue du bien commun ; mais le fait même d'être sous les armes ou de tirer l'épée dans une guerre juste, etc. se ramène à l'objet de la force par accident. Donc l'application déterminée de l'activité vertueuse à ce qui est proprement et par soi l'objet de la vertu tombe sous la rigueur du précepte au même titre que l'acte même de la vertu. Mais l'application déterminée de l’activité vertueuse à ce qui se présente par accident et de façon secondaire à l'égard de l'objet propre et essentiel de la vertu ne tombe sous la rigueur du précepte que si c'est le lieu et le moment.

Il faut donc dire que l'objet de la foi est essentiellement ce qui rend l'homme bienheureux, comme nous l'avons dit antérieurement. Mais se rattache à l'objet de la vertu par accident et de façon secondaire tout ce qu'on trouve dans la Sainte Écriture que Dieu nous a donnée : par exemple qu'Abraham eut deux fils, que David fut fils de Jessé, etc. Donc, en ce qui regarde les premières vérités à croire, qui sont les articles de foi, on est tenu de les croire explicitement, de même qu'on est tenu d'avoir la foi. Quant aux autres vérités, on n'est pas tenu de les croire explicitement, mais seulement d'une manière implicite ou dans la disponibilité d'esprit : on est prêt à croire tout ce qui est contenu dans la divine Écriture. Mais lorsqu'on a reconnu que c'est contenu dans l'enseignement de la foi, alors seulement on est tenu de le croire explicitement.

Solutions

1. Si l'on dit qu'une chose est au pouvoir de l'homme en dehors du secours de la grâce, alors on est tenu à beaucoup de choses dont on est incapable sans une grâce réparatrice, comme d'aimer Dieu et le prochain, et pareillement de croire les articles de foi. Cependant on le peut avec le secours de la grâce. Et ce secours, chaque fois que Dieu le donne, c'est par miséricorde ; mais lorsqu'il ne le donne pas, c'est par justice comme châtiment d'un péché qui a précédé, au moins le péché originel, selon S. Augustin.

2. On est tenu d'aimer de façon déterminée les êtres aimables qui sont proprement et par soi objets de la charité, c'est à dire Dieu et le prochain. Mais l'objection est valable dans le cas des préceptes de charité qui ne se rattachent à l'objet de la charité que par voie de conséquence.

3. La vertu d'obéissance réside dans la volonté. Aussi, pour faire acte d'obéissance, il suffit d'une promptitude de volonté à se soumettre à celui qui commande ; là est l'objet propre et essentiel de l'obéissance. Mais que l'on commande ceci ou cela, cela se rattache à l'objet propre et essentiel de l'obéissance par accident et par voie de conséquence.


6. Tous sont-ils également tenus de croire explicitement ?

Objections

1. Apparemment oui. Car tous sont également tenus à ce qui est de nécessité de salut ; on le voit bien pour les préceptes de la charité. Mais l'explicitation de ce que nous devons croire, on vient de le dire, est nécessaire au salut. Donc tous sont également tenus de croire explicitement.

2. Nul ne doit être examiné sur ce qu'il n'est pas tenu de croire explicitement. Mais parfois même les simples sont examinés sur les moindres articles de la foi. Donc tous sont tenus à croire tout explicitement.

3. Si les inférieurs ne sont pas tenus d'avoir une foi explicite, mais seulement une foi implicite, ils doivent avoir une foi explicite à la foi des supérieurs. Mais cela paraît dangereux, car il peut arriver que ces supérieurs se trompent. Donc il semble que même les inférieurs doivent avoir une foi explicite. Ainsi, donc tous sont également tenus de croire explicitement.

En sens contraire, on lit au livre de Job (Job 1.14) : « Les bœufs labouraient et près d'eux les ânesses paissaient. » Ce qui veut dire, d'après S. Grégoire, que les inférieurs, symbolisés par les ânes, doivent en matière de foi donner leur adhésion aux supérieurs, symbolisés par les bœufs.

