Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE V

CHAPITRE IX
LETTRE DU CONCILE DE CONSTANTINOPLE

Le saint Concile des Évêques Orthodoxes assemblé dans la grande ville de Constantinople, à Nos Seigneurs nos très chers et très pieux frères, et Collègues, Damase, Ambroise, Breton, Valérien, Ascole, Aneme, Basile et aux autres saints Évêques assemblés dans la grande ville de Rome ; Salut en notre Seigneur.

Il est peut-être inutile de vous représenter la multitude des maux que nous avons soufferts du crédit, et de la fureur des Ariens, comme si vous n'en aviez point de connaissance. Car nous ne saurions croire que ce qui nous touche vous soit si indifférent, que vous ayez besoin d'être informés des peines qui ont dû il y a longtemps exciter votre compassion. Les tempêtes dont nous avons été battus ont fait trop de bruit pour n'avoir pas frappé vos oreilles. Le peu de temps qui s'est écoulé depuis cette persécution, n'a pas permis qu'elle se soit effacée de la mémoire, non seulement de ceux qui l'ont soufferte, mais encore de ceux dont la charité sont tous les maux que les autres souffrent, il n'y a que deux jours que les uns ont obtenu permission de sortir du lieu de leur exil, et de retourner à leurs Églises avec des fatigues incroyables. On a rapporté les corps des autres, qui sont morts de misère dans un pays étranger. Quelques-uns ayant trouvé depuis leur retour la colère des hérétiques aussi ardente, et aussi envenimée que jamais, ont souffert dans leurs maisons, de plus rigoureux traitements que parmi les peuples les plus barbares. Les uns ont été lapidés, comme saint Étienne le fut autrefois. Les autres ont été tourmentés de divers supplices, de sorte qu'ils portent sur leurs corps les marques de notre Seigneur Jésus-Christ. Qui pourrait faire le dénombrement des taxes, qui ont été imposées aux villes, et aux communautés, des proscriptions des particuliers, des pièges qu'on leur a dressés, des affronts, et des emprisonnements qu'on leur a fait souffrir ? En effet nos misères se sont multipliées sans nombre, soit que la justice de Dieu veuille punir nos péchés, ou que sa miséricorde ait dessein d'éprouver notre patience. C'est pourquoi nous rendons grâces à Dieu de ce qu'il a instruit ses serviteurs, par tant d'afflictions, et de ce qu'ensuite il a eu la bonté de nous donner du soulagement. Nous ne saurions sans beaucoup de loisir, ni sans beaucoup de travail, rétablir le corps de l'Église, et lui rendre peu à peu la santé, et la force que ses longues maladies lui ont ôtées. Car bien que nous semblions délivrés de la violence des persécutions, et que nous jouissions des lieux que les hérétiques avaient usurpés, nous ne laissons pas d'être incommodés par les loups, qui depuis qu'ils sont chassés de la bergerie, enlèvent toujours quelque brebis dans les bois, font du bruit parmi le peuple, et renversent autant qu'ils peuvent l'Église. C'est pourquoi il est nécessaire, comme nous venons de dire, de mettre beaucoup de temps à cette affaire importante. Étant animés d'une charité véritablement fraternelle, vous nous avez invités par les lettres du très pieux Empereur, à nous trouver comme vos membres, au Concile que vous prétendez tenir à Rome, selon la volonté de Dieu, afin qu'après que nous avons été seuls destinés à souffrir toute sorte de misères, vous ne soyez pas seuls destinés à la joie, et au triomphe, depuis que les Empereurs concourent à la défense de la piété ; mais que nous ayons part à votre joie, et que nous régnions avec vous, selon l'expression du saint Apôtre. Nous aurions bien souhaité qu'il nous eût été possible de contenter votre désir ; et nous aurions volontiers demandé des plumes pour voler comme des colombes, et pour nous reposer dans votre sein. Mais comme nous ne saurions y aller, sans abandonner les Églises qui commencent à se repeupler, et que l'année dernière nous nous rassemblâmes à Constantinople, après avoir assisté au concile d'Aquilée, et que nous avions le consentement que les Évêques qui avaient assisté à ce concile, et que nous ne nous doutions en aucune sorte qu'il nous fallût entreprendre de plus grand voyage, comme d'ailleurs nous n'avons pas assez de temps ni pour préparer ce qui nous serait nécessaire à ce voyage, ni pour en avertir les Évêques nos Collègues, qui sont répandus en des Provinces éloignées, et pour recevoir leur consentement ; et comme enfin plusieurs avaient d'autres empêchements, tout ce que nous avons pu faire, tant pour rétablir l'ordre, et la discipline, que pour vous assurer de la sincérité de notre affection, a été de prier Cyriaque, Eusèbe, et Priscien nos très-chers, et très-vénérables frères et Collègues, de prendre la peine de vous aller trouver, et de vous témoigner que nous n'avons de désirs que pour la paix, d'amour que pour l'unité, et de zèle que pour la foi. Si nous