L’authenticité de cette Epître n’a jamais été contestée, et elle ne pourrait l’être sérieusement. D’ailleurs, il suffit de la lire pour être convaincu que saint Jean en est l’auteur. S’il ne se désigne pas par son nom ou par ses prérogatives, il ne s’en révèle pas moins de la manière la plus manifeste. Il affirme qu’il a été témoin de tout ce que le Verbe de vie a fait lorsqu’il était sur la terre. Il parle comme étant bien connu de ceux à qui il s’adresse. Il s’exprime en docteur, en maître, en père. Aux erreurs qu’il combat, on peut voir l’époque où il a écrit : ce ne peut être que la fin du premier siècle. Les vérités qu’il enseigne et la manière dont il les énonce font reconnaître l’auteur du quatrième Evangile. Le fond des idées est le même dans les deux écrits et ne diffère pas de celui de l’Apocalypse. De part et d’autre, ce sont les mêmes dogmes : la divinité du Sauveur, l’universalité de la rédemption, la réalité de la vie future. C’est le même accent, la même conviction, la même candeur, la même tendresse, le même zèle à confesser la foi et à la communiquer. C’est aussi le même style : même simplicité dans les constructions, mêmes expressions favorites, mêmes parallélismes, mêmes répétitions, mêmes maximes et mêmes images. Enfin, c’est un langage que saint Jean seul a parlé, langage de la spiritualité la plus sublime et de la bonté la plus paternelle, tout de lumière, de pureté et d’amour.
On admet assez communément que cette Epître a été écrite à l’occasion du quatrième Evangile, pour en annoncer la publication et en indiquer le but. Ce fait n’est garanti par aucun témoignage bien exprès ; mais l’Epître répond bien à ce dessein : elle est comme le sommaire de cet Evangile et elle pourrait en être la préface.
D’anciens Pères ont supposé que saint Jean s’adressait à des Juifs convertis, résidant chez les Parthes. Mais la Lettre ne fournit aucune base à ce sentiment. On n’y trouve rien qui en restreigne la destination : elle ne contient aucune salutation, ni au commencement ni à la fin, de sorte qu’elle semble plutôt avoir été destinée, comme l’Evangile même, à l’Eglise entière. On peut présumer seulement que l’un et l’autre auront été publiés, d’abord à Ephèse où devait être l’apôtre, puis dans l’Asie-Mineure où dogmatisaient les hérétiques qu’il combat.
On connaît les circonstances qui l’ont déterminé à prendre la plume, si longtemps après les Synoptiques et les autres écrivains sacrés. Dès l’origine de l’Eglise, un grand nombre de judaïsants, à demi convertis, s’éprirent du désir de se faire fondateur de religions, ou plutôt réformateurs et chefs de sectes. Chacun se composa à son gré un système où il mélangea à divers degrés les dogmes du christianisme, les traditions juives et les idées philosophiques de l’Orient. De là un commencement de gnose, assez indécis d’abord, qui se diversifia suivant les lieux et les personnes, mais dont la tendance générale était de rabaisser la dignité du Sauveur et de reporter sur les spéculations philosophiques l’importance que la religion chrétienne attachait à la pratique de la vertu. Cérinthe (80-100) ne voulut voir en Jésus-Christ qu’une union morale et passagère du Christ ou du Dieu suprême avec une personne humaine. D’autres ne reconnurent même pas la réalité de cette courte union. Selon eux, la chair ayant pour auteur le principe du mal et étant mauvaise de sa nature, le Verbe n’avait pu s’unir à elle : il n’avait pris qu’une forme humaine pour nous donner des instructions et des exemples. Il n’existait donc pas d’Homme-Dieu. Quant à la rédemption, elle n’avait pas eu lieu non plus. Il est vrai qu’elle perdait sa raison d’être, l’homme n’ayant pas besoin d’être racheté mais seulement d’être instruit ; car c’était une maxime admise par tous ces novateurs, que pour plaire à Dieu, il suffisait de le connaître et d’avoir l’intelligence de ses mystères. A leurs yeux, la science et la sainteté étaient une même chose. La vertu ne contribuait en rien à la perfection, et le péché n’y mettait aucun obstacle.
Saint Paul, passant près d’Ephèse en l’an 58, avait annoncé l’apparition prochaine de ces hérésies, et, un peu plus tard, écrivant à Timothée, évêque de cette ville, il lui inculquait l’obligation où il était de les combattre. Mais ce fut surtout l’œuvre de saint Jean qui vint lui-même s’établir à Ephèse après la mort de saint Vierge. Il s’en acquitta, en affirmant, avec toute l’énergie et la netteté possibles, dans cette Epître comme dans son Evangile, les dogmes les plus essentiels du christianisme, la nature humaine du Sauveur, sa divinité et surtout l’union personnelle de son humanité et de sa divinité. Aussi se trouve-t-il avoir réfuté par avance les hérésies plus dangereuses et plus puissantes qui allaient bientôt déchirer l’Eglise, et altérer, chacune à sa manière, le mystère de l’Incarnation : l’arianisme, le nestorianisme, l’eutychianisme, etc.
Nul écrit ne se prête moins à une analyse proprement dite. On voit bien néanmoins le but de l’auteur : il est à la fois dogmatique et moral. En même temps qu’il affermit les fidèles dans la croyance à la divinité du Sauveur, à la réalité de son sacrifice et à l’universalité de la Rédemption, saint Jean s’efforce de les convaincre de la nécessité de pratiquer la vertu et surtout de l’importance de la charité. Ainsi les exhortations se mêlent à la polémique et aux enseignements doctrinaux. Jésus-Christ est montré tour à tour comme vrai Dieu, comme vrai homme, comme médiateur, comme victime, comme source de toute grâce et de tout pardon. Le péché est présenté comme incompatible avec la grâce sanctifiante, et les bonnes œuvres comme indispensables pour le salut. De l’ensemble de l’Epître résulte cette conclusion : Que la vocation du chrétien est de participer à la vie de Dieu, en s’attachant à Notre-Seigneur par la foi et en s’appropriant ses mérites par une vie pure et sainte. (L. BACUEZ.)
1 Ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole (du Verbe) de vie,