Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

AVERTISSEMENT

LA vertu et la science de Théodoret lui ont acquis une si grande réputation, qu'il suffit que son nom soit à la tête de cette Histoire, pour en donner une plus haute estime, que ne feraient tous les discours, par lesquels je pourrais entreprendre de la relever. Il a été considéré comme un des plus saints Évêques, et comme un des plus savants Docteurs de l'Église Grecque. Les dons du Ciel semblaient avoir prévenu en lui les imperfections ordinaires des enfants des hommes, puisque ses parents l'avaient promis à Dieu avant sa conception, et qu'ils l'avaient destiné au service de l'Église, incontinent après sa naissance. Après l'avoir consacré à la piété dès le berceau, ils n'eurent garde de l'élever de cette manière profane, qui a donné lieu de dire que nos parents sont souvent nos parricides, et qu'il ne faut pas s'étonner du mauvais succès de la plupart de nos entreprises, parce que nous avons été nourris parmi les imprécations de nos pères et de nos mères, et parmi des souhaits aussi funestes, que ceux qu'auraient pu faire nos plus cruels ennemis. Ils lui donnèrent une éducation, qui fut toute chrétienne, et toute sainte, et qui en l'éloignant des objets qui flattent les sens, et qui corrompent le cœur, conserva son innocence, et le garantit de la contagion du siècle. Il demeura dans la retraite d'un Monastère, non par le seul choix de ses parents, ni par l'effet d'un tempérament mélancolique, et d'une tumeur noire, qui haït naturellement le jour et qui fuit la compagnie, mais par l'inclination que la grâce avait formée dans son cœur, de se séparer des Biens créés, qui ne sont que de faux biens, et de se priver autant qu'il lui serait possible, de leur usage, pour s'unir plus étroitement au Créateur, qui est le seul bien véritable, en la possession duquel consiste la félicité souveraine.

Il ne chercha pas dans le Monastère un lâche loisir, ni une molle oisiveté, où il semble que l'on soit invité par la solitude, et par le silence. Il y fut toujours dans l'action, et dans le travail. Bien qu'ayant conservé la pureté de son âme, et évité d'abord les écueils, où son innocence aurait pu faire un triste naufrage, il ne fût pas obligé aux satisfactions rigoureuses que l'Église n'impose qu'aux grands pécheurs, il s'y fournit de lui-même, et se chargea volontairement de tout ce que la pénitence a de plus affreux, et de plus terrible. Il fit ses délices, des gémissements, et des larmes, et se nourrit de l'abstinence, et du jeûne.

La régularité avec laquelle il se priva de tout ce qui est commode au corps, et s'acquitta de tous les devoirs qui le peuvent mortifier, n'empêcha pas qu'il ne prît un soin très particulier de cultiver son esprit. Comme il était persuadé que les austérités extérieures lui auraient servi de peu de chose, si elles n'avaient été jointes à des exercices intérieurs, il s'appliqua avec une assiduité incroyable à la lecture des livres sacrés, à l'étude de la science de l'Église, à la méditation des mystères, et à la prière. Pendant qu'il ne songeait qu'à se perfectionner de cette sorte, et à travailler à sa propre sanctification, la divine providence le choisit pour l'employer au salut des autres, et pour lui confier le gouvernement des âmes.

La ville de Cyr avait perdu son Évêque. C'était une petite ville que les Juifs avaient autrefois bâtie, en retournant de Babylone à Jérusalem, et à laquelle ils avaient donné par reconnaissance le nom du Prince, qui avait eu la bonté de les délivrer d'une longue et ennuyeuse captivité, de leur rendre les vases sacrés, et de leur permettre de rebâtir le temple, et d'y offrir des sacrifices.

Notre auteur fut retiré de sa solitude, et élevé malgré lui, par le suffrage du Clergé, et du peuple, sur le Siège de cette Église. Bien qu'il fût que l'Épiscopat est non seulement une occasion, mais aussi un engagement de pratiquer les vertus Chrétiennes, avec une perfection plus éminente que celle d'aucun autre état, et que c'est en ce sens que le grand Apôtre a dit que celui qui le désire, désire une sainte fonction et de bonnes œuvres, il ne laissa pas de faire tout son possible pour l'éviter. Mais plus il le fuyait plus il en était digne. Dès qu'il en eut été revêtu, il fit voir en sa personne toutes les qualités, que le divin Paul demande dans un Évêque.

On n'intenta jamais de procès contre lui, et jamais il n'eut la pensée d'en intenter ; ce qui fait voir que non seulement il observa très exactement les préceptes du droit naturel, mais encore qu'il souffrit avec patience que d'autres les violassent à son préjudice. Il aurait pu éviter d'être traduit devant les Juges, en vivant avec l'honnêteté, avec laquelle il vivait, en rendant à chacun ce qui lui appartient, et en ne faisant tort à personne, et c'est peut-être de cette sorte que vivaient les plus sages des païens. Mais il n'aurait pu éviter d'y traduire les autres, s'il n'avait méprisé ses intérêts, et remis ses injures par une générosité, qui est particulière aux Chrétiens.

Les Ecclésiastiques qui s'acquittaient, sous sa conduite, de leur ministère, et qui l'imitaient comme leur modèle, ne parurent jamais non plus que lui devant les Tribunaux, pour y poursuivre des affaires temporelles. Il était si fort au dessus de la paisson que plusieurs ont de s'enrichir, que non seulement jamais il ne désira, ni ne demanda rien du bien d'autrui, mais que jamais il ne reçut de présents. Ses domestiques suivirent si religieusement l'exemple de sa modération, qu'on n'en put trouver aucun parmi eux, qui voulût accepter la moindre chose. Il avait tellement dépouillé son cœur de l'amour du bien, qu'il distribua aux pauvres la succession, qui lui était échue par la mort de ses parents, et qu'il ne posséda jamais que les vêtements, dont la nécessité l'obligeait de se couvrir. Il employa une partie des revenus de son Église à l'embellissement de sa ville, et au soulagement des particuliers, qui implorèrent son assistance.

Tout cela est peu de chose en comparaison de ce qu'il fit pour l'agrandissement de la religion, pour l'extirpation de l'erreur, et pour la conversion des hérétiques. Il amena à la connaissance de la vérité huit bourgs, et quelques lieux d'alentour, qui avaient été infectés des imaginations corrompues de Marcion. Il en convertit deux autres, dont le premier suivait les égarements d'Eunome ; et le second, ceux d'Arius. Il ne vint pas à bout de ces grands desseins, sans y trouver de grands obstacles. Il courut d'extrêmes périls en attaquant l'hérésie, et combattit plusieurs fois jusques à perdre une partie de son sang, il fut plusieurs fois poursuivi par la fureur d'un peuple, qui aimait son aveuglement, et qui n'appréhendait rien tant que devoir la lumière. Il fut plusieurs fois accablé de pierres, et tout prêt de perdre la vie. Mais Dieu la lui conserva au milieu de toute sorte de dangers, et l'engagea depuis en diverses occasions de l'employer à l'instruction, et à l'édification de son Église. Il y travailla avec une application infatigable, tant par ses livres que par ses prédications. Les premiers lui ont acquis une louange très rare, et très singulière, d'avoir mieux écrit l'histoire que nul autre, et d'avoir mieux expliqué l'Écriture.

Photius, qui était sans doute un grand juge des ouvrages de l'esprit, préfère la manière, dont l'Histoire de Théodoret est écrite, à celle des Ecrivains qui l'avaient précédé, et assure que le style en est clair et sublime, et qu'il n'a rien pour tant d'inutile, ni de superflu. La beauté des termes s'y trouve heureusement avec la vérité. Ce n'est pas qu'il n'y ait quelques fautes contre la vérité même ; mais ce font des fautes qui échappent aux écrivains les plus exacts, et qui n'ôtent rien du mérite de leurs ouvrages, parce qu'elles font tout ensemble, et rares, et légères. La plupart consistent à avoir rapporté certaines choses à d'autres temps, qu'à ceux, où elles se sont en effet passées. J'en remarquerai ici quelques exemples, à dessein, non d'accuser notre auteur de négligence, mais d'empêcher que son autorité n'impose à ceux qui prendront la peine de lire ma Traduction. Il met la mort d'Arius parmi les circonstances du Concile de Nicée. Il est certain que cet Hérésiarque fut chassé d'Alexandrie, incontinent après qu'il eut été condamné, et que saint Athanase ne voulut jamais permettre qu'il y rentrât, quelque effort qu'Eusèbe, et Théognis fissent pour l'y rétablir. Il mourut à Constantinople douze ans depuis, d'une manière aussi funeste, et aussi tragique que chacun sait.

Théodoret anticipe par une semblable méprise le temps de la translation d'Eusèbe, de l'Évêché de Nicomédie à celui de Constantinople. Il place ce protecteur d'Arius sur le Siège de la Capitale de l'Empire, incontinent après la mort d'Alexandre. Ce fut néanmoins Paul, qui succéda à Alexandre, et Eusèbe ne s'empara de ce Siège, qu'après qu'il en eut chassé Paul par ses artifices, et par ses violences.

Il fait une faute toute contraire dans le récit du dessein que quelques-uns eurent de transférer Eusèbe de Césarée à Antioche. Car il ne le rapporte qu'après la mort d'Eulale. Il fallait le rapporter immédiatement après la déposition d'Eustate ordonnée dans le Concile d'Antioche tenu en trois cent trente. Ce fut en ce temps-là qu'une partie des habitants d'Antioche demandèrent Eusèbe pour leur Évêque, qu'il s'excusa de quitter l'Église de Césarée, à laquelle il était attaché, et que Constantin admira sa modération. Paulin fut transféré de Tyr à Antioche, et Eulale fut élu après la mort de Paulin.

Notre Auteur s'est encore mépris en d'autres endroits dans la supputation du temps, comme quand il a étendu l'exil de saint Athanase, jusques à deux ans quatre mois, bien qu'il n'ait pas duré deux ans entiers, puisque ce saint Évêque ne fut relégué à Trêves, que sur la fin de l'an 335, et qu'il en fut rappelé en 337 peu de mois après la mort du grand Constantin.

Quand il raconte la manière si extraordinaire, et si surprenante, dont saint Ambroise fut choisi pour gouverner l'Église de Milan, il ne garde pas l'ordre de la Chronologie. Car il semble mettre ce mémorable événement, dès le commencement du règne de Valentinien, bien qu'il ne soit arrivé qu'en 370, c'est-à-dire dix ans depuis l'avènement de ce Prince à l'Empire. Il fait une faute presque semblable, quand il raconte la sédition d'Antioche après le meurtre de Thessalonique. Ce dernier fut commis en 390. et l'autre arriva en 388.

Les autres fautes qui sont échappées à Théodoret ne regardent point la Chronologie. Elles regardent des circonstances peu importantes. La première qui se présente à mon esprit est celle qu'il a faite dans le dénombrement des Évêques qui assistèrent au Concile de Sardique. Il assure qu'ils étaient deux cent cinquante. Saint Athanase dit dans sa lettre aux Solitaires qu'ils n'étaient que cent soixante et dix.

Il confond le siège que les Perses mirent devant la ville de Nisibe en 350, avec celui qu'ils y mirent en 359, et en attribue la levée aux prières de Jaques Évêque de cette ville-là. Cependant ce siège fut levé par les prières non de Jaques ; mais de Vologèse successeur de Jaques. Il y a dans la Chronique d'Alexandrie une lettre de ce Vologèse, où le siège fait en 350 est décrit. Il est aussi décrit dans une Oraison de l'Empereur Julien.

Théodoret s'est encore trompé en quelques autres points : comme quand il a dit que Paulin Évêque d'Antioche refusa l'accommodement qui lui avait été proposé par Méléce. Socrate, et Sozonène assurent qu'il l'accepta.

Il s'est encore trompé quand il a dit que Maxime fut ordonné Évêque de Constantinople par Timothée Évêque d'Alexandrie. Car il paraît par la lettre que les Évêques d'Italie, auxquels ce Cynique avait imposé, écrivirent en sa faveur à l'Empereur Théodose, et qui est dans l'appendice du Code Théodosien, qu'il avait été ordonné par Pierre, successeur de saint Athanase, et prédécesseur de Timothée.

Ces fautes que je n'ai remarquées que par le motif que j'ai expliqué, sont comme des taches presque que imperceptibles, qui n'empêchent pas que les corps où elles se trouvent, n'aient une excellente beauté. Elles ne diminuent ni le mérite, ni la réputation de l'histoire de Théodoret.

Que s'il a eu l'avantage de représenter dans cet Ouvrage avec une plus grande netteté, et une plus grande élégance qu'aucun autre Écrivain, ce qui s'est passé de plus remarquable dans l'Église, l'espace de plus d'un siècle, il en a eu un autre encore plus considérable, qui est d'avoir expliqué l'Écriture sainte avec une aussi grande clarté, et une aussi grande fidélité qu'aucun autre interprète. Il n'y a presque point de livre dans l'ancien, ni dans le nouveau Testament, sur lequel il n'ait fait des Commentaires. Il en a fait sur les livres de Moïse ; sur ceux de Josué, des Juges, et de Ruth, sur les quatre des Rois, sur les deux des Paralipomènes, sur les Psaumes, et sur le Cantique des Cantiques. Enfin il en a fait sur tous les Prophètes, et sur toutes les Épîtres de saint Paul.

Il ne s'est pas contenté de développer les vérités contenues dans les livres sacrés. Il a découvert les erreurs cachées dans les ouvrages des hérétiques, et a principalement réfuté celles qui avaient le plus grand cours en son temps ; comme celles d'Arius, de Macédonius, d'Apollinaire, et de Marcion.

Il a laissé quantité d'autres productions de son esprit, comme les vies des saints Solitaires, les réponses aux demandes des Mages, les dialogues, les fables des hérétiques, la manière de guérir les maladies des païens, et plusieurs autres, ou, comme il dit lui-même, la lumière de la doctrine catholique reluit, sans être obscurcie du nuage d'aucune erreur. La même lumière a paru avec un éclat extraordinaire, dans les prédications qu'il a faites, soit aux Églises de son Diocèse, par le devoir de sa charge, ou au peuple d'Antioche, à la prière de trois Évêques de cette grande ville, qui ne pouvaient se lasser d'admirer son savoir et son éloquence.

Cependant quelque preuve qu'il ait donnée par ses discours, et par les écrits de la pureté de ses sentiments, et de quelque précaution dont il ait usé, pour de conserver dans la réputation de Prélat très Orthodoxe, il n'a pu éviter d'être soupçonné de s'être rendu complice des impiétés de Nestorius. Le Cardinal Baronius a soutenu en plusieurs endroits de ses Annales, qu'il tomba dans l'erreur au temps du Concile d'Éphèse, et que l'année suivante, Dieu lui fit la grâce de l'en retirer. D'autres savants hommes se font persuadés que Théodoret a non seulement tenu, mais encore défendu publiquement la doctrine de Nestorius jusqu'à l'année 447 et ont cru qu'on le pouvait justifier par les Extraits de Marius Mercator. Il est certain que quand il écrivit le livre des fables des hérétiques, et la lettre à Sporace, il avait tout l'éloignement qu'un Catholique doit avoir des erreurs de Nestorius, et pour être convaincu de la vérité de ce fait, il ne faut que lire l'endroit où il décrit les mœurs, les égarements, l'opiniâtreté, et la fin déplorable de cet hérétique. Au reste il n'y a pas lieu de s'imaginer que ce passage soit supposé, puisque Léonce, dont nous parlerons incontinent, y a renvoyé ses Lecteurs, pour les convaincre de la pureté de la foi de Théodoret. Je le traduirai, et l'insérerai ici tout entier, bien qu'il soit un peu long.

« Depuis que le monde est sur le penchant de sa décadence, et qu'il approche de la ruine commune des choses créées, chacun a la présomption de prétendre d'enseigner les autres, et personne n'a assez de modestie, pour vouloir bien se laisser instruire. Depuis ce temps-là, le démon, qui a causé la mort, introduit le mensonge, et semé l'ivraie parmi le bon grain n'a plus suscité d'ennemis étrangers à l'Église. Mais ayant trouvé un instrument propre à recevoir tout d'un coup ses plus malignes impressions, il a ruiné sous un faux prétexte de piété, le mystère de la Divinité et de l'Humanité du Fils unique de Dieu, et a corrompu la pureté de la foi, par un mélange de subtilités païennes.

Vous avez, sans doute, entendu parler de Nestorius, son nom ayant été si fameux, et ayant fait un si grand bruit. Il avait tiré sa naissance de la petite ville de Germanicie. Je ne sais quelle fut sa première éducation. Mais après avoir souvent changé de pays, il tomba enfin sur la grande ville d'Antioche, comme un de ces funestes fléaux, qui affligèrent autrefois l'Égypte. Comme il avait quelque teinture des belles lettres, une voix forte et agréable, et qu'il s'était exercé à déclamer, il entra par la fuite du temps dans le Clergé, fut élevé à la Dignité du Sacerdoce, et chargé du soin d'instruire le peuple, Il ne fut pas sitôt dans cette importante fonction, qu'il fit voir ce que l'on doit attendre de lui dans tout le cours de sa vie. Car au lieu de choisir une manière de parler noble, élevée, et propre à nourrir, et à fortifier l'esprit de ses auditeurs, il ne songea qu'aux moyens d'exciter de vains applaudissements, et de gagner l'affection d'une populace, qui n'a que l'ignorance, et la légèreté en partage. Pour venir plus aisément à bout de ce dessein, il portait des habits d'une couleur sombre, marchait d'un air triste, et mélancolique, évitait les assemblées, où il y a de la confusion et du désordre, affectait de paraître pâle dans la créance qu'il en serait estimé plus austère, et plus reformé, aimait la retraite, et passait presque tout son temps sur les livres. Il avança fort en âge, en continuant toujours à garder cette conduite, en tâchant d'imposer au peuple par ses artifices, et de paraître homme de bien, plutôt que de l'être en effet, et en préférant sa propre gloire à celle de Dieu. Mais comme, selon la parole de notre Maître, il n y a rien de caché, qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu ; comme il n'y a point d'action, ni bonne, ni mauvaise, qui puisse demeurer ensevelie dans l'oubli, Nestorius par un jugement impénétrable de Dieu fut placé de l'avis des Seigneurs de la Cour, et des Prélats, et du consentement de l'Empereur, qui régnait en ce temps-là, sur le Siège de l'Église Catholique de Constantinople, qui est le plus illustre Siège qu'il y ait dans l'univers.

J'ai maintenant à décrire les actions qu'il fit depuis, et dont le bruit remplit la mer et la terre. Il ne fut pas sitôt sur le Trône Épiscopal de la ville impériale, qu'il changea la puissance sacrée en domination tyrannique, qu'abusant de son autorité avec une licence effrénée, il fit paraître l'impiété qu'il avait conçue, et prononça publiquement des blasphèmes contre le Fils unique de Dieu. Il déclara la guerre à la doctrine des Apôtres, rejeta l'autorité des saints Pères, qui depuis la première publication de l'Évangile, avaient toujours servi de guides aux Fidèles. Il troubla l'Église de Constantinople, et l'Église universelle, sans être épouvanté de cette menace du divin Paul. Celui qui vous trouble, en portera la peine quel qu'il soit. Il mit sur le chandelier de ce temple les ténèbres de l'erreur, au lieu d'y mettre la lumière de la vérité. La première nouveauté qu'il s'efforça d'introduire, est que la sainte Vierge, dont le Verbe divin a pris son corps, ne doit pas être appelée Mère de Dieu, mais seulement Mère de Christ, ce quoique les plus anciens Prédicateurs de la foi, aient ce toujours enseigné selon la tradition des saints Apôtres, qu'il la faut appeler Mère de Dieu, et croire qu'elle l'est en effet. Il ne me reste plus rien à faire, si ce n'est de découvrir et de publier le secret de son artifice, et de son blasphème, dont personne n'avait jamais ouï parler avant lui. Le nom de Christ, dit-il, renferme l'idée de deux natures, au lieu que celui de Dieu ne renferme l'idée, que de la divine qui est simple, et incorporelle, et que celui d'homme ne renferme que l'idée de la nature humaine. C'est pour cela, ajoute-t-il, qu'il faut confesser que la Vierge est Mère de Christ, et non pas Mère de Dieu, de peur que nous ne nous engagions à dire sans y penser, que le Verbe divin a tiré son origine de la Vierge sainte, et que pour parler conséquemment, nous ne soyons obligés de reconnaître qu'elle est plus ancienne que lui. Comme je ne désire pas que ce que j'avance ici, passe pour une accusation dépourvue de fondement, je rapporterai ses propres paroles, et le produirai lui-même, comme un témoin de sa propre impiété. Ayant effacé de sa mémoire la doctrine des Apôtres, et de leurs saints successeurs, il avança dans l'assemblée des Fidèles, ces paroles, et d'autres semblables, Marie n'a pas mis un Dieu au monde, elle n'y a mis qu'un homme, qui était l'organe de la Divinité. Il dit entre autres impertinences il n'appartient qu'aux païens de donner des Mères aux Dieux.

