Somme théologique

Somme théologique — La tertia

5. LES MODES DE L'UNION DU CÔTÉ DES PARTIES DE LA NATURE HUMAINE ASSUMÉE

  1. Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps véritable ?
  2. Devait-il assumer un corps terrestre, c'est-à-dire fait de chair et de sang ?
  3. A-t-il assumé l'âme ?
  4. Devait-il assumer l'intelligence ?

1. Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps véritable ?

Objections

1. S. Paul écrit « Il est devenu semblable aux hommes » (Philippiens 2.7). Mais on n'appelle pas « semblable » ce qui est réel. Ce n'est donc pas un véritable corps que le Fils de Dieu a assumé.

2. L'assomption d'un corps n'a dérogé en rien à la dignité divine. Le pape Léon écrit en effet : « Le resplendissement de la gloire divine n'a pas absorbé la nature inférieure, et l'assomption n'a pas amoindri la nature supérieure. » Mais il revient à la dignité de Dieu d'être totalement incorporel. Il semble donc que, par l'assomption, Dieu ne s'est pas uni à un corps.

3. Le signe doit répondre à la chose signifiée. Mais les apparitions de l'Ancien Testament qui préfiguraient la manifestation du Christ, ne se firent pas avec un corps réel, mais dans une vision de l'imagination, comme on le voit chez Isaïe (Ésaïe 6.1) : « J'ai vu le Seigneur assis, etc. » Il semble donc que la venue du Fils de Dieu ne s'est pas faite avec un corps véritable, mais pour l'imagination.

En sens contraire, S. Augustin écrit : « Si le corps du Christ n'a été qu'un fantôme, le Christ nous a trompés. Et s'il nous a trompés, il n'est pas la vérité. Or le Christ est la vérité. Donc son corps ne fut pas un fantôme. » Il est donc évident que le Christ a assumé un corps véritable.

Réponse

On lit dans le livre des Croyances ecclésiastiques : « Ce n'est pas d'une manière fictive que le Fils de Dieu est né, comme s'il avait eu un corps imaginaire, mais il est né avec un corps véritable. » On peut assigner à cette conduite de Dieu un triple motif : le premier se tire du concept de la nature humaine à laquelle il appartient d'avoir un véritable corps. Si l'on suppose, d'après ce qui précède qu'il convient au Fils de Dieu d'assumer la nature humaine, il s'ensuit qu'il a dû prendre un corps véritable.

Le deuxième motif se prend des actes accomplis dans le mystère de l'Incarnation. Si le Christ n'a eu qu'un corps imaginaire, alors sa mort n'a pas été véritable ; et tout ce que les évangélistes nous racontent à son sujet ne s'est pas produit réellement, mais seulement en apparence. Il faudrait donc conclure que le salut de l'homme n'a pas été obtenu en réalité, car l'effet est analogue à la cause.

Le troisième motif peut être pris de la dignité de la personne qui assume : elle est la vérité, et il ne convient pas que dans son œuvre il y ait du mensonge. D'ailleurs le Seigneur a pris soin de dissiper lui-même cette erreur, lorsqu'il se présenta à ses disciples troublés et terrifiés, qui croyaient voir un esprit et non un corps véritable ; et qu'il leur dit (Luc 24.37) : « Touchez et constatez qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. »

Solutions

1. La ressemblance dont il s'agit exprime la vérité de la nature humaine dans le Christ, parce qu'elle est prise au sens où l'on dit que tous ceux qui possèdent la nature humaine sont semblables spécifiquement. Il ne s'agit donc pas d'une ressemblance seulement apparente ; et c'est pourquoi l'Apôtre ajoute : « Il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix », ce qui ne pourrait se faire s'il s'agissait seulement d'une ressemblance apparente.

2. Le fait pour le Fils de Dieu d'avoir pris un véritable corps n'a diminué en rien sa dignité. Et c'est pourquoi S. Augustin déclare : « Il s'est anéanti lui-même en prenant la forme d'esclave, afin de devenir esclave ; mais il n'a pas perdu la plénitude de la forme de Dieu. » En effet, le Fils de Dieu n'a pas assumé un véritable corps en vue de devenir forme de ce corps ; cela est contraire à la simplicité et à la pureté divines ; car ce serait assumer un corps dans l'unité de la nature, ce qui est impossible, nous l'avons vu Mais la distinction des natures étant sauve, le Fils de Dieu a assumé un corps dans l'unité de la personne.