Réponse

Le développement explicite des vérités à croire se fait par révélation divine car les vérités à croire dépassent la raison naturelle. Mais on voit, chez Denys, que la révélation divine suit un certain ordre et parvient aux inférieurs par les supérieurs ; aux hommes par les anges, aux anges inférieurs par les anges plus grands. Pour une raison semblable, il faut que le développement de la foi chez les humains parvienne aux petits par les grands. C'est pourquoi, de même que les supérieurs ont une connaissance plus complète des réalités divines, toujours au dire de Denys, de même ceux d'entre les hommes qui sont supérieurs, auxquels il appartient d'instruire les autres, sont tenus d'avoir une connaissance plus complète de ce que nous devons croire, et de croire plus explicitement.

Solutions

1. Le développement explicite de ce qu'on doit croire n'est pas, d'une manière égale pour tous, nécessaire au salut ; car les supérieurs qui ont la charge d'instruire les autres, sont tenus de croire explicitement plus de choses que les autres.

2. Les simples n'ont pas à être examinés sur les subtilités de la foi, sauf quand il y a soupçon qu'ils aient été pervertis par les hérétiques, car c'est dans les subtilités de la foi que ceux-ci ont coutume de pervertir la foi des simples. Si cependant on ne trouve aucune opiniâtreté dans l'attachement de ces derniers à la doctrine altérée, si c'est par simplicité d'esprit qu'ils sont en défaut dans ces matières, il n'y a pas à leur en faire grief.

3. Les inférieurs n'ont une foi implicite dans la foi des supérieurs que dans la mesure où ceux-ci adhèrent à l'enseignement divin. D'où la parole de l'Apôtre (1 Corinthiens 4.16) : « Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même du Christ. » Ce n'est donc pas une connaissance humaine qui devient la règle de la foi, mais la vérité divine. S'il y a des supérieurs qui s'éloignent de la vérité divine, c'est sans préjudice pour la foi des simples tant qu'ils croiront à l'orthodoxie de ces grands. Il n'y a préjudice que si les petits adhèrent d'une manière opiniâtre aux erreurs des grands sur un point particulier contre ce qui est la foi de l’Église universelle, foi qui ne peut défaillir puisque le Seigneur a dit (Luc 22.32) : « J'ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas. »


7. Est-il toujours nécessaire au salut de croire explicitement au Christ ?

Objections

1. Il semble que croire explicitement au mystère de l'incarnation du Christ ne soit pas nécessaire au salut chez tous. En effet, l'homme n'est pas tenu de croire d'une manière explicite les choses que les anges ignorent, s'il est vrai que le développement de la foi se fait par la révélation divine et que celle-ci parvient jusqu'aux hommes par l'intermédiaire des anges, comme on vient de le dire. Or, même les anges ont ignoré le mystère de l'Incarnation. De là vient qu'ils se demandaient (Psaumes 24.8) : « Quel est celui-ci qui vient d'Édom ? » C'est là l'interprétation de Denys. Donc les hommes n'étaient pas tenus de croire explicitement au mystère de l'Incamation.

2. Il est indéniable que Jean Baptiste a fait partie des grands et qu'il était tout à fait proche du Christ, car le Seigneur dit de lui : « Parmi les fils de la femme il ne s'est levé personne de plus grand » (Matthieu 11.11). Mais Jean Baptiste ne paraît pas avoir connu explicitement le mystère du Christ, puisqu'il lui a fait demander (Matthieu 11.3) : « Es-tu celui qui doit venir, ou en attendrons-nous un autre ? » Donc même les grands n'étaient pas tenus d'avoir au sujet du Christ une foi explicite.

3. Bien des païens ont obtenu le salut par le ministère des anges, dit Denys. Mais les païens n'ont eu pourtant au sujet du Christ aucune foi, ni explicite ni implicite, parce qu’aucune révélation ne leur fut faite. Il semble donc que croire explicitement au mystère de l'incarnation du Christ n'ait pas été pour tous nécessaire au salut.

