Somme théologique

Somme théologique — La tertia

22. LE SACERDOCE DU CHRIST

  1. Convient-il au Christ d'être prêtre ?
  2. La victime de ce sacerdoce.
  3. L'effet de ce sacerdoce.
  4. Cet effet le concerne-t-il, ou seulement les autres hommes ?
  5. L'éternité de ce sacerdoce.
  6. Le Christ doit-il être appelé prêtre à la manière de Melchisédech ?

1. Convient-il au Christ d'être prêtre ?

Objections

1. Il ne semble pas, car le prêtre est inférieur à l'ange, selon Zacharie (Zacharie 3.1) : « Dieu m'a montré un grand prêtre se tenant devant l'ange du Seigneur. » Or le Christ est supérieur aux anges selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 1.4) : « Il est d'autant supérieur aux anges qu'il possède par héritage un nom bien plus grand que les leurs. » Il ne convient donc pas au Christ d'être prêtre.

2. Les événements de l'Ancien Testament préfigurent le Christ, selon S. Paul (Colossiens 2.17) : « Tout cela n'est que l'ombre des choses à venir... » Mais le Christ n'a pas tiré son origine humaine des prêtres de l'ancienne loi, car l'Apôtre écrit (Hébreux 7.14) « Il est manifeste que notre Seigneur est issu de Juda, tribu dont Moïse ne dit rien quand il parle des prêtres. »

3. Dans l'ancienne loi, qui préfigure le Christ, le même homme ne fut pas législateur et prêtre. C'est pourquoi le Seigneur dit à Moïse (Exode 28.1) : « Prends Aaron, ton frère, pour qu'il soit prêtre à mon service. » Or le Christ est le législateur de la loi nouvelle selon Jérémie (Jérémie 31.3) : « je mettrai une loi dans leur cœur. » Donc il ne convenait pas au Christ d'être prêtre.

En sens contraire, il y a l'affirmation de l'épître aux Hébreux : « Nous avons un grand prêtre qui a pénétré dans les cieux : Jésus, le Fils de Dieu. »

Réponse

L'office propre du prêtre est d'être médiateur entre Dieu et le peuple en tant qu'il transmet au peuple les biens divins, d'où son nom de sacer-dos, c'est-à-dire sacra dans : « qui donne les choses saintes » ; selon Malachie (Malachie 2.7) : « C'est de sa bouche qu'on attend l'enseignement. » De plus, le prêtre est médiateur en tant qu'il offre à Dieu les prières du peuple et satisfait à Dieu en quelque manière pour les péchés ; de là cette parole (Hébreux 5.1) : « Tout grand prêtre, pris d'entre les hommes, est établi en faveur des hommes dans ce qui a rapport à Dieu, afin d'offrir des oblations et des sacrifices pour les péchés. » Or cela convient parfaitement au Christ. Par lui en effet, les dons de Dieu sont transmis aux hommes, selon S. Pierre (2 Pierre 1.4) : « Par lui nous avons été mis en possession de grandes et précieuses promesses, afin de devenir ainsi participants de la nature divine. » De même le Christ a réconcilié avec Dieu le genre humain, comme il est écrit aux Colossiens (Colossiens 1.19) : « Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la Plénitude, et par lui de tout se réconcilier. » Il convient donc souverainement au Christ d'être prêtre.

Solutions

1. La puissance hiérarchique convient aux anges, en tant qu'ils sont eux-mêmes intermédiaires entre Dieu et l'homme, comme l'enseigne Denys ; c'est pourquoi le prêtre, parce qu'il est lui aussi intermédiaire entre Dieu et le peuple, reçoit le nom d'ange selon Malachie : « Il est l'ange du Seigneur de l'univers. » Or le Christ fut supérieur aux anges, non seulement sous le rapport de sa divinité, mais même sous le rapport de son humanité, car il possède la plénitude de grâce et de gloire. Il avait donc de façon beaucoup plus excellente que les anges la puissance hiérarchique ou sacerdotale ; à tel point que les anges eux-mêmes furent les ministres de son sacerdoce, comme dit S. Matthieu (Matthieu 4.11) : « Des anges s'approchèrent et le servaient. » Pourtant, sous le rapport de la possibilité, il fut abaissé un moment au-dessous des anges (Hébreux 2.9). Et en cela il fut semblable aux hommes voyageurs constitués dans le sacerdoce.