avons souffert des persécutions, des tourments, les menaces des Empereurs, les rigueurs des Gouverneurs des Provinces, et les violences des hérétiques, nous ne les avons souffertes pour la défense de la doctrine Évangélique, qui a été publiée par les trois cent dix huit Évêques du Concile de Nicée en Bithynie. Il faut que vous approuviez aussi bien que nous cette doctrine, et que tous ceux qui ne veulent pas renverser la foi l'approuvent, puisque c'est l'ancienne doctrine qui est conforme au Baptême, et qui nous fait croire le Père, le Fils, et le saint Esprit, que le Père, le Fils, et le saint Esprit ont la même divinité, la même substance, et la même puissance ; que les trois hypostases, ou les trois personnes parfaites ont la même dignité, et le même empire éternel. Ainsi l'erreur de Sabellius, qui confond les personnes en ôtant leurs propriétés, n'a point de lieu parmi nous, ni le blasphème des Eunomiens, des Ariens, et des Pneumatomaques qui divisent la substance, la nature, et la divinité, et qui établissent une Trinité nouvelle, c'est-à-dire une Trinité créée, ou de diverse substance, au lieu de la Trinité incréée, consubstantielle, et éternelle. Nous conservons aussi la pureté de la doctrine touchant l'Incarnation de notre Seigneur, en n'admettant point un corps imparfait, sans âme, ou sans esprit ; mais en tenant que le Verbe de Dieu a été parfait avant tous les siècles, et que dans les derniers temps il s'est fait homme parfait pour notre salut. Voilà un abrégé de la foi que nous enseignons constamment, dont vous recevrez encore plus de joie, si vous prenez la peine de lire deux écrits, dont l'un a été composé à Antioche, et l'autre le fut l'année dernière à Constantinople, où nous avons expliqué plus au long notre créance, et condamné par notre signature les hérésies, qui se sont élevées depuis peu. Pour ce qui regarde l'administration des Églises particulières, il y a, comme vous savez, un Canon fait par les saints Évêques de Nicée, par lequel il est ordonné que les ordinations soient faites par les Évêques de chaque Province, et s'ils l'ont agréable, qu'elles soient faites aussi par les Évêques des Provinces voisines, qui se rencontreront avec eux. Nous vous prions de croire que cette règle-là est très-religieusement observée parmi nous, et que les Évêques des plus grandes villes, ont été ordonnés de la sorte. C'est ainsi que Nectaire a été ordonné Évêque de l'Église de Constantinople, qui est une Église comme nouvellement fondée, puisque par la miséricorde de Dieu nous l'avons arrachée depuis peu de la gueule du lion, en la retirant d'entre les mains des hérétiques, et qu'il a été établi du commun consentement des Évêques assemblés dans un Concile Général, en présence du très-religieux Empereur, au contentement de tout le Clergé, et de tout le peuple. C'est ainsi que les Évêques de Syrie, et d'Orient ont ordonné d'un commun consentement, avec l'agrément de tous les fidèles, le très religieux, et très-vénérable Slavien Évêque d'Antioche, ou le nom de Chrétien fut premièrement connu. Son ordination a été depuis approuvée par un Concile Général, comme une ordination légitime. Nous vous avertirons que le très religieux, et très vénérable Cyrille est Évêque de l'Église de Jérusalem, qui est la mère de toutes les Églises, qu'il a été élu, et établi selon ses canons, par les Évêques de la province et qu'il a soutenu divers combats contre les Ariens. Nous vous exhortons de leur témoigner la joie que vous avez de l'ordination Canonique, qu'ils ont reçue parmi nous, et d'être unis avec eux par la charité, par la crainte de Dieu qui supprime les mouvements humains, et préfère l'édification de l'Église, à l'amour des créatures. Quand nous aurons établi parmi nous d'un commun consentement, la vérité de la soi et la sincérité de la charité, nous cesserons de dire cette parole que saint Paul a condamnée ? Je suis à Paul, et moi je suis à Apollon, et moi à Céphas. Nous serons tous à Jésus-Christ, qui ne sera point divisé entre nous. Nous conserverons l'unité du corps de l'Église, et paraîtrons avec confiance devant le tribunal du Seigneur.

Voilà ce que ces Évêques écrivirent contre les erreurs folles, et extravagantes d'Arius, d'Aëce, d'Eunome, de Sabellius, de Photin, de Marcel, de Paul de Samosate, et de Macedonius. Ils condamnèrent aussi les nouveautés d'Apollinaire, en déclarant qu'ils tenaient une saine doctrine touchant l'Incarnation du Sauveur, en rejetant une Incarnation imparfaite par laquelle le Verbe se fût uni à un corps sans âme, ou sans esprit.

Damase qu'on ne saurait assez louer, n'eut pas plutôt appris que cette hérésie s'était élevée, qu'il déposa, et retrancha de l'Église Apollinaire, et Timothée son Disciple, et qu'il en avertit les Évêques d'Orient par la lettre qui suit.

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