Je ne remarquerai rien davantage du détail de ses extravagances, bien qu'elles soient en grand nombre, parce que je suis obligé de passer à un autre sujet. Comme les impies doivent périr d'une mort funeste, il fut déposé par les Évêques assemblés à Éphèse, et animés de l'Esprit de Dieu. Il fut depuis relégué par l'ordre de l'Empereur à Oasis, où il souffrit comme par avance le châtiment qui est préparé dans l'autre siècle aux impies. Il fut consumé par sa propre folie, et accomplit dans soi-même cette parole de l'Apôtre : Il y a des personnes dont les péchés sont connus avant le jugement et l'examen qu'on en pourrait faire. »

Ce serait affaiblir l'idée, dont ce discours remplit l'esprit, que de vouloir en tirer des conséquences, pour justifier que celui qui en est auteur, n'était pas favorable à Nestorius. Il suffit de le lire avec une médiocre attention, pour reconnaître clairement, qu'il détestait ses erreurs avec toute la sincérité, et tout le zèle, que l'on peut souhaiter dans un Évêque très Orthodoxe.

Il s'agit donc uniquement de savoir, s'il les avait soutenues auparavant, et si lorsque dans la chaleur des disputes excitées par les prédications de Nestorius, il fut engagé par Jean Évêque d'Antioche ... sent à l'esprit le différend qui s'émut entre Jean Évêque d'Antioche, et saint Cyrille, au sujet des nouveautés que Nestorius avait prêchées touchant le mystère de l'Incarnation.

Voici le crayon que Léonce nous en a laissé, soit qu'il l'eût tracé après l'Abbé Théodore, ou qu'il l'eût fait de soi-même.

« L'hérésie de Nestorius s'éleva un peu de temps après la mort de Théodore et de Diodore. Ce Nestorius était Évêque de Constantinople, comme Cyrille l'était d'Alexandrie, et comme Jean l'était d'Antioche. Bien que j'aye déjà expliqué, en quoi consistait l'erreur de Nestorius, j'en dirai encore ici quelque chose. Au lieu de reconnaître l'union du Verbe divin à la Nature humaine, il admettait deux personnes différentes, et c'est pour cela qu'il n'appelait point la sainte Vierge Mère de Dieu, mais seulement Mère de Christ. Que s'il appelait Jésus-Christ Dieu, et Homme, ce n'était pas au sens, auquel nous l'appelons ainsi. Ce n'était qu'à cause d'une habitude, et d'une union qu'il confessait entre eux, semblable à celle qui est entre deux amis, et qui nous fait dire, qu'ils n'ont qu'une âme. Cyrille s'opposa à Nestorius, et lui écrivit plusieurs lettres, pour le retirer de l'erreur. Après lui en avoir écrit deux sans avoir rien gagné sur son esprit, il lui en écrivit une troisième, où il inséra douze articles touchant la foi, à la fin desquels il ajouta que s'il les recevait, il demeurerait uni d'amitié avec lui, et le considérerait comme son collègue, sinon qu'il le retrancherait de sa communion. La contestation s'étant accrue, Théodose le jeune qui régnait alors, ordonna que l'on tînt un Concile dans la ville d'Éphèse, et que Jean Évêque d'Antioche y prît connaissance du différend de Cyrille et de Nestorius. Cyrille se rendit à Éphèse avec les Évêques d'Égypte, au jour qui avait été désigné. Nestorius s'y trouva aussi avec les siens. Jean ayant différé son voyage, et tardé seize jours au delà du temps marqué par la lettre de l'Empereur, Cyrille crut qu'il n'assisterait point au Concile, et ayant lu les lettres de Nestorius, avec des passages des saints Pères contraires à ces lettres, il le déposa, bien qu'il ne fût pas présent, et qu'il dît, qu'il attendait son Juge. Jean étant arrivé seize jours après le terme, et ayant trouvé, qu'en son absence Nestorius avait été déposé, en eut du déplaisir. Étant donc allé à une autre Église, qu'à celle où Cyrille s'était assemblé, il de déclara contre lui, sans entreprendre néanmoins de rétablir Nestorius. Ainsi Jean, et Cyrille se condamnèrent réciproquement.

Il y avait dans le parti de Jean un homme éloquent nommé Théodoret, Évêque de Cyr ville d'Orient. Il écrivit contre les douze Chapitres, que Cyrille avait insérés dans sa troisième lettre à Nestorius, et l'accusa de tenir les mêmes sentiments qu'Arius, Eunome, et Apollinaire. Cyrille ayant entrepris de réfuter Nestorius, qui ruinait le mystère de l'Incarnation, en introduisant deux personnes en Jésus-Christ, eut un soin particulier d'établir son unité. Ce qui donna sujet à Théodoret de le soupçonner de ne tenir qu'une Nature, comme les Ariens, et les Apollinaristes. Il n'a jamais paru néanmoins que Théodoret ait approuvé les sentiments de Nestorius. Il s'est plaint seulement de l'injure faite par Cyrille à Jean Évêque d'Antioche. Au reste, il est à propos que ceux qui prendront la peine de lire cet Ouvrage, soient avertis qu'il court une lettre écrite à Nestorius, sous le nom de Jean, qu'elle contient la réfutation des erreurs du premier, et qu'elle est signée des Évêques des Provinces d'Orient. Il n'est pas moins nécessaire de les avertir qu'il court d'autres lettres, sous le nom de Théodoret et de Nestorius, par lesquelles ils se donnent des louanges, et approuvent réciproquement leur doctrine. Mais ce sont de fausses lettres, supposées par les hérétiques, à dessein d'affaiblir l'autorité du Concile. Que si quelqu'un veut savoir combien Théodoret était éloigné des erreurs de Nestorius, qu'il lise le livre que ce grand homme a composé contre toutes les hérésies. Après que Nestorius eut été déposé de la sorte, et que sa déposition eut excité les troubles, dont je viens de parler, le Concile se sépara, et chaque Évêque retourna à son Diocèse. Cyrille retourna à Alexandrie, et Jean à Antioche. Il y eut depuis ce temps-là de la mauvaise intelligence entre les Prélats d'Égypte, et ceux d'Orient, les uns étant soupçonnés de favoriser Apollinaire, et les autres de soutenir Nestorius. Comme cette contestation s'échauffait, l'Empereur Théodose écrivit à Cyrille, et à Jean qu'ils s'accordassent. Dès que Jean eut reçu la lettre de l'Empereur, il en écrivit une autre, qui contenait sa profession de foi, et l'envoya à Cyrille par Paul Évêque d'Emese. Cyrille la lut, et l'approuva, et cette approbation termina les différends qui avaient été entre les Évêques d'Orient, et ceux d'Égypte. »

Ce crayon nous représente quelque chose de plus, qu'il ne semblait nous promettre. Nous n'y cherchions que le sujet du différend que les impiétés de Nestorius excitèrent entre les Églises d'Orient, et celles d'Égypte, et nous y trouvons la justification des sentiments de notre auteur. Mais voyons de plus près la part qu'il prit dans cette affaire, et la doctrine qu'il y soutint.

Quand Nestorius commença à publier les nouveautés, qui scandalisèrent l'Église de Constantinople, les Évêques d'Orient ne purent d'abord ajouter aucune créance aux bruits désavantageux, qui couraient de lui, ni se persuader qu'il eût oublié la vérité des dogmes, dont il avait été instruit parmi eux. L'artifice, dont il usa pour leur cacher ses erreurs, contribua à les confirmer dans la trop bonne opinion qu'ils avaient de ses sentiments. Car il leur fit accroire qu'il ne s'éloignait en rien de la doctrine commune de tous les Fidèles, et qu'il ne s'abstenait d'appeler la sainte Vierge, Mère de Dieu, que de peur que les simples n'abusassent de ce terme, et qu'ils ne s'imaginassent que la Nature divine du Verbe eût eu un commencement. Ils ne laissèrent pas de l'exhorter à lever le scandale, qu'il avait excité par la nouveauté de son langage, et à se servir des expressions des saints Pères, dont il assurait qu'il avait conservé les sentiments. Jean Évêque d'Antioche lui écrivit pour cet effet en ces termes.

« Je vous exhorte à déclarer librement les sentiments Orthodoxes, que l'on fait certainement que vous tenez. Ne faites point de difficulté de vous servir d'un terme, dont plusieurs Pères se sont servis dans leurs discours, et dans leurs écrits, et ne rejetez plus un mot qui donne une idée toute conforme à la piété. Il n'y a eu aucun Docteur dans l'Église, qui ait refusé de se servir du nom de Mère de Dieu, au lieu qu'il y en a plusieurs fort célèbres, qui s'en sont servis, et ceux qui ne s'en sont point servis, n'ont jamais condamné ceux qui s'en servaient. »

Cette lettre ne fut pas écrite au nom de Jean Évêque d'Antioche seul, elle fut écrite au nom, et en la présence de plusieurs autres Évêques d'Orient, entre lesquels était Théodoret, et elle fut signée d'eux.

Il est clair que non seulement ils supposaient que Nestorius était dans des sentiments Orthodoxes, mais qu'ils le supposaient comme un fait certain, et indubitable. On ne les peut donc pas soupçonner d'avoir été eux-mêmes dans d'autres sentiments ; et on ne peut pas dire qu'ils ne crussent pas que la sainte Vierge fût Mère de Dieu, puisqu'ils exhortaient Nestorius à déclarer publiquement qu'elle l'était. La disposition où ces Prélats, et entre autres Théodoret témoignent être par cette lettre, est sans doute telle que l'on peut désirer dans des Prélats très Orthodoxes.

Ils examinèrent incontinent après les douze Chapitres, que saint Cyrille avait composés contre Nestorius, et parce qu'ils crurent qu'ils favorisaient les blasphèmes d'Arius, d'Eunome, et d'Apollinaire, ils donnèrent charge à Théodoret, comme au plus savant et au plus éloquent qu'ils eussent parmi eux, de les réfuter.

Il défera à leurs prières, mais il se trompa cornme eux dans le jugement qu'il fit des douze chapitres de saint Cyrille, et il se persuada faussement qu'ils commettaient des erreurs. Car en envoyant à Jean Évêque d'Antioche, la réfutation qu'il avoir composée de ces Chapitres, il lui en écrivit de cette forte.

« J'ai été touché d'une douleur très sensible, lorsque j'ai lu les anathématismes, que vous m'aviez envoyés, afin que je les réfutasse ; et que je fisse voir à tout le monde, le sens hérétique qu'ils renferment. Ce qui me fâche le plus, est de reconnaître qu'un Ecclésiastique chargé du soin de conduire un si nombreux troupeau, et de guérir les maladies de ses ouailles, est lui-même dans une extrême langueur, qu'il la répand parmi les ouailles, et ce qu'il les déchire avec une plus grande fureur, que les bêtes les plus cruelles ne pourraient faire. Car au lieu que celles-ci ne peuvent enlever que les brebis, qui font séparées du troupeau, ce faux Pasteur qui est au milieu de la bergerie, infeste les âmes confiées à sa conduite, en leur inspirant secrètement le subtil poison de ses erreurs. Il est aisé de se donner de garde d'un ennemi, qui attaque à force ouverte ; mais il est malaisé de parer les coups de celui, qui fait profession d'être vôtre ami, et qui vous trahit sous l'apparence de l'amitié. Rien ne m'afflige si fort, que de voir qu'il abuse de l'autorité de ce sa charge, pour avancer des blasphèmes, et pour renouveler l'extravagance, et l'impiété des erreurs d'Apollinaire, qui étaient presqu'entièrement éteintes. »

Ces paroles, qui font voir que notre Auteur se trompait, en attribuant à Saint Cyrille des erreurs, dont il était très éloigné, font voir en même temps qu'il ne combattait dans ses douze chapitres, que les erreurs, dont il s'était persuadé qu'ils étaient remplis, et qu'il ne soutenait que la doctrine de l'Église. Je sais bien qu'Agobard s'est imaginé avoir trouvé un milieu, où Théodoret s'était mis entre l'hérésie de Nestorius, et la doctrine Catholique de saint Cyrille. Voici de quelle manière ce savant Évêque de Lyon explique sa pensée, dans le livre qu'il adressa à l'Empereur Louis le Débonnaire contre Félix Évêque d'Urgel.

« La vérité de la foi tient le milieu entre l'hérésie de Nestorius, et celle d'Eutychès, et rejette également l'une et l'autre. Saint Cyrille Évêque d'Alexandrie défenseur de cette vérité, ayant voulu reprendre Nestorius, et ayant parlé obscurément dans une matière aussi délicate que celle-là, choqua Jean Évêque d'Antioche, et les autres Prélats d'Orient. Le différend de ces deux Prélats fut cause que les Églises d'Antioche, et d'Alexandrie se séparèrent de communion. Théodoret Évêque de Cyr fut prié par les Ecclésiastiques d'Antioche d'écrire contre saint Cyrille. C'est sans doute un juste sujet d'étonnement de voir qu'encore que ceux d'Antioche et d'Alexandrie fussent Catholiques, les premiers ne laissèrent pas de croire, que saint Cyrille était hérétique, ce qui était faux, et que Théodoret trouva comme une place pour se mettre entre Nestorius qui était hérétique, et saint Cyrille, qui était Catholique, et pour combattre pour la vérité contre la vérité-même. Le succès du combat fut qu'il eut l'approbation des Catholiques d'Orient, et qu'il encourut la censure des Catholiques d'Égypte. »

Il me semble qu'il n'y avait aucune nécessité de chercher cette place entre Nestorius, et Eutychès pour y mettre Théodoret, il n'y avait qu'à le laisser avec Jean Évêque d'Antioche, et avec les autres Prélats d'Orient, qui l'ont toujours tenu dans leur communion, et approuvé sa doctrine.

Que s'il a combattu, comme dit Agobard, pour la vérité contre la vérité même, ce n'a été que par les ordres de ces Évêques, et avec les armes qu'ils lui avaient mises entre les mains. Il les a eus pendant le combat pour spectateurs, et pour approbateurs de son courage, et de sa conduite. Il n'a fait que suivre leurs intentions, qu'expliquer leurs sentiments, que prêter des paroles à leurs pensées. Ils ont tous combattu avec lui, puisqu'ils ont tous parlé par sa bouche, et tous écrit par sa plume. Ils ont combattu tous ensemble pour la vérité de la doctrine de l'Église qu'ils soutenaient, non contre la vérité de la même doctrine, que soutenait aussi saint Cyrille, mais contre les erreurs d'Eunome, et d'Apollinaire qu'ils croyaient avoir trouvés dans ses écrits. Il ne faut donc point séparer Théodoret des autres Évêques d'Orient, qui approuvaient sa doctrine, et si l'on ne l'en sépare point, on est obligé de reconnaître que dans le temps même, qu'il écrivait contre les douze Chapitres de saint Cyrille, il n'avait que des sentiments orthodoxes.

Il conserva ces sentiments orthodoxes, non seulement au temps qu'il écrivit avec l'approbation des Évêques d'Orient contre les douze chapitres de saint Cyrille, mais depuis encore, quand il signa avec eux, la déposition de Cyrille et de Memnon. Car enfin quelque extraordinaire ; ou même quelque insoutenable que la sentence, que contenait cette déposition, paraisse, elle ne touchait point le fond des matières contestées. Au contraire elle portait expressément que tous les Évêques devaient se joindre selon l'ordre de l'Empereur, pour examiner les questions, dont il s'agissait, et pour établir la vérité.

Elle ne rétablissait pas même Nestorius dans l'exercice des fonctions Épiscopales. Elle ne regardait donc point la foi ; mais seulement la discipline, que les Évêques d'Orient soutenaient avoir été violée par la précipitation, avec laquelle on avait jugé, sans les avoir attendus. Ils rapportaient en premier lieu les termes de la lettre, par laquelle l'Empereur les avait convoqués, afin qu'ils conférassent tous ensemble, que chacun d'eux eût la liberté de proposer ce qu'il trouverait à propos, et que ce qu'ils auraient tous approuvé, fût établi d'un consentement unanime ; il était visible à leur sens, que cet ordre avait été méprisé par saint Cyrille, par Memnon, et par les autres Évêques soit d'Égypte, ou des autres Provinces, qui avaient entrepris de condamner Nestorius, avant que tous les Prélats, qui avaient été invités au Concile, y fussent arrivés. Quand on leur objectait que l'on avait cru qu'ils n'avaient pas dessein d'assister à l'assemblée, ils répondaient que, bien loin d'avoir usé d'aucune remise, qui pût servir de fondement à ce soupçon, ils avaient fait une diligence extraordinaire, pour se rendre au jour qui leur avait été marqué, et que s'ils étaient arrivés un peu plus tard, ce retardement ne devait être attribué qu'à la nécessité indispensable de leur ministère, qu'ils n'avaient pu abandonner durant les fêtes, qu'à la longueur du chemin, et aux incommodités, qui leur étaient survenues pendant le voyage. Pour établir la vérité de cette excuse, ils marquaient de cette sorte la distance des lieux, d'où ils étaient partis, et le temps qui leur avait été nécessaire pour se rendre de ces lieux-là à Éphèse. Chaque Évêque a été obligé de demeurer dans son Église jusques après l'octave de Pâque, pour y administrer les sacrements aux peuples confiés à sa conduite. Or en l'année 431, l'octave de Pâque était le vingt-quatrième jour du mois d'Avril. Il n'y avait donc point d'Évêque, qui pût partir avant le jour suivant, qui était le vingt-cinquième. Les Évêques les plus éloignés étaient à douze journées d'Antioche, où ils avaient aller trouver leur Métropolitain, pour l'accompagner au lieu du Concile. Ils ne pouvaient donc arriver à Antioche, avant le septième du mois de Mai. On ne saurait leur en donner moins de trois, ou de quatre, pour se délasser de ce premier voyage, et pour se préparer au second. Ainsi ils seront partis vers le douzième du mois de Mai d'Antioche, d'où il y avait environ trente-six journées, jusques à Éphèse. Il n'était pas possible de faire ces trente-six journées-là sans relâche, et sans prendre un peu de repos pour soulager les vieillards, et les malades, et pour réparer les équipages. Si l'on prend quatre ou cinq jours pour cet effet, les Évêques d'Orient seront arrivés vers le vingt-cinquième du mois de Juin, et partant, il n'y aura eu aucune remise de leur part.

Les Évêques d'Orient ne se contentaient pas de cette supputation, qui tenait lieu d'une démonstration dans leur esprit, pour faire voir qu'ils n'avaient eu aucun dessein de différer leur voyage, ils produisait encore une lettre que Jean Évêque d'Antioche avait écrite à saint Cyrille, le dix-neuvième, ou le vingtième du mois de Juin, et qui était conçue en ces termes :

A Cyrille nôtre très Religieux Seigneur y et nôtre très saint Collègue dans le sacré Ministère, Jean : Salut en notre Seigneur.