2. Selon S. Jean Damascène « la similitude absolue constitue une identité, non une exemplarité ». Et puisque le sacerdoce de l'ancienne loi n'était que la figure de celui du Christ, le Christ n'a pas voulu naître de la race des prêtres préfiguratifs, afin de montrer que son sacerdoce n'était pas identique à l'ancien, mais en différait comme la vérité de sa préfiguration.

3. Comme nous l'avons déjà dit les autres hommes possèdent certaines grâces particulières, mais le Christ, tête de tous les hommes, a reçu en perfection toutes les grâces. C'est pourquoi, en ce qui regarde les autres hommes, l'un est législateur, l'autre prêtre, l'autre roi ; chez le Christ au contraire, tout cela se rejoint, comme chez celui qui est la source de toutes les grâces. Aussi lisons-nous dans Isaïe (Ésaïe 33.22) : « Le Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, notre roi ; il viendra et nous sauvera. »


2. Le Christ a-t-il été lui-même et à la fois, le prêtre et la victime ?

Objections

1. Il appartient au prêtre de tuer la victime. Mais le Christ ne s'est pas tué. Donc il n'a pas été à la fois prêtre et victime.

2. Le sacerdoce du Christ ressemble davantage à celui des juifs, qui fut constitué par Dieu, qu'à celui des païens qui rendaient un culte aux démons. Or, dans la loi ancienne on n'offrait jamais un homme en sacrifice ; c'est ce que l'Écriture reproche le plus aux païens (Psaumes 106.38) : « Ils ont répandu le sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles, en les immolant aux idoles de Canaan. » Donc, dans le sacerdoce du Christ, le Christ homme ne devait pas être victime.

3. Toute victime, du fait qu'on l'offre à Dieu, lui est consacrée. Mais l'humanité du Christ fut consacrée et unie à Dieu dès le principe. On ne peut donc pas dire que le Christ, en tant qu'homme, fut victime.

En sens contraire, il y a cette parole de l'Apôtre (Éphésiens 5.2) : « Le Christ nous a aimés et s'est livré pour nous en oblation et en victime d'agréable odeur. »

Réponse

S. Augustin écrit : « Tout sacrifice visible est le sacrement ou signe sacré d'un sacrifice invisible. » Or le sacrifice invisible consiste pour l'homme à offrir son esprit à Dieu, selon le Psaume (Psaumes 51.19) : « Le sacrifice à Dieu, c'est un esprit broyé. » C'est pourquoi tout ce qui est offert à Dieu en vue de porter l'esprit de l'homme vers Dieu, peut être appelé sacrifice.

L'homme a donc besoin du sacrifice pour trois motifs. 1° Pour la rémission du péché qui le détourne de Dieu ; c'est pourquoi l'Apôtre dit (Hébreux 5.1) qu'il appartient au prêtre « d'offrir des dons et des sacrifices pour les péchés ». 2° Pour que l'homme se maintienne dans l'état de grâce et d'union à Dieu en qui se trouvent sa paix et son salut. De là, dans l'ancienne loi, l'immolation de la victime pacifique pour le salut de ceux qui l'offraient, prescrit par le Lévitique (chap. 3).

3° Pour que l'esprit de l'homme soit parfaitement uni à Dieu, ce qui se réalisera dans la gloire. C'est pourquoi, dans l'ancienne loi, on offrait l'holocauste où tout était brûlé, comme dit encore le Lévitique (chap. 1).

