Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE II

CHAPITRE XXVII
CONTESTATION ENTRE LES ÉVÊQUES À CONSTANTINOPLE

Acace empêcha Eudoxe d'entrer dans le Concile, et l'emmena à Constantinople, où Constance demeurait depuis qu'il était revenu d'Occident. Il mit ce Prince en grande colère par les accusations qu'il intenta devant lui contre les Évêques, qui étaient assemblés à Séleucie, en disant que c'était une troupe de scélérats, qui s'étaient assemblés pour la ruine de l'Église. Rien n'émut si fort ce Prince que la calomnie qu'Acace inventa contre Cyrille, en supposant qu'il avait vendu à un Comédien la robe de toile d'or que Constantin cet Empereur qu'on ne saurait jamais assez louer, avait autrefois donnée à Macaire Évêque de Jérusalem, afin qu'il la mît lorsqu'il conférerait le Baptême, et que le Comédien qui l'avait achetée l'ayant mise et dansé sur le théâtre, tomba mort sur la place.

Pour l'aigrir encore davantage, il ajouta que les Évêques assemblés à Séleucie avaient parmi eux ce Cyrille, et voulaient prendre son avis pour juger les autres. Les principaux de la Cour qui étaient dans le même sentiment, persuadèrent à l'Empereur de mander non tous les Évêques, car ils appréhendaient qu'un si grand nombre de Prélats ne se trouvaient d'accord touchant la doctrine, mais seulement dix des plus considérables. Eustate, Basile, Sylvain, et Eleusius furent de ce nombre. En arrivant ils supplièrent l'Empereur de permettre qu'on examinât l'affaire d'Eudoxe, et qu'on jugeât s'il était coupable des blasphèmes, et des injustices dont il était accusé. Mais l'Empereur répondit à la suscitation du parti contraire, qu'il fallait auparavant examiner la doctrine, et qu'on jugerait ensuite l'affaire d'Eudoxe. Basile usant de la liberté que lui donnait la familiarité qu'il avait depuis longtemps avec l'Empereur, le reprit de ce qu'il combattait la doctrine des Apôtres dont ce Prince étant irrité l'accusa d'exciter des troubles dans l'Église, et lui commanda de se taire. Eustate prenant la parole lui dit, puisque vous souhaitez que l'on examine la doctrine, considérez s'il vous plaît les blasphèmes qu'Eudoxe a avancés contre le Fils unique de Dieu, et présenta à l'heure-même sa profession de foi, qui parmi plusieurs autres impiétés contenait celle-ci. Les choses que l'on n'exprime point par de semblables manières de parler sont dissemblables quant à la substance. Or on n'use point de semblables manières de parler quand on veut exprimer la nature du Père et du Fils. Il n'y a dit-on, qu'un seul Dieu Père, de qui toutes choses procèdent, et il n y a qu'un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites. Les manières de parler de qui, et par qui, sont des manières de parler différentes, et partant le Fils est dissemblable à Dieu son Père L'Empereur ayant ouï la lecture de cette profession de foi, en rejeta l'impiété avec quelque sorte d'indignation, et demanda à Eudoxe s'il l'avait écrite. Il répondit que non, et qu'Aëce en était auteur. C'était cet Aëce à qui Léonce avait défendu d'exercer les fonctions de Diacre, par l'appréhension des accusations de Flavien, et de Diodore, et qui avait été le complice de George usurpateur de l'Église d'Alexandrie, et qui avait imité l'impertinence de ses discours, et l'impiété de ses actions. Il demeurait alors chez Eudoxe avec Eunome. Car Eudoxe s'étant emparé de l'Église d'Antioche après la mort de Léonce, Aëce retourna d'Égypte avec Eunome, et ayant trouvé qu'Eudoxe était de son sentiment, et qu'outre l'impiété dont il faisait profession, il était fort adonné au divertissement et à la débauche, il préféra la demeure de cette ville, à toute autre, ainsi il suivit avec Eunome, la table d'Eudoxe, et celles des plus accommodés, ne cherchant qu'à faire bonne chère. L'Empereur ayant commandé qu'on le fit venir, lui montra la profession de foi, et lui demanda s'il l'avait faite. Aëce ne sachant rien de ce qui avait été fait auparavant, ni du dessein pour lequel l'Empereur lui faisait cette demande, espérant même qu'il recevrait de l'honneur, s'il avouait cet ouvrage, répondit qu'il en était auteur. L'Empereur le condamna à l'heure-même au bannissement, et le fit conduire à une ville de Phrygie.