« J'ai un très sensible déplaisir d'avoir différé ce peu de jours de me rendre à Éphèse, depuis que votre Sainteté y est arrivée. Le désir que j'ai de la voir, me presse plus qu'aucune autre affaire, d'achever promptement le peu qui me reste de chemin. Après avoir souffert de grandes incommodités, je suis enfin arrivé fort proche par le secours de vos prières. J'ai marché trente journées entières sans relâche. Car il y en a autant depuis Antioche jusques ici. Quelques-uns de nos Seigneurs les Prélats sont indisposé de la fatigue du voyage et ont perdu quantité de leurs chevaux. Je vous conjure, Monseigneur, de prier Dieu que nous puissions faire heureusement les cinq, ou six jours qui nous restent, pour jouir de la présence de votre personne sacrée. Mes Seigneurs les Évêques très chéris de Dieu, Jean, Paul, et Macaire, saluent votre Sainteté. Moi et tous ceux de ma maison, saluons tous nos Frères, qui sont avec vous. Je souhaite que vous jouissiez d'une parfaite santé, et que vous vous souveniez de moi dans vos prières, Monseigneur très saint, et très chéri de Dieu. »

Le Cardinal Baronius a trouvé à propos d'écrire que cette lettre était froide. D'autres la liront peut être avec d'autres yeux que lui, et la trouveront remplie des sentiments d'une charité chrétienne, et Ecclésiastique.

Après que les Évêques d'Orient avaient apporté ces preuves, qui leur semblaient convaincantes, pour justifier qu'il n'avait point tenu à eux, qu'ils ne se fussent rendus à Éphèse, avant l'ouverture du Concile, ils chargeaient saint Cyrille d'avoir jugé Nestorius avec une extrême précipitation, sans vouloir écouter l'exception qu'il avait proposée, qu'il attendait Jean Évêque d'Antioche l'un des principaux de ses Juges. Ils l'accusaient même d'avoir manqué à la promesse qu'il avait faite par sa réponse à Jean d'Antioche d'attendre qu'il fût arrivé avec les Évêques de ses Provinces, et d'avoir eu dessein de se rendre maître de la délibération en l'absence des Prélats de tout l'Orient, pour satisfaire l'animosité qu'il avait conçue depuis longtemps contre ceux qui s'étaient rendus les plus célèbres parmi eux, par la réputation de leur éloquence, et de leur doctrine.

Je ne suis pas obligé d'examiner ici ce qu'il y a de vrai, ou de faux dans ces circonstances. Il me suffit de les représenter de la manière que les Orientaux les expliquaient, pour faire voir que quand ils déposèrent saint Cyrille et Memnon, ils n'eurent point intention de juger le fond des matières contestées.

Je prévois que l'on peut proposer en cet endroit une difficulté tirée de la sentence même que les Évêques d'Orient rendirent à Éphèse. Car elle contenait deux chefs. Le premier ne regardait que la discipline, et déposait saint Cyrille et Memnon ; à cause de la précipitation, que l'on prétendait, qu'ils avaient apportée dans la condamnation de Nestorius. Mais le second regardait la foi, puisqu'il excommuniait les autres Évêques, qui avaient jugé avec saint Cyrille, et avec Memnon, jusques à ce qu'ayant reconnu leur faute, ils eussent prononcé anathème contre les douze chapitres de saint Cyrille, et déclaré qu'ils approuvaient entièrement la foi, qui avait été établie au Concile de Nicée. Il n'est donc pas vrai, dira-t-on que la sentence rendue à Éphèse par les Évêques d'Orient, ne touchât point le fond de la doctrine. Il est aisé de résoudre cette difficulté, en reconnaissant que le second chef de cette sentence touchait la doctrine en général et même la doctrine des douze chapitres de saint Cyrille en particulier, sans néanmoins toucher la doctrine qui avait été prêchée par Nestorius, et qui avait donné lieu à la convocation du Concile. Il est donc vrai que le second chef de cette sentence touchait la doctrine, en tant qu'il contenait une approbation générale du Concile de Nicée, et une condamnation particulière des douze chapitres de saint Cyrille, mais il est faux qu'il touchât la doctrine en contenant, ou une approbation des nouveautés introduites par Nestorius, ou une condamnation des sentiments orthodoxes soutenus par saint Cyrille. Les Évêques d'Orient avaient examiné les douze chapitres de saint Cyrille, avant que de rendre cette sentence. Mais ils n'avaient point examiné les propositions publiées par Nestorius. Par l'examen qu'ils avaient fait des douze chapitres, ils s'étaient persuadés que les erreurs d'Arius, d'Eunome et d'Apollinaire y étaient renouvelées. Et c'est pour cela qu'ils avaient voulu obliger les Évêques d'Égypte, non seulement à les condamner, mais encore à approuver la foi du Concile de Nicée, qu'ils considéraient comme le remède le plus présent, et le plus efficace qu'il y eût dans l'Église contre le poison de toute sorte d'hérésies. Mais parce qu'ils n'avaient point examiné les propositions de Nestorius, qu'ils n'avaient écouté ni les accusateurs, ni l'accusé, ils suspendirent leur jugement, et remirent la connaissance de son affaire, jusques à ce que tous les Prélats qui avaient été invités au Concile, se fussent réunis pour chercher tous ensemble la vérité, selon l'ordre de l'Empereur Théodose, et pour approuver tout d'une voix la saine doctrine. Ainsi il est vrai qu'encore que la sentence rendue contre saint Cyrille, approuvât le Concile de Nicée, et condamnât les douze chapitres, et qu'à cet égard, elle prononçât sur des points de doctrine, elle n'approuvait point les propositions avancées par Nestorius. Ainsi les Évêques qui la signèrent, et surtout Théodoret, dont il s'agit principalement, ne s'engagèrent point par cette signature à soutenir les sentiments de cet hérétique.

La suite de ce différend, qui fut poursuivi avec beaucoup de chaleur, fournit quantité d'autres preuves, qui justifient très clairement que ni Théodoret, ni les autres Évêques d'Orient, qui désapprouvèrent la condamnation de Nestorius, ne tombèrent jamais dans ses erreurs. Ils eurent bientôt occasion d'expliquer très clairement leurs sentiments. Car dès que le bruit de leurs divisions eut frappé les oreilles de l'Empereur Théodose, il envoya Jean Comte des largesses sacrées à Éphèse, avec ordre de déclarer Cyrille, Memnon, et Nestorius déposés, et de faire assembler les autres Évêques, afin qu'ils cherchaient les moyens les plus convenables pour rendre la paix à l'Église. Celui que les deux partis choisirent, fut d'envoyer des députés à Constantinople. Théodoret fut un de ceux que les Évêques d'Orient nommèrent pour rendre raison de la conduite qu'ils avaient tenue dans la déposition de saint Cyrille, et de Memnon. Les députés eurent ordre de demeurer à Calcédoine, où ils eurent plusieurs conférences entre eux, et cinq audiences de l'Empereur. Avant même que ce Prince fût arrivé, les députés des Évêques d'Orient lui envoyèrent un écrit, où ils lui expliquèrent très clairement leurs pensées. S'ils avaient soutenu les erreurs de Nestorius, ils en auraient sans doute marqué quelque chose. Cependant ils n'en disent pas un mot. Ils protestent seulement qu'ils ne peuvent approuver les anathèmes de saint Cyrille, parce qu'ils renouvellent les erreurs d'Eunome, et d'Apollinaire. Il est clair que refuser d'approuver des écrits, où l'on croit que les erreurs d'Eunome, et d'Apollinaire sont renouvelées, est autre chose que de soutenir les impiétés de Nestorius. Mais voyons quels furent les sentiments de Théodoret en particulier. Ceux qui le veulent rendre complice des blasphèmes, et des impiétés de Nestorius, prétendent que durant les conférences, il écrivit une lettre à Alexandre Évêque de Jerapole, où il lui découvrit tout ce qu'il avait dans le cœur.

Je veux bien supposer que cette lettre soit de lui, et en donnant cet avantage à ses ennemis, j'espère encore faire voir très clairement qu'elle ne leur fournit aucun prétexte de rendre sa foi suspecte. Tout ce que contient cette lettre, regarde ou les douze chapitres de saint Cyrille, ou la personne de Nestorius, ou la conduite des Juges. A l'égard des douze chapitres, on ne pouvait dire une parole en sa faveur, sans se faire soupçonner d'apostasie, que l'Empereur surtout, n'en pouvait entendre parler ; que les députés ne laisseraient pas d'entreprendre sa défense, tant qu'ils feraient dans l'assemblée. Quant à ce qui est de la conduite des Juges, la lettre porte que les députés souhaitaient avec passion d'être déchargés de leur députation, parce qu'ils ne pouvaient attendre aucun bon succès d'une affaire, où ils avaient pour Juges des gens, qui mettaient leur confiance dans l'or et dans l'argent, et qui soutenaient que la Divinité et l'Humanité n'étaient qu'une même nature.

Il n'y a personne qui pour peu qu'il ait de lumière, ne voie que ces trois points n'ont rien de commun avec l'hérésie, dont Nestorius était accusé. Il était question de ces trois points-là dans la conférence de Calcédoine, mais il n'y était pas question de cette hérésie. Théodoret, et les autres députés des Évêques d'Orient ont pu trouver quelque chose à redire dans les douze chapitres de saint Cyrille, et même de séparer de sa communion, jusques à ce qu'il les eût condamnés, sans approuver pour cela les sermons, et les lettres de Nestorius. Ils ont pu entreprendre la défense de sa personne, sans entrer dans la discussion de sa doctrine, et ils ont pu enfin se plaindre, ou du peu d'intelligence, ou du peu d'équité de quelques-uns de ceux qui avaient été nommés arbitres de leur différend, sans prendre la protection de l'erreur. C'est aussi ce qu'ils ont fait. Ils se font élevés contre les douze chapitres de saint Cyrille, parce qu'ils croyaient y voir des hérésies. Ils ont essayé de soutenir les intérêts de Nestorius, parce qu'ils étaient persuadés qu'on n'avait pas du le condamner sans l'entendre, et avant que tous ses Juges fussent arrivés, et enfin ils ont donné quelque marque de chagrin de leur emploi, parce qu'il leur semblait que quelques-uns de leurs Juges n'étaient pas exempts d'intérêt, ni de passion. Mais ils n'ont jamais soutenu ce qu'Anastase et Nestorius avaient prêché dans Constantinople, que la sainte Vierge n'avait mis qu'un homme au monde, et qu'elle ne devait point être appelée Mère de Dieu. Si Théodoret avait été capable de cette impiété, il l'aurait découverte dans cette lettre, où il parlait sans déguisement, puisqu'on suppose qu'il parlait à un Évêque de son parti, et ce qu'il n'y a rien avancé qui en approchât, est une preuve convaincante, qu'il en était très éloigné.

Le sermon qu'on assure qu'il prononça, incontinent après à Calcédoine, avant que d'en partir pour retourner en Orient, et dont on se sert pour montrer l'étroite habitude, dont il était lié avec Nestorius, fait voir qu'il n'était point complice de ses erreurs. Voici l'endroit d'où l'on s'imagine pouvoir tirer contre lui un grand avantage.

« Nous souffrons persécution pour la cause de Jésus-Christ. C'est à cause de lui que l'on nous a défendu d'entrer dans Constantinople. Mais on ne nous empêchera pas pour cela d'entrer dans le royaume du Ciel, et nous ne laisserons pas d'être citoyens de la Jérusalem céleste, ce dont Dieu même a été l'Architecte comme dit saint Paul. C'est pour l'amour de Jésus-Christ que vous avez eu le courage de traverser le détroit terrible de la Propontide, à dessein d'écouter ma voix, qui vous semble être comme une image de celle de vôtre Pasteur. Vous souhaitez avec passion d'écouter le chant de ce charmant Pasteur, que d'autres pasteurs ses compagnons croient avoir tué avec leurs flûtes. »

Si l'hérésie de Nestorius avait été cachée sous ces termes, Jean Évêque d'Antioche l'aurait approuvée, puisqu'aussitôt que Théodoret eut achevé son discours, il prit la parole selon la coutume de ce temps-là, pour exhorter le peuple à demeurer ferme dans la créance de la doctrine qu'il venait d'entendre. Cependant on n'oserait assurer que Jean Évêque d'Antioche ait soutenu les erreurs de Nestorius. Il n'y a donc point de lieu d'assurer que Théodoret les aie soutenues plutôt que lui. Mais si l'on examine les termes de ce sermon, qu'on lui attribue, bien loin d'y trouver les erreurs de Nestorius, on n'y trouvera rien, qui approche des questions qu'il avait excitées dans l'Église. On y verra des plaintes du mauvais traitement, que l'on avait fait aux députés des Évêques d'Orient, quand on les avait laissé à Calcédoine, pendant que l'on avait emmené à Constantinople les députés des Évêques d'Égypte. On y verra des marques d'indignation contre la procédure qui avait été tenue dans la condamnation de Nestorius. Mais ces plaintes, ni ces marques d'indignation, quoi que peut-être malfondées, ne tendaient en aucune façon, à soutenir les impiétés que Nestorius avait publiées.

Il est vrai que quelques-uns l'accusent d'en avoir entrepris ouvertement la défense, dès qu'il fut de retour en Orient, et d'avoir composé cinq livres contre le Concile d'Éphèse. Ce sont ceux-là mêmes dont Marius Mercator a fait des extraits, pour montrer que Théodoret était dans les mêmes sentiments que Nestorius, et Théodore de Mopeueste. et, Photius, qui les avait lus, et qui n'avait pas moins de pénétration, que Marius Mercator n'y a point découvert cette conformité de sentiments. Il n'y a vu qu'une doctrine orthodoxe jointe à la réfutation de diverses hérésies. Examinons ces extraits, et voyons s'ils contiennent des preuves, que Théodoret ait soutenu les erreurs, que Marius Mercator lui attribue. Entre les passages qu'il a extraits de ces cinq livres, il y en a, dont les expressions sont tout-à-fait Orthodoxes, comme celles-ci, Dieu est dans notre nature, Dieu est dans l'homme. Il est difficile de juger pour quoi il s'en est servi, pour prouver que Théodoret était hérétique. Car s'il avait prétendu que, bien qu'elles soient Orthodoxes, elles ne laissaient pas d'être suspectes dans la bouche, et dans la plume de Théodoret, il aurait manqué aux règles du raisonnement, et apporté pour preuve de son accusation, l'accusation même.

Il y a d'autres passages, où Théodoret réfute ceux qui disaient que les deux natures avaient été mêlées, et confondues en Jésus-Christ. Il est clair qu'il n'y a point d'hérésie dans ces passages, et qu'il y en a dans la doctrine qui leur est contraire. Il y a lieu de croire que Marius Mercator ne les a extraits que pour faire voir que Théodoret attribuait à saint Cyrille des erreurs qu'il ne soutenait pas. Il est vrai que saint Cyrille ne les soutenait pas, mais il se servait de certaines façons de parler, qui donnaient sujet de croire qu'il les soutenait. C'est pourquoi Léonce a reconnu de bonne foi, que bien que saint Cyrille ne confondît point comme les Apollinaristes, les deux natures en Jésus-Christ, Théodoret n'a pas eu tort de le soupçonner de les confondre. Voici ses paroles.

« Cyrille ayant entrepris de réfuter Nestorius, qui ruinait le mystère de l'Incarnation, en introduisant deux personnes en Jésus-Christ, eut un soin particulier d'établir son unité, ce qui donna sujet à Théodoret de le soupçonner, de ne tenir qu'une nature, comme les Ariens et les Apollinaristes. »

Il y a d'autres passages, où Théodoret repousse l'accusation qu'on faisait contre lui, de croire qu'il y avait deux fils, et deux Seigneurs, et où il proteste qu'il n'en croit, et n'en connaît qu'un. Ces passages-là prouvent sans doute le contraire, de ce que Marius Mercator veut prouver. Théodoret proteste qu'il ne reconnaît qu'un Jésus-Christ, qui est tout ensemble Fils de Dieu, à raison de sa génération éternelle, et Fils de la sainte Vierge, à raison de sa naissance temporelle, et Marius Mercator se sert de cette protestation, pour persuader qu'il est dans un sentiment opposé. S'il est permis de raisonner de la sorte, on fera accroire que toute sorte d'Écrivains tiennent tout le contraire de ce qu'ils avancent, et que Marius Mercator reconnaît Théodoret pour Catholique, dans le temps même qu'il fait les plus grands efforts pour le noircir, comme un hérétique.

Il y a d'autres passages où Théodoret divise les paroles, dont l'Écriture sainte se sert pour exprimer la grandeur, et la puissance de Jésus-Christ, et les autres, dont elle se sert pour marquer son anéantissement, et sa bassesse, et où il soutient qu'il ne les faut pas confondre, ni attribuer ou à la nature humaine la création, et le gouvernement du monde ; ou à la nature divine, la sujétion, la dépendance, les douleurs, et la mort. Ces passages-là ont un sens très Catholique, et ne renferment rien de contraire à la communication des idiomes, par laquelle on attribue à l'homme la grandeur, et la puissance de Dieu, et à Dieu la bassesse, et la faiblesse de l'homme. Théodoret n'a rien entendu, par ces passages, sinon que Jésus-Christ, qui est Dieu et Homme, n'est tout puissant, impassible, immortel, et éternel, qu'à raison de la Nature Divine, et qu'il n'a été sujet à nos misères, à la douleur, et à la mort, qu'à raison de la nature humaine, qu'il avait prise pour nous racheter. Il y a d'autres passages, où Théodoret accuse les Évêques, qui avaient condamné Nestorius, de renouveler les erreurs des Apollinaristes. Un de ces partages a tellement échauffé le zèle de Marius Mercator qu'il a tiré de sa plume des termes, dont on n'a pas accoutumé de se servir contre les personnes d'une dignité aussi éminente, et d'une suffisance aussi reconnue qu'était Théodoret. Je veux bien le traduire ici, afin que ceux qui prendront la peine de lire cet Avertissement, jugent s'il y a rien qui ait pu donner lieu de traiter de perfidie, et d'exécrable, un homme aussi célèbre que notre Auteur. En voici les paroles.

« La jalousie, à laquelle vous vous êtes assujettis comme des esclaves, a eu un si grand pouvoir, que de faire publier par plusieurs des Évêques dans leurs assemblées, les mêmes choses qu'Apollinaire débitait autrefois en secret par la bouche d'un, ou de deux de ses Émissaires. Ces mauvaises herbes sont présentées par les Pasteurs à leur troupeau. Les ouailles spirituelles sont déchirées par les dents non des loups, mais de ceux-là-mêmes, qui les devraient garder. On chante maintenant au milieu des plus grandes villes, ce que l'Hérésiarque, dont j'ai parlé, n'osait dire autrefois que dans quelques bourgades, à des personnes simples qu'il trompait par ses chansons. Vous enseignez ses erreurs. Vous tenez à honneur de débiter ses nouveautés, et vous relevez ses blasphèmes, que le temps avait presque ensevelis. »

Ce passage-là peut prouver que Théodoret était persuadé que les Évêques, qui avaient condamné Nestorius à Éphèse, avant l'arrivée des Évêques d'Orient, avaient renouvelé les erreurs d'Apollinaire, mais il ne saurait prouver qu'il soutînt celles d'Arius. Il peut prouver que Théodoret croyait que les Évêques d'Égypte confondaient les deux natures en Jésus-Christ, mais il ne saurait prouver qu'il divisât Jésus-Christ, et c'est ce dont il s'agit uniquement.

Il y a d'autres partages, où Théodoret donne de grandes louanges à Théodore de Mopsueste. Voici celles qu'il lui donne dans le passage, que Marius Mercator a extrait.

« Je n'ai point parlé ici du grand Théodore, de ce célèbre Défenseur de la piété, et de l'Évangile, parce qu'il est du nombre de ceux, contre qui vous vous êtes déclarés sous je ne sais quel prétexte, aussi bien que contre moi, et qu'après une infinité de travaux, et de combats, il se trouve exposé à la médisance non des étrangers, mais de ceux là-mêmes, avec lesquels il est uni par la société de la même foi. Il fallait qu'il eût cela de commun avec le divin Paul, de pouvoir conter non seulement les périls qu'il avait courus entre les mains des païens, et des voleurs, mais aussi ceux qu'il avait courus de la part des faux frères. Voilà la raison pour laquelle je me suis abstenu d'employer l'autorité de ce grand homme. »

Il en parle à peu près de la même sorte dans le premier dialogue de l'Éraniste.

