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Vigouroux – Marc 1

L’Évangile selon saint Marc

Introduction

Bien des savants distinguent saint Marc, l’évangéliste, de Jean Marc, parent de Barnabé. Le Bréviaire romain ne tranche pas la question ; mais communément on admet l’identité. D’après les Actes des Apôtres, Jean ou Jean Marc était lié avec saint Pierre avant de se lier avec saint Paul. C’est chez la mère de ce disciple que le prince des Apôtres, au sortir de la prison d’Hérode, trouve les chrétiens réunis. Cette circonstance fait supposer que Jean Marc n’était pas sans fortune, ni probablement sans instruction. Il est vraisemblable que saint Pierre l’aura pris pour son interprète, selon le mot du prêtre Jean dans Papias, ou plutôt pour son secrétaire, comme le dit saint Jérôme, après que ce jeune disciple se fût séparé de saint Paul. De là le nom d’Evangile de Pierre, donné par Tertullien à sa composition. S’il n’est pas nommé Jean, mais simplement Marc, comme évangéliste et compagnon de saint Pierre, c’est sans doute qu’il avait pris ce nom latin en entrant dans l’empire, et qu’il n’était pas connu autrement à Rome et parmi les Gentils. Saint Luc nous avertit que c’est un surnom. Il a pu aller en Egypte quelques années après la venue de saint Pierre à Rome, y fonder l’Eglise d’Alexandrie, puis se retrouver à Rome pendant la première captivité de saint Paul et à Ephèse pendant la seconde. Saint Pierre l’appelle son fils. Son Evangile, composé peu de temps après celui de saint Matthieu, dut être présenté à l’Eglise par le prince des Apôtres, comme objet de foi et livre inspiré.

Si l’on s’en rapporte aux caractères de sa composition, l’auteur du second évangile était originaire de Judée, contemporain des Apôtres, et disciple de saint Pierre ; il a écrit pour les Gentils, spécialement pour les Romains, sans autre souci que d’unir l’exactitude et la précision à la brièveté et à la simplicité.

L’auteur était Juif d’origine et contemporain des Apôtres. ― On distingue sa nationalité, à ses nombreux hébraïsmes, à ses citations syro-chaldéennes et à la connaissance qu’il montre des usages de la Judée. On reconnaît un contemporain des Apôtres aux particularités de ses récits. Ils sont vifs, précis, circonstanciés, comme devaient l’être ceux des premiers témoins de la vie du Sauveur. Il ne néglige aucun détail. Il indique nettement les moindres particularités de temps, de lieux, de nombre, de personnes, d’attitude, de disposition. Par exemple, il remarque Jaïre était chef de synagogue, que la femme du pays de Chanaan était une grecque syrophénicienne, que l’aveugle de Jéricho s’appelait Bartimée, fils de Timée, que le crime de Barabbas était le meurtre, que Joseph d’Arimathie était membre du sanhédrin et Simon de Cyrène, père d’Alexandre et de Rufus. Il rapporte même en langue syro-chaldéenne certaines paroles de Notre-Seigneur. Plusieurs pensent qu’il parle de lui-même dans le récit de la Passion, sans se nommer, comme fait aussi saint Jean et peut-être saint Luc.

Il était particulièrement attaché à saint Pierre. ― Il expose avec la plus grande précision les faits qui concernent cet Apôtre, ceux dont il a été l’auteur ou le témoin. Là où les autres évangélistes nomment les apôtres en général, saint Marc désigne saint Pierre séparément et tout d’abord, par exemple dans la guérison de sa belle-mère, dont il indique le jour, dans la résurrection de la fille de Jaïre, dans la prédiction de la ruine de Jérusalem, dans les recommandations du Sauveur ressuscité. Une autre remarque, faite par saint Chrysostome, c’est qu’il nomme saint Pierre dans les circonstances les plus propres à l’humilier, quand Notre-Seigneur lui dit : « Retire-toi de moi, Satan », quand il s’endort au Jardin des Olives, quand il renie son maître, tandis qu’il ne dit rien de sa marche sur les eaux près de Tibériade, ni des prérogatives que Notre-Seigneur lui accorde en récompense de sa foi et de son amour. Du reste, saint Marc rapporte les actions de Notre-Seigneur avec plus de soin que ses discours ; il semble surtout frappé des prodiges qu’il opérait et de l’empire qu’il exerçait sur les possédés. Cette particularité, en le distinguant de saint Matthieu, lui donne un rapport de plus avec le prince des Apôtres, qui se montre toujours préoccupé de la pratique. C’est ce qui a fait dire que cet Evangile n’était que la réalisation du programme tracé par saint Pierre au Cénacle et le développement des paroles dans lesquelles le même Apôtre a résumé la vie de l’Homme-Dieu : « Il a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux que le démon tourmentait. »