Or tous ces bienfaits nous sont venus à travers l'humanité du Christ. Par elle, en effet, nos péchés ont été effacés, selon l'épître aux Romains (Romains 4.25) : « Il s'est livré pour nos péchés. » Par le Christ encore nous recevons la grâce qui nous sauve, comme dit l'épître aux Hébreux (Hébreux 5.9) : « Il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel. » Par lui enfin nous obtenons la perfection de la gloire, car, dit l'épître aux Hébreux (Hébreux 10.19) : « Voici que nous possédons, par le sang de Jésus, l'accès assuré dans le sanctuaire », c'est-à-dire dans la gloire céleste. Le Christ, en tant qu'homme, fut donc non seulement prêtre, mais victime parfaite, étant à la fois victime pour le péché, victime pacifique, et holocauste.

Solutions

1. Le Christ ne s'est pas tué lui-même, mais il s'est livré volontairement à la mort, selon Isaïe (Ésaïe 53.7) : « Il s'est offert parce qu'il l'a voulu. » Il s'est donc offert lui-même.

2. La mort du Christ homme peut se référer à une double volonté. La volonté de ceux qui l'ont tué, et sous ce rapport le Christ n'a pas eu raison de victime ; ses bourreaux n'ont pas offert une victime à Dieu, mais ont péché gravement. En ce sens, ils étaient semblables aux païens qui, dans leurs sacrifices, immolaient des hommes aux idoles. La mort du Christ peut aussi être considérée par référence à la volonté du patient qui volontairement s'est offert à la souffrance. À ce point de vue, le Christ a raison de victime, et son sacrifice n'a aucun rapport avec celui des païens.

3. La sanctification, dès le commencement, de l'humanité du Christ, n'empêche pas que sa nature humaine elle-même, lorsqu'elle fut offerte à Dieu dans la Passion, ait été sanctifiée d'une manière nouvelle, comme une victime effectivement présentée à Dieu. Elle acquit alors une sanctification effective de victime, à partir de la charité antécédente et de la grâce d'union qui le sanctifiait de façon absolue.


3. Le sacerdoce du Christ a-t-il pour effet l'expiation des péchés ?

Objections

1. Il appartient à Dieu seul d'effacer les péchés, selon Isaïe (Ésaïe 43.25) : « C'est moi seul qui efface les iniquités pour l'amour de moi. » Or ce n'est pas en tant qu'il est Dieu, que le Christ est prêtre, mais en tant qu'il est homme. Son sacerdoce ne produit donc pas l'expiation des péchés.

2. L'Apôtre écrit (Hébreux 10.1) que les sacrifices de l'ancienne loi « ne purent rendre parfaits ceux qui y prenaient part ; autrement on aurait cessé de les offrir parce que, purifiés une bonne fois, ceux qui rendaient ce culte n'auraient plus eu aucune conscience de leurs péchés, alors qu'au contraire on renouvelait chaque année, par ces sacrifices, le souvenir des péchés. » Or, de même, sous le sacerdoce du Christ, on rappelle le souvenir des péchés, quand on dit : « Pardonnez-nous nos offenses. » On offre aussi continuellement dans l'Église le sacrifice ; de là cette prière : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » Donc, par le sacerdoce du Christ, nos péchés ne sont pas expiés.

3. Dans l'ancienne loi, on immolait un bouc pour le péché du prince, une chèvre pour le péché d'un membre du peuple, un jeune taureau pour le péché d'un prêtre (Lévitique 4.3, 23, 28). Or, le Christ n'est comparé à aucun de ces animaux, mais à l'agneau, selon Jérémie (Jérémie 11.19) : « je suis comme un agneau confiant qu'on mène à l'abattoir. » Il semble donc que le sacerdoce du Christ ne soit pas capable d'expier les péchés.

En sens contraire, l'Apôtre écrit (Hébreux 9.14) : « Le sang du Christ qui, par l'Esprit Saint s'est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera nos consciences des œuvres mortes pour servir le Dieu vivant. » Or les œuvres mortes sont les péchés. C'est donc que le sacerdoce du Christ a la puissance de purifier les péchés.