« Je vous produirais, dit-il, encore ici les explications de Diodore, et de Théodore, si je ne reconnaissais que vous en avez une aversion, que je ne puis regarder, que comme une suite de la haine, dont Apollinaire fut autrefois animé contre eux. Je vous ferais voir que leur doctrine était parfaitement conforme à celle des autres Écrivains, qu'ils l'avaient puisée dans la source de l'Écriture, et de la tradition, et qu'ils étaient fidèles Ministres de l'Esprit saint, mais la guerre que vous se leur avez déclarée, m'oblige à supprimer cette preuve. »

Ceux qui liront la traduction de son Histoire, verront à la fin un fort bel éloge de Théodore de Mopsueste. Il n'est pas nécessaire d'examiner si Théodore de Mopsueste méritait ces louanges. Que l'on dise, si l'on veut, qu'il ne les méritait pas, non plus que celles que saint Cyrille lui a données, selon le témoignage de Facundus. Quand les unes et les autres seraient ou excessives, ou injustes, il ne s'ensuivrait pas que Théodoret eût soutenu les impiétés de Nestorius ; car s'il a loué Théodore de Mopsueste, ce n'est pas d'avoir enseigné, comme Nestorius, qu'il y a deux fils ou deux Seigneurs. Mais c'est d'avoir enseigné à ne pas confondre dans Jésus-Christ les deux Natures, comme Eunome et Apollinaire les confondaient.

Il y a d'autres passages, où Théodoret explique l'union des deux natures en Jésus-Christ par la comparaison de deux personnes mariées. Et c'est peut-être de cette comparaison-là, qui n'explique que très imparfaitement le mystère de l'Incarnation que les ennemis de notre auteur ont pris occasion de le noircir, comme s'il n'avait point admis d'union personnelle entre la Divinité et l'Humanité, mais seulement une union d'habitude. Voici les paroles qu'on lui attribue, et où l'on prétend qu'il a caché tout le venin de l'impiété de Nestorius.

« Lorsque nous discernons les natures, nous disons que la Nature du Verbe divin est toute entière dans Jésus-Christ, et que la personne du Verbe y est aussi entière, et parfaite. Nous confessons pareillement que la nature humaine y est entière et parfaite avec sa personne. Mais lorsque nous regardons ces deux natures après leur union, nous disons avec raison, qu'il n'y a qu'une personne. »

Ce passage-là peut avoir un très bon sens. La seconde partie est toute orthodoxe. Pour ce qui est de la première, il semble qu'on la peut exempter de toute forte de censure, parce qu'elle ne parle point des deux natures, telles qu'elles ont été en Jésus-Christ, mais telles qu'on les pouvait considérer, avant qu'elles y fussent. Les deux Natures ont été unies personnellement en Jésus-Christ, au moment qu'il a pris un corps. Avant ce moment-là, la nature et la personne divine étaient de toute éternité. Mais la nature humaine n'était point, ce qui n'empêche pas, que si on la veut concevoir avant l'union, on ne la considère comme une nature entière, et parfaite, et parce qu'une nature n'est pas parfaite, sans la personne, qui est comme sa dernière perfection, quand on considère la nature avant l'union, on la considère une personne humaine, quoi qu'elle n'en ait point, puisqu'elle n'est pas elle-même. C'est en ce sens, que l'auteur de la proposition l'a pu concevoir. sans tenir aucune erreur.

Mais il n'est pas certain que Théodoret soit l'auteur de cette proposition, puisque le cinquième Concile général l'attribue à Théodore de Mopsueste. Ainsi quelque jugement qu'on en doive faire, on n'en peut tirer aucune induction, qui soit désavantageuse à notre Auteur.

Je continuerais à examiner les passages que Marius Mercator a extraits de ses lettres, et de ses sermons, si je n'étais obligé de remettre cet examen à un autre lieu, pour suivre l'ordre du temps, lequel je me suis proposé dans sa défense.

Si ce que je viens de remarquer de ce qui de passa dans la Conférence tenue à Calcédoine, ou si la discussion que j'ai faite des passages extraits des cinq livres composés presqu'au même temps, a pu persuader aux personnes équitables, que Théodoret ne s'engagea jamais à soutenir les hérésies, dont Nestorius était accusé, et dont il était en effet coupable, ce que je vais ajouter touchant l'accommodement que les chefs des deux partis firent l'année suivante, en pourra convaincre les plus opiniâtres.

C'est une maxime constante que ceux qui se sont une fois éloignés de la foi, ne sauraient rentrer dans la Communion de l'Église Catholique, qu'en faisant une nouvelle profession de cette foi, et en renonçant à tous les sentiments, qui y font contraires. C'est un usage que les saints Évêques ont inviolablement observé, lorsqu'ils ont reçu dans la société des Fidèles, ceux qui en étaient sortis, pour suivre les égarements des hérétiques. Et il n'y a rien de si juste, que d'exiger des personnes de cette sorte, cette preuve publique de leur changement.

Si Jean d'Antioche, si Théodoret, si les autres Évêques d'Orient avaient perdu la foi, et s'ils étaient tombés dans l'hérésie de Nestorius, lorsqu'ils s'étaient séparés des Évêques d'Égypte, ils n'auraient pu se réunir à eux, qu'en faisant profession de la foi, et en abjurant l'hérésie. Que si l'on ne leur a point imposé cette loi, c'est une preuve certaine que l'on reconnaissait, qu'ils n'étaient point tombés dans l'erreur, et qu'ils ne s'étaient point éloignés de la doctrine commune de l'Église Catholique. Leurs plus grands ennemis ne sauraient dire qu'on la leur ait imposée, et il paraît par toutes les lettres qui furent écrites de part et d'autre, au sujet de leur réconciliation, qu'on ne leur proposa jamais rien de semblable, et qu'au contraire on demeura d'accord qu'ils avaient toujours été très Orthodoxes.

La première qui fut expédiée sur ce sujet, fut celle de l'Empereur Théodose. Il paraît par tout ce que ce Prince y énonce, et par tout ce qu'il y ordonne, qu'il ne doutait nullement de la pureté des sentiments de Jean d'Antioche, et des autres Évêques d'Orient. Il y énonce deux choses. L'une que le plus ardent de ses souhaits était le rétablissement de la paix, que les Évêques qui l'avaient rompue, recommandaient tous les jours aux peuples par le devoir de leurs charges. Parlant ensuite de ces Évêques, il les appelle des membres de la foi Orthodoxe, c'est-à-dire des membres unis à l'Église par la profession de sa doctrine. Il croyait donc qu'ils n'étaient séparés les uns des autres par aucune erreur, et que leur différent ne regardait point la foi. L'autre chose que ce Prince énonce dans sa lettre, est qu'ayant consulté Maximien Évêque de Constantinople, et quelques autres Ecclésiastiques, touchant les moyens de terminer ce différend, ils lui avaient répondu que Jean d'Antioche voulait signer la déposition de Nestorius, et prononcer anathème contre sa doctrine, il ne resterait plus de contestation, et que Cyrille, Célestin, et les autres Prélats ne feraient aucune difficulté de communiquer avec lui. Si Maximien, qui avait été élu, et ordonné en la place de Nestorius, n'avait tenu Jean d'Antioche exempt de ses erreurs, n'aurait-t-il pas répondu que pour rétablir la paix entre les Évêques, il était nécessaire que Jean d'Antioche renonçât à ses erreurs, puisqu'il ne peut jamais y avoir d'union entre des Évêques qui ne font pas profession de la même foi. Ce que l'Empereur Théodose ordonne par la même lettre, prouve encore plus fortement que ce qu'il y énonce, qu'il ne doutait nullement que Jean d'Antioche ne tînt une doctrine très Orthodoxe  car il le traite de la même sorte que saint Cyrille, en leur enjoignant également de se rendre à Nicomédie, pour y terminer ensemble leurs différends, et en leur déclarant que jusques à ce qu'ils les eussent terminés, ni l'un, ni l'autre n'aurait l'honneur de jouir de sa présence, ni la liberté de retourner en son Diocèse. Si Jean d'Antioche avait été infecté de l'hérésie de Nestorius, aurait-il été juste de lui faire le même traitement qu'à saint Cyrille, qui en avait toujours été exempt ? Mais si le différend, dont il s'agissait alors, eût concerné la foi, que Jean d'Antioche l'eût attaquée, et que saint Cyrille l'eût défendue, l'Empereur aurait-il dû les confondre, au lieu de les distinguer, en châtiant la perfidie de l'un, et en récompensant la fidélité de l'autre ? Si Jean d'Antioche avait été dans les sentiments de Nestorius, et qu'il les eût soutenus avec opiniâtreté, saint Cyrille aurait-il été coupable, pour n'avoir pu le fléchir, ou le convaincre, et aurait-il mérite pour cela d'être privé comme lui de la présence du Prince, séparé de son Église, et exilé loin du lieu de sa naissance ? L'égalité de ce traitement, dont nous ne voyons point que personne se soit plaint, est sans doute une preuve, que tout le monde était persuadé que ces deux Prélats étaient Orthodoxes, et que leur mauvaise intelligence ne procédant point de la diversité de leur créance, touchant le fond des matières, qui avaient été agitées en leur temps, ils n'avaient pour se réconcilier qu'à relâcher réciproquement quelque chose de leurs intérêts, et de leurs prétentions. C'est aussi ce qui fut proposé dans la négociation de l'accommodement. Car dès que Jean d'Antioche eut reçu l'ordre de l'Empereur, il s'assembla avec Acace Évêque de Bérée, et avec quelques autres Prélats de sa Province, et résolut avec eux d'offrir à saint Cyrille, de se réconcilier avec lui, à deux conditions ; savoir que les deux partis signeraient le Formulaire du Concile de Nicée, et que les douze Chapitres de saint Cyrille seraient supprimés avec tout ce qu'il avait composé pour les soutenir. Ces deux conditions que demandèrent les Évêques d'Orient, font bien voir qu'ils ne se sentaient infectés d'aucune erreur, et qu'ils n'appréhendaient pas d'en être convaincus. Car en premier lieu ils proposèrent que les deux partis signassent le Formulaire du Concile de Nicée, parce qu'ils étaient persuadés qu'il suffisait pour établir la vérité de tous les points de la doctrine de l'Église, et pour condamner toute forte d'hérésies. En second lieu, ils voulurent exiger de saint Cyrille, qu'il consentît à la suppression de ses douze Chapitres, et des autres ouvrages qu'il avait composés pour les soutenir ; parce qu'ils s'imaginaient que les erreurs d'Eunome et d'Apollinaire y étaient renouvelées. S'ils eussent appréhendé d'être soupçonnés de soutenir les impiétés que Nestorius avait avancées, ils auraient plutôt tâché de se purger de ce soupçon, qu'ils n'auraient osé non seulement examiner les livres, qui avaient été faits, pour réfuter ces impiétés ; mais encore en demander la suppression. Je sais bien que saint Cyrille était fort éloigné de la consentir, et qu'il fit la réponse qu'il fallait attendre d'un Prélat aussi Catholique que lui, et qui était très assuré de n'y avoir rien mis, qui ne fût très Orthodoxe. Mais il faut aussi demeurer d'accord que s'il refusa de supprimer ses douze chapitres, et ce qu'il avait écrit pour les défendre, il ne prétendit point que les Évêques d'Orient dussent supprimer la réfutation, que Théodoret en avait faite par leur ordre, ce qui est à mon sens une preuve convaincante qu'il n'y avait rien trouvé de contraire à la doctrine de l'Église.

Le voyage que Paul Évêque d'Emèse fit à Alexandrie, les conférences qu'il eut avec saint Cyrille, et les conditions auxquelles il conclut l'accommodement, confirment encore la vérité de ce fait, que les Évêques d'Orient n'étaient point séparés de ceux d'Égypte par la diversité des sentiments touchant le mystère de l'Incarnation, bien qu'ils le fussent de communion, et qu'ils convenaient avec eux touchant les points de la foi, bien qu'ils ne convinrent plus dans la société de la prière, ni dans la participation des sacrements, depuis qu'ils s'étaient divisés les uns des autres, à l'occasion de la manière, dont Nestorius avait été déposé. Il paraît par deux lettres de saint Cyrille, savoir par celle qu'il écrivit à Acace Évêque de Mélitène, et par celle qu'il écrivit à Donat Évêque de Nicopole, que dans les conférences qu'il eut avec Paul d'Émèse, il fut beaucoup parlé de ce qui avait été fait à Éphèse contre l'ordre, et contre la discipline, ce qui est une preuve que c'était en cela que consistait leur différent. Au contraire il ne paraît point qu'ils aient parlé du fond des matières agitées à l'occasion des sermons de Nestorius, ce qui est comme une conviction, qu'il ne s'en agissait point entre eux, et qu'à cet égard, ils se tenaient réciproquement Orthodoxes.

Nous apprenons par les mêmes lettres que saint Cyrille n'exigea rien de Paul d'Emèse, pour le recevoir à sa communion, sinon qu'il anathématisât ce n'est que l'on y ajouta, qu'il ne ferait fait aucune mention des douze chapitres. Mais on n'y parla point d'aucune hérésie, que les Évêques d'Orient eussent soutenue. Ils étaient si éloignés de se sentir coupables d'en avoir jamais tenu aucune, que la lettre qu'ils écrivirent à Sixte successeur de Célestin, dans le gouvernement de l'Église Romaine, au sujet de l'accommodement qu'ils désiraient faire pour déférer aux ordres de l'Empereur, porte en termes exprès, que ce qui les avait portés à acquiescer à la sentence, par laquelle Nestorius avait été déposé, à le tenir déposé légitimement, et à prononcer anathème contre sa doctrine, était que leurs Églises avaient toujours conservé la pureté de la foi, et l'avaient toujours enseignée aux peuples de la même sorte que Sixte la tenait, et l'enseignait lui-même. Jean Évêque d'Antioche écrivit au même sens à saint Cyrille.

« Pour ôter, lui dit-il, tout sujet de contestation, pour lever le scandale, et pour rendre la paix à l'Église, nous avons trouvé à propos de tenir pour déposé Nestorius autrefois Évêque de Constantinople, de prononcer anathème contre la nouveauté profane des termes qu'il a introduits, parce que les Églises, qui sont parmi nous, tiennent la vraie foi, et l'enseignent au peuple, de la même sorte que votre Sainteté. Nous consentons à l'ordination de Maximien Évêque de Constantinople très sainte, et très chéri de Dieu, et nous participons à la communion de tous les Religieux Évêques, qui tiennent, et qui enseignent la vraie foi dans toute l'étendue de la terre. »

La confiance, avec laquelle ces Évêques écrivent à Sixte, et à saint Cyrille qu'ils ont toujours tenu, et enseigné la même foi, que le premier tenait et enseignait à Rome, et que le second tenait, et enseignait à Alexandrie, me tient lieu d'une démonstration de la pureté de leurs sentiments. Je n'estime pas qu'il puisse entrer dans l'esprit de qui que ce soi, que s'ils avaient jamais défendu les impiétés de Nestorius, ils auraient osé assurer, qu'ils n'auraient jamais rien cru, ni enseigné que d'Orthodoxe. Il est aisé de juger que Sixte ne serait pas demeuré dans le silence, que saint Cyrille n'aurait pas manqué de confondre leur imposture, et que l'un et l'autre, bien loin de les recevoir à sa communion, les aurait rejetés comme des fourbes, dont l'impudence à avancer des faussetés manifestes, aurait rendu la conversion suspecte d'artifice, et de déguisement. Si Nestorius, qui avait publié des impiétés, en présence des Ecclésiastiques et du peuple, avait supplié Sixte et saint Cyrille de le recevoir à leur communion. Et si, au lieu de renoncer à ses erreurs il leur avait protesté qu'il ne s'était jamais éloigné de la Doctrine Orthodoxe, ils lui auraient sans doute refusé sa demande avec quelque sorte d'indignation. Ils auraient fait le même traitement à Jean d'Antioche, et aux autres Évêques d'Orient ; s'ils avaient entrepris de leur imposer avec une impudence égale à celle que nous supposons, et partant, il faut avouer que quand ils se font réconciliés avec eux, ils étaient persuadés qu'ils parlaient sincèrement, et que quand ils assuraient qu'ils avaient toujours tenu et enseigné la doctrine tenue et enseignée par le reste des Prélats Orthodoxes, ils n'avançaient rien de contraire, ni à la vérité, ni à leurs sentiments.

Le Pape Sixte, et saint Cyrille ne se contentèrent pas de témoigner par leur silence, qu'ils étaient parfaitement persuadés de la sincérité, et de la vérité de la protestation que Jean d'Antioche, et les autres Évêques d'Orient leur faisaient d'avoir toujours tenu et enseigné la doctrine, qui était généralement tenue et enseignée par les autres Prélats Orthodoxes, ils le témoignèrent encore par les paroles les plus claires, que l'on eût pu jamais désirer.

« Jean notre frère, dit le Pape Sixte dans sa lettre à saint Cyrille, ne s'était point uni à celui qui a mérité d'être exilé. Il n'avait point été trompé par les blasphèmes de ses sermons. L'événement fait voir que s'il a suspendu son jugement, il n'a pas refusé pour cela de condamner l'impiété. »

« La division, dit saint Cyrille dans sa lettre à Jean d'Antioche, qui était survenue entre les Églises, n'avait aucun sujet légitime, comme je l'ai reconnu très clairement par l'écrit que Monseigneur Paul à très Religieux Évêque m'a mis entre les mains. Il y contient une profession de foi, à laquelle il n'y a rien à redire, et qui a été composée par vôtre Saintété, et par les très religieux Évêques, qui font avec vous, comme le même Paul m'en a assuré. »

Le Cardinal Baronius n'avait pas ces dernières paroles présentes à l'esprit, quand il a écrit que saint Cyrille refusa de recevoir à sa communion Jean d'Antioche, et les autres Évêques d'Orient, jusques à ce qu'ils eussent signé une profession de foi, qu'il leur avait envoyée, ce qui supposerait qu'il aurait eu leur foi suspecte. Car s'il les avait eu présentes, il n'aurait pas douté qu'elle n'eût été composée par les Évêques d'Orient, sans que saint Cyrille leur en eût prescrit le sens, ou les termes. Aussi avance-t-il cette circonstance importante, sans aucune preuve solide. L'unique qu'il en rapporte, est tirée de la lettre de saint Cyrille, à Donat Évêque de Nicopole, où après avoir dit que quand Paul Évêque d'Emèse eut approuvé par écrit la déposition de Nestorius, et l'ordination de Maximien, il le supplia de de contenter de cet acte, qu'il avait signé au nom des Évêques d'Orient, et de ne leur rien demander davantage. Mais qu'au lieu de s'en contenter, il donna un écrit au tribun Aristolaüs, pour le porter à Jean d'Antioche, et que quand Jean d'Antioche, et les autres Évêques Orientaux l'eurent signé, il les admit à sa communion.

On ne saurait nier que tout cela ne se trouve dans la lettre de saint Cyrille à Donat ; mais on ne saurait non plus avouer que l'écrit que saint Cyrille donna au Tribun Aristolaüs, pour le porter à Jean d'Antioche, fût une profession de foi. La suite de la lettre fait voir que cet écrit ne contenait que la condamnation des blasphèmes de Nestorius, la déposition de sa personne, et l'ordination de Maximien.

En effet saint Cyrille pouvait-il exiger de Jean d'Antioche, avant que de l'admettre à sa communion des conditions plus rigoureuses que celles qu'il avait exigées de Paul d'Emèse, qui agissait au nom de tous les Prélats des Églises de Syrie, et d'Orient ? Il ne le pouvait sans doute avec aucune apparence de justice. Il paraît par la lecture de la lettre, dont se sert Baronius, que saint Cyrille ne prescrivit point de profession de foi, à Paul Évêque d'Emèse, mais seulement exigea de lui l'approbation de la déposition de Nestorius, et de l'ordination de Maximien. De plus saint Cyrille assure dans la même lettre, qu'il admit Jean d'Antioche à sa communion aux mêmes conditions, qui avaient été proposées à Éphèse, l'année précédente. On ne peut pas dire que pour étouffer à Éphèse le schisme, qui commençait à paraître, on ait proposé aux Évêques d'Orient de signer un Formulaire qui leur eût été prescrit par ceux d'Égypte. Les affaires n'étaient point alors en cet état-la. Il y avait beaucoup de chaleur dans les esprits. Mais il n'y avait pas de dispute opiniâtre touchant les propositions que Nestorius avait avancées. La chaleur procédait de ce que les Évêques d'Égypte avaient déposé Nestorius, sans avoir attendu les Évêques d'Orient, et de ce que ceux-ci, comme pour se venger de cette injure, qu'ils prétendaient avoir reçue avaient entrepris de déposer saint Cyrille, et Mémnon. Ainsi les conférences n'avaient point été employées à examiner le fond des matières, et à contester s'il fallait appeler la sainte Vierge Mère de Dieu, mais à chercher les moyens d'apaiser les esprits, et de terminer les différends ; et partant il n'y avait pas eu d'occasion de proposer des Formulaires, mais seulement de trouver des expédients de finir les contestations, et l'expédient, auquel on avait pensé dès lors, avait été que les Évêques d'Orient consentissent à la déposition de Nestorius, et c'est tout ce que saint Cyrille dit dans sa lettre à Donat.