Il écrivait pour tous les Gentils, quoique spécialement pour les Romains. ― C’est la principale raison pour laquelle il s’appuie rarement sur l’Ancien Testament et ne le cite presque pas. Il ne présente pas le Sauveur comme Messie, mais comme souverain du monde : il ne l’appelle pas Fils de David, mais Fils de l’homme ou Fils de Dieu, comme saint Jean qui destinait aussi son écrit aux Gentils. Il omet, comme lui, les généalogies et l’adoration des Mages, qui intéressaient spécialement les Juifs et commence son écrit par la prédication de l’Evangile. Il ne nomme pas une seule fois la Loi ; il ne dit pas l’abomination « dans le sanctuaire, » mais « où elle ne doit pas être. » Dans le récit de la Passion, il passe sous silence le voile du temple déchiré, le tremblement de terre et le brisement de la pierre, qui ne se pouvaient constater qu’à Jérusalem. Il explique les usages juifs, dont il fait mention, il évalue les pièces grecques en monnaies latines, et traduit les termes araméens qu’il insère dans son récit, tandis qu’il n’explique aucune des expressions latines qu’il fait entrer dans ses phrases grecques, etc. Il prend soin de dire que le Jourdain est un fleuve, et que le mont des Oliviers est en face du temple. Il avertit que les Saduccéens ne croient pas à la résurrection, que les Pharisiens jeûnent fréquemment, que les Juifs immolent l’Agneau pascal le premier jour des Azymes, qu’ils sont en possession de remettre en liberté un prisonnier à Pâques. Les quatre paraboles qu’il reproduit ont rapport à la prédication de l’Evangile, à l’établissement de l’Eglise et à la vocation des Gentils. Enfin il désigne Alexandre et Rufus comme fils de Simon de Cyrène, et l’on sait par saint Paul qu’ils étaient venus s’établir à Rome.

Son écrit est rédigé comme un simple mémorial. ― On n’y remarque aucune tendance spéciale, soit apologétique, soit polémique. Saint Jérôme dit que saint Marc n’a fait qu’un abrégé de l’Evangile, Papias qu’il s’est borné à mettre par écrit les prédications de saint Pierre. Saint Augustin l’appelle pedissequus Matthæi « le suivant de saint Matthieu, » et Bossuet le plus divin des abréviateurs. Cependant saint Marc ne se borne pas à résumer, ou bien ce qu’il résume est plutôt l’histoire du Sauveur que le livre de saint Matthieu. En certains endroits, il change l’ordre suivi par son devancier ; en d’autres, il rafraîchit ses tableaux en les complétant par de nouveaux traits ; par exemple, dans la guérison de l’hémorroïsse, dans la délivrance des possédés Géraséniens, dans le récit de la mort de saint Jean-Baptiste. Encore qu’il n’ait pas plus de vingt-sept versets dont on ne trouve pas l’équivalent dans saint Matthieu ou dans saint Luc, on lui doit cependant une parabole, deux guérisons miraculeuses, celles du sourd-muet de la Décapole et de l’aveugle de Bethsaïde, et un des incidents de l’arrestation du Sauveur, auquel l’évangéliste ne semble pas étranger.

Pour le style. ― Saint Marc est net, précis, serré, mais sec et négligé. Il aime à employer dans ses récits le langage direct, et à remplacer le passé par le présent. Il affectionne les diminutifs. Il répète souvent les mêmes idées et les mêmes termes, soit à dessein pour en renforcer le sens, soit par négligence, comme et, qui reparaît à tout moment, de nouveau et aussitôt, qu’on trouve neuf fois dans le premier chapitre.

Ainsi les caractères intrinsèques du second évangile justifient pleinement la croyance de l’Eglise sur l’origine et sur l’auteur de ce livre. (L. BACUEZ.)

Présentation de saint Jean-Baptiste. Baptême, tentation et prédication de Jésus-Christ. Vocation de Pierre et d’André, de Jacques et de Jean. Guérison de la belle-mère de saint Pierre. Prédication et miracles de Jésus-Christ. Guérison d’un lépreux.

