Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

16. LES PRÉCEPTES RELATIFS À LA FOI, À LA SCIENCE ET À L'INTELLIGENCE

  1. Les préceptes relatifs à la foi.
  2. Les préceptes relatifs aux dons de science et d'intelligence.

1. Les préceptes relatifs à la foi

Objections

Il semble que dans la loi ancienne devaient être donnés des préceptes pour la foi. Car il y a précepte pour ce qui est obligatoire et nécessaire. Mais ce qu'il y a de plus nécessaire à l'homme c'est de croire, selon cette parole (Hébreux 11.6) : « Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. » Il fallut donc surtout donner des préceptes relatifs à la foi.

2. Le Nouveau Testament est contenu dans l'Ancien nous l'avons dit, comme une réalité figurée dans sa figure. Mais il y a dans le Nouveau Testament des Commandements touchant expressément la foi, comme on le voit en S. Jean (Jean 14.1) : « Croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » Il semble donc que quelques préceptes relatifs à la foi aient dû être donnés aussi dans l'ancienne loi.

3. D'ailleurs, il y a la même raison de prescrire l'acte d'une vertu et d'interdire les vices opposés. Mais il y a dans l'ancienne loi beaucoup de préceptes interdisant l'infidélité, comme dans l'Exode (Exode 20.3) : « Tu n'auras pas devant moi de dieux étrangers » ; et, de nouveau, au Deutéronome (Deutéronome 13.1) il est commandé de ne pas écouter les paroles du prophète ou du devin qui voudrait détourner de la foi en Dieu. Donc dans l’ancienne loi aussi ont dû être donnés des préceptes concernant la foi.

4. La confession est, comme nous l'avons dit, un acte de la foi. Or des préceptes sont donnés dans l'ancienne loi touchant la confession et la promulgation de la foi. En effet, dans l’Exode (Exode 12.26) il est prescrit que les Israélites, à la demande de leurs enfants, définissent bien le sens de l'observance pascale. Et dans le Deutéronome (Deutéronome 13), il est prescrit de mettre à mort celui qui sème un enseignement contraire à la foi. Donc la loi ancienne a dû avoir des préceptes concernant la foi.

5. Tous les livres de l'Ancien Testament sont contenus sous la loi ancienne ; c'est pour cela que le Seigneur déclare (Jean 15.25) qu'il est écrit dans la loi : « Ils m'ont pris en haine sans motif », ce qui est cependant écrit dans le Psaume (Psaumes 35.19). Or il est dit dans l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 2.8) : « Vous qui craignez le Seigneur, croyez en lui. » Donc, dans l'ancienne loi, des préceptes durent être donnés relativement à la foi.

En sens contraire, l'Apôtre appelle la loi ancienne « la loi des œuvres » et il l'oppose à la « loi de la foi » (Romains 3.27). Il n'y eut donc pas à donner dans la loi ancienne de préceptes touchant la foi.

Réponse

La loi n'est imposée par un maître qu'à ses sujets. C'est pourquoi les préceptes d'une loi présupposent la sujétion de tous ceux qui la reçoivent envers celui qui la donne. Or la première sujétion de l'homme à l'égard de Dieu se fait par la foi, selon cette parole (Hébreux 11.6)«  »: « Pour s'approcher de Dieu il faut croire qu'il existe. » C'est pourquoi la foi est présupposée aux préceptes de la loi. A cause de cela, dans l'Exode (Exode 20:2), une vérité de la foi est mise en tête, avant les préceptes de la loi, lorsqu'il est dit : « Je suis le Seigneur ton Dieu, c'est moi qui t'ai tiré du pays d'Égypte. » Et pareillement dans le Deutéronome (Deutéronome 6.4) on trouve d'abord : « Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l'unique », et aussitôt après viennent les préceptes. Mais il y a dans le contenu de la foi beaucoup de points qui sont ordonnés à cette foi par laquelle nous croyons que Dieu existe, ce qui est la vérité première et principale entre toutes celles à croire, ainsi que nous l'avons dit. C'est pourquoi cette foi à Dieu étant présupposée, par laquelle l'esprit humain se soumet à Dieu, des préceptes peuvent être donnés relativement aux autres points qu'on doit croire. En ce sens S. Augustin affirme, lorsqu'il expose le passage : « Ceci est mon commandement », que les commandements relatifs à la foi sont pour nous très nombreux. Mais dans l'ancienne loi, les secrets de la foi n'avaient pas à être exposés au peuple ; et c'est pourquoi, la foi au Dieu unique étant supposée, aucun autre précepte ne fut donné dans l'ancienne loi relativement aux vérités à croire.