Il faut donc qu'il demeure pour confiant que saint Cyrille n'a jamais prescrit de profession de foi à Jean d'Antioche, ni aux autres Évêques d'Orient, et qu'il a reconnu que celle qu'ils lui avaient envoyée d'eux-mêmes, était très Catholique.

S'il était nécessaire d'ajouter encore quelque chose pour confirmer la vérité de ce fait, qui est déjà si solidement établi, je montrerais par la suite de la lettre de saint Cyrille à Jean d'Antioche, qu'il était plutôt en peine d'effacer des esprits des Évêques d'Orient les mauvaises impressions, qu'on leur avait données de ses douze chapitres, et de sa créance qu'il ne songeait à reprendre leurs sentiments. Car il repousse sur la fin de cette lettre la calomnie de ceux qui l'accusaient de tenir que le Verbe n'avait pas tiré de la Vierge le corps, auquel il s'était uni, mais qu'il l'avait apporté du ciel. Il réfute pareillement ceux qui l'accusaient de croire que les deux Natures avaient été mêlées, et confondues en Jésus-Christ. Enfin il procède qu'il ne se veut jamais départir de ce qui avait été résolu dans le Concile de Nicée, à quoi les Orientaux étaient aussi fort attachés, puisque dans toute la suite de cette contestation ils avaient sans cesse répété, que la foi de ce Concile suffisait pour décider toutes les questions, et qu'il n'y fallait rien ajouter.

Le soin que saint Cyrille eut d'expliquer sa doctrine, après avoir approuvé celle des Évêques d'Orient, montre que les uns et les autres étaient dans les mêmes sentiments. Et c'est ce qui a été très bien remarqué par un auteur, qui ayant vécu au siècle suivant, s'était trouvé d'autant plus obligé de s'informer de leurs différends, que les suites en étaient venues jusques à son temps.

« Comme saint Jean Évêque d'Antioche, dit-il, et les autres Évêques d'Orient croyaient de la même sorte, que les Eutychiens croient encore aujourd'hui, que saint Cyrille enseignait, qu'il n'y avait qu'une nature en Jésus-Christ, et que par le zèle de la foi, dont ils étaient animés, ils jugeaient sur un fondement vraisemblable, bien que contre la vérité qu'il était hérétique& ; Dieu dont la puissance infinie, et la sagesse merveilleuse fait faire servir l'ignorance des hommes, à leur propre instruction, termina si heureusement cette affaire, que les faux soupçons, que les Évêques d'Orient, et de quelques autres Provinces, avaient formés contre saint Cyrille, ne nous laissent lieu d'en former aucun. Car lorsque le soin de rétablir la paix de l'Église, eut succédé aux troubles, dont elle avait été agitée, comme ces soupçons conçus par les Évêques d'Orient contre saint Cyrille, avaient produit un grand schisme, ils souhaitèrent qu'il confessât clairement, que Jésus-Christ est Dieu et Homme en deux natures, s'il voulait lever toute forte de scandale, et de sujet de chute. Ce saint Évêque d'Alexandrie accepta volontiers cette proposition, parce qu'il était très assuré qu'il n'avait jamais rien cru, qui y fût contraire. Ainsi Dieu fit voir d'une manière très évidente, que la foi tant des Évêques d'Orient, que des autres Évêques, et de saint Cyrille même, était très pure, puisque les premiers ne souhaitèrent et ne demandèrent rien de déraisonnable, et que le dernier ne refusa rien de ce qu'ils avaient demandé. »

Ces preuves si fortes, et si invincibles de la pureté des sentiments, où étaient les Évêques d'Orient au temps qu'ils se réconcilièrent avec saint Cyrille, et où ils avaient été en tout autre temps, semblent faibles, et inutiles, en faveur de Théodoret à quelques-uns, qui soutiennent qu'au lieu d'entrer dans cette réconciliation, il s'obstina à combattre la doctrine de saint Cyrille, et à défendre les erreurs de Nestorius, ils appuient cette prétention sur le reste des extraits de Marias Mercator, dont j'ai réservé la discussion à cet endroit-ci. La principale pièce qui y paraisse, est une lettre conçue en ces termes.

A Monseigneur très vénérable, et très saint Père Nestorius Évêque, Théodoret : Salut en notre Seigneur.

« Je crois que vôtre Sainteté est bien persuadée, que je n'ai pas besoin de monter sur les sièges des grandes Églises, et que je ne me laisse abattre, ni par les civilités, et par les caresses des personnes du siècle, ni par l'amour de la gloire. J'ai appris au moins à mépriser toutes ces choses dans la solitude de la ville, de la conduite de laquelle je suis chargé, et quand je n'y aurais appris que cela. Mais il est certain que dans cette solitude je trouve des affaires, dont la multitude, et l'embarras pourraient lasser ceux-là-mêmes, qui se plaisent le plus à en avoir. Que personne ne fasse donc accroire à votre Sainteté, que le désir de posséder un Évêché considérable m'a porté à recevoir aveuglement les écrits du Prélat d'Égypte, comme des écrits contenants une saine doctrine. Car je jure par la vérité même qu'après les avoir lus plusieurs fois, et les avoir exactement examinés, j'ai trouvé qu'il n'y avait aucune hérésie, et je n'ai osé les noter d'aucune censure. Ce n'est pas que j'approuve la conduite de celui qui a rempli l'univers de confusion et de troubles. J'espère qu'au jour du jugement, je ne serai trouvé coupable d'aucun crime à cet égard, parce que le Juge équitable, qui jugera tous les hommes, connaît et examine leurs intentions. Pour ce qui est de ce qui a été fait contre vous sans justice, et sans équité, on me couperait plutôt les deux mains que de me porter à l'approuver, et je serai toujours dans cette disposition, pourvu que ma faiblesse soit soutenue par la force de la grâce. J'ai assuré de cette résolution que j'ai prise, ceux qui voulaient exiger de moi cette approbation. J'envoie à votre Sainteté une copie de la réponse que je leur ai faite, afin qu'elle connaisse, qu'avec l'aide de Dieu, aucun temps ne me fera changer, ni ne fera voir que je ressemble aux Poupes, ou aux Caméléons, qui prennent les couleurs des rochers, ou des feuilles, où ils s'attachent. Je salue tous nos frères, qui sont avec vous, et ceux qui sont avec moi, les saluent aussi. »

La réponse générale, que j'ai à faire à cette lettre, et à toutes les pièces semblables, dont Manus Mercator a conservé des fragments, est qu'il est probable, qu'elles font du nombre de celles que les hérétiques avaient supposées à Théodoret, selon le témoignage de Léonce. S'il est probable qu'elles sont supposées, on n'en saurait tirer une preuve convaincante contre notre Auteur, et sans preuve convaincante, on ne le saurait condamner.

Mais pour dire quelque chose de plus particulier contre cette lettre, sans demeurer néanmoins d'accord qu'elle soit de Théodoret, je soutiens que quand elle serait sortie de son esprit, et de sa plume, on ne pourrait par là le convaincre de s'être rendu complice de l'impiété, et de l'hérésie de Nestorius.

Il paraît par les premières lignes, que l'on avait répandu des bruits désavantageux à sa réputation, et que l'on avait publié, qu'il n'avait approuvé les lettres de saint Cyrille, que par complaisance pour l'Empereur, et par l'espérance d'être transféré de l'Évêché de Cyr, à celui de quelque grande ville. Il dissipe d'abord ces faux bruits par la protestation qu'il fait de mépriser tout ce qu'il y a dans la dignité Épiscopale de plus éclatant aux yeux des hommes, et il expose ensuite le véritable motif, qui l'avait porté à recevoir les lettres de saint Cyrille, comme des lettres Catholiques, qui est qu'après les avoir lues plusieurs fois, il avait jugé qu'elles l'étaient. Il y a deux autres lettres sous son nom, savoir une à Jean d'Antioche rapportée par le Cardinal Baronius, et l'autre à André de Samosate extraite par Marius Mercator, dont l'auteur déclare la même chose. Car, après avoir commencé la première par des actions de grâces qu'il rend à Dieu de la bonté qu'il avait eue de faire voir la conformité de pensées et de sentiments, où tous les Évêques se trouvaient, il ajoute que par l'examen qu'il avait fait de la lettre de saint Cyrille, il l'avait trouvée contraire aux douze chapitres, que les Évêques d'Orient avaient toujours rejetés comme contraires à la piété, et comme favorables aux hérétiques, en tant que la division des termes, qui servent à exprimer les deux natures, n'y était point employée. Dans la seconde il avoue qu'il avait vu avec joie que saint Cyrille condamnait Arius, Eunome, Apollinaire, ceux qui disaient que la Divinité était passible, et ceux qui assuraient que les deux natures avaient été mêlées, et confondues en Jésus-Christ. Il est clair que l'Auteur de ces vraies lettres, reconnaît que celle que saint Cyrille avait écrite à Jean d'Antioche, incontinent après la réconciliation conclue avec Paul d'Emèse, contenait une doctrine catholique. Il est donc certain qu'il n'avait garde de soutenir celle de Nestorius, qui y était toute contraire, et que saint Cyrille avait toujours combattue.

Ce n'était pas assez dira-t-on que Théodoret approuvât la doctrine de la lettre de saint Cyrille, il fallait qu'il approuvât la condamnation prononcée contre Nestorius, et c'est à quoi il a protesté qu'il ne se pourrait jamais résoudre.

On peut distinguer dans la condamnation intervenue contre Nestorius, la procédure, et la sentence. On peut encore distinguer dans la procédure ce qu'elle avait de conforme aux constitutions civiles, et canoniques, et à l'équité naturelle, et ce qu'elle semblait y avoir de contraire. Ces deux distinctions étant supposées de la sorte, il y a lieu de croire que quand l'auteur de la lettre adressée à Nestorius sous le nom de Théodoret, a témoigné qu'il ne pourrait jamais se résoudre à approuver ce qui avait été fait contre lui, il entendait la procédure, qui lui paraissait irregulière, à cause de l'absence d'un grand nombre de Juges, et de l'exception que l'accusé avait proposée. Ce qui n'empêche pas qu'il n'approuvât sa déposition, comme un expédient nécessaire, pour apaiser les troubles de l'Église.

On demandera peut-être, pourquoi donc il fit difficulté de condamner la doctrine de Nestorius, et pourquoi il trouva étrange la signature que saint Cyrille exigea sur ce sujet. Mais il est aisé de répondre qu'il ne fit point de difficulté de condamner la doctrine hérétique, que soutenait Nestorius, mais qu'il fit difficulté de condamner sous son nom la doctrine catholique de l'Église, et c'est là le sens de ces termes de la lettre à André Évêque de Samosate.

« Cyrille exige que l'on signe la condamnation, qui a été prononcée, il y a longtemps, contre Nestorius, et que l'on anathématise la doctrine de ce saint Évêque. Or vôtre Sainteté sait que de condamner cette doctrine simplement, et sans distinction, est presque la même chose que de condamner la piété. »

Il est clair que l'Auteur de cette lettre ne refusait que de condamner simplement la doctrine, dont on exigeait la condamnation, et qu'il était prêt de la condamner avec distinction, c'est-à-dire en expliquant distinctement ce qu'il condamnait. Son intention n'était pas de faire distinction de la doctrine, et de la personne de Nestorius, pour prononcer anathème contre la première, et pour en exempter la seconde, mais elle était de faire distinction de la doctrine catholique, et de la doctrine hérétique. Le refus qu'il faisait de condamner la doctrine de Nestorius sans distinction, procédait de l'appréhension d'envelopper sous la même condamnation non la personne avec la doctrine, mais la doctrine catholique avec l'hérésie. Il avait moins dessein en cela d'épargner Nestorius, que de conserver la vérité. Pour être convaincu que c'était là sa pensée, il ne faut que lire la suite de la lettre, où il explique de quelle manière il croyait que l'on devait concevoir la condamnation.

« Si, dit-il, nous sommes indispensablement obligés de prononcer anathème, il le faut prononcer contre ceux qui disent que Jésus-Christ n'était qu'un pur homme, ou contre ceux qui divisent Jésus-Christ en deux fils, ou contre ceux qui nient sa Divinité. »

Voilà les erreurs de Nestorius, que l'Auteur de la lettre condamnait sans aucune difficulté. Et il ne faut point douter qu'il ne fût prêt de condamner toutes les autres, dont on lui aurait demandé la condamnation en particulier. Mais il refusait de condamner absolument la doctrine de Nestorius, de peur de condamner non seulement les hérésies, pour lesquelles il avait été déposé, mais encore des vérités Catholiques qu'il était persuadé qu'il tenait. Il parait même par la fin de la lettre, qu'il était persuadé qu'il ne tenait rien de contraire à ces vérités, en quoi il est sans doute qu'il se trompait. Mais sa faute était d'autant plus excusable, qu'elle ne procédait que de la charité qui croit toujours le bien, plutôt que le mal. Il pensait que Nestorius n'avait jamais rien tenu, ni enseigné que d'Orthodoxe, mais il n'approuvait pas pour cela les impiétés que Nestorius avait en effet tenues, et enseignées. On peut en cette occasion se servir en sa faveur de la défense que Facundus employa autrefois pour un Évêque de Constantinople.

« Autre chose est d'excuser un hérétique, dans la créance qu'il est Catholique, et autre chose est d'approuver, et de défendre son hérésie, comme autre chose est d'accuser un Catholique dans la créance qu'il est hérétique, et autre chose est d'improuver, et de reprendre la foi catholique. »

Théodoret, ou l'auteur de la lettre à André de Samosate a excusé Nestorius, en disant qu'il n'avait jamais rien enseigné que d'Orthodoxe. Il s'est trompé en ce fait. Il n'a pas pour cela soutenu les erreurs que Nestorius avait prêchées. Il détestait lui-même ces erreurs-là, et était très disposé à condamner sa personne, au cas qu'il soutint en effet les hérésies, dont il était accusé.

Il ne reste plus rien à examiner parmi les Extraits de Marius Mercator, qu'un fragment de sermon prononcé par Théodoret, après la mort de saint Cyrille. Il contient une invective outrageuse à la mémoire de ce célèbre Évêque d'Alexandrie, et les erreurs les plus grossières, et les plus manifestes des Nestoriens. Il y a apparence qu'il est du même Auteur que la lettre écrite sur le même sujet, sous le même nom de Théodoret à Jean d'Antioche. Il est vrai qu'il ne contient pas un si grand nombre d'impertinences, parce qu'il n'est pas il étendu. Il est vrai aussi qu'il n'a pas toutes les mêmes marques de fausseté, parce qu'il n'est pas adressé, comme cette lettre à Jean Évêque d'Antioche, qui était mort sept ans auparavant. Mais il en contient encore assez pour être rejeté, comme un ouvrage supposé, et entièrement indigne d'un aussi grand nommé que Théodoret. Quand il aurait été capable de concevoir des sentiments de jalousie, ou d'inimitié contre saint Cyrille, et de les conserver encore après sa mort, ce que je ne saurais me persuader, il ne les aurait pas fait paraître, en insultant d'une manière si basse, et si méprisable, à la mémoire de son ennemi. Mais il avait toujours été très éloigné de ces sentiments-là, et si dans la chaleur des plus grandes contestations, et au temps auquel il s'était trouvé engagé à écrire contre les douze chapitres de saint Cyrille, il avait eu quelque pensée tant soit peu désavantageuse à sa réputation, il y avait entièrement renoncé depuis. Nous apprenons par une de ses lettres non seulement que la réconciliation de ces deux célèbres Évêques avait été très sincère, mais que dans les années suivantes, ils avaient entretenu une si parfaite intelligence, que saint Cyrille avait souhaité d'avoir Théodoret pour Juge, et pour approbateur de ses ouvrages. Quand il eut achevé ses livres contre l'Empereur Julien, il les envoya à Jean Évêque d'Antioche, afin qu'il les fit examiner par les plus habiles Ecclésiastiques de l'Orient. Jean les envoya à Théodoret, qui était reconnu sans doute pour un des plus savants Prélats qu'il y eut alors, non seulement dans l'Église d'Orient, mais dans l'Église universelle. Théodoret les lut, les admira, les renvoya à saint Cyrille, qui ne manqua pas de lui récrire, pour le remercier du jugement avantageux qu'il avait fait de son ouvrage. Il faut beaucoup moins qu'une preuve si authentique de la confiance, qui demeura entre ces deux grands Hommes, depuis ..., et reste des extraits de Marius Mercator, ne fournissent aucun sujet de douter, qu'au temps que les Églises d'Orient se rejoignirent à celles d'Égypte, Théodoret ne fût dans les mêmes sentiments que les autres Évêques, dont le Pape Sixte, et saint Cyrille approuvèrent la doctrine, il n'a pas laissé d'être soupçonné encore depuis de favoriser les Nestoriens, d'être accusé de renouveler leurs erreurs, et enfin d'être condamné comme complice de leurs impiétés, et de leurs blasphèmes. C'est ce qui m'oblige pour continuer sa défense à faire voir, que ces soupçons étaient téméraires, que ces accusations étaient calomnieuses, et que la condamnation était tout à fait injuste, et insoutenable.

Je pourrais me dispenser d'employer beaucoup de paroles pour rechercher quel a été le fondement sur lequel on a prétendu rendre Théodoret suspect d'avoir favorisé les erreurs des Nestoriens, depuis l'accord conclu par l'entremise de Paul d'Emèse. Car il s'agit bien moins de savoir, s'il a été soupçonné de favoriser ces erreurs, que de savoir s'il les a en effet favorisées. Il pourrait en avoir été soupçonné avec fondement, sans toutefois en avoir été coupable, en ce cas-là le soupçon serait faux, et ne serait pas téméraire. Mais pour ne pas abandonner cette partie de sa défense, je veux bien examiner sur quoi on établit la vraisemblance de ces soupçons. Ceux qui les conçoivent, les proposent à peu prés de cette sorte. Lorsque l'Empereur Théodose eut défendu de lire les livres de Nestorius, et qu'il eut ordonné qu'ils seraient brûlés, les sectateurs de cet hérétique commencèrent à produire quelques ouvrages de Diodore Évêque de Tarse, de Théodore Évêque de Monpsueste, de saint Athanase, de saint Grégoire, de saint Basile, et de quelques autres qui avaient autrefois réfuté les erreurs d'Eunome, et d'Apollinaire, et pour tromper les simples, ils publièrent que Nestorius n'avait introduit aucune nouveauté, et qu'il n'avait fait que suivre la doctrine des anciens Pères. Ils se portèrent avec une ardeur si extraordinaire à la publication de ces ouvrages, que pour leur donner un plus grand cours, ils les firent traduire en Syriaque, en Arménien, et en Persan. Il est probable que si tout cela ne fut pas exécuté par les soins de Théodoret, il le fut au moins par son avis. Il y a plusieurs raisons de l'en soupçonner. Mais il y en a une entre autres, tirée de l'autorité de saint Cyrille, qui écrivant à Acace Évêque de Melitène, et à Valérien Évêque d'Icône, assure, que comme Théodoret ne pouvait approuver l'accord, qui avait été fait encre les Églises d'Orient, et celles d'Égypte, il publia que la créance des Évêques d'Orient était la même que celle de Nestorius, et que cette créance-là n'était point différente de celle des anciens Pères. Il publia donc la même chose, que publièrent les Sectateurs de Nestorius, quand ils débitèrent les ouvrages de Diodore, et de Théodore, et par conséquent il y a apparence qu'il eut quelque part au débit de ces ouvrages, qui ne tendait qu'à éluder l'exécution de la loi de Théodose, et à soutenir sous le nom des anciens Écrivains l'hérésie, qu'on ne pouvait plus soutenir sous celui de Nestorius.