Réponse

Deux choses sont nécessaires à la purification parfaite des péchés, en tant qu'il y a deux éléments à considérer dans le péché : la tache de la faute et l'obligation à la peine. La tache de la faute est enlevée par la grâce qui tourne le cœur du pécheur vers Dieu ; l'obligation à la peine disparaît du fait que l'homme satisfait à Dieu. Or ces deux effets sont réalisés par le sacerdoce du Christ. Par la vertu de ce sacerdoce la grâce nous est donnée et nos cœurs sont tournés vers Dieu, selon l'épître aux Romains (Romains 3.24) : « Tous sont justifiés gratuitement par sa grâce, en vertu de la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi d'avance comme moyen de propitiation par la foi en son sang. » De plus, le Christ a pleinement satisfait pour nous, car « il s'est chargé de nos infirmités et il a porté nos douleurs » (Ésaïe 53.4). Il est donc bien évident que le sacerdoce du Christ a pleine puissance pour expier les péchés.

Solutions

1. Bien que le Christ ne soit pas prêtre en tant que Dieu, mais en tant qu'homme, c'est la même et unique personne qui est à la fois prêtre et Dieu. C'est pourquoi nous lisons dans les actes du concile d'Éphèse : « Si quelqu'un dit que notre Pontife et Apôtre n'est pas le Verbe de Dieu quand il s'est fait chair, et homme comme nous, mais un autre distinct de lui et fils de la femme... qu'il soit anathème. » Aussi, en tant que son humanité agissait en vertu de sa divinité, son sacrifice était parfaitement efficace pour effacer les péchés. De là cette parole de S. Augustin : « Quatre choses sont à considérer dans le sacrifice : à qui il est offert, par qui il est offert, ce qui est offert et ceux pour qui il est offert. Or l'unique et véritable médiateur, en nous réconciliant avec Dieu par un sacrifice de paix, demeurait un avec celui à qui il offrait, unifiait en lui ceux pour lesquels il offrait, réalisait enfin l'unité entre l'offrant et la victime offerte. »

2. Si dans la loi nouvelle nous rappelons le souvenir des péchés, ce n'est pas à cause de l'inefficacité du sacerdoce du Christ, ou de son insuffisance à expier les péchés ; mais c'est à cause de ceux qui ne veulent pas participer à son sacrifice, tels les infidèles pour lesquels nous prions afin qu'ils se convertissent de leurs péchés ; c'est encore à cause de ceux qui, après avoir participé au sacrifice du Christ, s'en écartent en tombant dans le péché.

Quant au sacrifice quotidien qui est offert dans l'Église, il n'est pas un sacrifice différent de celui du Christ, mais il en est la communication. C'est pourquoi S. Augustin écrit : « Le Christ est le prêtre qui offre, et il est lui-même l'oblation ; et de cette offrande et de cette oblation, il a voulu que le sacrifice de l'Église soit le sacrement quotidien. »

3. Ainsi que le remarque Origène, bien que dans l'ancienne loi divers animaux fussent offerts en sacrifice, cependant le sacrifice quotidien, offert matin et soir, consistait en un agneau, comme disent les Nombres (Nombres 28.8). Par là était signifié que l'oblation du véritable agneau, c'est-à-dire du Christ, devait consommer tous les autres sacrifices, selon cette parole en S. Jean (Jean 1.29) : « Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde. »


4. Cet effet concerne-t-il le Christ, ou seulement les autres hommes ?

Objections

1. Il appartient à l'office du prêtre de prier pour le peuple, car il est écrit (2 Maccabées 1.23) : « Les prêtres faisaient la prière pendant que se consumait le sacrifice. » Or Christ n'a pas seulement prié pour les autres, mais aussi pour lui-même, comme nous l'avons déjà dit et comme il est dit expressément dans l'épître aux Hébreux (Hébreux 5.7) : « Durant sa vie mortelle, avec de grands cris et des larmes, il adressa des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort. » C'est donc que son sacerdoce a eu effet non seulement pour les autres, mais aussi pour lui.