3. La figure doit correspondre à la réalité sous le rapport de la ressemblance, non sous le rapport de la réalité elle-même. Si la ressemblance était totale en effet, ce ne serait plus un signe, mais la chose signifiée elle-même, dit S. Jean Damascène. Il convenait donc que les apparitions de l'Ancien Testament, qui étaient des figures, se produisent selon l'apparence ; tandis que la manifestation du Fils de Dieu dans le monde devait se faire avec un corps réel, celui-ci étant la réalité représentée par ces figures. Aussi S. Paul écrit-il (Colossiens 2.17) : « Ce n'est là que l'ombre de ce qui devait venir ensuite ; la réalité appartient au Christ. »


2. Le Fils de Dieu devait-il assumer un corps terrestre, c'est-à-dire fait de chair et de sang ?

Objections

1. L'Apôtre écrit (1 Corinthiens 15.47) : « Le premier homme était terrestre, venant de la terre ; le second homme est céleste, venant du ciel. » Mais le corps du premier homme, Adam, fut formé de la terre, comme le montre la Genèse ; donc le corps du second homme, le Christ, est du ciel.

2. S. Paul écrit aux Corinthiens (1 Corinthiens 15.50) : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. » Mais le royaume de Dieu se trouve principalement dans le Christ ; c'est donc qu'en lui il n'y a ni chair ni sang, mais plutôt un corps céleste.

3. On doit attribuer à Dieu tout ce qui est le meilleur ; mais parmi tous les corps, le plus noble est le corps céleste, c'est donc un tel corps que le Christ a assumé.

En sens contraire, le Seigneur dit en Luc (Luc 24.39) : « Un esprit n'a pas de chair ni d'os, comme vous voyez que j'en ai. » Or la chair et les os ne viennent pas de la matière d'un corps céleste, mais des éléments inférieurs. Donc le corps du Christ n'était pas un corps céleste, mais un corps charnel et terrestre.

Réponse

Les raisons qui montrent que le corps du Christ ne pouvait être imaginaire valent également pour montrer qu'il ne devait pas être un corps céleste. 1° De même que la réalité de la nature humaine du Christ ne serait pas sauvegardée s'il avait un corps imaginaire, comme le voulaient les manichéens ; de même elle ne le serait pas davantage si, comme le prétendait Valentin, le Christ possédait un corps céleste. Puisque la forme de l'homme est une réalité naturelle, elle requiert une matière déterminée, avec de la chair et des os qu'il faut faire entrer dans la définition de l'homme, comme le montre le Philosophe. — 2° Une telle conception s'oppose à la vérité des actes accomplis par le Christ avec son corps. Puisque le corps céleste est impassible et incorruptible, comme le démontre Aristote. si le Fils de Dieu avait assumé un corps céleste, il n'aurait pas eu vraiment faim ni vraiment soif ; il n'aurait pu ni souffrir ni mourir. — 3° Cette conception attenterait à la vérité divine. Puisque le Fils de Dieu s'est montré aux hommes comme ayant un corps charnel et terrestre, une telle manifestation serait fausse, s'il avait eu un corps céleste. Et c'est pourquoi il est écrit au livre des Croyances ecclésiastiques : « Le Fils de Dieu est né en prenant sa chair du corps de la Vierge, et non en l'apportant avec lui du ciel. »

Solutions

1. On dit que le Christ est descendu du ciel en deux sens différents. Premièrement en raison de sa nature divine ; non pas que la nature divine ait cessé d'être au ciel, mais parce qu'elle a commencé d'être ici-bas d'une nouvelle manière, à savoir dans une nature assumée, selon S. Jean (Jean 3.13) : « Personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans les cieux. »

Deuxièmement, le Christ est descendu du ciel en raison de son corps, non pas que ce corps, dans sa substance, soit descendu du ciel ; mais parce qu'il a été formé par la puissance céleste du Saint-Esprit. C'est pourquoi S. Augustin explique ainsi la parole alléguée : « Je dis que le Christ est céleste, parce qu'il n'a pas été conçu d'une semence humaine. » Et c'est de la même manière que parle S. Hilaire.

2. « La chair et le sang » ne sont pas pris ici pour la réalité substantielle, chair et sang ; mais pour la corruption de la chair et du sang. Cette corruption ne se trouvait pas dans le Christ comme étant une faute, mais comme étant une peine temporaire, pour lui faire accomplir l'œuvre de notre rédemption.

