Matthieu Lelièvre

L’inspiration des Saintes Écritures

Le fait que nous trouvons partout attesté, c’est que Dieu a parlé par le moyen de ce phénomène mystérieux et surnaturel que nous nommons inspiration, à des hommes qu’il a choisis pour transmettre aux autres hommes sa parole. L’examen attentif des documents bibliques nous permet, sinon de préciser avec une entière certitude, au moins de concevoir avec quelque probabilité, ce que Dieu n’a pas voulu faire et ce qu’il a fait.

Nous pouvons affirmer que Dieu n’a pas voulu nous donner un livre qui fût le produit d’une dictée verbale et littérale, un livre où tout fût divin sans mélange d’humain. Une lecture, même superficielle, de la Bible nous atteste qu’elle n’est pas ce livre-là. La théorie d’une inspiration verbale est contredite par les divergences qui s’y rencontrent entre deux récits du même fait, ou deux comptes rendus d’un même discours. Elle l’est encore par le fait de l’idiosyncrasie si marquée de divers auteurs : Jean ou Paul, Pierre ou Jacques, etc. Chacun d’eux a son style, sa méthode d’argumentation, sa façon de raconter. Tel d’entre eux, Paul, par exemple, mêle à son exposé doctrinal, des allusions à son histoire, à ses circonstances particulières, à ses amis, etc. La langue qu’il parle n’étant pas sa langue maternelle est, pour cet apôtre, un instrument qu’il manie parfois avec une gaucherie qui n’ôte rien à la hauteur de ses pensées, mais qui nuit à la correction, et parfois à la limpidité de sa phrase. Ces indices, auxquels on pourrait en ajouter d’autres, écartent l’idée d’une dictée verbale, comme mode habituel de l’inspiration.

Qu’il y ait toutefois, dans les Écritures, des oracles et des prophéties, où l’auteur sacré n’est plus qu’un scribe écrivant, sous la dictée de l’Esprit-Saint, des paroles dont il n’a pas toujours lui-même la pleine intelligence, c’est ce qui est évident. Mais de telles paroles sont en général désignées à notre attention par quelque formule qui les met hors de pair. Et si nous ne sommes pas toujours en état de les distinguer, cela ne tire pas à conséquence, comme le fait remarquer M. Banks en ajoutant : « Les portions qui ne peuvent pas être considérées comme le produit d’une inspiration verbale rigide sont aussi réellement inspirées que le reste, quoique non au même degré. »

Cette idée de degrés dans l’inspiration, ainsi affirmée par un éminent théologien méthodiste contemporain, nous paraît résulter de l’étude des documents bibliques, quelque combattue qu’elle ait été de divers côtés. Pour ne citer qu’un exemple, les parties historiques de l’Écriture, qui portent si visiblement le cachet du labeur du chroniqueur et de l’historien (documents compulsés, récits fragmentaires, incomplets, ou même divergents), n’ont visiblement pas nécessité une inspiration du même ordre que les parties prophétiques ou dogmatiques des livres saints. En laissant ainsi à l’action de ses collaborateurs humains une large place dans les matières qui n’intéressent pas directement la foi, Dieu a suivi la méthode qu’il suit dans l’œuvre ordinaire de sa grâce, qui agit sur l’homme en mettant en exercice toutes ses forces et toutes ses facultés. Dieu, qui ne fait pas de miracles inutiles, a laissé ses agents se servir de leurs souvenirs, de leurs informations, des sources manuscrites ou orales qui étaient à leur disposition, toutes les fois que cela était possible.

L’inspiration des écrivains sacrés n’est pas une simple exaltation de leurs facultés naturelles et ne saurait être confondue avec l’enthousiasme qu’inspire de grandes pensées. Ces hommes ne sont pas seulement des génies religieux de premier ordre, de tels génies ont existé dans l’Église chrétienne et ailleurs, mais leurs écrits ne sauraient être mis sur le même pied que ceux qui composent la Bible. L’inspiration est autre chose que l’enthousiasme, même religieux.

Elle est autre chose aussi que la sainteté. Sans doute, un chrétien a généralement une intelligence des vérités religieuses proportionnées à l’intensité de sa piété, et on peut entendre dans ce sens la parole de Jésus que « les cœurs purs verront Dieu ». Mais l’expérience nous apprend que la piété la plus vive ne préserve pas un homme d’erreurs parfois très graves, et qu’un saint peut être un assez mauvais théologien. Cette théorie, en faisant de tous les chrétiens des inspirés, à des degrés divers, refuse à l’enseignement apostolique un caractère normatif et définitif, et ouvre la porte à un complément de révélation que la conscience chrétienne aurait à formuler de siècle en siècle. C’est là méconnaître l’ensemble des faits et des déclarations bibliques. C’est oublier que les dons théopneustiques ont été accompagnés et légitimés par des dons miraculeux, dont la cessation a marqué aussi la fin de la Révélation.

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