2. Le Christ s'est offert lui-même en sacrifice dans sa passion. Mais, par sa passion, il n'ai pas seulement mérité pour les autres, mais aussi pour lui-même, comme nous l'avons remarqués Sort sacerdoce a donc produit son effet non seulement pour les autres, mais aussi pour lui-même.

3. Le sacerdoce de l'ancienne loi fut la figure du sacerdoce du Christ. Or le prêtre de l'ancienne loi n'offrait pas seulement le sacrifice pour les autres, mais aussi pour lui. Nous lisons en effet dans le Lévitique (Lévitique 16.17) : « Le grand prêtre était dans le sanctuaire afin de prier pour lui, pour sa maison et pour toute l'assemblée des fils d’Israël. » Le sacerdoce du Christ ne profite donc pas seulement aux autres, mais au Christ.

En sens contraire, nous lisons dans les actes du concile d'Éphèse : « Si quelqu'un dit que le Christ a offert son oblation pour lui, et non pas seulement pour nous (car celui qui n'a pas péché n'a pas besoin de sacrifice), qu'il soit anathème. »

Réponse

Comme nous l'avons dit, le prêtre est constitué intermédiaire entre Dieu et le peuple. Or, celui qui ne peut accéder à Dieu par lui-même a besoin d'un intermédiaire pour aller à Dieu. Ce qui ne s'applique évidemment pas au Christ ; l'Apôtre écrit en effet (Hébreux 7.25) : « Il a accès par lui-même auprès de Dieu, et il est toujours vivant pour intercéder en notre faveur. » Il ne convient donc pas au Christ de recevoir l'effet de son sacerdoce, mais plutôt de le communiquer aux autres. Dans un ordre donné, l'agent premier exerce une influence qu'il ne reçoit pas : le soleil éclaire, mais il n'est pas éclairé ; le feu chauffe, mais il n'est pas chauffé. Or le Christ est la source de tout le sacerdoce, car le prêtre de l'ancienne loi était la figure du Christ ; et le prêtre de la loi nouvelle agit en sa personne, selon S. Paul (2 Corinthiens 2.10) : « Ce que j'ai pardonné, si vraiment j'ai pardonné quelque chose, par considération pour vous, je l'ai fait en la personne du Christ. » Il ne convient donc pas que le Christ reçoive l'effet de son sacerdoce.

Solutions

1. La prière, bien qu'elle convienne aux prêtres, n'est cependant pas leur office propre ; il appartient à quiconque de prier pour soi et pour les autres, selon cette parole de S. Jacques (Jacques 5.16) : « Priez les uns pour les autres afin d'être sauvés. » On pourrait donc dire que la prière du Christ pour lui-même n'était pas un acte de son sacerdoce.

Mais cette réponse semble exclue par l'enseignement de l'Apôtre quand il dit (Hébreux 5.6) : « Tu es prêtre pour l'éternité à la manière de Melchisédech », et il ajoute : « Durant sa vie mortelle, le Christ adressa des prières, » etc. Il semble donc que la prière du Christ appartienne à son sacerdoce. C'est pourquoi il faut dire que les autres prêtres bénéficient de l'effet de leur sacerdoce, non en tant que prêtres, mais en tant que pécheurs, comme nous allons le dire. Le Christ au contraire, absolument parlant, n'eut pas de péché ; il eut seulement « une chair semblable à celle du péché », selon l'épître aux Romains (Romains 8.3). On ne doit donc pas soutenir que le Christ bénéficia, absolument parlant, de l'effet de son sacerdoce, mais seulement sous un certain rapport, à savoir au point de vue de la possibilité de la chair : de là précisément cette parole (Hébreux 5.7) « Dieu pouvait le sauver de la mort. »

2. Dans l'oblation du sacrifice par n'importe quel prêtre, on peut considérer deux éléments : le sacrifice offert, en lui-même ; la dévotion de l'offrant. Or l'effet propre du sacerdoce est ce qui découle du sacrifice en lui-même. Et le Christ a obtenu par sa passion la gloire de sa résurrection, non en vertu du sacrifice, offert par mode de satisfaction, mais en vertu de la dévotion qui lui a fait supporter humblement sa passion par charité.