Voilà de quelle infamie son impiété fut châtiée. Eustate dit qu'Eudoxe était dans le même sentiment qu'Aëce, qui avait composé la profession de foi pleine de blasphèmes, qu'il demeurait dans sa maison, qu'il mangeait à sa table, et était dévoué à toutes ses volontés. Il ajouta que cette profession n'avait point été faite sans sa participation, et que ce qu'il avait déclaré, qu'Aëce l'avait composée, en était une preuve convainquante. L'Empereur ayant dit que les Juges ne devaient pas juger sur des conjectures, mais examiner exactement les affaires, Eustate répartit de cette sorte : Qu'Eudoxe nous assure qu'il n'est pas dans le sentiment d'Aëce, et que pour cet effet il condamne son écrit. L'Empereur ayant agréé cette proposition, Eudoxe usa de détours, et rechercha divers artifices pour éluder la condamnation qu'on exigeait de lui. Mais l'Empereur étant entré en colère, et l'ayant menacé de l'envoyer en exil avec Aëce, comme le compagnon de ses erreurs, et de ses blasphèmes, il renonça à ses sentiments, qu'il ne cessa néanmoins jamais de défendre. Eudoxe dit à son tour à Eustate, qu'il devait condamner avec ceux de son parti, le terme de consubstantiel, puisqu'il ne se trouvait point dans l'Écriture sainte. Sylvain répondit, qu'il était juste qu'Eudoxe, et ceux de sa faction condamnassent ces termes, ce qui n'était point auparavant, créature, et d'une autre substance, puisqu'ils ne se trouvaient point non plus dans l'Écriture sainte, ni dans les Ouvrages des Prophètes et des Apôtres. L'Empereur ayant commandé à ceux du parti d'Eudoxe, de condamner ces termes, ils en firent d'abord difficulté, mais enfin quand ils virent que l'Empereur entrait en colère, ils condamnèrent malgré eux, ces termes que Sylvain avait proposés, et demandèrent avec des instances plus pressantes qu'auparavant, que le terme de consubstantiel fût condamné. Sylvain ayant alors repris la parole, dit tant à l'Empereur, qu'aux partisans d'Eudoxe, avec autant de subtilité, que de vérité : Si le Verbe qui est Dieu, n'est pas tiré du néant, s'il n'est pas une créature, s'il n'est pas d'une autre substance que son Père, il est consubstantiel à Dieu son Père, par lequel il a été engendré, et il a la même nature que lui. Mais bien qu'il proposât ces vérités indubitables avec une vigueur merveilleuse, il n'en persuada personne, et un grand cri s'étant élevé contre lui, l'Empereur se mit en colère, et les menaça de les chasser tous de leurs Églises. Alors Eleusius, Sylvain, et quelques autres dirent à Constance, qu'il avait droit d'ordonner des châtiments, et qu'ils avaient droit de juger de la piété, et de l'impiété ; mais qu'ils n'abandonneraient jamais la doctrine de leurs Pères. Ce Prince au lieu d'admirer leur sagesse, leur courage, et la généreuse liberté, avec laquelle ils défendaient la doctrine des Apôtres, les chassa de leurs Églises, et en mit d'autres en leurs places. Eudoxe s'empara par ce moyen de l'Église de Constantinople, et Eunome se fit établir sur le Siège de l'Église de Cyzique, d'où Eleusius avait été tiré. L'Empereur ordonna ensuite, qu'Aëce fût condamné par écrit, et ainsi les compagnons de son impiété furent obligés de prononcer sa condamnation, ils écrivirent aussi à George, Évêque d'Alexandrie, pour l'informer de tout ce qui avait été fait contre Aëce. J'insérerai ici leur lettre, pour faire voir la malice, par laquelle ils traitèrent de la même sorte, et ceux qui étaient de leurs sentiments, et ceux qui étaient d'une opinion contraire.

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