1 Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. [1.1 Evangile veut dire : bonne nouvelle. L’évangéliste saint Marc, prêtre en Israël et de race Lévitique se convertit au Seigneur et écrivit son Evangile en Italie (saint Jérôme).]2 Selon qu’il est écrit dans le prophète Isaïe : Voici que j’envoie mon ange devant ta face, et il préparera ton chemin devant toi ; [1.2 Saint Marc réunit ici deux prophéties, dont l’une est de Malachie (voir Malachie, 3, 1), et l’autre d’Isaïe (voir Isaïe, 40, 3), parce qu’elles se complètent réciproquement. ― Mon ange, c’est-à-dire mon envoyé, saint Jean-Baptiste. Voir Matthieu, 3, 1.]3 voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droit ses sentiers ; [1.3 Voir Isaïe, 40, 3 ; Matthieu, 3, 3 ; Luc, 3, 4 ; Jean, 1, 23. ― Dans le désert de Judée. Voir Matthieu, 3, 1.]4 Jean était dans le désert, baptisant et prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés. [1.4 Jean. Voir Matthieu, 3, 1.]5 Et tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem venaient à lui ; et ils étaient baptisés par lui dans le fleuve du Jourdain, confessant leurs péchés. [1.5 Voir Matthieu, 3, 5. ― Tout le pays de Judée, la Palestine méridionale, à l’exclusion de la Samarie, de la Galilée et de la Pérée.]6 Or Jean était vêtu de poils de chameau, il avait une ceinture de cuir autour de ses reins, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Et il prêchait en disant : [1.6 Voir Matthieu, 3, 4 ; Lévitique, 11, 22. ― Jean était vêtu de poils de chameau, etc. Voir Matthieu, note 3.4.]7 Il vient après moi, celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses sandales. [1.7 Voir Matthieu, 3, 11 ; Luc, 3, 16 ; Jean, 1, 27. ― De délier, etc. Voir Matthieu, note 3.11. ― Les cordons de sa chaussure. Voir Marc, 6, 9.]8 Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; mais lui, il vous baptisera dans l’Esprit-Saint. [1.8 Voir Actes des Apôtres, 1, 5 ; 2, 4 ; 11, 16 ; 19, 4.]9 Or, il arriva qu’en ces jours-là, Jésus vint de Nazareth, en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. 10 Et soudain, comme il sortait de l’eau, il vit les cieux s’ouvrir, et l’Esprit, comme une colombe, descendre et s’arrêter (se reposant) sur lui. [1.10 Voir Luc, 3, 22 ; Jean, 1, 32.]11 Et une voix se fit entendre des cieux : Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis mes complaisances. 12 Et aussitôt l’Esprit le poussa dans le désert. [1.12 Voir Matthieu, 4, 1 ; Luc, 4, 1.]13 Il passa dans le désert quarante jours et quarante nuits, et il était tenté par Satan, et il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient. 14 Mais, après que Jean eut été mis en prison, Jésus vint en Galilée, prêchant l’Evangile du royaume de Dieu, [1.14 Voir Matthieu, 4, 12 ; Luc, 4, 14 ; Jean, 4, 43.]15 et disant : Le temps est accompli, et le royaume de Dieu est proche ; faites pénitence, et croyez à l’Evangile. 16 Or, comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs. [1.16 Voir Matthieu, 4, 18 ; Luc, 5, 2. ― Le long de la mer de Galilée. Voir Matthieu, note 4.18.]17 Et Jésus leur dit : Suivez-moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. 18 Et aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. 19 De là, s’étant un peu avancé, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, qui étaient aussi dans une barque, raccommodant leurs filets ; 20 et aussitôt il les appela. Et ayant laissé Zébédée, leur père, dans la barque avec les mercenaires (ouvriers), ils le suivirent. 21 Ils entrèrent dans Capharnaüm ; et aussitôt, le jour du sabbat, entrant dans la synagogue, il les instruisait. [1.21 Voir Matthieu, 4, 13 ; Luc, 4, 31. ― Capharnaüm. Voir Matthieu, note 4.13. ― Dans la synagogue. Voir Matthieu, 4, 23.]22 Et ils étaient frappés de sa doctrine, car il les instruisait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes. [1.22 Voir Matthieu, 7, 28 ; Luc, 4, 32.]23 Or, il y avait dans leur synagogue un homme possédé d’un esprit impur, qui s’écria, [1.23 Voir Luc, 4, 33.]24 disant : Qu’y a-t-il entre nous et vous, Jésus de Nazareth ? Etes-vous venu pour nous perdre ? Je sais que vous êtes le saint de Dieu. 25 Et Jésus le menaça en disant : Tais-toi, et sors de cet homme. 