Somme théologique

Somme théologique — La tertia

78. LA FORME DE CE SACREMENT

  1. Quelle est la forme de ce sacrement ?
  2. La forme de la consécration du pain est-elle appropriée ?
  3. La forme de la consécration du sang est-elle appropriée ?
  4. La vertu de ces deux formes.
  5. La vérité de leur langage.
  6. Les relations entre les deux formes.

1. Quelle est la forme de ce sacrement ?

Objections

1. Il semble que « Ceci est mon corps » et « Ceci est la coupe de mon sang » ne soit pas la forme de ce sacrement. En effet ces paroles semblent appartenir à la forme par laquelle le Christ a consacré son corps et son sang. Mais le Christ a d'abord béni le pain qu'il avait pris en mains et il a dit ensuite : « Prenez et mangez : ceci est mon corps » (Matthieu 26.26). Et il a fait de même pour le calice. Les paroles en question ne sont donc pas la forme du sacrement.

2. Eusèbe dit que le prêtre invisible convertit en son corps des créatures visibles en disant : « Prenez et mangez, ceci est mon corps. » C'est donc toute cette phrase qui paraît appartenir à la forme du sacrement. Et le même argument vaut pour les paroles qui se rapportent au sang.

3. Dans la forme du baptême on exprime la personne du ministre et son acte, en disant : « Moi, je te baptise. » Mais dans les paroles en question il n'est fait aucune mention ni de la personne du ministre, ni de son acte. Donc elles ne sont pas la forme sacramentelle appropriée.

4. La forme sacramentelle est suffisante pour accomplir entièrement le sacrement. C'est pourquoi l'on peut parfois accomplir le sacrement de baptême en se contentant de prononcer les paroles de la forme, et en omettant toutes les autres paroles. Donc, si les paroles en question sont la forme de ce sacrement, il apparaît qu'on pourrait parfois accomplir ce sacrement en se contentant de prononcer les paroles en question et en omettant toutes les autres paroles que la messe comporte. Cependant cela paraît faux, car, si l'on omettait ces autres paroles, les paroles en question s'entendraient de la personne du prêtre qui les prononce, et pourtant le pain et le vin ne sont pas convertis au corps et au sang du prêtre. Les paroles en question ne sont donc pas la forme de ce sacrement.

En sens contraire, S. Ambroise affirme : « La consécration se fait par les mots et les paroles du Seigneur Jésus. Car tout ce qu'on dit d'autre rend gloire à Dieu, sert à prier pour le peuple, pour les rois, pour tous. Lorsque l'on accomplit le sacrement, le prêtre n'emploie plus ses propres paroles, il emploie celles du Christ. C'est donc la parole du Christ qui accomplit ce sacrement. »

Réponse

Ce sacrement diffère des autres en deux points. D'abord en ce qu'il est achevé dans la consécration de la matière, tandis que les autres s'achèvent dans l'usage de la matière consacrée. Ensuite parce que, dans les autres sacrements, la consécration de la matière consiste seulement en une bénédiction d'où la matière consacrée reçoit à titre d'instrument une vertu spirituelle qui, par le ministre, — lequel est un instrument animé, — peut atteindre jusqu'aux instruments inanimés. Tandis que, dans ce sacrement, la consécration de la matière consiste en une conversion miraculeuse de la substance, que Dieu seul peut accomplir. C'est pourquoi le ministre en accomplissant ce sacrement n'a pas d'autre action que d'émettre des paroles.

Et parce que la forme doit être appropriée à la réalité sacramentelle, la forme de ce sacrement diffère de celles des autres sacrements en deux points. Le premier, c'est que les formes des autres sacrements se rapportent à l'emploi de la matière, par exemple le baptême ou la chrismation ; tandis que la forme de ce sacrement se rapporte uniquement à la consécration de la matière, qui consiste dans la transsubstantiation, lorsqu'on dit : « Ceci est mon corps » ou : « Ceci est la coupe de mon sang. » La deuxième différence, c'est que les formes des autres sacrements sont émises au nom personnel du ministre, soit en le désignant comme exerçant un acte, quand il dit : « je te baptise » ou « je te confirme » ; ou à l'impératif, comme on dit dans le sacrement de l'ordre : « Recevez le pouvoir... » ; ou par mode déprécatoire, comme on dit dans le sacrement de l'extrême-onction : « Que par cette onction et notre intercession... » Tandis que la forme de ce sacrement est émise à la place du Christ lui-même qui parle ; on donne ainsi à entendre que, dans l'accomplissement de ce sacrement, le ministre ne fait rien d'autre que de proférer les paroles du Christ.

Solutions

1. A ce sujet il y a de nombreuses opinions. Certains ont dit que le Christ, qui avait un pouvoir d'excellence sur les sacrements, réalisa ce sacrement sans aucune forme verbale, et qu'ensuite il émit les paroles par lesquelles les autres prêtres consacreraient ensuite. Tel paraît le sens de ces mots d'Innocent III — « On peut vraiment dire que le Christ réalisa par la vertu divine et ensuite exprima la forme sous laquelle ses successeurs béniraient. » Mais cette opinion est expressément contraire aux termes de l’Évangile, selon lesquels le Christ « bénit », bénédiction qui fut faite avec des paroles. Le texte d'Innocent III exprime donc plutôt une opinion personnelle qu'une définition.

