Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE III

CHAPITRE III
IMPIÉTÉ DE JULIEN DÉCOUVERTE

LA jeunesse de Julien, et son âge suivant se passèrent de cette sorte. Lorsque Constance partit pour aller en Occident faire la guerre à Magnence, il créa Gallus César en Orient, qui faisait une profession sincère de la piété, et qui continua de la sorte jusqu'à la fin de sa vie. Alors Julien se défit de la crainte salutaire des jugements de Dieu, entreprit de s'élever plus qu'il ne devait, et de monter sur le trône. Étant possédé de ce désir, il courut toute la Grèce, pour consulter les devins, et pour leur demander, s'il serait assez heureux pour le voir un jour accompli. Il en trouva un, qui lui promit de lui prédire ce qu'il souhaitait, et l'ayant mené dans un Temple, et jusques au lieu le plus secret, il invoqua les démons. Quand ils parurent sous d'épouvantables figures, comme ils ont accoutumé de faire, Julien eut peur, et fit le signe de la Croix sur son front. Les démons s'étant enfuis, à la vue du signe de la Croix, par laquelle le Sauveur les a vaincus, le devin reprit Julien d'avoir ainsi troublé la cérémonie. Il avoua qu'il avait eu peur, et qu'il admirait la puissance de la Croix, dont la seule figure avait mis les démons en fuite. Ne vous imaginez pas, lui dit l'imposteur que ces esprits appréhendent la Croix, ni que ce soit la figure de ce signe qui les ait chassés d'ici, c'est qu'ils ont détesté votre action, et ils se sont retirés pour témoigner l'horreur qu'ils en avaient. Le Devin l'ayant trompé de la sorte, l'initia à ces exécrables mystères, et le remplit d'impiété. Voilà l'excès déplorable où l'ambition de régner porta ce malheureux Prince.

Il ne découvrit pas néanmoins son impiété, aussitôt qu'il fut parvenu à l'Empire, parce qu'il appréhendait de déplaire aux soldats qui faisaient profession de la Religion Chrétienne. Car depuis que Constantin, ce Prince qu'on ne saurait assez louer, eut arraché de leur cœur les racines de la superstition, et y eut jeté les premières semences de la vérité, les Princes ses enfants, et ses successeurs les cultivèrent avec soin. Bien que Constance trompé par ceux auxquels il avait laissé prendre un trop grand pouvoir sur son esprit, eût rejetée le terme de consubstantiel, il en avait toujours conservé le sens, en confessant que le Verbe est Dieu, et véritable Fils de Dieu, engendré avant tous les siècles, en condamnant ceux qui disaient, qu'il n'est qu'une créature, et en défendant le culte des Idoles. Je rapporterai ici une action, par laquelle on peut juger de la grandeur du zèle qu'il avait pour le service de Dieu. Avant que d'entreprendre la guerre contre Magnence, il assembla ses soldats, et les exhorta à recevoir le baptême.

« L'heure de la mort, leur dit-il, est incertaine, mais il n'y a ni lieu, ni temps où elle soit aussi incertaine qu'en ceux de la guerre, où l'on se sert de flèches, de traits, de lances, d'épées, et d'une infinité d'autres instruments, qui n'ont été inventés que pour la procurer. Il faut donc que chacun de vous se revête de cette robe précieuse, dont nous avons besoin en l'autre vie. Que si quelqu'un croit devoir différer de s'en revêtir, qu'il retourne en sa maison ; car je ne permettrai à personne de combattre, qu'il n'ait été auparavant admis à la participation des sacrés mystères. »

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