En sens contraire, S. Augustin affirme : « La vraie foi est celle par laquelle nous croyons qu'aucun homme, jeune ou vieux, n'est délivré de la contagion de la mort et des liens du péché si ce n'est par Jésus Christ, seul médiateur entre Dieu et les hommes. »

Réponse

Ce qui appartient proprement et essentiellement à l'objet de foi, nous l'avons dit, c'est ce qui procure la béatitude. Or, pour les humains, le chemin qui mène à la béatitude c'est le mystère de l'incarnation et de la passion du Christ. Il est dit, en effet, au livre des Actes (Actes 4.12) : « Il n'y a pas d'autre nom qui ait été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés. » C'est pourquoi il a fallu que ce mystère de l'incarnation du Christ ait été cru de quelque manière à toute époque chez tous les humains, diversement toutefois selon la diversité des temps et des personnes. En effet, avant l'état de péché, l'homme eut une foi explicite au sujet de l'incarnation du Christ en tant que celle-ci était ordonnée à la consommation de la gloire, mais non en tant qu'elle était ordonnée à la délivrance du péché, parce que l'homme n'avait pas la prescience du péché futur. Mais il semble qu'il ait eu la prescience de l'incarnation du Christ puisqu'il a dit, comme le rapporte la Genèse (Genèse 2.24) : « L'homme, à cause de cela, laissera son père et sa mère et s'attachera à son épouse », et c'est là au dire de l'Apôtre (Éphésiens 5.32) : « Le mystère qui a toute sa grandeur dans le Christ et dans l'Église. » Ce mystère, il n'est assurément pas croyable que le premier homme l'ait ignoré.

Or, après le péché, le mystère du Christ a été cru d'une façon explicite, non plus seulement quant à l'Incarnation, mais quant à la Passion et à la Résurrection par lesquelles le genre humain est délivré du péché et de la mort. Autrement en effet ils n'auraient pas figuré d'avance la passion du Christ par certains sacrifices, avant la Loi et sous la Loi. Ces sacrifices avaient une signification que les grands à coup sûr connaissaient d'une manière explicite. Mais les petits, sous le voile de ces sacrifices, croyant qu'il y avait là un plan divin concernant le Christ à venir, en avaient comme une connaissance voilée. Et, nous l'avons remarqué plus haut, ce qui se rapporte aux mystères du Christ a été connu d'autant plus difficilement qu'on était plus éloigné du Christ, et d'autant plus facilement qu'on était plus rapproché de lui. Mais depuis le moment où la grâce a été révélée, grands et petits sont tenus d'avoir une foi explicite à l'égard des mystères du Christ, surtout de ceux qui sont communément solennisés dans l'Église et publiquement proposés, comme sont les articles sur l'Incarnation dont nous avons parlé plus haut. Quant aux autres subtiles considérations autour des articles de l'Incarnation, on est tenu de les croire plus ou moins explicitement selon ce qui sied à l'état et à la fonction de chacun.

Solutions

1. Il n'est pas vrai que le mystère de Dieu ait été absolument caché aux anges, dit S. Augustin. Cependant il y a certains aspects de ce mystère qu'ils ont connus plus parfaitement quand le Christ les a révélés.