3. Le fait même, pour un corps infirme et terrestre, d'être élevé à une telle sublimité contribue à la plus grande gloire de Dieu. Et c'est ce qu'enseigne le concile d'Éphèse, rapportant la parole de S. Théophile : « Les bons artisans ne sont pas seulement dignes d'admiration lorsqu'ils travaillent sur des matières précieuses ; ils le sont bien plus encore lorsque, avec de la boue grossière et de la terre détrempée, ils manifestent la vigueur de leur talent. C'est ainsi que l'Artisan suprême, le Verbe de Dieu, est venu à nous sans prendre la matière précieuse d'un corps céleste, mais a montré avec la boue d'un corps terrestre la magnificence de son art. »


3. Le Fils de Dieu a-t-il assumé l'âme ?

Objections

1. S. Jean, écrit au sujet du mystère de l'Incarnation : « Le Verbe s'est fait chair », sans faire aucune mention de l'âme. Or, quand on dit que le Verbe s'est fait chair, cela ne veut pas dire qu'il s'est changé en la chair, mais qu'il l'a assumée. Il ne semble donc pas qu'il ait assumé l'âme.

2. L'âme est nécessaire au corps. Mais le corps du Christ n'avait pas besoin d'âme pour cela, puisqu'il est dit dans un Psaume (Psaumes 36.10), au sujet du Verbe de Dieu : « Seigneur, la source de la vie est en toi. » L'âme n'avait donc pas de raison d'être, là où le Verbe se trouvait présent. Et comme « Dieu et la nature ne font rien d'inutile », selon le Philosophe, il semble que le Fils de Dieu n'a pas dû assumer l'âme.

3. L'union de l'âme et du corps constitue une nature commune qui est l'espèce humaine. « Mais dans le Seigneur Jésus Christ, dit S. Jean Damascène, il ne peut y avoir une espèce commune. » Le Fils de Dieu n'a donc pas assumé l'âme.

En sens contraire, S. Augustin déclare « N'écoutons pas ceux qui prétendent que le Verbe de Dieu n'a pris qu'un corps humain, et qui entendent cette parole : (Le Verbe s'est fait chair) en ce sens que, se faisant homme, il n'aurait assumé ni l'âme, ni rien d'humain, que la chair seule. »

Réponse

Comme l'écrit S. Augustin ce fut d'abord l'opinion d'Arius, puis d'Apollinaire, que le Fils de Dieu avait assumé une chair sans âme, et que le Verbe lui tenait lieu d'âme. Il s'ensuivrait que dans le Christ, il n'y avait pas deux natures, mais une seule, car c'est l'union de l'âme et du corps qui constitue la nature humaine.

Or une telle opinion ne peut se soutenir pour trois raisons. — 1° Elle est contraire à l'enseignement de l'Écriture, où nous voyons le Seigneur lui-même faire mention de son âme (Matthieu 26.38) : « Mon âme est triste jusqu'à la mort », et (Jean 10.18) : « J'ai le pouvoir de déposer mon âme. » Apollinaire répondait que, dans ces textes, l'âme est prise métaphoriquement ; c'est en ce sens, par exemple, que dans l'Ancien Testament, on parle de l'âme de Dieu (Ésaïe 1.14) : « Mon âme a en horreur vos fêtes et vos solennités. » Mais, ainsi que le note S. Augustin les évangélistes racontent que Jésus a admiré, qu'il s'est mis en colère, qu'il s'est attristé, qu'il a eu faim. De tels faits démontrent qu'il a eu vraiment une âme, comme le fait de manger, de dormir, d'être fatigué prouve qu'il avait un véritable corps humain. Autrement, si l'on voit dans toutes ces expressions des métaphores, sous prétexte que des choses semblables se lisent au sujet de Dieu dans l'Ancien Testament, notre foi au récit évangélique disparaîtra. Autre chose est l'annonce prophétique faite en langage symbolique, autre chose le récit historique des évangélistes portant sur la réalité même des faits.

2° Cette erreur détruit l'utilité de l'Incarnation, en empêchant la rédemption de l'homme. Voici en effet comment argumente S. Augustin : « Si le Fils de Dieu a assumé la chair en omettant l'âme, ou bien, la considérant comme innocente, il n'a pas cru qu'elle eût besoin de remède ; ou bien, estimant qu'elle lui était étrangère, il ne lui a pas accordé le bienfait de la rédemption ; ou bien encore, la jugeant absolument incurable, il n'a pu la guérir ; ou bien enfin, la jugeant trop vile et impropre à tout usage, il l'a rejetée. Or, deux de ces hypothèses constituent un blasphème contre Dieu. Comment serait-il le Tout-Puissant, s'il n'a pu guérir un cas désespéré ? Ou comment serait-il le Dieu de tous les êtres, si ce n'est pas lui qui a créé notre âme ? Quant aux deux autres hypothèses, l'une ignore le cas spécial de l'âme, l'autre ne tient pas compte de sa valeur. Est-ce comprendre le cas de l'âme que de s'efforcer de la rendre innocente de tout péché de transgression volontaire, alors que la raison naturelle la rendait apte à connaître et à accepter la loi ? Est-ce apprécier sa valeur que la dire méprisée et vile ? Si l'on regarde son origine, la substance de l'âme est plus précieuse que la chair ; si l'on considère le péché, par lequel elle transgresse la loi, l'âme, à cause de son intelligence, est pire que la chair. Mais moi, je dis et je sais que le Christ est la parfaite sagesse, et ne mets pas en doute sa très grande miséricorde ; en raison de sa sagesse, il n'a pas méprisé l'excellence de l'âme et son aptitude à la vertu ; à cause de sa miséricorde, il l'a prise et assumée, parce qu'elle était blessée davantage. »

3° L'opinion d'Arius et d'Apollinaire va contre la vérité même de l'Incarnation. En effet, la chair et les autres parties de l'homme n'acquièrent leur nature spécifique que par l'âme ; s'il n'y a pas d'âme, les os, la chair ne sont tels que dans un sens équivoque, comme le prouve Aristote.

Solutions

1. Quand on dit : « Le Verbe s'est fait chair », la chair est prise ici pour l'homme tout entier ; c'est comme si l'on disait : « Le Verbe s'est fait homme. » Ainsi est-il dit dans Isaïe (Ésaïe 40.5) : « Toute chair verra le salut de Dieu. » Cette manière de parler est motivée par ce fait que, dans la chair, le Fils de Dieu nous a été rendu visible ; et c'est pourquoi le texte de Jean ajoute : « Et nous avons vu sa gloire. » On peut encore donner cette autre raison avec S. Augustin : « Dans toute cette assomption très une, le Verbe est l'élément principal, la chair l'élément inférieur et dernier. Aussi l'évangéliste, voulant nous faire aimer l'humilité de Dieu, a nommé le Verbe et la chair, et a passé sous silence l'âme qui est inférieure au Verbe et supérieure à la chair. » Il convenait en effet de nommer la chair qui est plus éloignée du Verbe et paraît le moins susceptible d'être assumée.

2. Le Verbe est source de la vie, comme sa première cause efficiente. Mais l'âme est principe de la vie corporelle, en tant que forme du corps. Or, la forme est un effet de la cause efficiente. Aussi, de la présence du Verbe, on peut conclure davantage que ce corps a une âme ; comme de la présence du feu, on peut conclure que le corps, avec lequel il est en contact, est chaud.

3. Rien n'empêche, et il est même nécessaire de dire que, dans le Christ, il y a une nature, constituée par l'âme unie au corps. Ce que nie le Damascène, c'est qu'il y ait dans le Christ une espèce commune, sorte de composé résultant de l'union de la divinité et de l'humanité.


4. Le Fils de Dieu devait-il assumer l'intelligence ?

Objections

1. Le Fils de Dieu ne semble pas avoir assumé l'esprit ou l'intelligence humaine. Là, en effet, où se trouve présente la réalité, l'image est inutile. Mais « l'homme, par son esprit, est à l'image de Dieu » enseigne S. Augustin. Par conséquent, dans le Christ où se trouvait présent le Verbe divin, il ne devait pas y avoir d'esprit humain.

2. Une forte lumière fait disparaître une lumière moins vive. Mais le Verbe de Dieu, « lumière qui illumine tout homme venant en ce monde » (Jean 1.9), est à l'esprit humain ce qu'une puissante lumière est à une autre moins vive ; l'esprit humain est comme une lampe éclairée par la lumière éternelle, selon cette parole (Proverbes 20.27) : « L'âme de l'homme est une lampe du Seigneur. » Dans le Christ, qui est le Verbe de Dieu, il n'y avait donc pas besoin d'esprit humain.