Certains ont encore prétendu que cette bénédiction fut faite avec des paroles que nous ignorons. Mais cela non plus ne tient pas. Car la bénédiction consécratoire se fait maintenant par le récit de ce qui s'est passé alors. Donc, si ce n'est pas ces paroles qui ont accompli la consécration, elles ne l'accompliraient pas davantage maintenant.

Et c'est pourquoi d'autres ont avancé que cette bénédiction a été accomplie avec les mêmes paroles que maintenant, mais que le Christ les a proférées deux fois. Une première fois tout bas, pour consacrer. Une deuxième fois ouvertement, pour instruire. Mais cela non plus ne tient pas. Car le prêtre consacre en proférant ces paroles non pas en tant que prononcées par le Christ dans une bénédiction secrète, mais en tant que proférées publiquement. Donc, comme ces paroles tirent toute leur force de leur émission par le Christ, il apparaît que le Christ lui aussi a consacré en les proférant ouvertement.

C'est pourquoi d'autres ont dit que les Évangélistes, dans leur récit, n'ont pas toujours observé l'ordre des événements : S. Augustin le montre. Il faut donc comprendre que l'ordre réel des événements peut être rétabli ainsi : « Prenant du pain, il le bénit en disant : “Ceci est mon corps” et ensuite il le rompit et le donna à ses disciples. » Mais on peut dégager le même sens des paroles de l'Évangile, sans rien y changer. Car ce participe « en disant » signale une certaine simultanéité des paroles prononcées avec ce qui précède. Et il n'est pas nécessaire d'entendre cette simultanéité seulement avec la dernière parole prononcée, comme si le Christ avait prononcé ces paroles-là quand il donna l'eucharistie à ses disciples. Mais on peut l'entendre avec tout ce qui précède. Le sens serait alors : « Tandis qu'il bénissait, rompait et donnait à ses disciples, il dit ces paroles : “Prenez, etc.” »

2. Ces paroles « Prenez et mangez » désignent l'usage de la matière consacrée, qui n'appartient pas nécessairement à ce sacrement, comme on l'a vu. C'est pourquoi ces paroles n'appartiennent pas à la substance de la forme.

Cependant, parce que l'usage de la matière consacrée appartient à une certaine perfection du sacrement, de même que l'opération n'est pas la première, mais la seconde perfection d'un être, toutes ces paroles expriment l'entière perfection de ce sacrement. Ainsi Eusèbe a-t-il compris que le sacrement est accompli avec ces paroles, quant à sa première et à sa seconde perfection.

3. Dans le sacrement de baptême, le ministre exerce un certain acte concernant l'usage de la matière, qui appartient à l'essence du sacrement, ce qui n'est pas le cas dans l'eucharistie, si bien que la comparaison ne vaut pas.

4. Certains ont dit que ce sacrement ne peut être accompli si l'on prononce les paroles en question en omettant les autres, surtout celles du canon de la messe. Mais cela est évidemment faux. D'abord, d'après les paroles de S. Ambroise citées dans l'argument en sens contraire. Ensuite parce que le canon de la messe n'est pas le même chez tous et a varié avec le temps, ayant reçu des adjonctions de divers auteurs.

Il faut donc soutenir que si le prêtre ne disait que les paroles en question, avec l'intention d'accomplir ce sacrement, celui-ci serait réalisé, parce que l'intention ferait comprendre que ces paroles sont prononcées au nom du Christ, même si ce n'était pas signalé par le récit des paroles précédentes. Cependant ce prêtre pécherait gravement, comme n'observant pas le rite de l'Église. Le cas n'est pas le même dans le baptême, qui est le sacrement indispensable, tandis que si l'eucharistie fait défaut, on peut y suppléer par la manducation spirituelle, dit S. Augustin.


2. La forme de la consécration du pain est-elle appropriée ?

Objections

1. La forme de ce sacrement doit exprimer son effet. Mais l'effet qui s'accomplit dans la consécration du pain, c'est la conversion de la substance du pain au corps du Christ, qui s'exprime mieux par le verbe devenir que par le verbe être. On devrait donc dire dans la forme de ce sacrement : « Ceci devient mon corps. »

2. S. Ambroise nous dit : « La parole du Christ accomplit ce sacrement. Quelle parole du Christ ? Celle par qui tout a été fait : le Seigneur a ordonné et les cieux et la terre furent créés. » La forme de ce sacrement aurait donc été mieux appropriée, formulée à l'impératif, ce qui ferait dire : « Que ceci soit mon corps. »

3. Le sujet de cette phrase concerne ce qui est converti, de même que son attribut concerne le terme de la conversion. Mais, de même que nous avons établi le terme de la conversion, qui est le corps du Christ, nous en avons établi le sujet, qui n'est autre que le pain. Donc, de même qu'on met un nom du côté de l'attribut, de même doit-on en mettre un du côté du sujet, ce qui ferait dire « Ce pain est mon corps. »

4. De même que le terme de la conversion est d'une nature déterminée, puisque c'est le corps, de même il appartient à une personne déterminée. Pour déterminer cette personne on devrait donc dire : « Ceci est le corps du Christ. »

5. Dans les paroles de la forme, on ne doit rien mettre qui n'appartienne à sa substance. C'est donc à tort que dans certains livres on a introduit la conjonction « car » qui n'appartient pas à la substance de la forme.