Voyons ce qu'il y a de vraisemblable dans ce discours. Personne ne doute de la disposition de la loi de l'Empereur Théodose, ni de la publication des ouvrages de Diodore, et de Théodore faite à dessein de rendre la loi inutile. Ce font des faits historiques, dont la vérité est solidement établie. Mais on ne demeure pas d'accord que Théodoret ait eu part à la publication de ces ouvrages, ni que dans les deux lettres qu'on allègue, il y ait rien qui donne lieu de l'en soupçonner. En premier lieu, saint Cyrille ne l'y nomme point, et il ne faut pas s'imaginer que s'il avait eu dessein en ce temps-là de parler de lui, il eût épargné son nom. Car ces deux lettres-là ont été écrites longtemps avant la réconciliation, dont j'ai parlé ci-dessus, qui n'arriva qu'en 435 lorsque sainte Cyrille écrivit contre Julien, et il est même probable, qu'elles ont été écrites incontinent après l'accord conclu par l'entremise de Paul d'Emèse, et avant la loi de Théodose contre Nestorius, qui n'est que de l'an 435. En second lieu, si saint Cyrille avait voulu désigner Théodoret, sans le nommer il en aurait fait un portrait, auquel il aurait été aisé de le reconnaître. Or on le reconnaît si peu par le portrait de saint Cyrille qu'on peut dire qu'il n'a rien du tout de son air. Je supplie ceux qui prendront la peine de lire cet Avertissement, de prendre garde, si ce trait de la lettre à Valérien, est propre à représenter l'esprit de Théodoret.

« Comme j'apprends qu'il y a des personnes insensées, qui vont par les maisons, pour y publier que la doctrine corrompue de Nestorius a prévalu dans l'esprit des très religieux Évêques d'Orient, de sorte qu'ils la croient saine, et qu'ils assurent qu'il la faut suivre, j'ai cru devoir rendre ce témoignage public, qui est que tous les très Religieux Évêques d'Orient ont déclaré par écrit avec Monseigneur le très Religieux Évêque d'Antioche, qu'ils condamnent comme nous les nouveautés profanes de Nestorius, et qu'ils ne les ont jamais approuvées. Ils ont reconnu que la sainte Vierge est Mère de Dieu, sans ajouter qu'elle est Mère de Christ, ou Mère d'un Homme. Ils ont de plus assuré qu'il n'y a qu'un Fils, un Seigneur, et un Christ. Enfin ils croient qu'il n'a qu'une personne, et ne le divisent point en deux Christs, en deux Fils, ou en deux Seigneurs. »

Si saint Cyrille avait voulu designer Théodoret, il ne l'aurait pas désigné par le nom d'un insensé. Mais voyons si Théodoret a dit la même chose, que ces insensés, dont a parlé saint Cyrille.

Ceux, dont saint Cyrille parle dans la lettre à Acace improuvaient la profession de foi des Évêques d'Orient, comme conforme aux nouveautés de Nestorius, et blâmaient saint Cyrille de l'avoir reçue. Théodoret n'a jamais improuvé cette profession de foi, ni blâmé saint Cyrille de l'avoir reçue. Au contraire dans sa lettre à André de Samosate, il a loué les Évêques d'Égypte, de ce qu'ils reconnaissaient que la Divinité était impassible, et de ce qu'ils ne confondaient point les deux Natures en Jésus-Christ. Saint Cyrille n'avait donc aucune intention de désigner Théodoret.

De plus les imposteurs, dont saint Cyrille parle à la fin de sa lettre à Valérien publiaient que la doctrine corrompue de Nestorius avait prévalu dans l'esprit des Évêques d'Orient, qu'elle était saine, et qu'elle devait être suivie. On ne saurait dire que Théodoret ait rien publié de semblable, puisque l'on a ses ouvrages, ou il n'y a rien que de très conforme à la créance de l'Église, touchant le mystère de l'Incarnation. Mais pour faire voir plus clairement combien il était éloigné du sentiment de ces imposteurs, il n'y a qu'à examiner la manière dont saint Cyrille les réfute. Il ne trouve point de meilleur moyen de confondre leur calomnie, que de faire le dénombrement des ventés catholiques que les Évêques d'Orient soutenaient de la même sorte que les autres Évêques, et de dire qu'ils appelaient la Vierge Mère de Dieu, qu'ils ne reconnaissaient qu'un fils de Dieu, qu'ils ne lui attribuaient qu'une personne, et qu'ils ne le divisaient point en deux. Cet argument qui était très fort contre ces imposteurs qui publiaient que les Évêques d'Orient suivaient la doctrine de Nestorius, et qu'il la fallait suivre comme eux, aurait été très faible contre Théodoret. Il était fort contre ces imposteurs, parce qu'en publiant que les Évêques d'Orient suivaient la doctrine de Nestorius, et qu'il la fallait suivre, ils soutenaient en même temps qu'il ne fallait point appeler la Vierge Mère de Dieu, et qu'il y avait deux personnes en Jésus-Christ, ou plutôt qu'il y avait deux Jésus-Christs, mais il était faible contre Théodoret, parce que bien loin de suivre ces erreurs, et de publier qu'il les fallait suivre, il avait constamment tenu les vérités contraires, comme il paraît par une infinité d'endroits de ses ouvrages, et surtout par sa seconde lettre à Dioscore, où il fait profession de croire, et d'enseigner que la Vierge est Mère de Dieu, de ne reconnaître qu'un Jésus-Christ, et de ne le point diviser en deux. Théodoret était donc dans des sentiments entièrement opposés à ceux de ces imposteurs, et ne disait point de la même manière, ni au même sens qu'eux, que la doctrine des Évêques d'Orient était conforme à celle de Nestorius, et par conséquent il n'y a point de fondement suffisant pour le soupçonner d'avoir pris aucune part à leurs desseins, et d'avoir favorisé le débit des ouvrages de Diodore, et de Théodore.

Que s'il n'y a point eu de fondement dans les soupçons qui ont été conçus en secret contre la pureté de sa foi, il y a eu encore moins de justice dans les accusations qui ont été formées devant les Princes, et devant les Évêques contre sa personne. Ce serait un travail qui n'aurait point de bornes que d'entreprendre de rechercher, et de dissiper tous les bruits que ses ennemis répandirent en divers temps, pour noircir sa réputation. Je ne m'arrêterai ici qu'aux rapports par lesquels on surprit contre lui la religion de l'Empereur Théodose, et à la lettre que Dioscore écrivit à son occasion à Domne Évêque d'Antioche.

Douze ans après la célébration du Concile d'Éphèse, quelques personnes représentèrent à Théodose, que Théodoret avait les mêmes sentiments que Nestorius, et que si l'on ne l'obligeait à demeurer à Cyr, il ne manquerait pas d'abuser du crédit qu'il avait acquis par son esprit, et par son éloquence pour exciter de nouveaux troubles dans Antioche, où il faisait très souvent des assemblées. Ce Prince ayant ajouté foi à ces discours, envoya ordre à Lupicin maître de la Milice d'empêcher que Théodoret ne sortît de Cyr, principale ville de son Diocèse.

Il faut remarquer d'abord la qualité des accusateurs, et le motif de l'accusation.

Les accusateurs sont des hommes infectés de la doctrine corrompue de Marcion, de Valentin, et de Manès. Ce sont des membres retranchés du corps de l'Église, et dont la voix ne doit plus être écoutée. Mais quand ces gens-là pourraient être écoutés en certaines occasions, ce ne ferait pas lorsqu'ils parlent par colère, par haine, et par le désir de se venger. Ils ne parlèrent contre Théodoret que par le mouvement de ces passions malfaisantes, et qu'à dessein d'opprimer l'ennemi le plus redoutable de leurs hérésies. Ils surprirent l'esprit de l'Empereur, et n'eurent pas néanmoins tout le succès qu'ils attendaient de leur entreprise. Car dans l'ordre qu'ils obtinrent il n'était fait aucune mention que Théodoret fût accusé de tenir des erreurs. Il n'y avait que d'autres prétextes fort légers, et tout ensemble fort contraires à la vérité. Il y était entre autres choses énoncé que plusieurs personnes trouvaient étrange qu'il fit de fréquentes assemblées dans Antioche, au lieu de résider dans son Diocèse, et de ne se mêler de la conduite d'aucune autre Église, que de celle qui lui avoir été confiée.

Théodoret fut bien aise de recevoir un ordre aussi conforme à son inclination, qu'était celui de demeurer dans son Diocèse, d'où il ne sortait jamais que par une déférence respectueuse aux Canons, qui obligent les Évêques à se trouver aux synodes, lorsqu'ils y font invités. Il fut même bien aise de recevoir un traitement injurieux, parce qu'il espérait que celui serait une occasion de satisfaire à la justice divine, et d'acquérir quelque part au bonheur de ceux qui souffrent persécution pour la justice. Mais il ne laissa pas de repousser la calomnie avec une force invincible.

« Mes accusateurs, dit il, publient par la bouche de plusieurs personnes dignes de servir de ministres à leurs mensonges, que je prêche deux fils au lieu d'un : je suis si éloigné de cette erreur exécrable, que quand j'ai trouvé quelques-uns des saints Pères du Concile de Nicée, qui se sont étendus dans leurs ouvrages à réfuter les extravagances d'Arius, avaient été obligés à expliquer trop clairement, et trop au long cette division, j'en ai senti un peu de peine, et je n'approuve point cette division, parce que je sais que l'usage que l'on en fait, ou que la nécessité même que l'on a eue de s'en servir a porté jusques à l'excès, et à l'erreur. Et afin que l'on ne s'imagine pas que c'est la crainte qui me fait maintenant parler de la sorte, que ceux qui voudront s'informer de mes sentiments, lisent les ouvrages que j'ai composés, soit avant le Concile d'Éphèse soit dans les douze années qui se sont écoulées depuis. Il fait ensuite un dénombrement de ses livres, où il soutient qu'on ne lui saurait rien montrer qui ne soit très conforme à la doctrine de l'Église. »

Après avoir employé la même défense dans la lettre à Lupicin auquel l'ordre de l'Empereur avait été adressé, il se plaint de la manière dont il avait été rendu, et défie ses ennemis de l'accuser selon les règles de la justice Ecclésiastique, et civile.

« Que si quelqu'un, dit-il, prétend que j'ai d'autres sentiments, que ceux que je viens de vous expliquer, qu'il m'accuse en face, et qu'il ne s'efforce point de me noircir en mon absence. Il est juste qu'un accusé puisse parler pour se défendre, et lorsqu'il aura été entendu, les Juges pourront prononcer selon la disposition des lois. Je vous supplie de faire en sorte que j'obtienne cette grâce par votre moyen. Que si l'on veut me condamner sans connaissance de cause, je souffrirai avec joie cette injustice, et j'en attendrai la réparation au tribunal du Seigneur, où l'on n'aura besoin, ni de témoins, ni d'accusateurs, puisque selon la pensée du grand Apôtre, tout sera à nu, et à découvert devant les yeux de notre Juge. »

Je n'ai rien à ajoutera ces paroles. Elles justifient mieux nôtre Auteur, que je ne pourrais jamais faire.

L'autre accusation dont je me suis engagé de parler en cet endroit, fut intentée par Dioscore.

Dès qu'il eut été élu pour remplir le Siège de l'Église d'Alexandrie, que saint Cyrille avait laissé vacant par sa mort, Théodoret lui écrivit pour lui témoigner la joie qu'il avait de sa promotion, et pour lui donner des louanges qu'il croyait alors qu'il méritât, parce que ne le connaissant point par soi-même, il ne jugeait de lui que sur les faux rapports de la voix publique. Dioscore au lieu de répondre à la civilité d'un Prélat d'un mérite aussi généralement reconnu qu'était Théodoret, ne voulut avoir aucun commerce de lettres avec lui, et écrivit à Domne Évêque d'Antioche qu'il continuait à soutenir la doctrine de Nestorius. Cette accusation pourrait d'abord être rejetée par la considération des circonstances de la personne de l'accusateur, et de la manière dont elle était proposée. L'accusateur avait eu des différends avec Théodoret. Il avait été député de l'Église d'Alexandrie à Constantinople, pendant le pontificat de saint Cyrille, et avait prétendu en ce temps-là, que la juridiction de l'Évêque d'Alexandrie devait s'étendre, non seulement sur l'Égypte, la Libye, et la Pentapole, mais aussi sur l'Orient.

Théodoret s'était opposé à sa prétention, et avait soutenu les droits de l'Évêque d'Antioche son Métropolitain, par l'autorité du Concile de Nicée. Dioscore avait conçu de l'aversion contre lui, dont il lui donna depuis des marques en toutes sortes d'occasions. Or quand celui qui a conçu de l'aversion contre un autre, entreprend de l'accuser, il se rend suspect d'avoir plutôt dessein de contenter sa vengeance, que de chercher la justice. Outre ce défaut en la personne de l'accusateur, il y en avait un autre dans l'accusation, qui est que n'ayant été précédée d'aucune remontrance particulière, elle avait l'air d'une diffamation publique, qui tend plutôt à noircir un innocent, qu'à corriger un coupable.

Mais sans nous arrêter à ces circonstances, qui sont comme des dehors qui pourraient suffire pour repousser les attaques de Dioscore, passons à la défense principale de Théodoret, telle qu'il l'entreprit à l'heure même et celle que nous l'avons dans une de ses lettres. Il l'adresse à Dioscore même, et la commence par un discours, qui fait voir clairement qu'il se tient très assuré de la pureté de ses sentiments, et de l'injustice de ceux qui l'accusent. Car il marque les exemples de la douceur, et de la patience de Joseph, de David, et du Sauveur, lesquels il a tirés de l'Écriture, pour se fortifier contre les attaques de la calomnie. Il témoigne ensuite que sa douleur ne procède pas tant de l'injustice qu'il souffrait, que de celle que ses accusateurs commettaient, et de la part que Dioscore y avait prise en ajoutant entière créance à leurs faux rapports, sans lui réserver, comme il devait, une oreille pour écouter sa justification. Il rapporte après cela, la manière dont l'accusation avait été proposée par quelques personnes, qui avaient assuré qu'en prêchant dans Antioche, il avait divisé Jésus-Christ en deux. Il oppose à ce petit nombre d'accusateurs qui lui attribuaient les erreurs de Nestorius, des millions de personnes de toute sorte de conditions, qui avaient écouté ses sermons depuis vingt six ans, et qui rendaient témoignage de la pureté de sa foi. Il en avait prêché six sous Théodote Évêque d'Antioche, treize sous Jean son successeur, et il y en avait alors près de sept qu'il continuait à exercer la même fonction sous Domne, sans qu'aucun Évêque, ni aucun Ecclésiastique eût rien trouvé à redire à sa doctrine. Jean Évêque d'Antioche, qui par l'aveu de Dioscore même, avait été un Prélat très savant dans la science de l'Église, prenait un si grand plaisir à entendre prêcher Théodoret, qu'il se levait souvent au milieu de ses discours pour lui applaudir. Le peuple suivait le sentiment de son Évêque, et ne se pouvait lasser d'admirer, et de louer le Prédicateur. Ce n'était pas par vanité que nôtre Auteur rapportait ces témoignages qui lui étaient si avantageux, ni par le désir de passer pour éloquent, mais par la nécessité de faire voir, qu'il avait toujours été reconnu pour Orthodoxe. Il imitait en cela le maître du monde, le divin Paul, qui bien qu'il s'appelât le moindre des Apôtres, et le plus grand des pécheurs, ne laissa pas de faire un magnifique dénombrement de ses souffrances, et de ses travaux, pour fermer la bouche à ses envieux. Théodoret avouait qu'il avait commis plusieurs péchés, mais il protestait en même temps, qu'il ne se sentait coupable d'aucun qui fût contre la foi, et que c'était sur le mérite de cette vertu, qu'il fondait la confiance qu'il avait en la divine miséricorde. Il représente dans la suite de sa lettre, le soin qu'il avait pris de marcher sur les vestiges des anciens Pères, et de conserver inviolablement le dépôt de la doctrine Évangélique, qu'il avait reçue des saints Évêques, qui s'étaient autrefois assemblés dans la ville de Nicée. Il explique tous les points de cette doctrine, et déclare qu'il ne tient qu'un Fils, non plus qu'un Père, et un saint Esprit ; qu'il rejette ceux qui le divisaient en deux Fils, en deux Christs, ou en deux Seigneurs, et réfute leurs erreurs par l'autorité des livres sacrés.

Après s'être justifié de la sorte, il exhorte Dioscore à avoir de l'éloignement de ceux qui répandaient des calomnies, et qui troublaient la paix de l'Église, à s'appliquer à la guérison de ceux qui altéraient la vérité, et au cas qu'ils fussent incurables à les retrancher du corps des fidèles, de peur qu'ils ne leur communiquassent leur corruption. Enfin il finit sa lettre par cette protestation de la sincérité de ses paroles, et de la pureté de ses sentiments.

« Les commentaires que j'ai faits sur l'Écriture sainte, et les autres ouvrages que j'ai composés contre ceux qui suivent les égarements d'Arius, et d'Eunome, sont des preuves qui ne permettent pas de douter que je ne sois véritablement dans les sentiments que je viens de dire. J'ajouterai néanmoins encore un mot, pour en convaincre les plus opiniâtres. Si quelqu'un refuse de confesser que la bienheureuse Vierge est Mère de Dieu, ou s'il dit que Jésus-Christ notre Seigneur n'est qu'un pur homme, ou s'il le divise en deux Fils, lui qui est le Fils unique de Dieu, et le premier né de toutes les créatures, qu'il perde l'espérance que nous avons au Sauveur, et que le peuple réponde ainsi soit-il. »

Quiconque fera attention à toutes ces choses, considérera fort peu une accusation d'hérésie, formée contre un Évêque célèbre, par un de ses ennemis, sur un rapport de trois ou de quatre inconnus, et détruite sur le champ par le témoignage tacite de plusieurs millions de fidèles, par une infinité d'ouvrages orthodoxes, et par une profession de foi très catholique.

Que si cette accusation intentée par Dioscore ne mérite que du mépris, la condamnation prononcée par lui-même dans le second Concile d'Éphèse, est digne de l'exécration, et de l'horreur de tous ceux qui ont quelque sentiment de religion, ou même d'équité. Pour en reconnaître l'impiété et l'injustice dans leur étendue, il en faut avoir les principales circonstances présentes à l'esprit.

Eutychès s'étant porté avec une ardeur inconsidérée contre l'hérésie des Nestoriens, tomba dans une autre toute opposée, et en soutenant l'unité de la personne du Verbe, il ruina la distinction des deux Natures. Il fut cité à un Concile tenu par Flavien dans Constantinople, entendu, et condamné. Mais comme il était appuyé de plusieurs personnes de la Cour, et principalement de Chrysaphe qu'il avait tenu sur les fonds, il fit accroire par leur entremise à l'Empereur qu'on lui avait fait injustice, et obtint la convocation d'un Concile plus nombreux à Éphèse. Il eut le crédit de faire en sorte que Dioscore y présidât, et que Théodoret, qu'il reconnaissait pour le Prélat le plus éclairé de son temps, et le plus contraire à ses sentiments, en fût exclus. Ce fut dans cette assemblée que les siècles suivants ont désignée par le nom infâme d'assemblée de voleurs, que l'excellente lettre que saint Léon avait écrite touchant le mystère de l'Incarnation fut rejetée, que l'hérésie fut approuvée en la personne d'Eutychès, et la doctrine Catholique condamnée en celle d'Eusèbe, de Flavien, de Théodoret, et de quelques autres. Sans m'arrêter maintenant à ce qui touche Dioscore, Eutychès, ou les autres, je considère uniquement ce qui regarde Théodoret, et la force invincible avec laquelle il ruina la sentence qui avait été rendue contre lui. Il en représenta l'injustice par plusieurs lettres qu'il écrivit au même temps, et fit voir qu'elle était insoutenable, soit que l'on regardât la procédure qui l'avait précédée, ou que l'on examinât la disposition qu'elle contenait. Il proposa contre la procédure des nullités toutes visibles, tirées de son absence, et du défaut de citation.

