Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE I

CHAPITRE VIII
RÉFUTATION DES ARIENS TIRÉE DES OUVRAGES D'EUSTATE, ET D'ATHANASE

« JE parlerai maintenant de la manière dont les choses se passèrent. Un Concile fort nombreux, ayant été assemblé pour ce sujet dans la Ville de Nicée, où deux cent soixante-dix Évêques ou environ assistèrent. Car ils étaient en si grand nombre que je ne le saurais marquer précisément, et d'ailleurs je n'ai pas pris grand soin de m'en informer. Lorsque l'on eut commencé à examiner la foi, on produisit le Libelle d'Eusèbe, qui contenait une preuve convaincante de ses blasphèmes. La lecture qui en fut faite, causa une douleur sensible à ceux qui l'entendirent, et une confusion extrême à son auteur. La malignité des partisans d'Eusèbe ayant été découverte, et l'écrit impie ayant été publiquement déchiré, quelques-uns, sous prétexte de la paix qu'ils proposaient, imposèrent silence à ceux qui avaient accoutumé de mieux parler que les autres. Les Ariens appréhendant d'être chassés de l'Église par le jugement d'une si grande assemblée, condamnèrent la mauvaise doctrine, et signèrent le formulaire de foi. Mais ayant observé par leurs cabales les principales dignités, au lieu d'avoir subi, comme ils devaient, les lois de la pénitence, ils défendent tantôt ouvertement la doctrine condamnée par divers arguments qu'ils ont inventés à dessein. Le désir qu'ils ont de répandre la semence de la division, leur fait éviter la rencontre des Savants, et attaquer les défenseurs de la pitié. Mais nous ne croyons pas que ces Athées puissent vaincre Dieu. Quelques efforts qu'ils fassent, ils seront vaincus selon le témoignage si authentique du Prophète Isaïe. »

Voilà ce qu'Eustate en a écrit. Athanase qui a défendu la même cause avec une vigueur égale, et qui a succédé à Alexandre dans le gouvernement de l'Église d'Alexandrie, ajoute ce qui suit dans une Lettre aux habitant d'Afrique.

« Les Évêques qui s'étaient assemblés ayant eu dessein d'abolir entièrement ces façons de parler impies que les Ariens avaient inventées, que le Fils de Dieu a été fait de ce qui n'était point auparavant, qu'il est une créature et un Ouvrage, qu'il y a eu un temps auquel il n'était point, et qu'enfin il est d'une nature sujette au changement, et d'en établir d'autres qui sont consacrées par l'autorité de l'Écriture sainte, que le Sauveur est de sa nature Fils unique de Dieu, le Verbe, la Puissance, et la Sagesse du Père, qu'il est Dieu véritable, comme a dit saint Jean, la splendeur de la gloire et la figure de la substance du Père, comme a dit saint Paul : les partisans d'Eusèbe possédés par l'esprit de leur erreur, délibérèrent ensemble et résolurent de cette sorte, demeurons en d'accord. Car nous venons aussi de Dieu. Il n'y a qu'un Dieu, d'où toutes choses procèdent. Et ailleurs les choses anciennes sont passées, et il n'y a rien qui n'ait été renouvelé ; mais tout vient de Dieu. Ils firent aussi une réflexion particulière sur ces paroles qui se trouvent écrites dans le livre du Pasteur, croyez avant toutes choses qu'il n'y a qu'un Dieu qui a créé toutes choses, et qui les a tirées du néant. Mais les Évêques ayant découvert l'artifice de leur impiété, expliquèrent plus clairement ces paroles de Dieu, en disant précisément que le Fils de Dieu est de la substance de son Père : de sorte qu'on dit que les créatures procèdent de Dieu parce qu'elles ne tiennent pas leur être d'elles-mêmes ; mais qu'elles le tirent de Dieu, comme de leur Auteur, et qu'on dit en un autre sens, que le Fils procède du Père, parce qu'il est seul produit de sa substance. Car c'est une propriété particulière au Fils unique de Dieu, et à son Verbe véritable. Voilà la raison que les Évêques, eurent de déclarer que le Fils procède de la substance de Dieu.