En sens contraire, le Seigneur a employé cette forme pour consacrer, comme on le voit en S. Matthieu (Matthieu 26.26).

Réponse

Cette forme de consécration du pain est parfaitement appropriée. On a vu en effet que cette consécration consiste en la conversion de la substance du pain au corps du Christ. Or il faut que la forme du sacrement signifie ce qui se réalise dans le sacrement. Par conséquent la forme de la consécration du pain doit signifier précisément la conversion du pain au corps du Christ. On peut en considérer trois éléments : la conversion elle-même, son point de départ et son point d'arrivée.

La conversion peut être considérée à deux points de vue : dans son devenir et dans son résultat. Or dans cette forme on devait signifier la conversion non pas dans son devenir mais dans son résultat. D'abord parce que cette conversion n'est pas successive, nous l'avons vu, mais instantanée. Or, dans les changements instantanés, le devenir est identique à son résultat. Ensuite, parce que les formes sacramentelles signifient l'effet du sacrement de la même façon que les formes artificielles révèlent l'effet de l'art. La forme artificielle est la ressemblance de l'effet ultime auquel se porte l'intention de l'artiste. C'est ainsi que la forme de l'art dans l'âme du constructeur est la forme de la maison construite, comme principe de son action ; et par voie de conséquence, c'est la forme de la construction. Ainsi, dans cette forme sacramentelle, doit s'exprimer la conversion dans son résultat, vers quoi se porte l'intention.

Et parce que cette forme signifie la conversion dans son résultat, il faut qu'elle signifie les termes de la conversion tels qu'ils se trouvent dans ce résultat. Alors le point d'arrivée a la propre nature de sa substance ; mais le point de départ ne subsiste pas selon sa substance, mais seulement selon les accidents qui le proposent à la connaissance sensible, qui peut les discerner. Il est donc approprié de désigner le point de départ de la conversion par un pronom démonstratif rapporté aux accidents sensibles qui y subsistent. Quant au point d'arrivée, il est exprimé par le nom signifiant la substance de l'être auquel aboutit la conversion, lequel est tout le corps du Christ et non pas seulement sa chair, nous l'avons vu. Par conséquent cette forme est tout à fait appropriée : « Ceci est mon corps. »

Solutions

1. Ce n'est pas le devenir mais son résultat qui est le dernier effet de cette consécration, nous venons de le dire. C'est donc plutôt le résultat qui doit être exprimé par la forme.

2. La parole de Dieu a opéré dans la création du monde, et elle opère encore dans cette consécration, mais différemment. Car ici elle opère sacramentellement, c'est-à-dire selon sa puissance de signification. Et c'est pourquoi il faut dans cette parole signifier le dernier effet de la consécration par le verbe être au mode indicatif et au temps présent. Mais dans la création du monde la parole divine opère par sa seule efficacité, laquelle est commandée par sa sagesse. C'est pourquoi dans la création du monde la parole du Seigneur s'exprime par un verbe à l'impératif, selon la Genèse (Genèse 1.3) : « Que la lumière soit, et la lumière fut. »

3. Lorsque la conversion est réalisée, le terme de départ ne garde pas la nature de sa substance, comme le terme d'arrivée. Par conséquent la comparaison ne vaut pas.

4. L'adjectif « mon » qui inclut la démonstration de la première personne, celle de celui qui parle, exprime suffisamment la personne du Christ au nom de qui ces paroles sont prononcées, comme on l'a vu.

5. Cette conjonction « car » est ajoutée à cette forme selon l'usage de l’Église romaine, hérité de l'apôtre S. Pierre. Et cela pour marquer la continuité avec les paroles précédentes ; c'est pourquoi elle n'appartient pas plus à la forme que les paroles qui la précèdent.


3. La forme de la consécration du sang est-elle appropriée ?

Objections

1. De même que le pain est converti au corps du Christ par la vertu de la consécration, ainsi le vin au sang du Christ, comme on l'a vu. Mais dans la forme de la consécration du pain, le corps du Christ est désigné directement et l'on n'ajoute rien d'autre. Il n'est donc pas approprié dans cette forme de désigner le sang du Christ indirectement, et d'ajouter comme attribut direct « le calice » en disant : « Ceci est la coupe de mon sang. »

2. Les paroles prononcées dans la consécration du pain ne sont pas d'une plus grande efficacité que celles qui sont prononcées dans la consécration du vin, puisque ce sont dans les deux cas des paroles du Christ. Mais dès qu'on a dit : « Ceci est mon corps », la consécration du pain est achevée. Donc, dès qu'on a dit: « Ceci est la coupe de mon sang », la consécration du sang est achevée. Et par conséquent toutes les paroles qui suivent ne paraissent pas appartenir à la substance de la forme ; d'autant plus qu'elles ne concernent que les propriétés de ce sacrement.