3. La préfiguration ne peut égaler la vérité. Aussi le prêtre de la loi ancienne préfigurative ne pouvait atteindre à une perfection telle qu'il n'eût pas besoin de sacrifice satisfactoire. Mais le Christ n'en avait pas besoin. Aussi la comparaison est-elle impossible. Et c'est ce que dit l'Apôtre (Hébreux 7.28) : « La loi établit comme grands prêtres des hommes sujets à la faiblesse ; mais la parole du serment — postérieur à la loi — établit le Fils rendu parfait pour l'éternité. »


5. L'éternité du sacerdoce du Christ

Objections

1. Nous l'avons dit, les pécheurs seuls ont besoin de participer aux effets du sacerdoce, car leurs fautes sont expiées par le sacrifice du prêtre. Mais ce ne sera pas éternel, car les saints ne connaîtront plus de défaillances, selon Isaïe (Ésaïe 60.11) : « Ton peuple ne comprendra que les justes » ; quant à la faiblesse des pécheurs, elle ne pourra pas être pardonnée, car en enfer, il n'y a pas de rédemption. Le sacerdoce du Christ n'est donc pas éternel.

2. Le sacerdoce du Christ s'est surtout manifesté dans sa passion et dans sa mort, lorsque le Christ « par son propre sang pénétra dans le sanctuaire », dit l'épître aux Hébreux (Hébreux 9.12). Mais la passion et la mort du Christ ne sont pas éternelles, car, selon l'épître aux Romains (Romains 6.9), « le Christ ressuscité ne meurt plus ». Son sacerdoce n'est donc pas éternel.

3. Le Christ est prêtre, non pas en tant que Dieu, mais en tant qu'homme. Or le Christ n'a pas toujours été homme, par exemple pendant son séjour au tombeau. Son sacerdoce n'est donc pas éternel.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (Psaumes 110.4) : « Tu es prêtre pour l'éternité. »

Réponse

Dans l'office du prêtre on peut considérer deux choses : l'oblation du sacrifice, et la consommation de celui-ci. Elle consiste en ce que ceux pour lesquels le sacrifice est offert obtiennent la fin poursuivie. Or, la fin du sacrifice offert par le Christ, ce ne sont pas les biens temporels, mais les biens éternels qu'il nous a acquis par sa mort ; de là cette parole de l'épître aux Hébreux (Hébreux 9.11) : « Le Christ est le grand prêtre des biens à venir. » Sous ce rapport, son sacerdoce est éternel. Cette consommation du sacrifice du Christ était préfigurée par ce fait que le prêtre de l'ancienne loi entrait une fois par an dans le Saint des saints, selon le Lévitique (Lévitique 16.11), avec le sang des boucs et des taureaux, lesquels n'étaient pas immolés au sanctuaire, mais en dehors. Pareillement, le Christ est entré dans le sanctuaire, c'est-à-dire le ciel, et il nous a frayé la voie pour que nous entrions par la vertu de son sang, qu'il a répandu sur la terre pour nous.

Solutions

1. Les saints qui seront dans la patrie n'auront pas besoin d'expiation ultérieure par le sacerdoce du Christ, mais, pardonnés, ils auront besoin d'être portés à la perfection par le Christ, dont leur gloire dépend ce qui a fait écrire dans l'Apocalypse (Apocalypse 21.23) : « La gloire de Dieu l'illumine (la cité des saints) et l'Agneau est son flambeau. »

2. Bien que la passion et la mort n'aient pas été renouvelées, cependant la vertu d'une telle victime, offerte une seule fois, demeure éternellement.