Ces mêmes Evêques ayant encore demandé aux Ariens, qui semblaient n'être qu'en petit nombre, s'ils disaient que le Fils n'est point une créature, mais la puissance et la sagesse unique du Père, son image, qu'il est éternel ; qu'il n'est en rien différent du Père ; et qu'il est Dieu véritable, on remarqua qu'Eusèbe, et ses partisans se firent signe, pour se dire les uns aux autres, que toutes ces choses peuvent convenir aux hommes. Car il est dit de nous, que nous sommes l'image et la gloire de Dieu, il est dit de nous, car nous sommes toujours vivants. Il y a plusieurs puissances, puisqu'il est écrit : Toutes les Puissances de Dieu sont sorties d'Égypte. Les chenilles, et les sauterelles sont appelées la grande Puissance. Et en un autre endroit : Le Dieu des Puissances est avec nous, le Dieu de Jacob notre Protecteur. Il ne nous appartient pas simplement d'être enfants de Dieu, mais en tant seulement que le Fils de Dieu nous appelle ses frères. Quant à ce qu'ils disent, que le Fils de Dieu est véritable, cela ne nous incommode point ; car il est véritable, puisqu'il a été fait véritable.

Voilà le mauvais sens des Ariens. Mais les Évêques ayant découvert encore ici leur tromperie, firent un recueil de plusieurs passages de l'Écriture sainte, où le Fils est appelé Splendeur, Fontaine, Fleuve, Figure de la substance de celui-ci, nous verrons la lumière dans vôtre lumière ; et de cet autre, mon Père et moi nous ne sommes qu'un. Enfin ils décidèrent clairement, et en peu de paroles, que le Fils est Consubstantiel à son Père. Car c'est ce que signifient les termes, et les passages que je viens de rapporter.

La plainte qu'ils font que ces paroles ne retrouvent point dans l'Écriture sainte, est une plainte fort inutile, et à laquelle il est aisé de répondre par eux-mêmes, puisque les paroles, dont ils se servent, pour établir leur impiété, ne se trouvent point dans l'Écriture sainte, et qu'on n'y lit point, il est ce qui n'était point auparavant, ni, il y a eu un temps auquel il n'était point. Il se plaignent d'avoir été condamnés pour s'être servis de quelques expressions qui, bien qu'elles n'eussent pas été tirées de l'Écriture sainte, ne laissaient pas d'avoir un sens fort conforme à la piété. Ils ont employé des termes qu'ils avaient trouvés dans le fumier, et ont parlé le langage de la terre. Mais les Évêques n'ont point inventé d'eux-mêmes, des expressions, et n'ont rien improuvé qui ne fût appuyé sur l'autorité des Saints Pères. Il y a plus de cent trente ans que des Évêques de Rome et d'Alexandrie ont improuvé le sentiment de ceux qui disaient que le Fils de Dieu a été fait comme un Ouvrage, et qu'il n'est pas de même substance que son Père. Eusèbe Évêque de Césarée a été très-bien informé de la vérité du fait que j'avance. Il avait d'abord favorisé l'erreur d'Arius. Mais il signa depuis le formulaire du Concile de Nicée, et écrivit en ces termes aux habitants de sa Ville Episcopale. Nous trouvons d'illustres Évêques, et de savants Écrivains qui se sont servis du terme de Consubstantiel, pour expliquer la Divinité du Père et du Fils. »

Voilà ce que dit Athanase.

Ces Évêques ayant donc caché leur sentiment, comme une maladie, à cause de la présence des autres Évêques dont ils redoutaient le grand nombre, consentirent à l'explication du Concile, et attirèrent sur eux cette condamnation que Dieu prononce si hautement par la bouche du Prophète Isaïe : Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Théonas et Second n'ayant pas voulu suivre leur exemple, furent excommuniés tout d'une voix, comme des personnes qui préféraient l'impiété d'Arius à la doctrine de l'Évangile. Les Évêques s'étant ensuite assemblés, firent vingt Canons touchant la discipline de l'Église.

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