3. La nouvelle alliance semble relever de l'inspiration intérieure comme on le voit du fait que S. Paul, dans l'épître aux Hébreux (Hébreux 8.6-10) cite ces paroles de Jérémie (Jérémie 31.31-33) : « J'accomplirai avec la maison d'Israël une alliance nouvelle en mettant mes lois dans leurs esprits. » Or le sacrement agit à l'extérieur d'une façon visible. Il ne convient donc pas de dire, dans la forme du sacrement : « de la nouvelle alliance ».

4. On dit que quelque chose est nouveau quand il est près du commencement de son être. Mais ce qui est éternel n'a pas de commencement de son être. Il est donc illogique de dire : « nouvelle et éternelle alliance », car cela semble impliquer contradiction.

5. Il faut enlever aux hommes les occasions d'erreur, selon la parole d'Isaïe (Ésaïe 57.4) : « Enlevez tout obstacle du chemin de mon peuple ». Mais certains se sont égarés, estimant qu'il y avait seulement dans ce sacrement une présence mystique du corps et du sang du Christ. Il ne convient donc pas de mentionner dans cette forme « mystère de foi ».

6. On a vu plus haut que, si le baptême est le sacrement de la foi, l'eucharistie est le sacrement de la charité. Dans cette forme on aurait mieux fait de mentionner la charité plutôt que la foi.

7. Tout ce sacrement, à l'égard du corps comme à l'égard du sang, est le mémorial de la passion du Seigneur, selon S. Paul (1 Corinthiens 11.26) : « Chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. » Il ne fallait donc pas faire mention de la passion du Christ et de ses effets dans la formule de consécration du sang, quand elle ne figure pas dans celle du corps. D'autant plus que, selon S. Luc (Luc 22.19), le Seigneur a dit : « Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous. »

8. La passion du Christ, on l'a vu n, a profité à tous, par sa pleine suffisance radicale. Quant à son efficacité effective, elle a profité à beaucoup. Il fallait donc dire « qui sera répandu pour tous » ou « pour beaucoup » sans ajouter « pour vous ».

9. Les paroles par lesquelles on accomplit ce sacrement tiennent leur efficacité de l'institution du Christ. Mais aucun évangéliste ne rapporte que le Christ ait dit toutes ces paroles. Cette forme de consécration du vin n'est donc pas celle qui convient.

En sens contraire, l'Église, instruite par les Apôtres, emploie cette forme dans la consécration du vin.

Réponse

Deux opinions se sont manifestées au sujet de cette forme. Certains ont dit que seules les paroles : « Ceci est la coupe de mon sang » appartiennent à la substance de cette forme, et non les paroles qui suivent. Mais cela paraît illogique, car les paroles qui suivent sont des déterminations de l'attribut, qui est le sang du Christ, et par conséquent elles appartiennent à l'intégrité de la phrase.

C'est pourquoi d'autres disent, avec plus de raison, que tout ce qui suit appartient à la substance de la forme jusqu'à ce qui vient ensuite : « Toutes les fois que vous ferez cela... », phrase qui concerne l'usage du sacrement, si bien qu'elle n'appartient pas à la substance de la forme. Et c'est pourquoi le prêtre prononce toutes ces paroles de la même façon et en accomplissant le même rite, c'est-à-dire en tenant le calice en mains. Même, dans S. Luc (Luc 22.20), les paroles qui suivent sont placées au milieu des premières, puisqu'on y dit : « Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang. »

Il faut donc affirmer que toutes ces paroles appartiennent à la substance de la forme ; mais les premières paroles : « Ceci est la coupe de mon sang » signifient précisément la conversion du vin au sang, de la manière qu'on a dite à propos de la consécration du pain ; et les paroles qui suivent désignent la vertu du sang répandu dans la passion, vertu qui opère dans ce sacrement. Cette vertu a un triple effet. Premièrement et principalement elle nous fait obtenir l'héritage éternel, selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 10.19) : « Nous avons un accès assuré au sanctuaire par son sang. » Et pour désigner cela on dit : « de la nouvelle et éternelle alliance ». Deuxièmement elle nous fait obtenir la justification gratuite, qui est le fruit de la foi (Romains 3.25) : « Dieu l'a destiné à être, par son propre sang, moyen de propitiation grâce à la foi, afin qu'il soit juste et cause de justice pour qui a la foi en Jésus Christ. » Et à cet égard on ajoute : « mystère de la foi ». Troisièmement, cette vertu du sang écarte les obstacles à l'héritage éternel et à la justification, qui sont les péchés, selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 9.14) : « Le sang du Christ purifiera nos consciences des œuvres mortes », c'est-à-dire des péchés. Et à cet égard on ajoute : « qui pour vous et pour beaucoup sera répandu en rémission des péchés ».