3. Cela répond à la troisième objection car, dit l'épître aux Hébreux (Hébreux 10.14) : « Par une oblation unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qui sont sanctifiés. »

L'unité de cette oblation était préfigurée dans l'ancienne loi par ce fait que le grand prêtre entrait dans le sanctuaire une seule fois par an, pour l'oblation solennelle du sang, comme il est prescrit par le Lévitique (Lévitique 16.11). Mais la figure était inférieure à la réalité en ce qu'une telle victime n'avait pas une vertu perpétuelle, et qu'il fallait renouveler le sacrifice chaque année.


6. Le Christ doit-il être appelé prêtre selon l'ordre de Melchisédech ?

Objections

1. Le Christ, comme prêtre principal, est la source de tout sacerdoce. Or ce qui est principal ne peut suivre l'acte d'autrui, c'est aux autres de suivre le sien. Donc le Christ ne doit pas être appelé prêtre selon l'ordre de Melchisédech.

2. Le sacerdoce de l'ancienne loi est plus proche de celui du Christ que le sacerdoce antérieur à la loi. Or les sacrements signifiaient d'autant plus expressément le Christ qu'ils étaient plus proches de lui, ainsi que nous l'avons montré dans la deuxième Partie. Donc le sacerdoce du Christ doit être nommé d'après le sacerdoce de la loi plutôt que d'après le sacerdoce de Melchisédech, antérieur à la loi.

3. Il est écrit (Hébreux 7.2) : Melchisédech « veut dire : “roi de la paix”. Sans père, sans mère, sans généalogie, dont les jours n'ont pas de commencement et dont la vie n'a pas de fin ». Tout cela convient uniquement au Fils de Dieu. Le Christ ne doit donc pas être appelé prêtre selon l'ordre de Melchisédech, comme de quelqu'un d'autre, mais selon un ordre qui est propre à lui-même.

En sens contraire, il est écrit dans le Psaume (Psaumes 110.4) : « Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech. »

Réponse

Comme nous l'avons dit, le sacerdoce légal fut la préfiguration du sacerdoce du Christ, non certes en égalant la vérité, mais d'une manière très inférieure : et parce que le sacerdoce légal ne purifiait pas les péchés, et parce qu'il n'était pas éternel comme celui du Christ. Or, cette supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce lévitique fut préfigurée dans le sacerdoce de Melchisédech, lequel perçut la dîme sur Abraham, et en celui-ci sur le sacerdoce lévitique qui devait descendre de lui. Aussi dit-on que le sacerdoce du Christ est « selon l'ordre de Melchisédech », à cause de la supériorité du sacerdoce véritable sur le sacerdoce légal, qui n'était que préfiguratif.

Solutions

1. Cette façon de parler ne comprend pas Melchisédech comme étant le prêtre principal, mais comme préfigurant la supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce lévitique.

2. Dans le sacerdoce du Christ on peut distinguer son oblation et sa participation. Quant à l'oblation elle-même, le sacerdoce du Christ était préfiguré plus expressément par le sacerdoce légal, qui répandait le sang, que par le sacerdoce de Melchisédech, où le sang n'est pas répandu. Mais quant à la participation à ce sacrifice et à son effet, à quoi on mesure surtout la supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce légal, elle était plus expressément préfigurée par le sacerdoce de Melchisédech qui offrait du pain et du vin lesquels, pour S. Augustin symbolisent l'unité de l'Église, que constitue la participation au sacrifice du Christ. Et c'est pourquoi, dans la loi nouvelle, le véritable sacrifice du Christ est communiqué aux fidèles sous les espèces du pain et du vin.

3. Si l'on dit que Melchisédech est « sans père, sans mère et sans génération », que « ses jours n'ont pas de commencement ni de fin », ce n'est pas parce qu'il n'en avait pas, mais parce que la Sainte Écriture n'en parle pas. Et par cela même, comme l'Apôtre le dit au même endroit, « il est assimilé au Fils de Dieu » qui sur terre est sans père, et au ciel sans mère et sans généalogie, selon Isaïe (Ésaïe 53.8) : « Qui racontera sa génération ? » Et selon sa divinité il n'a ni commencement ni fin de ses jours.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant