Contre Marcion

LIVRE III

Chapitre XVIII

– Vous essayez d’établir la diversité des deux christs par la diversité de leur mort, en niant que la souffrance de la Croix ait été prédite pour le Christ du Créateur. Est-il à croire, ajoutez-vous, qu’il ait livré son fils à un genre de mort qu’il avait maudit en ces mots : « Maudit celui qui est suspendu au bois ! » J’ajourne le sens de cette malédiction, c’est-à-dire de la Croix, qui méritait une prédiction à part, prédiction dont il s’agit surtout maintenant, parce que le fait doit précéder la raison du fait. Un mot d’abord sur les figures.

Si une chose au monde était nécessaire, c’était avant tout, que le mystère de la Rédemption fût figuré d’avance par les prédictions. Plus il contrariait la raison humaine, plus il devait exciter de scandale, annoncé sans voiles. Plus il était magnifique, plus il fallait le cacher sous de saintes ténèbres, afin que la difficulté de comprendre fît recourir à la grâce de Dieu. Voilà pourquoi dès le début, Isaac sacrifié par son père et portant lui-même le bois de l’immolation, figure la mort de Jésus-Christ, victime abandonnée par son Père et portant le bois de sa passion. Joseph est encore un symbole du Christ. Et ce n’est pas seulement, car je ne veux pas retarder ma course, ce n’est pas seulement dans Joseph persécuté par ses frères et vendu en Égypte pour la cause de Dieu, que nous retrouvons le Sauveur trahi et vendu par les Juifs, ses frères, dans la personne de Judas ; la ressemblance éclate jusque dans les bénédictions. « Sa beauté est celle du taureau premier-né ; ses cornes sont celles de l’oryx : avec elles il frappera les peuples et les chassera jusqu’aux extrémités de la terre. » Je le demande, est-ce quelque animal puissant, ou quelque monstre fabuleux, que présage cet emblème ? Non, sans doute. Ce taureau mystérieux, c’est Jésus-Christ, juge terrible pour les uns, rédempteur plein de mansuétude pour les autres. Ces cornes, ce sont les extrémités de la croix, car dans l’entenne d’un navire, qui figure une partie du bois sacré, on donne le nom de cornes à ses extrémités. Enfin l’oryx, à la corne unique, désigne le tronc de l’arbre sur lequel il s’étendra. Cornes symboliques, c’est avec leur vertu que mon Christ enlève tous les jours les nations par la foi, les transportant de la ferre au ciel, et qu’au dernier jour il les précipitera, par le jugement, du ciel sur la terre ! Ce même taureau reparaîtra encore dans les Ecritures, lorsque Jacob étendant sa bénédiction sur Siméon et Lévi, c’est-à-dire sur les scribes et les pharisiens (car cette race est fille de Siméon et de Lévi), le patriarche s’écrie allégoriquement : « Siméon et Lévi, tous deux frères : la fraude les a convertis en instruments de violences ; » ces violences par lesquelles ils ont persécuté le Christ ! « Mon âme n’est point entrée dans leur complot, mon cœur ne s’est point uni à leurs assemblées, quand leur fureur a égorgé des hommes, » quels hommes ? sinon les prophètes, « et quand ils ont percé les membres du taureau, » c’est-à-dire, du Christ qu’ils ont immolé comme les prophètes, et sur lequel ils ont assouvi leur haine en le clouant à un gibet. Au reste leur reprocher, après le massacre des prophètes, d’avoir mis à mort quelque animal, serait par trop ridicule, si c’était là un taureau vulgaire.

Que dire de Moïse, priant assis et les mains étendues pendant que Josué combattait Amalec ? Pourquoi celle attitude, lorsque tout autre, au milieu de la consternation publique et pour rendre sa prière plus favorable, eût fléchi les deux genoux en terre, eût meurtri sa poitrine, eût roulé son visage dans la poussière ? Pourquoi ? sinon parce que là où combattait le nom de Jésus qui devait terrasser un jour le démon, il fallait arborer l’étendard de la Croix par laquelle le nouveau Josué remporterait la victoire ? Que signifie encore le même Moïse, après la défense de se tailler aucune image, dressant un serpent d’airain au haut d’un bois, et livrant aux regards d’Israël le spectacle salutaire d’un crucifié, au jour où des milliers d’Hébreux périrent par des serpents ? C’est que là encore était représentée la puissance miraculeuse de la Croix, dont la vertu triomphait de l’antique dragon ; c’est que tout homme mordu par les serpents spirituels n’avait qu’à regarder et croire, pour être guéri de la blessure de ses péchés, cet emblème qui lui annonçait le salut.

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