Solutions

1. Lorsqu'on dit : « Ceci est la coupe de mon sang », c'est une expression figurée, que l'on peut comprendre de deux façons. D'abord par métonymie, le contenant étant pris pour le contenu, ce qui donne ce sens : « Voici mon sang contenu dans la coupe. » On fait mention de celui-ci parce que le sang du Christ est consacré dans ce sacrement en tant qu'il est la boisson des fidèles, ce qui n'est pas impliqué dans la notion de sang ; il a donc fallu que ce sang fût désigné par le vase dont on se sert pour boire.

On peut entendre aussi cette phrase comme comportant une métaphore : la coupe fait comprendre par comparaison qu'il s'agit ici de la passion du Christ, laquelle enivre à la manière d'un calice selon les Lamentations (Lamentations 3.15) : « Il m'a comblé d'amertumes, il m'a enivré d'absinthe », si bien que le Seigneur lui-même appelle sa passion un calice lorsqu'il dit (Matthieu 26.39) : « Que ce calice passe loin de moi. » Le sens est alors : « Voici le calice de ma passion. » On fait mention de celle-ci en consacrant le sang à part du corps, parce que c'est la passion qui a séparé le sang du corps.

2. Puisque, comme on l'a vu, le sang consacré à part représente explicitement la passion du Christ, c'est dans la consécration du sang qu'on fait mention de l'effet de la passion du Christ, plutôt que dans la consécration du corps qui est le sujet de la passion. Ceci est encore signifié dans cette parole du Seigneur « qui sera livré pour vous », comme s'il disait « qui pour vous sera soumis à la passion ».

3. Le testament consiste à disposer d'un héritage. Or Dieu a disposé que l'héritage céleste serait donné aux hommes par la vertu du sang de Jésus-Christ. Car dit l'épître aux Hébreux (Hébreux 9.16) : « Là où il y a testament, il est nécessaire qu'intervienne la mort du testateur. » Or le sang du Christ a été donné aux hommes de deux façons. D'abord en figure, ce qui appartient à l'ancienne alliance. C'est pourquoi l'Apôtre conclut ainsi le même passage : « De là vient que la première alliance elle-même n'a pas été inaugurée sans effusion de sang. » C'est évident si l'on se souvient de l'Exode (Exode 24.19) : « Moïse, après avoir lu tout le dispositif de la loi, aspergea tout le peuple en disant : Voici le sang de l'alliance que le Seigneur a conclue avec vous. » Ensuite le sang du Christ a été donné aux hommes dans sa réalité, ce qui revient à la nouvelle alliance. C'est ce que S. Paul dit avant le texte précédemment cité: « C'est pour cela que le Christ est le médiateur d'une nouvelle alliance afin que, la mort étant intervenue, ceux qui ont été appelés reçoivent la promesse de l'héritage éternel ». On dit donc ici : « le sang de la nouvelle alliance », parce qu'il nous est donné désormais en réalité et non plus en figure. C'est pourquoi on ajoute « qui sera répandu pour vous ». — Quant à l'inspiration intérieure, elle procède de la vertu du sang selon que nous sommes justifiés par la passion du Christ.

4. Cette alliance est nouvelle en raison du don qui en est fait ; on l'appelle éternelle tant en raison de la préordination éternelle de Dieu qu'en raison de l'héritage éternel qui est réglé par ce testament. En outre, la personne même du Christ, dont le sang règle ce testament, est éternelle.

5. On parle ici de « mystère » non pas pour exclure la vérité mais pour signaler qu'elle est cachée. Car le sang du Christ, précisément, se trouve dans ce sacrement d'une façon cachée ; et c'est d'une façon cachée qu'elle fut préfigurée dans l'Ancien Testament.

6. On l'appelle « mystère de foi » au sens d'objet de foi. Effectivement, que le sang du Christ se trouve réellement dans ce sacrement, la foi seule nous le garantit. En outre, la passion du Christ elle-même nous justifie par la foi. Quant au baptême, on l'appelle « le sacrement de la foi » parce qu'il est une protestation de foi. Et notre sacrement est le « sacrement de la charité » en tant qu'il la signifie et la produit.

7. Comme on l'a vu, le sang consacré à part du corps représente d'une façon plus expressive la passion du Christ. C'est pourquoi dans la consécration du sang en fait mention de la passion du Christ et de ses effets, plutôt que dans la consécration du corps.

8. Le sang de la passion du Christ n'a pas seulement d'efficacité chez les juifs élus, auxquels avait été donné le sang de l'ancienne alliance, mais encore chez les païens ; ni seulement chez les prêtres qui accomplissent ce sacrement ou chez les autres qui le reçoivent, mais encore chez ceux pour qui il est offert. C'est pourquoi le Seigneur dit expressément « pour vous », les Juifs, « et pour beaucoup », c'est-à-dire pour les païens ; ou bien « pour vous », qui mangez, « et pour beaucoup » pour qui il est offert.

9. Le but des évangélistes n'était pas de transmettre les formes des sacrements qui, dans la primitive Église, devaient rester cachées, comme dit Denys. Mais ils ont écrit pour tisser l'histoire du Christ.

