Paul a passé au moins dix-huit mois à Corinthe pour y annoncer l'Evangile (Ac 18.1-8), de 50 à 52. D'après certaines évaluations, toujours sujettes à caution, Corinthe comptait à l'époque plus d'un demi-million d'habitants, dont les deux tiers étaient esclaves. Détruite en 146 avant Jésus Christ, reconstruite cent ans plus tard par César, c'était une ville neuve qui devait sa prospérité extraordinaire à sa situation géographique et à ses deux ports, l'un Cenchrées, sur la mer Egée (golfe Saronique), l'autre Léchée, sur l'Adriatique (golfe de Corinthe). Elle possédait les caractéristiques qui marquent à toutes les époques la vie des grands ports : population très mêlée où toutes les races, toutes les religions se côtoient ; vie facile de luxe et de débauche ; richesse scandaleuse d'une minorité et misère du plus grand nombre. Ajoutons enfin que cette cité cosmopolite était un centre intellectuel où toutes les familles d'esprit étaient représentées, et un centre religieux où les cultes orientaux exerçaient une indiscutable séduction.
Par sa composition, la communauté chrétienne rassemblée par la prédication de Paul était le reflet fidèle de la cité. Il y avait des riches et des pauvres (1Co 11.21-22), mais les premiers étaient une faible minorité (1Co 1.26); l'ensemble était composé de petites gens, d'esclaves (1Co 7.21), bref, de personnes méprisées (1Co 1.28).
Ces chrétiens formaient une communauté vivante et fervente, mais qui restait très exposée aux dangers de la corruption de la vie ambiante : morale sexuelle dissolue (1Co 6.12-20), querelles, disputes et luttes intestines (1Co 1.11-12 ; 6.1-11), séduction de la sagesse philosophique d'origine païenne qui s'introduisait dans l'Eglise revêtue d'un vernis chrétien superficiel (1Co 1.19 — 2.10) et qui pervertissait les certitudes fondamentales de la foi nouvelle (ch. 15), attrait aussi des religions à mystères dont les manifestations désordonnées risquaient de se reproduire dans les assemblées chrétiennes (1Co 14.26-38). La plante chrétienne était saine et vigoureuse, mais ses racines plongeaient dans une terre qui, par nature, ne lui était pas favorable.
C'est ce qui fait l'intérêt de cette lettre. Elle nous montre, pris en quelque sorte sur le vif, les problèmes posés par l'insertion de la foi chrétienne dans une culture païenne et les moyens utilisés par Paul pour résoudre ces problèmes.
Après son départ, Paul était resté en contact avec la communauté qu'il avait fondée. Nous savons par 5.9-13 que 1 Corinthiens avait été précédée par une autre lettre. Par ailleurs nous savons, grâce au récit des Actes (1Co 18.24-28), que la communauté de Corinthe avait accueilli un prédicateur chrétien de valeur en la personne d'Apollos, Juif alexandrin, rallié à la foi nouvelle, qui, à Ephèse, avait été définitivement converti au Christ par Aquilas et Priscille et muni par eux de lettres de recommandation lorsqu'il partit pour Corinthe. Les Actes précisent qu'Apollos était éloquent, versé dans les Ecritures, et qu'à Corinthe, il fut d'un grand secours pour la communauté, en particulier dans les controverses avec les Juifs.
Divers partis se réclamaient de tel ou tel apôtre, et ces divisions n'étaient pas sans rapport avec l'attrait qu'exerçait à Corinthe une certaine sagesse ésotérique philosophico-mystique, ce qui explique que Paul, dans sa lettre, unisse les deux thèmes : les divisions et la fausse sagesse, à laquelle il oppose la sagesse du Christ, la sagesse de la Croix (1Co 1.10 — 3.4).
Cet état alarmant de la communauté avait dû parvenir à la connaissance de Paul lors de son séjour à Ephèse au cours de son troisième voyage (Ac 19), d'abord par Apollos, ensuite par les gens de Chloé (1Co 1.11). D'autres nouvelles inquiétantes lui arrivaient, sans doute par le même canal. D'autre part, l'intervention de Paul était sollicitée par les Corinthiens eux-mêmes, qui lui avaient écrit à propos de certains problèmes. On peut l'affirmer au sujet de la virginité et du mariage (voir 1Co 7.1) ; on peut légitimement le supposer au sujet des viandes immolées aux idoles : pouvait-on en manger, oui ou non (voir 1Co 8.1) ? ou des manifestations extraordinaires de l'Esprit (voir 1Co 12.1). Ces éléments constituent les différentes questions abordées par Paul dans sa lettre. L'apôtre veut remédier aux abus, faire régner la paix, l'harmonie dans la communauté, répondre aux nombreux problèmes que la vie chrétienne quotidienne pose aux chrétiens de Corinthe. On peut dater l'épître du printemps de l'an 56 (voir l'allusion à la Pâque en 1Co 5.7-8).