« Le très équitable Prélat d'Alexandrie, dit-il, dans sa lettre à saint Léon, m'a tué aussi bien que les autres par sa plume, quoi que je fusse absent, que je n'eusse point été appelé en jugement, et que je n'eusse point été interrogé sur ce que je crois touchant l'Incarnation de notre Sauveur. Les Juges ne condamnent jamais ni les homicides, ni les violateurs de la sainteté des tombeaux, ni les corrupteurs de la fidélité conjugale, jusques à ce qu'ils aient confessé leurs crimes, ou qu'ils en ce aient été convaincus. Cependant ce Juge élevé dans l'étude de la loi de Dieu, m'a condamné comme il lui a plu, moi, dis-je, qui étais à trente cinq journées du lieu où il tenait son assemblée. »

A l'égard du fond de la condamnation, il en découvrit l'injustice en expliquant la doctrine où il avait été élevé dès sa jeunesse, qu'il avait enseignée soit de vive voix, ou par écrit depuis vingt six ans, qu'il y avait alors qu'il exerçait les fonctions de la dignité Épiscopale, et cette doctrine était la même que celle de saint Léon, et des autres Évêques orthodoxes.

Ces moyens proposés par Théodoret, ont toujours été trouvés invincibles, et la sentence de Dioscore insoutenable. Mais en les étendant, et en les faisant comme remonter dans le passé, s'il est permis de parler ainsi, on verra qu'ils n'ont pas moins de force contre les soupçons conçus au désavantage de Théodoret, ou contre les accusations formées par ses ennemis, que contre la sentence même. En effet les mêmes raisons, par lesquelles on rejette la condamnation prononcée dans le second Concile d'Éphèse, doivent porter à mépriser les accusations que ses ennemis avaient formées dès auparavant, et les faux bruits que la calomnie avait répandus presqu'en tout temps contre lui. Si cette condamnation était insoutenable, parce qu'assistât à leurs assemblées, de peur qu'il n'y ruinât leurs cabales par sa présence, les accusations, et les bruits désavantageux qui l'avaient précédée avaient aussi été répandus en des temps, où il était éloigné, et ses ennemis avaient toujours pris ces temps-là, de peur qu'il ne confondît leur calomnie. Si cette condamnation était intervenue sans qu'il eût été entendu, et sans qu'il eût eu le moyen de se défendre, ces accusations d'hérésie, et ces bruits avaient été publiés, sans qu'on lui eût demandé ce qu'il y voulait répondre. Que si cette condamnation était non seulement insoutenable à l'égard de la procédure, et par le défaut de formalité, mais aussi dans le fond, parce que Théodoret bien loin d'être tombé dans les erreurs de Nestorius, était toujours demeuré attaché à la doctrine de l'Église, les accusations, et les bruits étaient également insoutenables, légalement injustes dans le fond. Car si Théodoret ruina cette condamnation jusques dans son fondement, quand il expliqua sa doctrine qui fut trouvée parfaitement conforme à celle des Apôtres, et des hommes Apostoliques, et qu'il justifiaient par ses livres, que par ses sermons qu'il l'avait toujours tenue, n'avait-il pas ruiné dès auparavant tout ce que l'on avait débité contre sa réputation, quand il avait déclaré ses sentiments, et qu'il en avait pris à témoin les Évêques et les peuples qui l'avaient écouté plusieurs années dans Antioche, et les fidèles de toute sorte de conditions et d'états, qui avaient ses commentaires sur l'Écriture, et ses autres ouvrages entre les mains ? Certainement il est difficile de concevoir comment ceux qui demeurent d'accord de l'injustice de la condamnation prononcée contre Théodoret par Dioscore en quatre cent quarante neuf, ne veulent pas demeurer d'accord de la fausseté de l'accusation intentée par le même Dioscore en quatre cent quarante quatre. Car enfin cette accusation n'était fondée non plus que la condamnation, que sur la haine, et sur la malignité de cet Évêque d'Alexandrie, ou tout au plus sur des bruits vagues, et confus, dont l'origine était douteuse, et incertaine ; Et tout ce que l'on peut apporter pour faire voir l'injustice de la condamnation, fait voir aussi clairement la fausseté de l'accusation, et la vanité de tous les discours que l'on avait publiés pour discréditer Théodoret, et pour le déshonorer en faisant accroire qu'il était complice des impiétés, et des blasphèmes de Nestorius.

Je sais bien que l'on apporte une différence entre la condamnation intervenue dans le second Concile d'Éphèse, et l'accusation intentée par Dioscore devant Domne Évêque d'Antioche, ou plutôt l'avis donné à cet Évêque de l'attachement que Théodoret avait aux sentiments de Nestorius, qui est que cette condamnation fut improuvée par le Pape Léon, au lieu que l'accusation ne fut ni approuvée ni improuvée par son jugement, parce que jamais il n'en eut de connaissance. Il est certain que le suffrage de ce grand Pape était de grand poids dans cette affaire. Théodoret n'oublia rien aussi de ce qu'il put faire pour l'obtenir ; Il conjura saint Léon d'apporter un prompt et salutaire remède aux maux extrêmes dont l'Église était tourmentée, et pour lui en inspirer le désir, il lui représenta les avantages du siège où la divine Providence l'avait élevé. Il loue la ville où il est établi, de ce qu'elle possédait seule tous les biens, et tous les honneurs, qui ne se trouvent que partagés dans les autres villes. Il dit qu'elle a la grandeur, et la beauté, la multitude des habitants, le trône des Empereurs, et la gloire du commandement. Il ajoute que sa foi, qui a mérité un éloge particulier de la bouche du grand Apôtre, est son principal ornement, et qu'elle en tire encore un autre des tombeaux des Pères, et des Maîtres communs de la vérité, qui s'étant levés comme des astres en Orient, avaient répandu la lumière de leur doctrine, et de leur piété par toute la terre, et s'étaient couchés en Occident, d'où ils continuaient à éclairer l'Univers. Outre ces glorieux privilèges, que Théodoret, suivant la tradition des Grecs, reconnaissait appartenir au siège de l'Église Romaine, il lui en attribue un autre, qui était d'être rempli par un Prélat, qui prenait un soin particulier de conserver la foi, et de l'accroître, comme il avait fait, par l'excellente lettre qu'il avait écrire touchant le mystère de l'Incarnation.

Saint Léon reçut très favorablement les prières de Théodoret, et y répondit de la manière la plus obligeante qu'il eût jamais pu désirer, en le retenant dans sa communion de la même sorte que les Évêques d'Antioche, de Constantinople, et de plusieurs autres villes d'Orient le retenaient dans la leur, sans avoir aucun égard à ce qui avait été ordonné dans le second Concile d'Éphèse, contre la doctrine, et la discipline de l'Église. Mais quelque avantageux que ce jugement fût à Théodoret, il ne se rendit pas orthodoxe. Il supposait plutôt qu'il l'était. En effet une des principales raisons que saint Léon avait alors de s'assurer de la pureté des sentiments de Théodoret, était qu'il avait appris par la lettre d'Anatolius Évêque de Constantinople, qu'il avait signé sa lettre à Flavien. Or la même raison faisait voir à saint Léon que Théodoret avait conservé en tout temps les mêmes sentiments, et que quand il avait reçu la doctrine contenue dans sa lettre à Flavien, il l'avait reçue non comme une doctrine qui lui fut nouvelle, mais comme la doctrine ancienne, qu'il avait toujours tenue, et enseignée, ainsi qu'il le témoigna par cette lettre qu'il écrivit à Anatolius Patrice.

« Le Seigneur qui découvre tout avec une sagesse infinie, et qui dispose de tout avec un pouvoir égal à la sagesse, a fait voir la conformité de ma doctrine avec la vérité que les Apôtres ont prêchée, et la fausseté des accusations dont on a tâché de me noircir. Car la lettre qui a été écrite à Flavien d'heureuse mémoire, et aux autres Évêques assemblés à Éphèse, par le Seigneur Léon, très saint Archevêque de la grande ville de Rome, s'accorde parfaitement avec ce que j'ai toujours écrit, et avec ce que j'ai toujours enseigné dans l'Église. Je n'eus pas sitôt lu cette lettre, que je louai Dieu de ce qu'il avait eu la bonté de conserver parmi les fidèles une étincelle de la saine doctrine, ou plutôt un flambeau capable d'éclairer, et d'embraser toute la terre. J'y remarquai un caractère tout Apostolique, et n'y trouvé rien qui ne s'accordât parfaitement avec ce qui a été enseigné par les Prophètes, par les Apôtres, par leurs successeurs dans la sacrée fonction de la prédication de l'Évangile, et par les saints Pères, qui s'assemblèrent autrefois à Nicée. Je fais profession de croire tout ce quelle contient, et condamne comme des impies, ceux qui sont dans un sentiment contraire. J'ai joint à ma lettre, une copie de celle que Léon envoya à Éphèse, afin que vôtre magnificence, en la lisant, rappela en sa mémoire les vérités qu'elle m'a entendu souvent prêcher dans l'assemblée des fidèles, qu'elle reconnaisse l'uniformité de nos sentiments, et qu'elle conçoive de l'aversion contre ceux qui avancent des faussetés, et qui ont inventé une nouvelle hérésie, pour l'opposer à la doctrine des Apôtres. »

Si saint Léon avait eu occasion de témoigner ses sentiments touchant l'accusation intentée par Dioscore en quatre cent quarante quatre, ou touchant les bruits répandus treize ans auparavant contre la réputation de Théodoret, il en aurait sans doute parlé de la même sorte qu'il parla de la condamnation intervenue au second Concile d'Éphèse. La même raison qui le porta à rejeter la condamnation, l'aurait porté à mépriser tous les bruits vagues, et les accusations faites en l'air. Ce qui le porta à rejeter la condamnation, est qu'il en reconnut l'injustice, non seulement à cause du défaut des formalités les plus essentielles, mais aussi à l'égard du fond. Or il aurait certainement reconnu la même injustice dans les bruits, et dans les accusations vagues. Rien ne lui découvrit si clairement l'injustice de cette condamnation, qui flétrissait Théodoret, comme s'il eût été complice des impiétés de Nestorius, que l'assurance que ce célèbre Évêque lui donna de la pureté de ses sentiments par la promptitude avec laquelle il signa sa lettre écrite à Flavien, et par la sincérité de la profession qu'il fit d'avoir toujours cru, et enseigné la doctrine qui y était contenue. La même assurance de la pureté des sentiments de ce célèbre Évêque, ne lui aurait pas découvert moins clairement l'injustice des bruits confus, et des accusations vagues. Il ne put douter que Théodoret n'eût été condamné à Éphèse contre toute sorte de justice, quand il vit qu'il faisait une profession publique d'avoir toujours cru, et toujours enseigné touchant le mystère de l'Incarnation du Verbe, la même doctrine, que celle qu'il avait expliquée dans sa lettre à Flavien. Il n'aurait donc pu douter non plus, qu'il n'eût été noirci treize ans auparavant, contre toute sorte de justice, par les bruits vagues que ses ennemis avaient répandus. Car enfin puisqu'il avait toujours tenu la doctrine enseignée par saint Léon, et expliquée si solidement dans sa lettre à Flavien, puisqu'il l'avait toujours prêchée, soit dans Antioche, ou dans son Diocèse, il faut avouer qu'il la tenait, qu'il la prêchait au temps auquel Nestorius publia ses impiétés, au temps auquel Jean d'Antioche, et saint Cyrille se divisèrent au sujet de la manière dont Nestorius avait été condamné, au temps auquel ils se réconcilièrent par l'ordre de l'Empereur Théodose, et par l'entremise de Paul Évêque d'Emèse, au temps auquel la lecture des livres de Nestorius fut défendue par une loi de l'Empereur, au temps auquel saint Cyrille mourut, et auquel Dioscore fut élu pour remplir son siège, et enfin au temps auquel ce Dioscore s'étant rendu maître des délibérations des Évêques assemblés à Éphèse, approuva les erreurs d'Eutychès, et déposa les plus célèbres entre les Évêques qui les combattaient. Il n'y avait donc pas de fondement en aucun de ces temps-là de soupçonner, ni d'accuser Théodoret de croire, ou de soutenir les erreurs de Nestorius ; et partant si saint Léon avait eu à juger des bruits répandus contre Théodoret, et de l'accusation de Dioscore, il aurait jugé les bruits faux et l'accusation calomnieuse, de la même sorte qu'il jugea la condamnation intervenue au second Concile d'Éphèse, injuste, et insoutenable. Ainsi le témoignage avantageux que saint Léon rendit de la pureté des sentiments de Théodoret, contre la sentence du second Concile d'Éphèse, au lieu qu'il garda le silence touchant les bruits répandus contre lui, depuis la naissance des contestations excitées par les prédications de Nestorius, jusques en quatre cent quarante sept, ne fournit aucun prétexte de faire distinction entre ces bruits, et cette sentence, et de prétendre que quelques nullités qu'il y eût dans celle-ci, les autres ne laissaient pas d'avoir un fondement légitime. On peut même sans faire violence aux paroles de saint Léon, les expliquer fort probablement de telle sorte qu'elles ruinent tous les bruits répandus en quelque temps que ce soit contre la réputation de Théodoret, aussi bien que la procédure vicieuse, et la sentence insoutenable du Conciliabule d'Éphèse. Bien que ces bruits ne soient pas précisément exprimés, ils peuvent avoir été entendus, voici les termes dont ce grand Pape s'est servi.

« Que notre Dieu soit béni, dont l'invincible vérité a fait voir que vous êtes exempt de toute sorte d'erreur, selon le jugement que le siège Apostolique avait déjà porté à votre avantage. Vous ne sauriez jamais avoir de meilleur moyen de lui témoigner votre reconnaissance pour toutes les peines qu'il a prises à votre sujet, que de vous conserver pour la défense de l'Église universelle, tel que nous vous avons reconnu, et que nous vous reconnaissons. Car nous considérons la bonté que Dieu a eue de dissiper les artifices trompeurs de tous les calomniateurs, comme un effet du soin que saint Pierre prend de nous protéger. Après que ce grand Apôtre a fait confirmer le jugement de son siège, par le suffrage du Concile, il n'a pas permis qu'on ait trouvé aucune chose a reprendre, ou a réformer dans la personne d'aucun de vous, parce qu'il ne se pouvait pas faire que quelqu'un de ceux dont la foi avait déjà remporté la victoire, ne la remportât pas encore au jugement de l'Esprit saint. »

Ce grand Pape témoigne que l'invincible vérité avait fait voir que Théodoret était exempt de toute sorte d'erreur, et bien qu'il ne marque pas précisément qu'il s'en était conservé exempt en tout temps, il y a pourtant lieu de croire que c'était là sa pensée. Car s'il avait cru que Théodoret eût été autrefois infecté de quelque erreur, il n'aurait pas dit simplement qu'il s'en était conservé exempt, mais il aurait dit qu'après avoir été surpris par les artifices des hérétiques, il aurait depuis reconnu la vérité, et qu'après être tombé dans leurs piège, il s'en ferait relevé.

Mais pour découvrir encore davantage l'intention de ce grand Pape, et le sens de ses paroles, il est à propos de remarquer que sa lettre a un rapport particulier avec ce qui s'était passé dans le Concile de Calcédoine. Or il est certain que les preuves que Théodoret y avait données de la pureté de ses sentiments, et que les témoignages que les Évêques qui le connaissaient parfaitement, avaient rendus en sa saveur, tendaient non seulement à détruire la sentence surprise contre lui dans le Conciliabule d'Éphèse, mais aussi à dissiper tous les bruits qu'on avait pu répandre, et tous les soupçons qu'on avait pu concevoir contre lui depuis le commencement des contestations excitées par les sermons, et par les lettres de Nestorius, parce qu'ils faisaient voir qu'il était toujours demeuré très attaché à la doctrine de l'Église, sans s'en être jamais éloigné pour suivre ses égarements de Nestorius, d'Eutychès, ou, d'aucun autre hérétique.

Lorsque son affaire fut proposée dans la seconde action de la huitième séance, il s'avança, et parla de cette sorte.

« Par la grâce de Dieu j'ai été élevé par des parents catholiques dans la doctrine orthodoxe, et j'ai prêché cette doctrine. J'ai horreur non seulement de Nestorius, et d'Eutychès, mais de tout homme qui n'est pas dans les bons sentiments, et je le regarde comme un étranger avec qui je ne veux rien avoir de commun. »

Cette déclaration de Théodoret comprend tout le temps de sa vie sans en excepter un moment. Quand il dit qu'il a été élevé dès son enfance dans la doctrine orthodoxe, et qu'il la prêchée dans un âge avancé, il exprime clairement qu'il n'y a jamais eu d'interruption, ni de changement dans sa créance.

Il est vrai que quelques Évêques d'Illyrie, et de Palestine, avaient été si fort prévenus par les ennemis, qu'ils ne doutaient point qu'il ne fût dans les sentiments de Nestorius. Mais il paraît par la lecture des actes, qu'ils étaient si mal informés de la vérité, et qu'ils agissaient en cette affaire avec si peu de lumière, et avec un si étrange emportement qu'ils l'appelaient hérétique, et Nestorien dans le temps même qu'il prononçait anathème contre Nestorius, et contre les autres hérétiques, et qu'il condamnait généralement toute sorte d'erreurs, et principalement celle qui divisait le Fils de Dieu en deux. Voici ce que portent les actes.

« Le très révérend Évêque Théodoret dit : Je ne prononcerai point d'anathème, que je ne vous aie exposé ma foi. Je vous ferai voir auparavant que je ne me soucie point de retourner en la ville de mon Évêché, que je ne cherche point les honneurs, et que ce n'est point pour en obtenir, que je me présente ici. Je ne m'y présente, que parce que j'ai été faussement accusé d'hérésie, et pour faire voir que je suis orthodoxe, que j'anathématise tout hérétique qui ne voudra pas se convertir, que j'anathématise Nestorius, Eutychès, et tout homme qui dit, ou qui croit qu'il y a deux Fils. Pendant qu'il parlait, de la sorte les très révérends Évêques crièrent, prononcèrent ouvertement anathème contre Nestorius, et contre ceux qui sont dans ses sentiments. Le très révérend Évêque Théodoret dit, je ne prononcerai point anathème, que je n'aie expliqué quelle est ma créance. Or ma créance est... Pendant qu'il parlait, les très révérends Évêques crièrent : cet homme est hérétique, il est Nestorien. Que l'on mette cet hérétique dehors. Les autres Évêques qui n'avaient point été préoccupés de la même sorte, et qui connaissaient Théodoret par eux mêmes, en firent un jugement plus équitable, et tout ensemble plus avantageux. Les Légats dirent qu'il y avait longtemps que Léon l'avait reçu à la communion. Anatolius Évêque de Constantinople dit, que Théodoret avait fait voir qu'il était catholique. Maxime Évêque d'Antioche dit, j'ai toujours reconnu Théodoret pour très catholique, quand j'ai écouté la doctrine qu'il a prêchée dans l'Église. »

L'exposition que Théodoret fit de sa créance dans le Concile de Calcédoine, et le témoignage que les Évêques de Constantinople, et d'Antioche rendirent en sa faveur, s'accordent parfaitement avec la lettre de saint Léon, pour détruire également et la condamnation du Conciliabule d'Éphèse, et les accusations de Nestorianisme faites dès auparavant. Aussi ne resta-il aucun soupçon contre sa personne depuis une justification si publique, et si entière. Il mourut dans la communion, et dans la paix de l'Église catholique. Mais les ouvrages qu'il avait autrefois composés contre les douze chapitres de saint Cyrille, eurent un sort fort différent, s'il est permis de parler ainsi. Car ils furent après sa mort l'objet de la haine, et de la colère des hérétiques, qui usèrent de toute forte d'artifice pour les flétrir, comme s'ils eussent été remplis des impiétés, et des blasphèmes de Nestorius. Les Acéphales, les Monophysites, et tous ceux qui ne reconnaissant qu'une Nature dans le Verbe incarné, ne pouvaient se soumettre aux décisions du Concile de Calcédoine, se plaignirent de ce que cette sainte assemblée n'avait point obligé Théodoret à rétracter les livres qu'il avait faits pendant la chaleur des premières contestations, contre les anathématismes de saint Cyrille. Léonce qui rapporte cette plainte des hérétiques, y répond en disant que si les Évêques de Calcédoine avaient fait en cela une faute, il en faudrait plutôt accuser saint Cyrille qu'eux, puisque ce célèbre Évêque d'Alexandrie se réconcilia avec les Prélats d'Orient, et avec Théodoret, sans demander qu'il condamnât les ouvrages qu'il avait composés contre ses douze chapitres.