Et cependant presque tous ces mots peuvent se retrouver dans divers passages de l'Écriture. Car l'expression : « Ceci est la coupe » se trouve chez S. Luc (Luc 22.20) et chez S. Paul (1 Corinthiens 11.25). On trouve dans S. Matthieu (Matthieu 26.28) : « Ceci est mon sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour beaucoup en rémission des péchés. » Les paroles ajoutées : « éternelles » et « mystère de foi », viennent de la tradition du Seigneur, qui est parvenue à l'Église par l'intermédiaire des Apôtres, selon ce que dit S. Paul (1 Corinthiens 11.23) : « J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. »


4. La vertu de ces deux formes

Objections

1. S. Jean Damascène dit : « C'est par la seule vertu de l'Esprit Saint que se fait la conversion du pain au corps du Christ. » Mais la vertu du Saint-Esprit est une vertu incréée. Ce sacrement n'est donc accompli par aucune vertu créée qui se trouverait dans ces paroles.

2. Les œuvres miraculeuses ne se font pas par une vertu créée, mais par la seule vertu divine, comme on l'a vu dans la première Partie. Or la conversion du pain et du vin au corps et au sang du Christ n'est pas une œuvre moins miraculeuse que la création du monde, ou même que la formation du corps du Christ dans le sein de la Vierge, qui n'ont pu être accomplies par aucune vertu créée. Donc ce sacrement n'est pas davantage consacré par une vertu créée résidant dans ces paroles.

3. Ces paroles ne sont pas simples mais composées de beaucoup d'éléments ; et elles ne sont pas proférées simultanément, mais successivement. Or, en étudiant cette conversion, nous avons vu qu'elle est instantanée : il faut donc qu'elle se fasse par une vertu simple, et ce ne peut être par la vertu de ces paroles.

En sens contraire, S. Ambroise écrit : « S'il y a une telle vertu dans la parole du Seigneur jésus pour que ce qui n'existait pas commence à exister, combien plus efficace est-elle pour faire que ce qui était existe et soit changé en autre chose ? Et ainsi, ce qui était du pain avant la consécration est désormais le corps du Christ après la consécration, parce que la parole du Christ change la créature. »

Réponse

Certains ont prétendu qu'il n'existe aucune vertu créée, pour accomplir la transsubstantiation, dans les paroles que nous avons étudiées, pas plus que dans les autres formes sacramentelles, ni dans ces sacrements eux-mêmes pour produire les effets de ces sacrements. Position, comme on l'a dit, qui contredit aux affirmations des Pères et déroge à la dignité des sacrements de la loi nouvelle. Aussi, comme ce sacrement est plus digne que les autres, nous l'avons vu aussi v, il s'ensuit que, dans les paroles constituant la forme de ce sacrement, il y a une vertu créée pour produire la conversion de ce sacrement ; vertu instrumentale, cependant, comme dans les autres sacrements. Car, puisque ces paroles sont prononcées à la place du Christ, elles reçoivent, par son ordre, une vertu instrumentale dérivée de lui, de même que toutes ses actions et paroles possèdent instrumentalement une vertu porteuse de salut, comme on l'a vu précédemment.

Solutions

1. Lorsqu'on dit que seule la vertu du Saint-Esprit convertit le pain au corps du Christ, on n'exclut pas la vertu instrumentale qui se trouve dans la forme de ce sacrement. Ainsi, lorsqu'on dit que seul l'artisan fabrique un couteau on n'exclut pas la vertu de son marteau.

2. Aucune créature ne peut accomplir des œuvres miraculeuses à titre d'agent principal. Mais elle peut les accomplir instrumentalement ; c'est ainsi que le lépreux a été guéri précisément par le contact de la main du Christ. C'est de cette manière que les paroles convertissent le pain au corps du Christ. Cela n'a pu se produire dans la conception par laquelle le corps du Christ a été formé, parce que rien ne pouvait recevoir du corps du Christ une vertu instrumentale pour former ce même corps. Dans la création, d'autre part, il n'y avait pas de terme qui pût servir de point de départ à l'action instrumentale de la créature. L'argument par similitude ne vaut donc pas ici.

3. Ces paroles qui réalisent la consécration opèrent sacramentellement. C'est pourquoi la vertu de conversion qui se trouve dans les formes de ces sacrements dépend de leur signification, qui se termine lorsqu'on prononce le dernier mot. Aussi est-ce au dernier instant de l'émission des paroles que celles-ci sont en possession de leur vertu, mais en relation avec les paroles qui précèdent. Et cette vertu est simple en raison de la signification, bien qu'il y ait une certaine complexité dans la teneur extérieure des paroles prononcées.


5. La vérité de ces paroles

Objections

1. Lorsque l'on dit : « Ceci est mon corps », « ceci » est un démonstratif qui désigne la substance. Mais d'après ce que nous avons vu, lorsque l'on profère ce pronom « ceci », la substance présente est encore celle du pain, puisque la transsubstantiation ne s'opère qu'au dernier instant de l'émission des paroles. Mais cette proposition est fausse : « Le pain est le corps du Christ. » Donc celle-ci aussi est fausse : « Ceci est mon corps. »

2. Le pronom « ceci » adresse sa démonstration aux sens. Mais les espèces sensibles qui existent dans ce sacrement ne sont ni le corps du Christ lui-même, ni les accidents du corps du Christ. Donc « Ceci est mon corps » ne peut être une proposition vraie.