2. Jean Baptiste ne s'est pas inquiété de l'avènement du Christ dans la chair comme s'il l'eût ignoré, puisque lui-même l'avait expressément confessé, en disant (Jean 1.34) : « Moi j'ai vu, et j'ai rendu témoignage que celui-ci est le Fils de Dieu. » Aussi n'a-t-il pas demandé : « Es-tu celui qui est venu ? » mais bien : « Es-tu celui qui doit venir ? » L'enquête portait sur le futur, non sur le passé. Pareillement, il ne faut pas croire que Jean Baptiste ait ignoré que le Christ devait venir pour la Passion, alors que lui-même avait dit : « Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde », annonçant à l'avance son immolation future. Cependant d'autres prophètes l'avaient connue et prédite, comme on le voit surtout chez Isaïe. On peut donc dire, comme S. Grégoire, que Jean Baptiste a cherché à savoir ce qu'il ignorait : si le Christ allait personnellement descendre aux enfers. Jean savait d'ailleurs que la vertu de la Passion s'étendrait jusqu'à ceux qui étaient retenus dans les limbes, selon la parole de Zacharie (Zacharie 9.11 Vg) : « Toi aussi, dans le sang de ton alliance, tu as retiré les captifs de la fosse où il n'y a pas d'eau. » Mais, que le Christ doive descendre lui-même aux limbes, c'était une chose que Jean n'était pas tenu de croire explicitement avant sa réalisation. — Ou encore, on peut dire, comme S. Ambroise, que Jean n'a pas questionné par doute ou par ignorance, mais plutôt par piété. — Ou bien, comme S. Jean Chrysostome, on peut dire que Jean n'a pas questionné parce que lui-même était dans l'ignorance, mais pour satisfaire ses disciples par la réponse du Christ. Aussi le Christ a-t-il répondu pour l'instruction des disciples en montrant que ses œuvres étaient des signes.

3. Beaucoup de païens ont eu des révélations sur le Christ. Ainsi est-il dit (Job 19.25) : « je sais que mon Rédempteur est vivant. » La Sibylle aussi a fait certaines prédictions sur le Christ, au dire de S. Augustin. On trouve également ceci dans l'histoire des Romains : au temps de l'empereur Constantin et de sa mère Hélène, fut découvert un tombeau où gisait un homme ayant sur la poitrine une lame d'or où on lisait : « Le Christ naîtra de la Vierge et je crois en lui. Ô soleil, tu me reverras au temps d'Hélène et de Constantin. » — Cependant, si certains ont été sauvés sans avoir reçu la révélation, ils ne l'ont pas été sans la foi au Médiateur. Car, même s'ils n'eurent pas une foi explicite, ils eurent pourtant une foi implicite en la Providence divine, croyant que Dieu était le libérateur des humains de la manière qui lui plaisait, et selon que l'Esprit l'avait révélé à ceux qui connaissent la vérité selon le livre de Job (Job 35.11) : « Il nous rend plus instruits que les bêtes de la terre. »


8. Est-il nécessaire au salut de croire explicitement à la Trinité ?

Objections

1. Il semble que non, car l'Apôtre dit aux Hébreux (Hébreux 11.6) : « Celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent. » Mais on peut croire cela sans la foi à la Trinité. Il n'était donc pas nécessaire d'avoir explicitement la foi à la Trinité.

2. Le Seigneur dit en S. Jean (Jean 17.6) : « Père, j'ai manifesté ton nom aux hommes. » Et S. Augustin commente ainsi cette parole : « Non pas le nom par lequel tu es appelé Dieu, mais celui par lequel tu es appelé mon Père. » Ensuite, il ajoute : « Par le fait que Dieu a créé ce monde, il a été connu dans toutes les nations ; par le fait qu'il ne faut pas l'adorer avec les faux dieux, il a été connu en Judée ; mais en ce qu'il est le Père de ce Christ par lequel il enlève le péché du monde, ce nom jusque-là caché aux hommes, c'est maintenant qu'il le leur a révélé. » Donc, avant la venue du Christ il n'était pas connu qu'il y eût au sein de la Déité paternité et filiation. On ne croyait donc pas explicitement au mystère de la Trinité.

3. Nous sommes tenus de croire explicitement en Dieu qui est l'objet de la béatitude. Mais l'objet de la béatitude, c'est la souveraine bonté de Dieu. Or, elle peut se concevoir en lui, même sans la distinction des Personnes. Il ne fut donc pas nécessaire de croire explicitement à la Trinité.

En sens contraire, dans l'Ancien Testament, la trinité des Personnes s'est exprimée de bien des façons. Ainsi, dès le début de la Genèse (Genèse 1.26), il est dit, pour exprimer la Trinité : « Faisons l'homme à notre image et ressemblance. » Dès le commencement donc il fut nécessaire au salut de croire à la Trinité.

Réponse

On ne peut croire explicitement au mystère du Christ, sans la foi à la Trinité. Car le mystère de l'incarnation du Christ contient que le Fils de Dieu a pris notre chair, qu'il a renouvelé le monde par la grâce du Saint-Esprit, et aussi qu'il a été conçu du Saint-Esprit. Voilà pourquoi dans la mesure ou l'on a cru avant le Christ au mystère du Christ, les grands d'une façon explicite, les petits implicitement et comme obscurément, on a cru aussi au mystère de la Trinité. Et tous ceux qui renaissent dans le Christ l'obtiennent par l'invocation de la Trinité, selon cette parole (Matthieu 28.19) : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. »

Solutions

1. Croire explicitement ces deux vérités au sujet de Dieu a été nécessaire en tout temps et pour tous. Ce n'est cependant pas suffisant en tout temps ni pour tous.

2. Avant la venue du Christ, la croyance à la Trinité était cachée dans la foi des grands. Mais par le Christ elle a été manifestée au monde, puis par les Apôtres.

3. La souveraine bonté de Dieu, dans la mesure où présentement nous la comprenons par ses effets, peut se concevoir en dehors de la trinité des Personnes. Mais, en tant qu'elle est comprise en elle-même, et c'est ainsi que les bienheureux la voient, elle ne peut se concevoir sans la trinité des Personnes. Et de plus, c'est la mission même des personnes divines qui nous conduit à la béatitude.


9. L'acte de foi est-il méritoire ?

Objections

1. Il ne semble pas. Car le principe du mérite est la charité, on l'a dit n. Mais la foi est préalable à la charité, de même que la nature. Donc, de même qu'un acte de la nature n'est pas méritoire, puisque ce n'est pas par des ressources naturelles que nous méritons, pas davantage l'acte de foi.

2. L'acte de croire tient le milieu entre l'acte d'opiner et celui de savoir ou de considérer ce qu'on sait. Mais l'acte de s'appliquer à une science n'est pas méritoire, une opinion pas davantage. L'acte de croire ne l'est donc pas non plus.

3. Celui qui adhère à une vérité en croyant ou bien a une cause suffisante qui l'induit à croire, ou bien non. S'il l'a, on ne voit pas qu'il y ait pour lui du mérite à croire, car il n'est plus libre de croire ou de ne pas croire. S'il ne l'a pas, il y a pour lui de la légèreté à croire, dit l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 19.4) : « Celui qui croit trop vite montre sa légèreté », et il n'y a là rien de méritoire semble-t-il. Croire n'est donc méritoire d'aucune façon.

En sens contraire, il est écrit (Hébreux 11.33) que les saints « ont obtenus par la foi la réalisation des promesses ». Ce qui ne serait pas s'ils n'avaient pas eu de mérite à croire. Le fait même de croire est donc méritoire.

Réponse

Nous l'avons dit plus haut, nos actes sont méritoires en tant qu'ils procèdent du libre arbitre que Dieu meut par sa grâce. Aussi tout acte humain soumis au libre arbitre, s'il est rapporté à Dieu, peut-il être méritoire. Or le fait même de croire est l'acte d'une intelligence qui adhère à la vérité divine sous l'empire d'une volonté que Dieu meut par sa grâce : il s'agit bien d'un acte soumis au libre arbitre et ordonné à Dieu. Aussi l'acte de foi peut-il être méritoire.

Solutions

1. La nature est comparée à la charité, principe du mérite, comme la matière à la forme. La foi est comparée à la charité comme une disposition précédant une forme ultime. Or, il est évident que, ni ce qui est pur sujet ou matière, ni même ce qui est disposition préparatoire, ne peut agir en vertu d'une forme avant qu'advienne cette forme. Mais, après qu'est advenue la forme, ce qui est sujet aussi bien que ce qui est disposition préparatoire agit en vertu de la forme qui demeure en cette action le premier principe ; c'est ainsi que la chaleur du feu agit en vertu de la forme substantielle du feu. Ainsi donc, ni la nature ni la foi ne peuvent sans la charité produire un acte méritoire. Mais, la charité survenant, l'activité de la foi devient méritoire en vertu de cette charité comme le deviennent et l'activité de la nature e l'activité naturelle du libre arbitre.

2. Dans la science on peut considérer deux aspects : l'assentiment même de celui qui sait à la chose qu'il sait, et son application à cette chose sue. Pour l'assentiment lui-même, dans la science il n'est pas soumis au libre arbitre : le savant est contraint à donner son assentiment par l'efficacité de la démonstration. Et c'est pourquoi l'adhésion de science n'est pas méritoire. Mais l'application en acte à la chose sue est soumise au libre arbitre, car il est au pouvoir de l'homme de regarder ou de ne pas regarder, et c'est pourquoi l'application à une science peut être méritoire, si elle est rapportée à une fin de charité, c'est-à-dire à l'honneur de Dieu ou à l'utilité du prochain. Mais dans la foi ces deux éléments, adhésion et application, sont soumis au libre arbitre. C'est pourquoi l'acte de foi peut être méritoire sur ces deux points. Tandis que l'opinion ne comporte pas l'adhésion ferme : son assentiment est quelque chose de débile et d'infirme, dit le Philosophe. Aussi ne semble-t-elle pas procéder d'une volonté achevée, de sorte qu'on ne voit pas qu'elle ait, du côté de l'adhésion, raison de mérite. Mais, du côté de l'application actuelle de l'esprit, l'opinion peut être méritoire.

3. Celui qui croit à un motif suffisant pour l'induire à croire. Il y est induit en effet par l'autorité de l'enseignement divin que des miracles ont confirmé, et, qui plus est, par l'inspiration intérieure de Dieu qui invite à croire. Il ne croit donc pas à la légère. Cependant il n'a pas un motif suffisant pour l'induire à savoir, et c'est pourquoi la raison de mérite n'est pas supprimée.


10. La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?

Objections

1. Il y a toute apparence que oui. S. Grégoire dit en effet dans une homélie : « La foi n'a pas de mérite lorsque la raison humaine lui fournit ses preuves. » Donc, si la raison humaine, lorsqu'elle fournit des preuves suffisantes, exclut totalement le mérite de la foi, il semble bien que toute raison humaine introduite en matière de foi diminue le mérite de la foi.

2. Tout ce qui diminue la raison de vertu diminue la raison de mérite, puisque c'est « de la vertu que la félicité est la récompense », selon le Philosophe. Mais la raison humaine semble diminuer ce qui est essentiel à la vertu même de foi, car ce qui est essentiel à la foi, avons-nous dit, c'est de porter sur ce qui ne se voit pas ; or, plus on apporte de raisons à une vérité, moins elle fait partie de ce qui ne se voit pas, donc la raison humaine introduite dans ce qui est de foi diminue le mérite de la foi.

3. Les effets contraires ont des causes contraires. Mais tout ce qui vient contrarier la foi augmente le mérite de la foi : que ce soit la persécution qui contraint à abandonner la foi, ou bien un argument qui persuade dans le même sens. Donc inversement, la raison qui vient en aide à la foi diminue le mérite de la foi.

En sens contraire, S. Pierre dit (1 Pierre 3.15) : « Soyez toujours prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de la foi et de l'espérance qui sont en vous. » Certainement il ne nous inviterait pas à cela si le mérite de la foi en était diminué. Donc la raison ne diminue pas le mérite de la foi.