Solutions

1. La foi est nécessaire comme le principe de la vie spirituelle. Et c'est pourquoi elle est présupposée à la réception de la loi.

2. Même là, le Seigneur présuppose quelque chose relevant de la foi. Il présuppose la foi au Dieu unique, lorsqu'il dit : « Vous croyez en Dieu. » Et il prescrit quelque chose, la foi à l'Incarnation par laquelle le même être est Dieu et homme. C'est assurément un développement de la foi qui relève de la foi du Nouveau Testament. C'est pourquoi le Seigneur ajoute : « Croyez aussi en moi. »

3. Les préceptes d'interdiction visent les péchés qui détruisent la vertu. Or la vertu est détruite, avons-nous dite, par des déficiences de détail. C'est pourquoi la foi au Dieu unique étant présupposée dans l'ancienne loi, il y eut lieu de donner des préceptes d'interdiction pour qu'il fût bien défendu aux gens de tomber dans ces déficiences de détail qui pouvaient détruire la foi.

4. La confession ou l'enseignement de la foi présuppose aussi la soumission de l'homme à Dieu par la foi. Et c'est pourquoi dans l'ancienne loi des préceptes purent être donnés bien plus pour la confession et l'enseignement de la foi que pour la foi elle-même.

5. Ce texte présuppose lui aussi la foi par laquelle nous croyons que Dieu existe. C'est pourquoi on met d'abord : « Vous qui craignez Dieu », ce qui ne pourrait pas être sans la foi. Mais ce qu'on ajoute : « Croyez en lui » doit être rapporté à certaines vérités spéciales qu'il faut croire, et surtout aux biens que Dieu promet à ceux qui lui obéissent. D'où la suite : « et votre récompense ne sera pas vaine ».


2. Les préceptes relatifs aux dons de science et d'intelligence

Objections

1. Il semble que dans l'ancienne loi les préceptes relatifs à la science et à l'intelligence soient mal transmis, car celles-ci se rattachent à la connaissance. Or la connaissance précède et dirige l'action. Les préceptes qui sont relatifs à la science et à l'intelligence doivent donc précéder ceux qui sont relatifs à l'action. Or les premiers préceptes de la loi sont ceux du décalogue. Il semble donc qu'il aurait fallu enseigner, parmi eux, des préceptes relatifs à la science et à l'intelligence.

2. La discipline précède la doctrine : l'homme apprend chez les autres avant d'instruire les autres. Mais des préceptes d'enseigner sont donnés dans l'ancienne loi ; les uns sont affirmatifs comme cette prescription de Deutéronome (Deutéronome 4.9) : « Tu apprendras cela à tes enfants et aux enfants de tes enfants. » Il y en a aussi de prohibitifs, comme du Deutéronome (Deutéronome 4:2) : « Vous n'ajouterez rien à la parole que je vous dis, vous n'en retrancherez rien. » Il semble donc que des préceptes auraient dû être donnés aussi pour amener l'homme à s'instruire.

3. La science et l'intelligence semblent plus nécessaires au prêtre qu'au roi. De là cette parole de Malachie (Malachie 2.7) : « Les lèvres du prêtre gardent la science et c'est de sa bouche qu'on attend la loi », et celle-ci d'Osée (Osée 4.6) : « Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai de ton sacerdoce. » Or il est demandé au roi d'apprendre la science de la loi, comme on le voit au Deutéronome (Deutéronome 17.18). Donc, à bien plus forte raison, aurait-on dû prescrire dans la loi que les prêtres s'instruisent de la loi.

4. La méditation de ce qui se rapporte à la science et à l'intelligence ne peut pas se faire en dormant. Elle est empêchée aussi par les occupations étrangères. Il est donc maladroit de prescrire dans le Deutéronome (Deutéronome 6.7) : « Tu méditeras cela quand tu seras assis dans ta maison, quand tu iras en voyage, en t'endormant et en te levant. » Cette tradition, dans l'ancienne loi, des préceptes relatifs à la science et à l'intelligence est donc bien mal présentée.