Les questions particulières traitées par Paul dans cette épître dérivent d'un problème fondamental qui s'est posé à toutes les époques de l'histoire de l'Eglise, en particulier dans son activité missionnaire, et qui se pose aujourd'hui plus que jamais : celui de la « distance culturelle », celui de l'enracinement du message chrétien dans une culture différente de celle dans laquelle il avait été vécu précédemment. Ici, il s'agit du passage de la culture du monde judéo-palestinien à celle du monde hellénistique, animée et structurée par des dynamismes très différents et qui risquent non seulement d'altérer le message mais, plus profondément, de l'assimiler (au sens de l'assimilation biologique) : la culture hellénistique, foncièrement païenne, ne retenant du message évangélique que ce qui est en harmonie avec elle et rejetant le reste. Ce phénomène s'est souvent produit, en particulier dans les nombreux courants gnostiques chrétiens du IIe siècle et, au cours des âges, dans des pays hâtivement évangélisés où le résultat a été la survivance du paganisme antérieur, superficiellement agrémenté d'éléments empruntés à la foi chrétienne. Devant ce problème, l'attitude de Paul est à la fois ferme et nuancée : il insiste vigoureusement sur l'aspect de rupture, en condamnant impitoyablement les comportements et les doctrines qui sont inconciliables avec le message qu'il annonce. Mais quand cette incompatibilité n'existe pas, il est accueillant. Le chapitre 15, par exemple, nous présente de la façon la plus nette le heurt du message chrétien et de la mentalité ambiante : alors que la résurrection des morts s'accordait au judaïsme, habitué à saisir l'homme dans son unité, elle n'avait guère d'enracinement possible dans une culture influencée par des philosophies dualistes. Paul aurait pu capituler devant le « croyable disponible » de ses lecteurs, comme l'avaient fait, dans des circonstances analogues, l'auteur du livre de la Sagesse et Philon : ils avaient insisté le moins possible sur ce point difficilement acceptable, mettant surtout l'accent sur la vie immortelle des âmes. Paul, au contraire, affirme fortement le point contesté de la résurrection des morts. Il ne cherche pas à prouver philosophiquement sa possibilité, mais il montre que « si les morts ne ressuscitent pas, Christ non plus n'est pas ressuscité » (1Co 15.13,16) et que dès lors la foi des Corinthiens est vide (1Co 15.14).
On le voit par ce dernier point touchant un problème qui se pose aujourd'hui en des termes voisins, la Première Epître aux Corinthiens est peut-être la plus actuelle de toutes les lettres de Paul. Sans doute les solutions proposées sont marquées parfois par un conditionnement culturel différent du nôtre (voir, par exemple, 1Co 11.2-16) ; mais la situation à laquelle l'apôtre est affronté est la nôtre, et les principes qui commandent ses réponses n'ont rien perdu de leur valeur.
1 Paul, appelé à être apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, et Sosthène le frère, [Paul, apôtre Rm 1.1 ; 2 Co 1.1 ; Ga 1.1, etc.
— Sosthène voir Ac 18.17.]
— l'Eglise de Dieu voir Dt 23.2-9.
— sanctifiés 1 Co 6.11.
— tous ceux qui invoquent... Ac 9.14 ; voir Ac 2.21 ; Rm 10.13.]
4 Je rends grâce à Dieu sans cesse à votre sujet, pour la grâce de Dieu qui vous a été donnée dans le Christ Jésus. [Autre texte : à mon Dieu.]
— communion avec son Fils 1 Jn 1.3.]
10 Mais je vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ : soyez tous d'accord, et qu'il n'y ait pas de divisions parmi vous ; soyez bien unis dans un même esprit et dans une même pensée. [Ph 2.2.]
— Apollos Ac 18.24.
— Céphas (nom araméen de Pierre) Jn 1.42 ; 1 Co 3.22 ; 9.5 ; 15.5 ; Ga 1.18 ; 2.9-14 ; voir Mt 4.18.]
— Gaïus voir Ac 19.29 ; Rm 16.23.]
— L'Evangile sans enrobage 1 Co 2.1-5.]
18 Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d'être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu. [Le langage de la croix : expression raccourcie pour « Le langage de ceux qui prêchent la mort du Christ sur la croix ».
— ceux qui se perdent 2 Co 4.3.
— puissance de Dieu Rm 1.16.]
— Où est le docteur de la loi ? voir Es 33.18.
— la sagesse du monde rendue folle Es 44.25.]
— les Grecs recherchent la sagesse Ac 17.18 ; 17.32.]
— folie pour les païens 1 Co 2.14.]
26 Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l'appel de Dieu : il n'y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille. [Mt 11.25 ; Jn 7.48 ; Jc 2.1-5.]
— sanctification Jn 17.19.
— délivrance 2 Co 5.21.]