3. Ces paroles, comme on vient de le voir, réalisent par leur signification la conversion du pain au corps du Christ. Mais la cause réalisatrice d'un effet précède cet effet. Donc la signification de ces paroles est comprise avant que se réalise la conversion du pain au corps du Christ. Mais, avant la conversion, « Ceci est mon corps » est une proposition fausse. Il faut donc juger qu'elle est fausse absolument. Et le même argument vaut pour cette proposition : « Ceci est la coupe de mon sang, etc. »

En sens contraire, ces paroles sont proférées au nom du Christ, qui dit de lui-même (Jean 14.6) « je suis la Vérité. »

Réponse

Autour de ce problème les opinions se sont multipliées. Certains ont dit que dans la proposition « Ceci est mon corps », le mot « ceci » comporte une démonstration pensée et non exercée, car toute cette proposition est prise matériellement, puisqu'elle est proférée par mode de récit. En effet le prêtre rapporte que le Christ a dit : « Ceci est mon corps. »

Mais cette position ne tient pas. Car, à ce compte, les paroles ne s'appliqueraient pas à la matière corporelle présente, et ainsi le sacrement ne se réaliserait pas. Car S. Augustin écrit : « La parole se joint à l'élément et voilà le sacrement. » D'ailleurs cette solution n'évite pas totalement la difficulté de notre problème: les mêmes arguments valent pour ces paroles prononcées la première fois par le Christ ; car il est évident qu'alors elles n'étaient pas employées matériellement, mais pour leur valeur de signification. Il faut donc dire que, même quand elles sont proférées par le prêtre, elles sont employées pour leur valeur de signification et non matériellement. Et il n'y a pas à objecter que le prêtre les profère par manière de récit, comme dites par le Christ. Car, à cause de la vertu infinie du Christ (de même qu'au contact de sa chair la vertu d'opérer une nouvelle naissance n'a pas atteint seulement les eaux touchées par le Christ mais toutes les eaux de la terre, et cela pour tous les siècles à venir), de même aussi, parce que ces paroles ont été émises par le Christ, elles ont obtenu une vertu consécratoire, quel que soit le prêtre qui les prononce, comme si le Christ les proférait présentement.

C'est pourquoi d'autres ont avancé que le mot « ceci », dans cette proposition, adresse sa démonstration non pas aux sens mais à l'intellect. Le sens de « Ceci est mon corps » serait : « Ce qui est signifié par ceci est mon corps. »

Mais cela non plus ne peut tenir. Car puisque, dans les sacrements, est produit ce qui est signifié, cette forme ne ferait pas que le corps du Christ soit dans ce sacrement d'une façon réelle, mais seulement par mode de signe. Ce qui est hérétique, nous l'avons dit précédemment.

Et c'est pourquoi d'autres ont soutenu que le mot « ceci » adresse sa démonstration aux sens, mais que cette démonstration doit se comprendre non pas pour l'instant où ce mot est prononcé, mais pour le dernier instant de la proposition. Ainsi, lorsque quelqu'un dit : « Maintenant, je me tais », l'adverbe « maintenant » indique l'instant qui suivra immédiatement le prononcé de la proposition. Le sens est : « Aussitôt après avoir dit ces paroles, je me tais. »

Mais ceci encore est insoutenable. Car, à ce compte, le sens de la proposition serait : « Mon corps est mon corps. » Or ce n'est pas l'objet de cette proposition, car les choses existaient ainsi même avant l'émission des paroles. Tel n'est donc pas le sens de cette proposition.

Il faut donc parler autrement. Comme on l'a vue, cette proposition a la vertu de réaliser la conversion du pain au corps du Christ. C'est pourquoi elle est dans le même rapport avec les autres propositions qui n'ont qu'une vertu significative et non réalisatrice, que la conception de l'intellect pratique, qui est réalisatrice, avec la conception de notre intellect spéculatif, qui est tirée du réel. Car « les mots sont les signes des idées », selon Aristote. C'est pourquoi, de même que la conception de l'intellect pratique ne présuppose pas la réalité queue conçoit mais la réalise, ainsi la vérité de notre proposition ne présuppose pas la réalité mais la produit. Tel est le rapport qui existe entre le verbe de Dieu et les réalités produites par ce verbe. Or cette conversion ne s'accomplit pas graduellement mais instantanément, comme on l'a vue. Il faut donc entendre cette proposition selon le dernier instant de l'émission des paroles ; non pas que l'on présuppose du côté du sujet ce qui est le terme de la conversion, c'est-à-dire que le corps du Christ soit le corps du Christ ; ni même cela qui existait avant la conversion, c'est-à-dire du pain ; mais ce qui est commun aux deux., comme contenu à la manière d'un genre commun à ces deux termes sous ces espèces. En effet, ces paroles ne font pas que le corps du Christ soit le corps du Christ, ni que le pain soit le corps du Christ ; mais que ce qui est contenu sous ces espèces, qui était d'abord du pain, soit le corps du Christ. C'est pourquoi, explicitement, le Seigneur n'a pas dit : « Ce pain est mon corps », ce qui serait conforme à l'interprétation de la deuxième thèse ; ni : « Ce corps est mon corps », ce qui serait conforme à l'interprétation de la troisième, mais, d'une façon indéterminée : « Ceci est mon corps », sans mettre aucun nom du côté du sujet, mais seulement un pronom qui signifie la substance d'une façon globale, sans qualité, c'est-à-dire sans forme déterminée.