En sens contraire, il est écrit dans le Deutéronome (Deutéronome 4:6) : « Quand ils connaîtront ces lois, tous diront : “Voici un peuple sage et intelligent”. »

Réponse

Sur la science et l'intelligence on peut considérer trois points : la façon de les recevoir, la façon d'en user, la façon de les garder.

Recevoir la science ou l'intelligence se fait par l'enseignement et par la discipline. L'un et l'autre sont prescrits dans la loi ; il est dit en effet dans le Deutéronome (Deutéronome 6:6) : « Ces paroles que je te prescris seront dans ton coeur. » Cela concerne la discipline, car il appartient au disciple d'appliquer son coeur à ce qui est dit. Mais ce qui est dit ensuite : « Et tu le raconteras à tes enfants » concerne l'enseignement.

Quant à l'usage de la science et de l'intelligence, c'est la méditation de ce que chacun sait ou comprend. Et, à cet égard, il est dit ensuite : « Tu méditeras, assis dans ta maison, etc. »

La conservation est l'acte de la mémoire. Et à cet égard, il est écrit à la suite : « Tu les lieras comme un signe sur la main, ils seront et se balanceront entre tes yeux, et tu les écriras sur le seuil et sur les entrées de ta maison. » Par tout cela le texte signifie une continuelle mémoire des commandements de Dieu. Car ce qui se retrouve sans cesse sous nos sens, soit au toucher comme ce que nous avons à la main, soit sous la vue comme ce que nous avons continuellement devant les yeux ou à des endroits où il nous faut souvent revenir, à l'entrée de la maison par exemple, cela ne peut s'effacer de notre mémoire. Du reste, le Deutéronome (Deutéronome 4.9) le dit plus ouvertement. « N'oublie pas les paroles que tes yeux ont vues, et ne les laisse pas sortir de ton coeur un seul jour de ta vie. » Et ce sont là des commandements que nous lisons encore plus abondamment dans l'enseignement évangélique et dans l'enseignement apostolique.

Solutions

1. Il est écrit au Deutéronome (Deutéronome 4:6) : « Ceci est votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples. » Ce qui donne à entendre que la science et l'intelligence des fidèles de Dieu consistent dans les préceptes de la loi. C'est pourquoi il faut d'abord proposer ces préceptes, et ensuite amener les gens à en avoir la science ou l'intelligence. Par conséquent ces préceptes n'ont pas dû être placés parmi les préceptes du décalogue, qui demeurent premiers.

2. Il y a aussi dans la loi des préceptes relatifs à la discipline, nous venons de le dire. Cependant l'enseignement est prescrit plus expressément que la discipline, parce qu'il est l'affaire des grands qui ne dépendent que d'eux-mêmes, et que c'est à eux, comme étant ceux qui sont immédiatement sous la loi, que doivent être donnés les préceptes de la loi. Au contraire, la discipline est l'affaire des petits, auxquels les préceptes de la loi doivent parvenir par l'intermédiaire des grands.

3. La science de la loi est annexée à l'office du prêtre à un tel point qu'on doit comprendre que l'injonction de cette science est liée à celle de leur office. C'est pour cela qu'il n'y a pas eu à donner de préceptes spéciaux relativement à l'instruction des prêtres. Tandis que l'enseignement de la loi de Dieu n'est pas annexée à l'office du roi à un tel point, pour la raison que le roi est établi au-dessus du peuple dans le domaine temporel. Aussi est-il spécialement prescrit que le roi soit instruit par les prêtres de ce qui a trait à la loi de Dieu.

4. Le précepte de la loi ne veut pas dire que l'on ait à méditer pendant que l'on dort, mais quand on va dormir, parce qu'il y a là pour les gens un moyen de s'assurer, même en dormant, de meilleures imaginations, étant donné que les impressions passent en eux de l'état de veille à l'état de sommeil, comme le montre Aristote.

Pareillement, il est commandé aussi à chacun de méditer la loi dans tous ses actes, ce qui ne signifie pas qu'on doit toujours y penser d'une manière actuelle, mais qu'on doit régler d'après elle tout ce qu'on fait.


L'ESPÉRANCE

À la suite de la foi il faut étudier l'espérance. 1° La nature de l'espérance (Q. 17-18). 2° Le don de crainte (Q. 19). 3° Les vices opposés à la vertu et au don (Q. 20-21). 4° Les préceptes qui concernent la vertu et le don (Q. 22).

La première étude s'attache à la nature de l'espérance (Q. 17), puis à celle de son siège

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