Réponse

L'acte de foi, nous venons de le dire, peut être méritoire en tant qu'il demeure soumis à la volonté non seulement quant à la pratique mais aussi quant à l'adhésion. Or la raison humaine qui s'introduit dans le domaine de la foi peut se rattacher de deux manières à la volonté du croyant. — D'une manière elle peut comme précéder la volonté : par exemple, lorsque quelqu'un, ou bien n'aurait pas du tout la volonté ou bien n'aurait pas une volonté prompte à croire, si l'on n'apportait pas une raison humaine. Dans ce cas la raison humaine diminue le mérite de la foi, comme nous l'avons dit plus haut à propos de la passion qui, elle aussi, lorsqu'elle précède l'élection dans les vertus morales, diminue ce qu'il y a de louable dans l'acte vertueux. De même en effet que l'on doit s'exercer aux actes des vertus morales à cause du jugement de la raison et non à cause de la passion, de même doit-on croire ce qui est de foi non à cause de la raison humaine mais à cause de l'autorité divine. — D'autre part la raison humaine peut se présenter à la volonté du croyant par mode de conséquence. En effet lorsque l'on a une volonté prompte à croire, on aime la vérité que l'on croit, on y réfléchit sérieusement, et l'on embrasse toutes les raisons qu'on peut trouver pour cela. À cet égard la raison humaine n'exclut pas le mérite de la foi ; elle est au contraire le signe d'un plus grand mérite, comme dans les vertus morales la passion conséquente est le signe d'une volonté plus décidée, ainsi que nous l'avons dit antérieurement. Tout ceci est signifié en S. Jean (Jean 4.42) à l'endroit où les Samaritains ont dit à la femme qui figure la raison humaine : « Désormais ce n'est plus à cause de ta parole que nous croyons. »

Solutions

1. S. Grégoire parle du cas où l'homme n'a pas la volonté de croire si ce n'est à cause de la raison introduite. Mais, quand l'homme a la volonté de croire les choses de foi uniquement en vertu de l'autorité divine, même s'il a des raisons démonstratives pour quelqu'une d'elles, par exemple pour celle de l'existence de Dieu, le mérite de sa foi n'est à cause de cela ni enlevé ni diminué.

2. Les raisons qu'on apporte à l'appui d'une autorité de foi ne sont pas de ces démonstrations qui peuvent amener l'intelligence humaine à la vision intelligible, et c'est pourquoi on ne cesse pas d'avoir pour objet ce qui ne se voit pas ; mais elles enlèvent les obstacles à la foi en montrant la non-impossibilité de ce que la foi propose. Aussi par de telles raisons le mérite de la foi n'est-il pas diminué, ni la raison de foi. Quant aux raisons vraiment démonstratives apportées non pas aux articles mais aux préalables de la foi, bien qu'elles diminuent la raison de foi puisqu'elles rendent évident ce qui est proposé, elles ne diminuent pourtant pas la raison de charité qui rend la volonté prompte à croire cela, même si ce n'était pas évident. C'est pourquoi la raison de mérite n'est pas diminuée.

3. Ce qui s'oppose à la foi, que ce soit dans la pensée de l'homme ou dans une persécution extérieure, augmente le mérite de la foi dans la mesure où la volonté se montre plus prompte et plus ferme dans la foi. C'est pourquoi le mérite de la foi a été plus grand chez les martyrs du fait que les persécutions ne les ont pas détournés de la foi ; et en outre les sages ont plus de mérite du fait que les raisons apportées par les philosophes ou les hérétiques contre la foi ne les en ont nullement détournés. Mais ce qui s'accorde avec la foi n'a pas toujours pour effet de diminuer la promptitude à croire de la volonté. C'est pourquoi, cela ne diminue pas toujours le mérite de la foi.

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