L'Impératrice Théodore employa toute sorte de moyens, tantôt les plus violents, et tantôt les plus lâches, pour ruiner l'autorité du Concile de Calcédoine, et pour déshonorer la mémoire de Théodoret. Elle chassa pour cet effet les Évêques de leurs sièges, et les fit mourir dans des pays étrangers par la soustraction de toutes les choses les plus nécessaires à la vie. Elle en corrompit d'autres par ses promesses, et par ses présents. Elle éblouit si fort Vigile par l'éclat de la grandeur temporelle, dont l'Évêque de Rome jouissait dès ce temps-là, que préférant son élévation à sa conscience, il s'engagea par écrit à condamner dès qu'il ferait en possession de cette dignité, les ouvrages de notre auteur, et les deux autres chapitres que le Concile n'avait point condamnés. Si un Écrivain pouvait être sensible après sa mort au jugement que les hommes font de ses ouvrages, il y a lieu de croire que Théodoret n'aurait pas été fâché que les siens déplussent à une Princesse, qui déplaisait à toutes les personnes de vertu, qui avait excité l'indignation publique par le scandale de ses débordements, et attiré sur elle les anathèmes de l'Église par l'excès de ses impiétés.

Il n'aurait pas été fâché non plus qu'ils déplussent à Justinien, ni qu'ils fussent le sujet de sa censure, dans le temps qu'elle n'épargnait pas une doctrine appuyée sur la plus grande autorité qu'il y ait parmi les fidèles. Car bien qu'il fît profession d'approuver le Concile de Calcédoine, et de favoriser ceux qui reconnaissaient deux Natures en Jésus-Christ, au lieu que Théodore sa femme les persécutait, ce n'était qu'artifice, et imposture. Ils feignaient de ne se pas accorder, à dessein d'entretenir la division parmi leurs Sujets. Mais ils étaient en effet très bien unis dans la résolution qu'ils avaient prise d'introduire des nouveautés dans la Religion, et d'altérer la pureté des sentiments orthodoxes. Quand le Pape Vigile eut rendu un jugement par lequel il condamnait les trois chapitres, sans toucher néanmoins à ce qui avait été décidé au Concile de Calcédoine, Justinien exerça les dernières violences pour l'obliger à les condamner absolument, et sans restriction, en quoi il fit voir très clairement qu'il n'était pas moins contraire aux résolutions de cette sainte assemblée, que l'Impératrice sa femme, qui leur avait toujours déclaré une guerre ouverte.

Il n'était pas non plus moins animé qu'elle, contre la mémoire de Théodoret. Il répandit sur ses ouvrages tout le venin de la haine la plus implacable. Il les condamna avec d'horribles imprécations, et condamna en même temps ceux qui refuseraient de les condamner. Il abusa de toute la puissance de l'Empire, pour soulever contre eux tous les Évêques catholiques, et pour les faire consentir aux anathèmes, dont les hérétiques les frappaient. Enfin il proposa à la persuasion de Théodore Évêque de Césarée en Cappadoce, un Édit qui devait être signé de tous les Ecclésiastiques, et qui était conçu en ces termes :

« Si quelqu'un défend les écrits que Théodoret a composés pour l'hérétique Nestorius contre la foi, contre le premier Concile d'Éphèse, contre saint Cyrille, et ses douze chapitres, dans lesquels écrits remplis d'impiété, il ne reconnaît qu'une union effective entre le Verbe, et l'homme, contre lequel il avança un blasphème, en disant, que Thomas toucha celui qui était ressuscité, et adora celui qui l'avait ressuscité, et c'est pour cela qu'il accuse d'impiété les docteurs de l'Église, qui admettent une union hypostatique entre le Verbe, et la chair, et nie que la sainte, et la bienheureuse Marie toujours Vierge, soit Mère de Dieu. Si quelqu'un, dis-je, défend ces écrits de Théodoret, et refuse de les anathématiser, que celui-là soit anathème. Il a été chassé par les Évêques, en punition de ses blasphèmes, et depuis contraint dans le saint Concile de Calcédoine de faire tout le contraire de ce qu'il avait fait par ses écrits, et de reconnaître la vraie foi. »

Plusieurs Évêques d'Orient signèrent cet Édit, les uns par complaisance, les autres par crainte, mais il y en eut aussi plusieurs en Occident, et en Afrique qui refusèrent de le signer, et d'anathématiser les écrits de Théodoret. Ce refus était fondé en premier lieu sur ce que l'anathématisme supposait que Théodoret eût composé des ouvrages pour Nestorius, et contre la foi, sans que l'on en puisse produire aucun, où il ait soutenu les erreurs de Nestorius, et attaqué la doctrine de l'Église. Il était fondé encore sur ce qu'il est énoncé que Théodoret a nié l'union hypostatique, et refusé à la sainte Vierge la qualité de Mère de Dieu, bien que l'on ne puisse montrer aucun écrit qui soit certainement de lui, où ces erreurs soient contenues. De plus les Prélats d'Occident, et d'Afrique pouvaient douter avec un fondement très légitime de la vérité d'un fait inséré dans l'anathématisme, qui est que Théodoret avait été chassé de son siège par de saints Évêques en punition de ses blasphèmes. Qui étaient donc ces saints Évêques par lesquels Théodoret avait été chassé de son siège ? Il en avait été chassé par Dioscore son ennemi, et protecteur d'Eutychès, et par d'autres que les intrigues, et les violences de Dioscore avaient engagés dans le même parti ; et que jamais nul autre que Justinien, ou Théodore n'honora du titre de saints Évêques. Mais quels étaient les blasphèmes, en punition desquels il avait été chassé ? avait-il avoué qu'il eût avancé des blasphèmes ? en avait-il été convaincu ? en avait-il été accusé. dans les formes prescrites par les Canons, ou par les lois ? avait-il été interrogé ? avait-il refusé de répondre ? nous avons vu qu'il avait été condamné en son absence, et dans le temps que ses ennemis avaient surpris un ordre de l'Empereur, par lequel il lui était défendu de paraître, de peur qu'il ne découvrît son innocence, et qu'il ne confondît ses accusateurs.

Enfin il y avait dans le même anathématisme un autre fait qui paraissait ou douteux, ou même faux, aux Évêques d'Occident, et d'Afrique, qui est que Théodoret eût été contraint dans le Concile de Calcédoine, de reconnaître la vraie foi, et de faire le contraire de ce qu'il avait fait dans ses ouvrages contre saint Cyrille. Car quand il avait reconnu la vraie foi dans le Concile de Calcédoine, il l'avait reconnue de lui-même, et sans aucune contrainte, de la même sorte qu'il l'avait reconnue en tout autre temps, comme il paraît par les actes. Et bien loin de faire le contraire de ce qu'il avait fait dans ses ouvrages, et de rétracter ce qu'il avait écrit, il confirma la vérité de ses sentiments par la protestation qu'il fit d'avoir toujours cru, et toujours enseigné la doctrine de l'Église Catholique, où il avait été élevé dès son enfance.

« La sagesse du Concile de Calcédoine, disent ces saints Pères, paraît merveilleusement dans la conduite qu'il a tenue contre les écrits impies de Théodoret. Car comme il savait qu'il avait avancé des blasphèmes, il fit d'abord plusieurs exclamations contre lui, et jamais il ne l'aurait admis à la communion, comme il fit incontinent après, s'il n'eût auparavant anathématisé Nestorius, et ses blasphèmes, dont il avait autrefois entrepris la défense. »

Le Cardinal Baronius prétend que cet endroit du cinquième Concile général a été corrompu, et qu'il doit être rejeté comme l'ouvrage d'un imposteur. Sa prétention est fondée sur la fausseté visible de la lettre écrite sur la mort de saint Cyrille à Jean Évêque d'Antioche, qui était mort sept ans auparavant. Je ne m'engagerai point dans cette question, et me contenterai de faire voir que tels que soient les actes du cinquième Concile, soit entiers, ou altérés, on n'en peut tirer aucun argument contre les ouvrages de Théodoret. S'ils ont souffert de l'altération et du changement, ils ne méritent aucune créance. S'ils sont entiers, et que la condamnation qu'ils contiennent, soit fondée sur une lettre supposée sous le nom de Théodoret à Jean Évêque d'Antioche, ils n'ont aucune force. On peut ajouter que ceux qui recevraient ces actes comme véritables et légitimes, n'y trouveraient point de censure expresse des écrits de notre Auteur, à laquelle ils fussent obligés de déférer, mais seulement un récit de ce qui s'était passé au Concile de Calcédoine, et dont il leur serait permis d'examiner la vérité. Or en comparant ce récit du second Concile de Constantinople, avec les actes du Concile de Calcédoine, ils y remarqueraient de très grandes différences. Car premièrement le récit du second Concile de Constantinople semble supposer que tous les Évêques du Concile de Calcédoine s'étaient écriés contre Théodoret. Ce qui n'est point exprimé par les actes, qui portent seulement que les Évêques s'écrièrent. Il se peut faire que quelques Évêques se soient écriés, et que sans marquer expressément leur nombre, ceux qui ont rédigé les actes, se soient contentés d'écrire que les Évêques s'étaient écriés. Il est certain que les Légats du Pape, et les Évêques de Constantinople, et d'Antioche, qui déclarèrent qu'ils connaissaient parfaitement la pureté des sentiments de Théodoret, n'avaient eu garde d'élever tumultuairement leurs voix contre lui, comme avaient fait les autres qui ne le connaissaient point. En second lieu le récit suppose que les Évêques qui s'écrièrent à Calcédoine contre Théodoret, étaient très bien informés qu'il avait écrit pour la défense des blasphèmes de Nestorius. Les Actes du Concile de Calcédoine ne donnent aucun lieu de croire qu'ils fussent bien informés de ce fait. Au contraire ils font voir qu'ils en étaient très mal informés, puisqu'ils lui attribuaient des erreurs qu'il détestait, et qu'ils le voulaient chasser comme un hérétique, et un Nestorien, dans le temps même qu'il prononçait anathème contre Nestorius, et contre Eutychès. Enfin le récit porte qu'il ne fut reçu a Calcédoine que parce qu'il avait condamné les blasphèmes qu'il avait autrefois défendus. Les actes ne portent point qu'il eût jamais défendu de blasphèmes. Ils portent plutôt qu'il n'avait jamais rien enseigné que d'orthodoxe.

La constitution que le Pape Vigile fit en cinq cent cinquante trois, où il expliqua fort au long ses sentiments touchant les trois chapitres, ruine entièrement ce récit, et défend parfaitement bien les écrits de Théodoret. Elle porte que les Évêques du Concile de Calcédoine étant très bien informés de l'état des contestations qui avaient été entre saint Cyrille et Théodoret, et dont ils avaient eux-mêmes été témoins, avaient reconnu que la réfutation dès douze anathématismes ne contenait rien qui fût injurieux à saint Cyrille, ou que si elle contenait quelque chose qui le fût, ils avaient jugé qu'il le fallait oublier, et qu'en cela ils avaient suivi l'exemple de saint Cyrille même qui en de réconciliant avec les Orientaux, avoir enseveli sous le silence, tout ce qui leur était échappé pendant la dispute, de contraire à ses intérêts, et à sa réputation. Ce Pape ajoute que quand il aurait été constant que Théodoret aurait autrefois traité injurieusement saint Cyrille, le Concile aurait pris pour une réparation de ces mauvais traitements, la sincérité avec laquelle il embrassa la doctrine de ce saint Évêque dès qu'il reconnut qu'elle n'était point remplie d'erreurs, comme il se l'était imaginé. Le Pape Vigile demeura ferme dans ce sentiment, et quelque persécution qu'il souffrît de la part de l'Empereur Justinien, il refusa constamment de censurer les écrits de Théodoret.

Il est vrai que quelques-uns prétendent qu'il publia depuis une constitution par laquelle il approuva la condamnation des trois chapitres. Mais il est vrai aussi que de savants hommes tiennent que c'est une pièce supposée, et qu'ils ont pour cela des raisons, auxquelles il n'est pas aisé de répondre. La plus forte est tirée du silence de Pelage second, et de saint Grégoire premier, qui n'auraient pas manqué de s'en servir, pour repousser le reproche que les Évêques d'Istrie, d'Hibernie, et les autres qui défendaient les trois chapitres, leur faisaient d'avoir abandonné Vigile leur prédécesseur.

Que si quelques-uns des successeurs de Vigile ont parlé moins favorablement des ouvrages de Théodoret, le bon sens ne permet pas qu'on l'abandonne pour les suivre, à moins que l'on reconnaisse qu'ils avaient examiné ces ouvrages-là plus exactement que lui, et qu'ils étaient mieux instruits de la doctrine qui y était contenue. Or il est malaisé de se persuader que les successeurs de Vigile eussent mieux lu que lui les ouvrages de Théodoret, ni qu'ils fussent plus capables que lui de discerner si ceux que l'on citait sous son nom, étaient véritablement de lui, ou s'ils étaient du nombre de ceux, qui selon le témoignage de Léonce, lui avaient été supposés par les hérétiques. Pour ce qui est de la lecture de ces ouvrages, chacun sait que ni Vigile, ni ses successeurs n'avaient jamais bien appris la langue, dans laquelle ils étaient écrits. Vigile avait cependant été retenu assez longtemps à Constantinople, et aux environs, pour en prendre quelque teinture, au lieu que ces autres Papes ne l'avaient jamais étudiée, comme Pélage second le témoigne, et comme saint Grégoire l'assure de soi-même.

Quant à ce qui est du discernement nécessaire pour juger si les écrits, où l'on trouvait des erreurs, étaient véritablement de Théodoret, il est évident que Vigile le pouvait avoir plutôt que ses successeurs, puisqu'il était plus proche du temps, où Théodoret avait vécu, et que d'ailleurs, il s'était trouvé en diverses occasions, où il avait découvert l'artifice des ennemis de la mémoire de ce grand Homme.

Les successeurs de Vigile n'ont aussi jamais dit, qu'ils eussent examiné les ouvrages de Théodoret, avant que de les condamner. Ils les avaient donc condamnés non par leur propre lumière, mais sur le rapport d'autrui, c'est-à-dire sur la foi des Actes du second Concile de Constantinople, où ce qui s'était passé à l'égard de Théodoret dans le Concile de Calcédoine est rapporté d'une manière peu conforme à la vérité, et peu fidèle, ce qui a donné lieu au Cardinal Baronius de les rejeter.

Après m'être étendu autant qu'il a été nécessaire, pour éclaircir les difficultés qui se présentaient touchant les ouvrages de la doctrine de Théodoret, je renfermerai en aussi peu de paroles qu'il me sera possible, ce qui regarde les autres Historiens contenus dans ce volume. Évagre naquit à Épiphanie ville de Syrie vers l'an 536. Il passa la plus grande partie de sa vie à Antioche, et y composa son histoire, qui commence en 431 et finit en 594. Le style en est élégant. La vérité des faits y est fidèlement rapportée, et s'il y a des fautes, elles sont si légères, et en si petit nombre qu'il n'est presque pas besoin que je les marque à ceux qui prendront la peine de lire ma Traduction. Je dirai pourtant qu'il y en a quelques-unes contre la Chronologie, comme quand il fait le règne de Majorien plus court, et celui du jeune Justin plus long, qu'ils n'ont été. Comme quand il met un tremblement de terre, en l'année 159, selon la manière de compter à Antioche, bien que selon cette manière-là de compter, il soit arrivé en 164. Il y en a quelques-autres touchant la succession des Évêques dans les grands sièges, comme quand il dit que Pélage succéda à Vigile dans le gouvernement de l'Église de Rome, et Étienne à Pierre dans celui de l'Église d'Antioche. Quand il assure que Glycère ayant été dépouillé de la souveraine puissance, il fut sacré Évêque de Rome.

Quelques-uns ont prétendu qu'Évagre avait fait des fautes plus importantes, dans le récit de ce qui se passa au Concile d'Éphèse, et surtout lorsqu'il en a donné la présidence à saint Cyrille en qualité de Légat du Pape Célestin. Il est certain que quand Nestorius eut été condamné à Rome, saint Cyrille fut commis pour l'exécution de la sentence en Orient. Le peu de soin que plusieurs auteurs ont eu de distinguer la condamnation intervenue à Rome contre Nestorius, et celle qui intervint depuis à Éphèse, a été cause qu'ils se sont faussement persuadés que saint Cyrille avait été chargé par le Pape Célestin de présider en sa place au Concile général, de la même sorte qu'il avait été chargé par ce Pape d'exécuter ce qui avait été ordonné contre Nestorius dans le Concile Romain, lorsque l'on ne savait point encore si l'on en rendrait un autre à Éphèse. Il y a d'autres fautes qu'on lui attribue dans l'histoire de ce Concile, et qu'il n'a pas faites en effet. Je l'en justifierais aisément, si je n'appréhendais de répéter ce que j'ai déjà expliqué assez au long en parlant de Théodoret.

Plusieurs trouvent beaucoup de choses à reprendre dans son invective contre Zosime, à laquelle Leunclavius a répondu. Je n'en dirai rien en cet endroit, parce que je me réserve à l'examiner lorsque je donnerai au public la traduction que j'ai achevée il y a déjà quelques années de cet excellent Historien.

Ceux qui savent les règles que l'Église garde dans l'élection de ses ministres, seront peut-être un peu choqués de la manière dont Évagre rapporte que Synésius fut élevé à la dignité Épiscopale. Car les termes dont il se sert, semblent marquer qu'il n'y eut aucun intervalle entre le temps auquel il reçut le baptême, et celui auquel il reçut les saints Ordres. Photius et Nicéphore Calliste ont été dans ce sentiment. Le savant homme, aux soins duquel le public doit l'édition des œuvres de Synésius, propose deux conjectures pour porter à croire qu'il faisait profession de la Religion Chrétienne avant qu'il fût chargé du gouvernement de l'Église de Ptolémaïde. La première est tirée de l'hymne troisième, où il témoigne qu'ayant été choisi par les habitants de Cyrène ses compatriotes, pour aller représenter leurs intérêts à l'Empereur Arcadius, il entra dans toutes les Églises, et pria tous les Saints pour l'heureux succès de sa députation. Ce qu'il n'aurait pas fait, si dès auparavant il n'avait embrassé la Religion Chrétienne. L'autre conjecture est tirée de sa lettre cent cinquième où il est marqué qu'il avait été marié par Théophile Évêque d'Alexandrie. Or il avait été marié longtemps avant que d'être ordonné Évêque, parce que ses enfants étaient déjà grands au temps de son ordination. Il rapporte aussi d'autres passages contraires à ses conjectures, et n'osant rien décider, remet la question au jugement des autres, et ne donne aucune atteinte au récit d'Évagre.

L'histoire de Philostorge comprenait le même temps que celles de Socrate, de Sozomène, et de Théodoret. Sa perte est en quelque sorte réparée par les extraits que Photius en a faits avec un soin si particulier, qu'il a remarqué tout ce qui méritait son approbation, et tout ce qui était digne de censure. Il a aussi conservé tout ce qu'il y avait dans l'ouvrage entier, qui regardât la personne de l'auteur, ses études, et ses ouvrages, si bien qu'il n'est pas besoin que je le répète ici.

Théodore Lecteur de l'Église de Constantinople a fait deux ouvrages différents, sur l'Histoire Ecclésiastique. Le premier n'est qu'une compilation de Socrate, de Sozomène, et de Théodoret, laquelle n'a jamais été imprimée. Le second était une continuation de ces trois Écrivains jusques au règne de l'ancien Justin. Nous n'avons point ce dernier Ouvrage, mais seulement des extraits publiés en grec et en latin, sous le nom de Nicéphore Calliste, et dont j'ai donné la Traduction à la fin de ce volume.

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