3. L'assomption de la nature humaine par le Verbe de Dieu est appelée son incarnation. Mais l'intelligence n'est ni chair, ni l'acte d'une chair, car, comme le prouve Aristote, elle n'est l'acte d'aucun corps. Il semble donc que le Fils de Dieu n'a pas assumé l'intelligence humaine.

En sens contraire, S. Augustin déclare « Tiens fermement et sans hésitation que le Christ, Fils de Dieu, a une véritable chair, comme la nôtre, et une âme rationnelle. Il dit en effet au sujet de sa chair (Luc 24.39) : “Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai” ; il démontre qu'il a une âme lorsqu'il dit (Jean 10.17) : “je dépose mon âme, et de nouveau je la reprends” ; il manifeste qu'il a une intelligence, lorsqu'il dit (Matthieu 11.29) : “Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur”. Et c'est de lui que Dieu dit par le prophète (Ésaïe 52.13) : “Voici que mon serviteur aura l'intelligence.” »

Réponse

Comme dit S. Augustin : « Les apollinaristes se séparèrent de l’Église catholique au sujet de l'âme du Christ, en soutenant, comme les ariens, que le Christ Dieu n'avait pris qu'une chair sans âme ; puis, vaincus sur ce point par les témoignages évangéliques, ils prétendirent que l'intelligence avait fait défaut à l'âme du Christ, et que le Verbe lui-même en tenait lieu. »

Mais cette opinion se réfute par les mêmes raisons que précédemment. — 1° Elle contredit le récit évangélique qui rapporte que le Christ a admiré (Matthieu 8.10) ; or l'admiration n'est pas possible sans la raison, car elle suppose la comparaison de l'effet et de sa cause, et se produit quand, voyant un effet, on ignore et on cherche sa cause, selon Aristote.

2° Elle contredit l'utilité de l'Incarnation, qui est de justifier l'homme du péché. L'âme humaine n'est capable de péché et de grâce sanctifiante qu'en raison de l'intelligence ; il fallait donc que l'intelligence humaine surtout fût assumée. Et c'est pourquoi le Damascène affirme : « Le Verbe de Dieu a pris un corps, et une âme intellectuelle et rationnelle » ; puis il ajoute : « Le tout est uni au tout, afin qu'à tout moi-même le salut soit accordé ; car ce qui n'est pas assumé ne peut être guéri. »

3° Cette opinion contredit la vérité de l'Incarnation. Puisque le corps est proportionné à l'âme comme la matière à sa forme propre, une chair qui ne possède pas une âme humaine rationnelle n'est pas une véritable chair humaine. C'est pourquoi, si le Christ avait eu une âme sans intelligence, il n'aurait pas eu une chair véritablement humaine, mais une chair animale ; car c'est par la seule intelligence que notre âme diffère de l'âme des bêtes. Et c'est pourquoi S. Augustin affirme qu'en suivant cette erreur, il faudrait conclure que le Fils de Dieu « aurait assumé un animal à figure humaine » ce qui s'oppose à la vérité divine laquelle ne supporte pas de faux semblant.

Solutions

1. Là où la réalité elle-même est présente, l'image n'est pas nécessaire pour tenir sa place ; c'est ainsi que lorsque l'empereur était présent, les soldats ne vénéraient pas son image. Mais l'image est requise avec la réalité, quand la présence de celle-ci doit la parfaire ; c'est ainsi que l'image dans la cire n'est produite que par l'impression du sceau ; de même l'image d'un homme ne se reflète dans le miroir que si cet homme est présent. Aussi était-il nécessaire que le Verbe de Dieu unît à lui-même l'intelligence humaine pour le parfaire.

2. Une lumière puissante fait disparaître la lumière moins vive d'un autre corps éclairant, mais elle n'efface pas l'éclat d'un corps éclairé, elle le renforce. C'est ainsi qu'en présence du soleil, la lumière de l'air s'accroît. Or l'intelligence humaine est comme une lumière éclairée par celle du Verbe divin, c'est pourquoi la personne du Verbe ne fait pas disparaître, mais plutôt perfectionne l'intelligence humaine.

3. Sans doute la faculté intellectuelle n'est pas l'acte d'un corps. Mais l'essence de l'âme humaine qui est forme du corps exige, pour être la plus noble, d'avoir la faculté de l'intelligence ; et c'est pourquoi il lui faut un corps mieux disposé.

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