26 Et l’esprit impur, l’agitant avec violence, et poussant un grand cri, sortit de lui. 27 Et tous furent dans l’admiration, de sorte qu’ils se demandaient entre eux : Qu’est-ce que ceci ? Quelle est cette nouvelle doctrine ? car il commande avec empire même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. [1.27 Ce n’est pas que Jésus-Christ enseignât des nouveautés, ni qu’il prêchât au fond une autre loi que celle qu’ils avaient reçue ; mais ils admiraient son autorité et les miracles dont il accompagnait ses discours. Ils étaient surpris de la manière pleine d’empire avec laquelle il commandait aux démons.]28 Et sa renommée se répandit aussitôt dans tout le pays de Galilée. 29 Et aussitôt, sortant de la synagogue, ils vinrent dans la maison de Simon et d’André, avec Jacques et Jean. [1.29 Voir Matthieu, 8, 14 ; Luc, 4, 38.]30 Or, la belle-mère de Simon était couchée, ayant la fièvre, et aussitôt ils lui parlèrent d’elle. 31 Et s’approchant, il la souleva, la prenant par la main ; et à l’instant la fièvre la quitta, et elle les servait. 32 Le soir venu, lorsque le soleil fut couché, on lui amena tous les malades et les possédés du démon ; 33 et toute la ville était rassemblée devant la porte. 34 Et il en guérit beaucoup qui étaient tourmentés de diverses maladies, et il chassa de nombreux démons, et il ne leur permettait pas de dire qu’ils le connaissaient. [1.34 Voir Luc, 4, 41.]35 S’étant levé de très grand matin, il sortit et alla dans un lieu désert, et là il priait. 36 Simon le suivit, ainsi que ceux qui étaient avec lui. 37 Et quand ils l’eurent trouvé, ils lui dirent : Tout le monde vous cherche. 38 Et il leur dit : Allons dans les villages voisins et dans les villes, afin que j’y prêche aussi ; car c’est pour cela que je suis venu. 39 Et il prêcha dans leurs synagogues et dans toute la Galilée, et chassait les démons. [1.39 Dans toute la Galilée. Voir la note 29 à la fin du volume.]40 Or, un lépreux vint à lui, le suppliant ; et fléchissant le genou, il lui dit : Si vous le voulez, vous pouvez me guérir. [1.40 Voir Matthieu, 8, 2 ; Luc, 5, 12. ― Un lépreux. Voir Matthieu, note 8.2. La lèpre étant contagieuse, les lépreux, avant d’être admis dans la société, devaient se présenter au prêtre pour les purifications rituelles et les offrandes à faire et, spécialement, pour le certificat de guérison à obtenir. Jésus ordonne d’observer la loi (voir Lévitique, 14, 4) afin de montrer et d’apprendre aux prêtres que lui-même la respecte, et pour leur faire constater, par eux-mêmes, le miracle. Le but est aussi de dire aux chrétiens que le péché (dont la lèpre est le symbole) doit être manifesté aux prêtres. « Jésus l’envoie au prêtre, selon la loi, pour constater la guérison et pour ne pas donner de prétexte à ses ennemis. » (saint Jean Chrysostome).]41 Jésus, ayant pitié de lui, étendit la main, le toucha, et lui dit : Je le veux, sois guéri. 42 Et lorsqu’il eut dit cette parole, la lèpre le quitta aussitôt, et il fut guéri. 43 Jésus le menaça et le renvoya aussitôt, 44 en lui disant : Garde-toi de rien dire à personne ; mais va, montre-toi au prince des prêtres, et offre pour ta guérison ce que Moïse a ordonné, afin que cela leur serve de témoignage. [1.44 Voir Lévitique, 14, 2. ― Montre-toi. Comparer à Lévitique, 14, 4. ― En témoignage pour eux, c’est-à-dire pour que cela leur serve de témoignage et de preuve incontestable de ma puissance et de ma fidélité à faire observer la loi.]45 Mais cet homme, étant parti, se mit à raconter et à publier la chose, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville ; mais il se tenait dehors, dans des lieux déserts, et l’on venait à lui de toutes parts.

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