Solutions

1. Le mot « ceci » désigne la substance, mais sans déterminer de nature particulière, on vient de le dire.

2. Le pronom « ceci » ne montre pas les accidents eux-mêmes, mais la substance contenue sous les accidents, laquelle était d'abord du pain et est ensuite le corps du Christ. Car si ces accidents n'informent pas celui-ci, ils le contiennent cependant.

3. La signification de cette proposition est comprise préalablement à la réalité signifiée selon l'ordre de nature, comme la cause est naturellement antérieure à l'effet, mais non selon l'ordre du temps, car cette cause coexiste avec son effet. Et cela suffit pour que cette proposition soit vraie.


6. Les relations entre les deux formes

Objections

1. De même que le corps du Christ commence à exister dans ce sacrement par la consécration du pain, de même le sang commence à exister par la consécration du vin. Donc, si les paroles de la consécration du pain produisaient leur effet avant la consécration du vin, il s'ensuivrait que dans ce sacrement on produirait le corps du Christ privé de sang. Ce qui est inadmissible.

2. Un sacrement unique ne comporte qu’un seul achèvement. C'est pourquoi, bien que le baptême comporte une triple immersion, la première immersion n'obtient pas son effet avant que la troisième soit terminée. Mais tout ce sacrement ne fait qu'un seul sacrement, comme on l'a vu plus haut. Donc les paroles consécratoires du pain n'obtiennent pas leur effet sans les paroles sacramentelles qui consacrent le vin.

3. Dans la forme de consécration du pain, déjà, il y a plusieurs paroles, dont les premières ne produisent leur effet que lorsque la dernière a été prononcée, comme on l'a vu. Donc, en vertu du même raisonnement, les paroles qui consacrent le corps du Christ n'ont d'effet que lorsqu'on a prononcé les paroles qui consacrent le sang du Christ.

En sens contraire, aussitôt dites les paroles de consécration du pain, on offre l'hostie consacrée à l'adoration des fidèles. On ne le ferait pas s'il n'y avait pas là le corps du Christ, car ce serait de l'idolâtrie. Donc les paroles de la consécration du pain obtiennent leur effet avant que soient prononcées les paroles de la consécration du vin.

Réponse

Certains docteurs anciens ont prétendu que ces deux formes, celles de la consécration du pain et du vin, s'attendent l'une l'autre pour agir, de telle façon que la première n'accomplit pas son effet avant que la seconde soit prononcée.

Mais cela est insoutenable. Car, comme on l'a vu, il est requis pour que la proposition : « Ceci est mon corps » soit vraie, à cause du verbe au présent, que la réalité signifiée coexiste dans le temps avec la signification même de la proposition. Autrement, si l'on devait attendre pour l'avenir la réalisation de ce qui est signifié, on emploierait un verbe au futur et non au présent on ne dirait pas : « Ceci est mon corps », mais « Ceci sera mon corps. » Or la signification de cette proposition est achevée aussitôt qu'est achevée l'émission de ces paroles. C'est pourquoi il faut que la réalité signifiée soit aussitôt présente, car elle est l'effet de ce sacrement ; autrement la proposition ne serait pas vraie. Cette thèse est contredite en outre par le rite de l'Église, qui adore le corps du Christ aussitôt après l'émission des paroles.

C'est pourquoi il ne faut pas dire que la première forme attend la seconde pour agir, mais qu'elle a son effet aussitôt.

Solutions

1. C'est de ce raisonnement qu'est née l'erreur de ceux qui ont avancé la thèse susdites. Il faut donc comprendre que, après la consécration du pain, il y a là le corps du Christ en vertu du sacrement, et le sang en vertu de la concomitance réelle. Mais ensuite, après la consécration du vin, il y a là, inversement, le sang du Christ en vertu du sacrement et le corps du Christ en vertu de la concomitance réelle. Si bien que le Christ tout entier est présent sous chacune des deux espèces, comme on l'a déjà dit.

2. Ce sacrement est un par sa perfection, comme on l'a vu en commençant, c'est-à-dire en tant qu'il est constitué de deux choses : de nourriture et de boisson qui, toutes deux, possèdent par soi-même leur perfection. Tandis que les trois immersions du baptême sont ordonnées à un seul effet. C'est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

3. Les diverses paroles qui se trouvent dans la forme consécratoire du pain constituent la vérité d'une seule proposition ; ce qui n'est pas le cas pour les paroles des diverses formes. C'est pourquoi la comparaison ne vaut pas.

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